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Lu sur CIRA de Marseille : "Les localistes et la naissance de la FAUD 1919, la grève générale mars 1920 et l'Armée rouge de la Ruhr
1897 voit la fondation de la Freien Vereinigung deutscher Gewerkschaften (FVDG, Association libre des syndicats allemands). Jusqu'en 1904 et la propagande pour la grève générale de Raphael Friedeberg, cette opposition aux syndicats officiels sociaux-démocrates s'appellait Lokalisten (Localistes) car elle revendiquait l'autonomie des syndicats locaux. Cette organisation eut 20 000 membres avant-guerre et ce fut la seule organisation allemande qui s'opposa à la guerre. Ce fut pour cette raison que son journal Die Einheit (L'Unité) fut interdit. Les Localistes ont participé aux mouvements de grèves revolutionnaires au début de 1918 et en mars 1919. Leur présence était importante chez les métallurgistes et les mineurs des régions industrielles de Rhénanie-Westphalie et de la Ruhr où ils étaient plus de 60 000 à la fin de 1919.
Avec le retour de Rudolf Rocker en Allemagne après la guerre est fondée la Freie Arbeiter Union Deutschlands (FAUD, Union libre des ouvriers allemands) les 27-30 décembre 1919. Les délégués représentaient 111 675 membres. En 1920-1921 la FAUD était à son apogée avec environ 150 000 militants répartis dans 450 groupes. Une commission de gestion fut élue à Berlin. Il y eut un journal quotidien puis hebdomadaire, Der Syndikalist (Le Syndicaliste) qui tira jusqu'à 120 000 exemplaires. En 1921 fut fondé un journal régional dans la Ruhr, Die Schöpfung (La Création).
Le problème de l'anarcho-syndicalisme allemand par rapport à d'autres pays était le manque de culture libertaire. Une grande partie des militants ne voyait pas la différence entre les partis communistes et l'anarchisme. C'est ainsi qu'il y a eu souvent des doubles appartenances, en particulier en Rhénanie et dans la Ruhr. Il y eut dès le début des tendances proches du Parti communiste ou du Parti social-démocrate indépendant. Une tendance comme Gelsenkirchen voulait coopérer avec les Unionistes (150 000 militants à cette époque). Il s'agissait d'un syndicat communiste opposé à la dictature du Parti communiste sur les syndicats. Leurs militants ont plus tard soutenu la fondation par les communistes-gauchistes du Kommunistische Arbeiterpartei Deutschlands (KAPD, Parti ouvrier communiste allemand) en avril 1920. [18]
Manquant de culture et de traditions libertaires, la FAUD n'était pas capable de propager une stratégie cohérente pour les luttes à venir. Quant à la résistance au coup d'Etat des monarchistes, fascistes et réactionnaires de Kapp-Lüttwitz les 12-17 mars 1920 à Berlin, la FAUD a lancé dès décembre 1918 un appel à participer à une grève générale. En mars 1919, la grève générale fut très suivie, même par les grands syndicats sociaux-démocrates qui la refusaient auparavant. Mais contrairement aux syndicats de la FAUD de Berlin ou des syndicats libertaires des zones industrielles de Thuringe, les syndicats de la FAUD de Rhénanie et de la Ruhr voulaient prolonger la grève par l'insurrection armée. Entre 50 000 et 80 000 militants, dont la moitié étaient des anarcho-syndicalistes, créerent la « Rote Ruhr-Armee » (L'Armée rouge de la Ruhr). L'insurrection armée fut écrasée début avril 1920 par la Wehrmacht et les corps francs réactionnaires, faisant des milliers de morts. Ce fut une catastrophe pour l'anarcho-syndicalisme allemand. Les effectifs baissent jusqu'à 25 000 membres en 1925 puis 4000 à 5000 en 1932. La FAUD a perdu sa capacité à déclencher et conduire des grèves de masse.
Après les événements, l'un des grands débats parmi les militants de la FAUD fut l'utilisation des armes par les opprimés. Après la guerre, le courant des libertaires non-violents était très fort. Il y eut une campagne pour la destruction des armes. Pendant une conférence réunissant des ouvriers des entreprises d'armement en mars 1919 à Erfurt, Rudolf Rocker a lancé un appel « A bas les armes, a bas les marteaux ! ». Cet antimilitarisme ouvrier fut approuvé par 300 délégués. Le courant non-violent dans les rangs de la FAUD a critiqué la formation de l'Armée rouge de la Ruhr. Des militants comme Rudolf Rocker (pas tout à fait non-violent, mais opposé à l'Armée de la Ruhr), Augustin Souchy, Pierre Ramus, Robert Buth, Fritz Oerter, Franz Barwich, Fritz Köster et bien d'autres ont revendiqué le fait de s'emparer des armes de l'ennemi et de les détruire. Ils préconisaient la grève générale plutôt que la lutte armée. Celle-ci était considérée comme un moyen de prendre le pouvoir (même communiste), celle-là avait pour but de le détruire. De nouvelles recherches sur l'Armée rouge de la Ruhr montrent, que pendant les quatre semaines de combats, il y a eu un changement dans le postes de commandement. Les conseils et milices étaient au début partagés entre socialistes indépendants, communistes, communistes-gauchistes (dit unionistes) et anarcho-syndicalistes, mais à la fin du combat presque tous les postes de commandement étaient tenus par les communistes-gauchistes. Ils ne voulaient pas négocier une trêve pouvant sauver les militants et les organisations syndicales. Après la défaite, des milliers de militants, qui n'avaient pas été tués, ont dû fuir. D'autres ont changé d'affiliation, soit pour le Parti communiste, soit pour les communistes-gauchistes. Les anarcho-syndicalistes ont surnommé les communistes-gauchistes « communistes de carabine » en les accusant de privilégier la stratégie de la lutte armée. Au congrès de la FAUD en 1921 à Düsseldorf, il fut décidé que la double appartenance n'était plus possible. Des militants unionistes comme Franz Jung partirent pour le KAPD, puis la Russie soviètique, d'autres comme Otto Rühle (1874-1943) sont devenus de plus en plus proches des libertaires et ont écrit plus tard des thèses sur le communisme considéré comme fascisme rouge. Pierre Ramus (1882-1942) était le plus radical des militants non-violents, il était trés populaire parmi les ouvriers allemands et surnommé « Dr. Unblutig » (M. Non-Sanglant). Il a publié a Vienne le journal Erkenntnis und Befreiung (Connaissance et libération) de tendance anarchiste non-violente. Fuyant les nazis, il meurt dans un navire en route pour le Mexique en 1942. [19]
La Fédération syndicaliste des femmes, la « Schaffende Frau », Milly Witkop-Rocker, Helene Stöcker
La FAUD des années 1920 fut le seul mouvement libertaire de masse de l'histoire allemande. Ce n'était pas seulement un syndicat, mais aussi un mouvement culturel avec des groupes de chanteurs et chanteuses, des projets de colonies communautaires, des groupes d'enfants, une organisation « Syndikalistisch-Anarchistische Jugend Deutschland » (Jeunesse syndicaliste-anarchiste allemand) qui compta jusqu'à 3000 membres (influencée fortement par Ernst Friedrich), un service de rééditions et de distribution de livres, la « Gilde freiheitlicher Bücherfreunde » (Guilde libre des amis du livre) et bien d'autres. [20]
Une organisation significative de la FAUD fut le « Syndikalistischer Frauenbund » (Fédération des femmes syndicalistes) qui eut jusqu'à 1000 membres dans 20 groupes, la plupart femmes de ménage et mères de famille, mais aussi quelques ouvrières. Milly Witkop-Rocker a fondé cette organisation. Elle avait été influencée par les drames feministes de Hendrik Ibsen et elle a lutté contre l'image de la femme comme pondeuse d'enfants. Les femmes eurent souvent du mal à propager leurs revendications dans les rangs de la FAUD. Milly Witkop-Rocker a considéré l'obtention du droit de vote pour les femmes comme un détournement de la lutte pour les droits essentiels. Les principales militantes ont été Martha Steinitz, Franziska Krische, Aimé Köster, rarement soutenues par des hommes comme Gerhard Wehle et Fritz Oerter. Les revendications pour la contraception ont été influencées par le mouvement des femmes avec Helene Stöcker proche des libertaires. De nombreux anarcho-syndicalistes ont été membres de la « Reichsverband für Geburtenregelung und Sexualhygiene » (Association impériale pour la limitation des naissances et l'hygiène sexuelle) du docteur Magnus Hirschfeld. Cette organisation a aussi défendu les homosexuels contre des persécutions d'Etat. Aimé Köster a rédigé un journal Die Schaffende Frau (La femme ouvrière) entre 1919 et 1925. Köster a préconisé la grève des naissances comme moyen d'empêcher les guerres. [21]
« L'Association Internationale des Travailleurs » (AIT) 1922, « L'Internationale des Résistants à la Guerre » (IRG) 1921, Clara Meijer-Wichmann et la « Commission Internationale Antimilitariste » (IAK)
A Moscou, Lénine a imposé la dictature du Parti communiste sur les syndicats internationaux. Entre le 25 décembre 1922 et le 2 janvier 1923 la FAUD a organisé un congrès à Berlin qui fondait l' »Internationale Arbeiter-Assoziation » (IAA ou AIT, Association Internationale des Travailleurs) pour maintenir l'indépendance des syndicats. Etaient présents les délégués de 16 organisations représentant 11 pays et quelque deux millions de membres. Les sécrétaires internationaux Augustin Souchy, Rudolf Rocker et Alexandre Shapiro ont été elus lors ce congrés. Ils ont publié ensuite le journal Die Internationale (L'Internationale).
En 1921, à Bilthoven aux Pays-Bas, fut fondée la « War Resisters International » (Internationale des Résistants à la Guerre) une Internationale antimilitariste. Pierre Ramus a fait une intervention pendant le congrès critiquant l'armée rouge en Russie et proposant la défense sociale de la révolution. L'une des fondatrices de l'IRG fut Clara Meijer-Wichmann (1885-1922), née à Hambourg, émigrée aux Pays-Bas où elle a épousée Johann Meijer, premier sécretaire de l'IRG. Elle était féministe et a critiqué le droit pénal d'un point de vue libertaire. Avec Henriette Roland-Holst, Bart De Ligt et d'autres militants elle a créé le mouvement antimilitariste libertaire hollandais. Elle exposé une philosophie de l'histoire, selon laquelle on peut mesurer le degré d'évolution d'une société en évaluant la situation d'égalité des femmes dans cette société et la capacité de cette société à résoudre les conflits sociaux par la non-violence. Pour améliorer les liens entre les deux Internationales a été créée l'« Internationale Antimilitaristische Kommission » (IAK, Commission Internationale Antimilitariste) avec les néerlandais Arthur Müller-Lehning et Albert De Jong.
En Allemagne était même apparue une section officielle de l' »International Workers of the World » (IWW, Ouvriers Industriels du Monde) dans un syndicat de marins. George Williams en était le délégué invité au congrès de la FAUD 1921 à Düsseldorf. [22]
La résistance contre les nazis, la DAS pendant la Révolution espagnole 1936-39
La situation de la FAUD était paradoxale. La menace national-socialiste a été perçue très tôt. Le coup d'Etat nazi de Kapp en 1920 a été empêché par le déclenchement de la grève générale. Mais après les débats autour de l'Armée rouge de la Ruhr, la FAUD avait perdu la capacité de conduire des grèves de masse. La FAUD n'avait plus que 4000 membres au début des années 1930. Pour une grève générale, il fallut demander la constitution d'un front commun aux partis social-démocrate et communiste. Cette alliance n'ayant pas abouti, les libertaires ont combattus les nazis de manière violente avec les « Schwarze Scharen » (Foules noires), une milice d'environ 500 membres. Elle affronta les nazis dans les rues jusqu'en 1933, date à laquelle ceux-ci prirent le pouvoir. La FAUD transféra clandestinement sa commission de gestion de Berlin à Leipzig. Les groupes anarcho-syndicalistes organisèrent des rencontres régionales, un réseau de résistance comprenant environ 600 militants. Ils ont essayé de réaliser des journaux clandestins, dont l'exemple le plus efficace fut Die soziale Revolution (La révolution sociale) entre 1933 et 1935 avec huit numéros et environ 200 exemplaires qui après lecture étaient rassemblés pour être diffusés dans un autre lieu. Les anarcho-syndicalistes en exil ont fondé en 1933-1934 le groupe « Deutsche Anarcho-syndikalisten » (DAS, Anarcho-syndicalistes allemands) avec un bureau à Amsterdam. En 1936, beaucoup de militants sont partis en Espagne pour participer à la Révolution. Le bureau de Barcelone comprenait une vingtaine d'entre eux comme Helmut Rüdiger, Augustin Souchy, mais aussi des intellectuels allemands comme le critique littéraire Carl Einstein, qui a participé à la colonne Durruti et a rendu hommage à Durruti sur sa tombe après sa mort. Les nazis, prenant connaissance des activités de la DAS, ont procédé en 1937 à des rafles en Allemagne et purent détruire le réseau de résistants anarcho-syndicalistes. [23]
Le regroupement libertaire après la deuxième guerre mondiale, la FFS, le livre de Rudolf Rocker
La suppression de l'Armée rouge de la Ruhr et la répression par les nazis ont complètement détruit l'anarcho-syndicalisme allemand. Après la deuxième Guerre mondiale, il était impossible pour les libertaires survivants et les militants de retour d'exil de le rétablir. Dans les années 1950 et 1960, on a vu quelques petits groupes comme le Groupe international de Bakounine, le Groupe Action directe anarchiste non-violent à Hanovre, ou bien un groupe à Mühlheim autour du vieux militant anarcho-syndicaliste Willy Huppertz. Celui-ci a publié de 1947 à 1978 le journal Befreiung (Libération) tirant jusqu'à 1500 exemplaires, mais il restait méfiant envers les jeunes étudiants libertaires d'après 1968.
L'organisation la plus importante fut la « Föderation Freiheitlicher Sozialisten » (FFS, Fédération des socialistes libres), fondée en 1947. En 1950, elle avait 150 membres répartis dans 30 groupes puis seulement quelques groupes jusqu'en 1959-1960. Il s'agissait d'un rassemblement de vieux militants de la FAUD des années 1920, aidés par Helmut Rüdiger en Suède et Rudolf Rocker à New York. Ils ont réussi à organiser la diffusion de l'ouvrage le plus important de Rudolf Rocker, Nationalismus und Kultur (Nationalisme et culture), paru en 1949 pour la première fois en langue allemande. On peut dire que ce livre fut le livre le plus important écrit par un libertaire en langue allemande. Rocker dit dans ce livre que dans toute l'histoire, les plus grandes créations culturelles ont eu lieu à des époques où il y avait un mélange de langues, de peuples et de nationalités, tandis que les phases de nationalisme rigide furent en même temps les époques les moins culturelles et les plus brutales de l'humanité. [24]
Rocker a aussi écrit une brochure de conseils pratiques pour les militants de la FFS, Zur Betrachtung der Lage in Deutschland (En considérant la situation en Allemagne). Il proposait aux libertaires de faire de la propagande pour le fédéralisme contre le centralisme. Il leur proposait aussi de participer aux élections municipales pour aider à la reconstruction du pays en montrant aux gens des exemples positifs, parce qu'ils souffraient de la faim et n'étaient pas interessés par les idées anarchistes après la guerre. Rocker a alors été attaqué par Willy Huppertz comme réformiste. Et la participation des libertaires aux élections municipales fut une échec. Les militants les plus important de la FFS furent Fritz Linow, qui a rédigé le journal Die freie Gesellschaft (La sociéte libre) avec 2000 exemplaires entre 1949 et 1953 et Gretel Leinau qui jouait le rôle de sécretaire coordinatrice entre les militants et les groupes. Les relations avec le Parti communiste furent conflictuelles à cause de l'expérience espagnole et parce que l'on avait appris le calvaire de Zenzl Mühsam, l'épouse d'Erich Mühsam, dans les camps de détention en Russie soviètique. En Allemagne de l'Est les libertaires ont choisi trois voies différentes : le premier, l'opposition ouverte, qui fut supprimée par les communistes du SED, comme Willi Jelinek, qui mourut dans la prison de Bautzen ; le deuxième, comme Rudolf Michaelis, qui fut membre du parti, mais voulait influencer les communistes par des idées libertaires – ce fut un échec et Michaelis avait dû écrire une thèse condamnant l'anarchisme ; et il y a eu des libertaires de la FAUD d'avant-guerre, qui sont devenus de vrais communistes sans regrets dans les rangs du SED après la deuxième Guerre mondiale, oubliant l'anarchisme de leur jeunesse. [25]
Le néo-anarchisme après 1968, le congrès du Kronstadt 1971 à Berlin, les groupes armés
Le mouvement étudiant des années 1968-1969 avait des pratiques anti-autoritaires, mais les idées et débats restaient marxistes la plupart du temps. Ainsi, le néo-anarchisme de langue allemande après 1968 a commencé avec la critique libertaire du marxisme, aussi bien de l'Ecole de Francfort que des communistes de conseils, et plus tard la critique des partis staliniens ou maoïstes. Rudi Dutschke (1940-1979), le militant le plus populaire, a introduit la tradition libertaire dans le mouvement progressiste, mais il restait marxiste. Daniel Cohn-Bendit, aprés son expulsion de France, a choisi avec Joschka Fischer un groupe spontanéiste, la « Revolutionärer Kampf » (Lutte révolutionnaire) à la manière operaiste italien (Lotta continua). Ce groupe ne put choisir entre le marxisme et l'anarchisme car il avait des pratiques autoritaires comme la surveillance par ses cadres de ses militants qui travaillaient en usine. En 1968-1969 on a réédité pour de nouveaux lecteurs des écrits libertaires comme L'histoire du mouvement makhnoviste d'Archinov, des critiques du bolchevisme par Rudolf Rocker ou Emma Goldman. Bernd et Karin Kramer ont fondé une maison d'édition libertaire, Karin Kramer Verlag, avec les revues Marxismus-Anarchismus (Marxisme– anarchisme) et Unter dem Pflaster liegt der Strand (Sous les pavés la plage). Les Kramer et d'autres ont organisé à 1971 à Berlin un colloque consacré aux événements de Kronstadt de 1921. Ils ont été les premiers à publier à nouveau des écrits libertaires. Ils ont été suivis par d'autres éditeurs libertaires : Büchse der Pandora, Libertad Verlag, Trotzdem Verlag, Edition Nautilus à Hamburg, Weber-Zucht à Kassel, Verlag Graswurzelrevolution, Klemm & Oelschläger à Ulm, Unrast Verlag.
Puis ont été publiées les critiques antimarxistes et écologistes de Murray Bookchin, les tracts anarcho-féministes de Carol Ehrlich et L'Anarchisme de Daniel Guérin. A Berlin des journaux très violents ont été publiés, montrant des anarchistes armés de bombes, comme Linkeck (Côté gauche) avec un tirage de 3000 à 8000 exemplaires (Karin et Bernd Kramer), Agit 883 de Peter Paul Zahl avec un tirage de 4000 à 7000 exemplaires, puis Fizz (1971) ; ces publications ont duré peu de temps. Des groupes situationnistes, les « Umherschweifende Haschrebellen » (Les Rebelles fumeurs de hachisch dérivants) ont fondé au début des années 1970 le groupe « Bewegung 2. Juni » (Mouvement du 2 Juin). Cette date rappelait le meurtre de l'étudiant Benno Ohnesorg le 2 juin 1967. C'était un groupe libertaire armé, qui faisait des braquages de banque et des enlèvements, dont le plus efficace fut celui du politicien chrétien-démocrate Peter Lorenz. Mais ils ont également tué l'indicateur Schmücker, action qui a terni leur réputation. Les militants du Mouvement du 2 juin avaient parfois coopéré avec la « Rote Armee Fraktion » (RAF, Fraction armée rouge), malgré le marxisme-léninisme explicite de la RAF et des écrits d'Ulrike Meinhof. Inge Viett du Mouvement du 2 juin a pris contact avec le gouvernement de la RDA à la fin des années 1970 pour en finir avec la vie clandestine et avoir une vie quotidienne normale en Allemagne de l'Est. Il y a eu un autre réseau armé pendant les années 1970 et 1980, les « Revolutionäre Zellen » (Cellules révolutionnaires), qui se situaient idéologiquement entre le Mouvement du 2 juin et la RAF. Les militants avaient une vie quotidienne normale, mais ils commettaient des attentats le soir ou pendant leurs vacances. En 1976 ils ont détourné un avion vers Mogadiscio en Somalie avec un commando palestinien. Là, les militants allemands ont séparé les passagers juifs israéliens des autres. Cette action a été fortement critiquée par les autres courants de la nouvelle gauche et des libertaires, parce qu'elle rappellait les sélections des juifs par les nazis pendant l'Holocauste. [26]
L'anarchisme contemporain : Graswurzelrevolution, FAU, Schwarzer Faden, Autonomes libertaires, Umweltblätter en RDA, Project A, Journées Libertaires à Frankfort 1987 et 1994
Parmi les mouvements sociaux des années 1970, 80 et 90 comme le mouvement feministe, ecologiste, le mouvement pour la paix, trois courants libertaires ont survécu jusqu'à nos jours et ont été capables de s'organiser et de créer une tradition. En 1972 on a vu la naissance du journal anarchiste non-violent Graswurzelrevolution (Révolution des racines d'herbe), inspiré entre autres par la revue de langue française Anarchisme et Non-violence parue entre 1964 et 1974 et les traditions de l'anarchisme non-violent de langue allemande. Les anarchistes non-violents ont créé des groupes pour l'action directe non-violente. Ils ont essayé d'influencer et de préparer des actions de masse lors de mouvements sociaux, avec des résultats considérables dans les actions contre les installations nucléaires de Wyhl, Marckolsheim et Fessenheim entre la Suisse, la France et l'Allemagne. Ils ont été actifs dans la création de la « Republik Freies Wendland »(République Wendland libre), une ville libertaire alternative de 1000 militants en mai 1980 sur un site nucléaire. Ils ont participé à des actions de désobéissance civile pendant le mouvement pour la paix dans les années 1980 ainsi qu'à des actions directes de sabotage de pylônes électriques pendant la lutte contre le surgénérateur de Wackersdorf en Bavière. Actuellement, ils pratiquent toujours l'action directe contre les transports de déchets nucléaires. Les anarchistes non-violents ont joué un rôle dans le fait que la part du nucléaire ne représente que 33% de l'énergie produite en Allemagne. Le journal est le seul mensuel libertaire en Allemagne aujourd'hui, avec un tirage d'environ 4000 exemplaires. Entre 1980 et 1997 on a vu aussi la création d'une organisation, la « Föderation Gewaltfreier Aktionsgruppen » (Fédération des groupes d'action directe non-violente) composée de 150 membres dans 20 groupes, avec des conseils de délégués tous les deux mois et une conférence par an. [27]
Après la courte renaissance de l'anarcho-syndicalisme en Espagne qui a suivi la mort de Franco en 1975, on a vu la fondation en 1977 d'une nouvelle organisation anarcho-syndicaliste, la « Freie Arbeiter/-innen-Union » (Association des ouvriers/ières libres) avec le journal bimestriel Direkte Aktion (Action directe) qui tire à 2000 exemplaires environ. Une fois par an il y a une conférence qui rassemble environ 100 militants. Elle a critiqué les syndicats unifiés sociaux-démocrates, mais n'est pas capable d'organiser des bourses du travail ou des fédérations d'industrie. L'action la plus efficace de la nouvelle FAU fut le boycott d'un café alternatif, résultat de l'exploitation d'ouvriers mexicains. Ce boycott a servi à montrer la solidarité de la FAU envers l'insurrection zapatiste du Chiapas.
En 1980 des libertaires ont fondé le journal Schwarzer Faden (Fil noir), un trimestriel culturel tirant à 3000 exemplaires environ. Pendant les années 1980 on a essayé de créer des forums libertaires, rassemblant tous les courants libertaires et mêmes des individus, mais ce fut un échec. Aujourd'hui deux fois par an il y a la petite rencontre d'un « Forum für libertäre Informationen » (FLI, Forum pour des informations libertaires), qui a coupé les liens avec la revueSchwarzer Faden. Le Trotzdem Verlag, associé avec la revue, est aujourd'hui devenue une coopérative. [28]
Le mouvement des Autonomes présent depuis 1975 en Allemagne est difficile à classer. Il tire incontestablement ses racines du mouvement italien d'autonomie ouvrière, entre le communisme des conseils et l'anarchisme. En Allemagne entre 1975 jusqu'à 1989, est parue une revue Autonomie, rédigée par Karl-Heinz Roth, qui est plus marxiste. Dans les années 1980 on pourrait partager les Autonomes entre Autonomes anti-impérialistes et marxistes (faisant des actions solidaires par exemple avec des partis marxistes comme le parti kurde de Öcalan) et des autonomes libertaires autour du journal Die Aktion (L'action) de Francfort tirant à 3000 exemplaires environ (faisant des actions solidaires avec les révoltes des banlieues de Los Angeles par exemple). Le problème des Autonomes était visible pendant les premières « Libertäre Tage » (Journées libertaires) rassemblant 3000 militants en 1987 pour un week-end à Francfort. Le week-end fut dominé par les débats des Autonomes se demandant s'ils devaient cesser leurs soutiens à la RAF – une question, qui avait été résolue par les autres courants libertaires depuis plus de dix ans. On a vu une impressionante rencontre des libertaires, les deuxièmes « Libertäre Tage » (Journées libertaires) avec encore 3000 militants en 1994 à Francfort. Au cours de ces Journées les différents courants libertaires ont pu exposer leurs problèmes, mais cette fois les Autonomes étaient peu représentés. Les débats avaient pour thème le faible degré d'organisation des libertaires en Allemagne et le manque de vieux militants. Certains considèrent le mouvement libertaire comme un mouvement de la jeunesse très fluctuant et incapable d'installer une tradition et une culture libertaires en Allemagne.
Le sociologue libertaire Bernd Drücke a fait des recherches sur la presse libertaire et a trouvé entre 1985 et 1995 21 revues et journaux en RDA et 475 revues et journaux en RFA, qui ont souvent eu une diffusion faible et régionale. Le militant Horst Stowasser a essayé de créer des projets alternatif et autogestionnaires dans plusieurs petites villes pour diffuser les idées libertaires (Projekt A), mais il a échoué aprés s'être installé avec 50 autres militants dans la petit ville de Neustadt. Des groupes autour du journal Umweltmagazin (Magazine pour l'environnement) en Allemagne de l'Est se sont opposé au régime pendant des années et ont contribué à la chute du Mur de Berlin. Aujourd'hui le mouvement libertaire de langue allemande reste vivant. Mais il est encore loin d'être un mouvement de masse comme au début des années 1920. [29]
Lou Marin
[18] Hartmut Rübner : Freiheit und Brot. Die Freie Arbeiter-Union Deutschlands. Eine Studie zur Geschichte des Anarcho-syndikalismus, Berlin/Köln 1994 ; U. Klan, D. Nelles : ‚Es lebt noch eine Flamme.' Rheinische Anarcho-Syndikalisten/-innen in der Weimarer Republik und im Faschismus, Grafenau 1989 ; Angela Vogel : Der deutsche Anarcho-Syndikalismus. Genese und Theorie einer vergessenen Bewegung, Berlin, 1977 ; Hans Manfred Bock : Syndikalismus und Linkskommunismus von 1918-23. Ein Beitrag zur Sozial und Ideengeschichte der frühen Weimarer Republik, Darmstadt 1993.
[19] Sur les débats concernant l'armée rouge du Ruhr voir « Le coup d'État de Kapp et la grève générale. Débats sur l'anarchisme et la non-violence dans l'Allemagne des années 20 », Réfractions n° 5, printemps 2000, « Violence, contre-violence, non-violence anarchistes », p. 65-76. ; U. Klan, D. Nelles : ‚Es lebt noch eine Flamme.' Rheinische Anarcho-Syndikalisten/-innen in der Weimarer Republik und im Faschismus, Grafenau 1989 ; Ilse Schepperle : Pierre Ramus. Marxismuskritik und Sozialismuskonzeption, München 1988.
[20] Notice sur la FAUD dans : Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf 1993.
[21] Jenny d'Héricourt : „Zur Syndikalistischen Frauenbewegung 1918-1933“, dans : Wege des Ungehorsams. Jahrbuch für gewaltfreie & libertäre Aktion, Politik und Kultur I, Kassel 1984, S. 175-182.
[22] Hartmut Rübner : Freiheit und Brot. Die Freie Arbeiter-Union Deutschlands. Eine Studie zur Geschichte des Anarcho-syndikalismus, Berlin/Köln 1994, S. 114-123.
[23] Patrick von zur Mühlen : Spanien war ihre Hoffnung. Die deutsche Linke im Spanischen Bürgerkrieg 1936 bis 1939, Bonn 1985 ; Andreas G. Graf (ed.) : Anarchisten gegen Hitler. Anarchisten, Anarcho-Syndikalisten, Rätekommunisten in Widerstand und Exil, Berlin, 2001 ; Rudolf Berner : Die unsichtbare Front. Bericht über die illegale Arbeit in Deutschland (1937), Berlin/Köln 1997.
[24] Rudolf Rocker : Nationalismus und Kultur, 1937, 1949 publication en allemand, nouvelle édition allemande Münster 1999.
[25] Hans Jürgen Degen : Anarchismus in Deutschland 1945-1960. Die Föderation Freiheitlicher Sozialisten, Ulm, 2002 ; Günter Bartsch : Anarchismus in Deutschland, tome 1 : 1945-1965, Hannover 1972.
[26] Notice sur le néo-anarchisme, dans : Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf 1993 ; Gert Holzapfel : Vom schönen Traum der Anarchie. Zur Wiederaneignung und Neuformulierung des Anarchismus in der Neuen Linken, Berlin 1984.
[27] Bernd Drücke : « Histoire du journal Graswurzelrevolution », dans Réfractions, no. 5, printemps 2000, « Violence, contre-violence, non-violence anarchistes », p. 109-120.
[28] Pour l'histoire de la nouvelle FAU et le Schwarzer Faden voir Bernd Drücke : Zwischen Schreibtisch und Straßenschlacht ? Anarchismus und libertäre Presse in Ost- und Westdeutschland, Münster 1998.
[29] Bernd Drücke, voir note 28 ; Horst Stowasser : Freiheit pur. Die Idee der Anarchie, Geschichte und Zukunft, Frankfurt 1995.