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lu sur indytoulouse : " L’arme des examens (dialogue entendu dans le hall B)
Tu sais où il en est le mouvement anti-CPE ?
Je sais pas, sûrement une dissertation en 4 heures. Rennes, le 12 Mai
Le mouvement que nous venons de connaître a été le premier, depuis plus de dix ans, à imposer un recul au gouvernement (le retrait du CPE). Un recul, non une défaite. Dans une offensive prolongée, il n’est pas toujours possible d’enchaîner les victoires écrasantes. Lâcher du lest sur le CPE, pour qu’on ne parle plus du CNE, de la loi d’égalité des chances, et maintenant de la loi Sarkozy sur l’immigration. Pour que tout rentre dans l’ordre. Qu’il n’y ait plus de troubles dans les rues, plus de routes bloquées, d’entreprises perturbées, de palabres dans les facs occupées. Plus de politique, surtout, plus de politique. Pour que les commerçants puissent à nouveau faire leur beurre, les marchandises circuler, les touristes déambuler, les étudiants penser à leur avenir. Pour que la police puisse prendre des vacances. Aujourd’hui, c’est à qui parviendra à capitaliser la « victoire historique », en nombre d’adhérents, en voix aux élections, en reconnaissance médiatique. Cessons de nous raconter des histoires. La victoire réelle du mouvement, ce n’est pas d’abord son effet incident -le retrait du CPE- c’est d’avoir dégagé l’horizon politique du retour dépressif des sempiternelles « journées de mobilisation » à peine moins ternes que des jours fériés, où les discours, même témoignant d’ambitions fort modestes, restent cent fois plus belliqueux que les actes qui seraient sensés les soutenir. Aujourd’hui il est évident pour tous (ceux qui le nient mentent, et ils le savent) qu’il n’y a pas de lutte réelle en deçà du blocage de l’économie, de l’attaque immédiate des dispositifs d’instauration des politiques libérales, de la perturbation des centre-ville comme espaces entièrement dévolus à l’absorption et à la digestion de toute secousse politique ou existentielle –espaces de paix consacrés à la guerre économique. Si nous avons lutté pendant deux mois et demi, c’est d’abord pour affirmer l’existence même de la politique, mettant ainsi en évidence le fait qu’en temps normal, où chacun est individuellement requis par des exigences d’ordre économique –mobilisant ce qui de nos activités et affects est irréductiblement pris dans des rapports d’exploitation- il n’y a pas de politique pour nous, il n’y a que la souveraineté de l’économie, c’est à dire la politique déployée contre nous par le capital. Le mouvement s’est arrêté sous la pression croisée des professionnels du défilé protestataire, des médias et des étudiants hostiles au changement profond. Il s’est arrêté également du fait de l’impossibilité pour la plus grande part d’entre nous d’assumer ce que la lutte nous a permis d’entrevoir : qu’il n’est pas possible de contribuer ponctuellement à la naissance d’un mouvement politique, qu’il ne s’agissait pas là d’un engagement révocable à durée déterminée. Assumer ce qui avait eu lieu, continuer à lutter, cela voulait et veut toujours dire, dans le même mouvement, poursuivre l’offensive contre les politiques libérales, élaborer collectivement des manières de vivre qui soient adéquates à nos inclinations anticapitalistes. Cela veut dire également, ne pas se laisser prendre au piège des semestres à boucler, des cours à rattraper, au chantage des examens à passer à tout prix. Déjà le mouvement des profs en 2003 qui avait duré plusieurs mois, s’était écrasé sur sa peur de toucher au bac, la seule chose qui aurait pu conjurer la défaite annoncée. Il en a été de même, l’année dernière, pour le mouvement lycéen. Comme si la gravité de la situation, la générosité de l’affirmation politique et la sincérité du lien qui s’était noué au sein de la communauté de lutte, tout cela ne pesait pas si lourd, n’était pas assez sérieux au regard du nécessaire passage d’examens -c’est à dire, dans le fond, de la nécessaire reprise en main de la situation par le gouvernement, de la nécessaire reprise en main, par l’économie, du cours de nos existences quotidiennes. Que nous acceptions de nous plier à la mobilisation générale des examens en juin serait une défaite réelle parce que nous reproduirions le geste qui accompagnait l’essoufflement des anciens mouvements sociaux d’avant novembre –enterrer, à la fin, les liens qui auraient pu devenir politiques et donc irréversibles- alors que ce mouvement a été de bout en bout politique, et qu’il aura, quoi qu’il advienne, des conséquences irréversibles. Geste absurde d’enterrer ce qui est vivant. Si, au contraire, il nous semble déterminant qu’une continuité ou reprise du mouvement dans les jours ou semaines qui viennent passe par le refus des examens comme symbole de la faiblesse politique du mouvement, de la faille par laquelle s’est engouffré l’appétit de restauration des plus tièdes, il ne faut pas voir là le moindre esprit de sacrifice. Nous n’appelons pas au boycott individuel des partiels mais à des actions collectives, concertées sur tout le territoire, des actions de pression sur les institutions liées au ministère de l’enseignement supérieur pour exiger la validation, pour chaque étudiant, du second semestre de l’année universitaire. Menacer les examens, c’est retourner contre le gouvernement l’arme par laquelle il a pu étouffer, sous le pragmatisme économiste qui lui sert de philosophie, les aspirations au changement exprimées massivement au cours de ces derniers mois. Actuellement, notre principale capacité de blocage réside à cet endroit. Mais une telle pratique appelle naturellement la reprise, partout où cela sera possible, conjointement avec les salariés, chômeurs et précaires, des blocages économiques. C’est maintenant la politisation de tous les aspects de ce qui compose nos conditions de vie qu’il nous faut viser. La précarité naît d’abord de l’injonction perpétuelle à faire de sa vie une lutte pour ne pas déchoir –ne pas tomber dans une des misères variées que ce temps accumule - pour ne pas faire partie de la charretée des perdants, des vaincus de toutes sortes. Accepter de se plier au bon vouloir des patrons, travailler incessamment à son employabilité, à l’entretien de sa valeur marchande, augmenter sa compétitivité, passer vaille que vaille des examens ou des concours après une crise politique d’une telle ampleur, cela participe de la même logique, que nous refusons, celle du marché, de la concurrence, du libéralisme. Continuer –reprendre le mouvement, cela ne sera possible qu’en heurtant de front les pseudo-évidences qui sont ce par quoi l’ordre se rétablit : la politique se limiterait à se défendre ponctuellement contre des réformes gouvernementales, et s’arrêterait nécessairement à l’approche des examens. Au contraire, il s’agit d’affirmer que la politique n’existe qu’en entraînant toute la vie, en modifiant notre rapport au travail et à l’étude, et en nous dégageant, pas à pas, du monde de l’économie.
Comité anti-examens de Rennes 2