Lu sur
le Courrier : «Nous décidons nous-mêmes comment vivre. Nous ne voulons pas dépendre de mauvais gouvernements qui ne cherchent que leur propre bénéfice. C'est ça l'autonomie.» C'est en des termes simples, à l'image de ceux de Jesús, membre du «Conseil de bon gouvernement» zapatiste de La Realidad, au Chiapas, que les 232 élus des municipalités révolutionnaires sont venus présenter leur travail de construction d'un «autre monde» anticapitaliste, lors de la Rencontre «intergalactique» entre les zapatistes et les «peuples du monde», qui s'est tenue du 30 décembre au 2 janvier dans le village chiapanèque d'Oventik. Une grande première! Cette fois, pas d'intellectuels ni de leaders pour parler au nom du peuple zapatiste, mais les élus directs des communautés indigènes, ne disposant généralement que d'une scolarisation de base, et ne maîtrisant pas l'espagnol. Pas non plus de grands discours théoriques, mais le récit de la pratique au quotidien d'une «autre politique», une «autre économie», une «autre éducation», etc.
«Intergalactique» – quelque mille étrangers se sont rendus dans le Chiapas (lire ci-dessous) – la rencontre démontre aussi la volonté de renforcer les liens internationaux des zapatistes, quelque peu émoussés suite au long silence entre 2001 et 2005, période durant laquelle le mouvement s'est consacré à la construction d'autonomies politiques locales, intitulées Caracoles (escargots), ou «Conseils de bon gouvernement» (Juntas de buen gobierno), sous l'oeil désapprobateur des autorités étatiques et fédérales.
«Nada fácil»«Construire des gouvernements locaux qui proposent sans imposer n'a pas été facile. Il n'y a pas de manuel», reconnaît le commandant Bruce Lee, initiant la table de discussion sur l'autonomie, en compagnie de treize élus, tous cagoulés. Pourtant, petit à petit, la méthode s'est imposée, explique Abraham, conseiller municipal d'Oventik: «Dans chaque village et municipalité sont convoquées des assemblées populaires pour élire les représentants, sans passer par les partis politiques. Les élus ne reçoivent pas de salaire et gèrent la collectivité selon les us et coutumes de la communauté.» Des principes de base y ont été ajoutés, rappelle Roel, de La Realidad: «Commander en obéissant, représenter et non profiter, servir et non pas se servir, descendre et non pas monter [dans l'échelle sociale ndlr].» Plusieurs mécanismes ont été adoptés pour prévenir la concentration du pouvoir: le mandat ne dure que trois ans et n'est pas renouvelable. L'élu peut aussi être destitué s'il ne répond pas aux attentes. Enfin, une commission de vigilance est nommée pour examiner le travail des représentants.
Question justice, il n'y pas de séparation des pouvoirs. C'est le Conseil de gouvernement qui auditionne les parties et tranche: «Mais il n'y a pas de peine de prison, sauf pour les crimes comme le meurtre ou le viol, et pas toujours. Nous cherchons avant tout la réhabilitation à travers des peines de travail. Lorsqu'on ne peut réparer l'acte, comme dans le cas d'un viol, nous demandons à la victime ce qui lui conviendrait, une compensation financière ou un service au sein de la collectivité, on cherche le moyen de vivre avec la situation passée», explique Beto, élu du Caracol «coeur de l'arc en ciel de l'espérance» [sic!] à Morélia.
La terre, clé de l'autonomieComme en témoignent les différents intervenants venus de l'extérieur, l'idée zapatiste de construire progressivement l'autonomie au sein du système séduit. Comme à Los Angeles, où Gerardo Gomez, originaire du Mexique, organise les gens de la rue en vue de créer des espaces autogérés: «Les sans-abris ont le droit à un logement digne. Ils ne veulent pas d'auberges d'Etat qui ne leur conviennent en rien. L'auto-organisation permet d'accéder à la dignité.» En Italie, où les étudiants s'organisent pour conquérir des espaces autonomes au sein des Universités, est venue témoigner une représentante de Ya Basta!: «Nous cherchons à construire. Les manifestations contre la privatisation de l'éducation suffisent pas.»
Pour les zapatistes, l'autonomie est d'abord passée par l'occupation de terres détenues par les grands propriétaires fonciers, permise par le soulèvement armé de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) en 1994. C'était le seul moyen d'accéder à la souveraineté alimentaire. Toutes les terres occupées ont été mises au service des communautés et sont cultivées en commun de manière entièrement biologique, explique Alex, représentant du Caracol de la Garrucha: «En revanche, les petits propriétaires peuvent garder leurs parcelles, jusqu'à 50 hectares.»
Travail collectifMais les meilleurs sols restent aux mains des riches, qui peuvent compter sur l'appui de l'armée. La situation des petits cultivateurs indigènes devrait d'ailleurs s'aggraver avec le plan de privatisation des propriétés communales (le Procede1) appliqué par le gouvernement sous l'impulsion de la Banque mondiale, dénoncent les militants.
Autre avancée des communautés zapatistes: l'égalité entre hommes et femmes, qui a fait l'objet d'une plénière d'une demi-journée: «Nos compagnons ont compris que nous avons les mêmes droits qu'eux, assure une membre du Comité révolutionnaire clandestin indigène (la direction zapatiste). Quand nous sortons pour participer aux activités politiques, ils doivent l'accepter et participer aux tâches ménagères, mais le machisme est encore présent et les hommes se moquent parfois de nous quand nous participons aux réunions.»
Coca-Cola pour ZapataL'accès à des activités de production comme l'élevage, la culture de parcelles en commun et l'artisanat a aussi favorisé l'émancipation de femmes, ont assuré plusieurs intervenantes. Une évolution qui s'inscrit dans la conception de l'«autre économie» zapatiste, qui met l'accent sur la propriété collective, la formation de coopératives et la consommation de produits locaux et naturels. Ce qui ne va pas de soi, ont dû reconnaître les élus, la consommation de Coca-Cola étant entrée dans le moeurs. Le camp «intergalactique» était d'ailleurs inondé par la boisson gazeuse américaine, ce qui a suscité quelque irritation. L'«autre éducation» devrait peu à peu modifier les habitudes contraires aux valeurs du mouvement, et, au-delà, aboutir à un enseignement enraciné dans la culture indigène. Les communautés désignent désormais démocratiquement leur propres promoteurs en éducation, qui suivent des cours de formation. C'est un exemple à suivre, pour Beatriz Gutierrez, membre du Conseil de l'Assemblée des peuples de Oaxaca (APPO): «Nous, les peuples indigènes, nous comprenons la démocratie comme le consensus, et non comme le 50%, plus un. Pour cette raison, nous avons plus que jamais besoin de l'éducation communautaire et de livres dans notre langue.» I
CHRISTOPHE KOESSLER, SAN CRISTOBAL DE LAS CASAS, CHIAPAS
Note : 1 Programa de certificacion de derechos ejidales y titulacion de solares urbanos (Procede).