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Bien sur, l’éducation s’avère d’une force incroyable pour nous sortir de la passivité, pour révéler notre planète. Il faut développer des écoles et des universités populaires, étendre l’instruction et l’alphabétisation partout dans le monde qui en est privé, il faut que les idées, la science et l’histoire se répandent du Nord au Sud, sans la damnation des religions et sans la censure des états policiers. L’esprit n’est libre ni à l’ombre d’une église, ni dans les murs d’une caserne…
Mais l’école apprend aussi à obéir à l’autorité des polices et des larbins du pouvoir. L’utilisation permanente du chantage et de la punition n’a qu’une légitimité, apprendre l’art d’être soumis. Cette justification est d’ailleurs annoncée : ce sont les exigences du monde professionnel. L’obéissance n’apprend rien d’autre. En amoindrissant les moyens, en diminuant le nombre de professeurs, l’école profite surtout aux riches. Ensuite, en exigeant une orientation strictement professionnelle, l’école restreint l’homme à n’être qu’un salarié du monde marchand. Que les entreprises et les banques profitent des richesses, c’est déjà contestable, mais qu’il faille se mettre au service de leurs patrons, c’est clairement un but scandaleux. Apprendre, ce n’est pas apprendre à se mettre béatement au service des exploiteurs. Les patrons d’entreprises, qui modestement se nomment eux-mêmes les élites, n’ont ni talent ni savoir, ni diplômes propres autres que le fait de posséder de l’argent. Cet argent qui leur a servi à organiser la structure qui exploite la richesse fabriquée par les salariés, qui opprime les hommes et saccage la nature pour produire leur profit. Et que dire de ces actionnaires frileux qui prennent la richesse de notre travail en dormant ? L’école, le collège, le lycée, l’université construisent l’exercice d’exiger que nous soyons mis à disposition des patrons. Ouvriers, assistants, cadres, qu’importe, puisque l’objectif est de permettre au capitalisme de continuer son oppression. Pourtant, après des siècles d’exploitation assidue, le capitalisme a presque totalement dévasté la vie animale et végétale, le capitalisme est parvenu à la misère.
Et l’école actuelle reste essentiellement la fabrique de l’inégalité. L’inégalité et l’exclusion commencent à l’école. Qu’est ce que la notation sinon inculquer que la concurrence et que l’exclusion sont les seules formes de relation humaine? L’école construit l’idée que l’inégalité est fondamentale, normale, essentielle, indépassable, naturelle…Il y aurait des génies et des benêts ?
Ce n’est pas vrai, nous pouvons apprendre autrement. Nous savons que ce qui est intéressant chez l’autre, c’est sa différence. Ce sont ces différences qu’il faut valoriser et non pas exiger que chacun soit inscrit dans l’échelle inégale et sauvage de la concurrence. Seul l’économie marchande a intérêt à la concurrence des salariés entre eux, pour les traiter comme des marchandises. Qui nous dit qu’il faudrait savoir s’acheter ou se vendre ? La personne n’existerait plus qu’emprisonnée dans un système qui fait d’elle un outil du capital, mais qui peut aussi la réduire au chômage si l’outil technique peut la remplacer. Où est la liberté d’apprendre si nos vies sont déjà décrétées ? Quoi, la liberté n'existerait plus qu’étroitement coincée entre nos vies fichées et les chantages de l'économie, qui font l'économie de nos vies et la politique policière…
Non, ce n’est pas vrai. Lycéennes, lycéens, étudiantes, étudiants, Vous êtes riches de vous-mêmes.
En luttant, vous avez appris l’art de l’organisation libre, de la coordination de délégués révocables contre la fumisterie des représentants. Même JJ Rousseau, l’un des inventeurs de la démocratie, les réfutait lui-même : « dès que se nomment des représentants, nous ne sommes plus libres »(Contrat social). La coordination libre et révocable, c’est la liberté de s’organiser comme bon nous semble, c’est un peu de la Commune de Paris…
En s’organisant, vous savez désormais prendre la parole. En pratiquant le bavardage, les palabres, nous pratiquons l’humanité réelle, celle qui ne se vend pas mais qui discute, débat de l’avenir. Prendre la parole librement, sans encartement, c’est refuser la soumission, exprimer un peu de soi et des autres, c’est prendre la liberté en chemin.
En parlant, vous avez expérimenté la rencontre des autres, le refus de l’exclusion, de la discrimination. Vous avez ouvert le rêve de comprendre l’autre dans sa différence, avec avidité et soif de se comprendre. La rencontre aussi est amoureuse, sexuelle, contre tous ceux qui ont la haine de l’amour, contre toutes les églises et les états qui veulent contrôler et réglementer les gouts sexuels des adultes consentants. La rencontre est aussi celle de l’amour libre. La liberté d'aimer n'est pas moins essentielle que la liberté de penser.
Enfin, vous savez que de multiples formes de résistance sont possibles contre la pesanteur du vieux monde, vous avez découvert la liberté de s’insurger contre les injustices. Cette insurrection libre n’a pas de but en soi, ni de grand soir à attendre. Spartacus ne s’est pas révolté pour obtenir des élus ou par volonté de pouvoir, mais parce que l’injustice est insupportable tout simplement, et que la résistance contre l’état, le capitalisme et les bureaucrates, est nécessaire dans tous nos actes de la vie quotidienne…
Personne n’a le droit d’embrigader vos pensées, ni de vous faire la morale. Vous seuls pouvez décider d’enseigner cette soif de vivre et de générosité, de partager avec tous les autres jeunes, du Nord au Sud, cette liberté de se rebeller contre les injustices du monde marchand…
La vie est courte, notre passage sur terre devrait consister à jouer les trouble-fête et non à faire semblant d’être déjà mort.
(2009, Th. Lodé Professeur d’Université)
Reproduisez, diffuser librement cette lettre….