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FA : Quand on s’aventure à définir les structures d’une nouvelle organisation sociale, il y a deux écueils qu’il faut absolument éviter : être trop vague et être précis ! Être trop vague, c’est se fermer les portes de l’avenir en éloignant de nous ceux qui exigent (et c’est parfaitement compréhensible) des précisions avant de “s’engager”. C’est se condamner à l’immobilité, à la stagnation et à n’être, en définitive, qu’une secte sans importance, dont la seule activité se limite au bavardage, à la négation, à l’agitation stérile. Être trop précis, c’est engager imprudemment l’avenir, un avenir sans cesse changeant. C’est risquer d’enfermer la vie sociale dans un schéma prédéterminé, ce qui ne manquerait pas de dégénérer rapidement en un dogmatisme étroit et liberticide.
Entre ces deux pôles, nous tenterons de trouver une juste mesure en exposant les grandes lignes de ce que pourrait être une société anarchiste, sans prétendre apporter toutes les réponses.
Le Fédéralisme libertaire, quelques considérations généralesLe Fédéralisme libertaire contre l’ÉtatLorsqu’on évoque le fédéralisme, la plupart des gens pensent immédiatement à des pays comme les USA ou la Suisse... De prime abord, il n’est qu’une “variété” de gouvernement et ne semble guère révolutionnaire...
Cependant, étant donné que le fédéralisme signifie “alliance”, prendre ce mot au pied de la lettre pour l’appliquer à l’ensemble de la vie sociale, politique et économique, c’est poser d’emblée une critique radicale du capitalisme et de l’État.
Économiquement. il ne peut exister de véritable alliance qu’entre individus égaux. Politiquement, le fédéralisme libertaire condamne toute puissance militaire et toute institution policière ; il est l’ennemi du centralisme qui conduit à l’asservissement. Qui dit pouvoir central dit mise en tutelle, mise sous surveillance, mise sous commandement, mise sous dictature ! Notons au passage que les politiques de “décentralisation” et de “régionalisation” ne nous rendent pas l’État plus sympathique : s’il a appris à déléguer des responsabilités à des instances territoriales, il n’en est pas devenu plus juste pour autant. Ce sont seulement les méthodes d’oppression qui ont changé !Fédérer, d’un point de vue anarchiste, c’est créer des fédérations à tous les niveaux, en généralisant le principe de la libre association. Il s’agit de coordonner des systèmes autogérés, des petites collectivités aux regroupements les plus vastes, et non pas d’agglomérer des institutions organisées sur un mode autoritaire !
Le fédéralisme libertaire, la notion de responsabilité et de contratLe fédéralisme libertaire veut cimenter la société par un lien social dont l’élément essentiel est l’adhésion à des projets et à des oeuvres communes. C’est une nouvelle conception du contrat social, sur la base du volontariat et non de la coercition.
La société libertaire bannit-elle pour autant toute forme de “contraintes” ? Non, puisque nous avons expliqué dans le paragraphe sur la liberté que passer un contrat signifie savoir prendre des engagements et les respecter. Sans vouloir refaire ici de grandes théories sociologiques, mais pour éviter de se fourvoyer dans un optimisme idéaliste, il est important de tenir compte de réalités simples. L’être humain n’est pas “naturellement” plus disposé pour l’entraide que pour la domination (à ce titre il n’a pas de “nature”) et il nous semble incontestable que les individus transforment effectivement, par leurs actions, les structures sociales, et que ces structures sociales agissent à leur tour sur les individus, en créant des contextes, en conditionnant les habitudes, en déterminant les possibilités d’action. C’est ce qu’on appelle en d’autres termes un rapport interactif.
On ne peut alors concevoir l’individu comme un acteur tout-puissant de sa vie et partant de cette idée, nous sommes convaincus qu’une société anarchiste, comme n’importe quelle autre société, ne pourrait fonctionner par la seule “bonne volonté” de ses membres. Ce sont les modes d’organisation qui doivent eux-mêmes entraîner des comportements libertaires, individuels et collectifs.
Le contrat fédératif comporte donc un aspect incitatif et un aspect “contraignant”. Pour préciser notre pensée et prendre l’exemple du travail, c’est justement par une nouvelle organisation de ce dernier que pourra s’entretenir la motivation, l’intérêt que l’on porte à son travail. Dès l’instant où nous sommes mis en mesure de nous réapproprier notre activité professionnelle, où nous ne sommes plus des pions, des rouages, des exécutants, mais des acteurs d’un système qui produit pour tous, très rares sont ceux qui “ne s’intéressent à rien”. Quand nous travaillerons pour nous et non plus pour enrichir des patrons, nous nous apercevrons vite que la “fainéantise naturelle et anti-sociale” n’était qu’un mythe inventé par les dominants pour justifier leurs positions. Par ailleurs, la contrainte du pacte fédératif est une contrainte librement consentie et égalitairement négociée.
Pour bien se comprendre, ce n’est pas la contrainte exercée par un chef. Ce sont les règles, établies par les différentes parties, qui sont “contraignantes” : respecter des horaires, mener jusqu’au bout le projet qui a été décidé collectivement. C’est la contrainte qui découle immanquablement de l’association... Dans le discours des partisans de l’Autorité, c’est d’abord et avant tout le rapport de soumission qui pousse la grande masse des individus à travailler. La motivation y apparaît comme une notion subsidiaire, un simple “plus’ : s’il faut “motiver le salarié”, c’est pour qu’il soit plus rentable. Pour nous, les choses ne se posent absolument pas dans ces termes. C’est la contrainte (telle que nous l’avons définie au point précédent) qui est un complément à la motivation quand celle-ci vient à manquer. Et nous connaissons bien ce phénomène dans les associations ou les organisations militantes, quand le caractère rébarbatif de certaines tâches finissent par venir à bout de l’enthousiasme des premiers temps. Mais puisque la contrainte du contrat fédératif ne peut pas être le moteur de la motivation, elle ne peut pas non plus s’y substituer : lorsque l’un d’entre nous n’est plus motivé par ce qu’il fait, on ne peut se contenter de lui rappeler ses engagements. On doit se préoccuper immédiatement de trouver des solutions pour réorganiser son activité afin qu’elle redevienne gratifiante.
Une organisation sociale sans monnaieLa question du lien social, de la responsabilisation et de la contrainte nous amène à reparler de la monnaie. L’idée selon laquelle l’argent est un phénomène indépassable est fortement ancrée dans les esprits et rend très difficile sa contestation. Les arguments pour le maintien de la monnaie s’articulent autour de trois axes principaux :
* Pour pouvoir gérer la société, nous dit-on, il faut bien évaluer les produits, les actions économiques, il faut bien faire des budgets, estimer des investissements, calculer la valeur des choses à échanger...
* La monnaie est même censée être l’outil de la justice sociale ; s’il n’y a pas de monnaie, comment allons-nous voir qu’un individu prend “plus que sa part de la richesse collective” ?
* Et, comble suprême de l’aliénation, la monnaie va jusqu’à véhiculer une image de liberté : “s’il n’est plus possible de vendre les fruits de son travail”, comment le peintre va-t-il pouvoir vivre, puisque ses toiles, c’est le cas de le dire, n’auront plus de prix ? Comment l’écrivain pourra-t-il vendre ses ouvrages ? Comment le musicien pourra-t-il faire payer l’entrée à ses concerts etc. ? Bref, “pouvoir gagner de l’argent” semble être la garantie de l’indépendance...
Dans les faits nous avons vu quelle était la fonction réelle de la monnaie, et nous savons ce que vaut la liberté dans le système monétaire : rien ou pas grand chose ! Concrètement, répondre à ces interrogations, c’est proposer, comme nous tentons de le faire ici, un mode de fonctionnement global de la société, qui intégrerait, dans ses multiples facettes, l’absence de monnaie.
Nous affirmons (et nous insistons sur cette question car on nous l’a souvent posée) que les activités culturelles, loin d’être handicapées par la suppression de la monnaie, seront au contraire décuplées. Tout ce qu’il faut aux individus, ce sont les possibilités matérielles de s’exprimer ; et la véritable création, celle qu’anime la passion, se moque bien des perspectives de profits ! C’est chacun d’entre nous qui, grâce à une réduction massive du temps de travail, aura la possibilité de se cultiver, de peindre, d’écrire, de faire du théâtre, de donner des concerts ; libéré de la logique du profit et du “vedettariat” (cette “élite talentueuse” — ou perçue comme telle —), l’art, production sociale fondamentale, n’en sera que plus populaire et plus authentique.
Nous affirmerons également, au cours des lignes qui suivent la possibilité d’organiser le travail, de coordonner les relations entre les fédérations, d’établir des projets et des objectifs de production, de faire un lien entre le travail et la consommation, sans l’intermédiaire de cet ustensile marchand qu’est la monnaie.
L’organisation fédérale anarchisteAvant tout, il faut se demander quelles fonctions sociales doivent être organisées et au risque de schématiser, nous allons en répertorier quelques grandes catégories.
Nous avons :
* La définition des grands objectifs de production, en fonction des besoins recensés.
* Le fonctionnement interne des “unités de production” : usines, exploitations agricoles, organismes de services aux industries, aux collectivités et aux particuliers...
* La coordination de ces unités en de vastes réseaux, puisqu’elles ne peuvent exister indépendamment les unes des autres : il faut qu’elles disposent des outils, des produits, des bâtiments et des infrastructures (routes, voies ferroviaires et aériennes...) conditionnant leur bonne marche.
* La répartition des biens de consommation, des logements...
* Les services de santé, de sécurité civile, de transports publics...
* Les structures d’éducation et de formation et plus largement tout ce qui se rapporte à la transmission de l’information et des savoirs.
* Reste enfin à réguler des conflits de toutes sortes, que ce soit entre deux individus, entre un individu et un groupe, entre deux fédérations, entre des communes ou des régions...
Nous allons maintenant définir de quelle façon s’établiraient les fédérations pour remplir ces fonctions organisatrices, quelles seraient leurs relations ; puis nous expliquerons ce que pourraient être l’autogestion généralisée de la production et l’organisation de la répartition. Nous terminerons par les questions de l’éducation, de l’information et de la gestion des conflits.
Le fédéralisme libertaire : une double dimensionSi l’on observe la vie sociale, nous pouvons constater que, d’un côté, nous vivons tous et toutes dans des lieux : une ville, une région ; de l’autre, nous exerçons des activités spécifiques : notre métier, nos études, notre art, et sur un plan plus ludique, nos loisirs.
Le fédéralisme doit intégrer cette double dimension : nous mettrions en place, sur un plan “géographique”, des fédérations communales, régionales, puis inter-communales et inter-régionales, et parallèlement à ces collectivités, existeraient des fédérations de travailleurs, par branche professionnelle, par méfier, par type de production et de service.
Pour être encore plus concret, il y aurait des fédérations du bâtiment de la construction métallurgique, de l’industrie électrotechnique et de la mécanique, de l’électronique et de l’informatique, de l’agriculture et de l’agroalimentaire, des transports, des services (nettoyage, surveillance technique pour la sécurité des installations, conseil et ingénierie)...
Nous devons également compter avec les multiples associations particulières qui compléteraient l’architecture de la société et qui seraient des actrices irremplaçables du mouvement social et de la convivialité (on ne peut en effet imaginer une société qui ne serait faite que “d’institutions” bien huilées !).
La coopération entre les fédérationsCe double fédéralisme ne doit cependant pas vous laisser penser qu’il y aurait une frontière nette et étanche entre les fédérations de communes et les fédérations de travailleurs. Elles seraient au contraire, et par la force des choses, étroitement imbriquées.
Si une fédération de production envisage de créer une nouvelle unité, elle ne peut décider seule du lieu d’installation. Ce choix regarde aussi la Commune et la Région, ne serait-ce que pour garantir la meilleure adaptation des infrastructures routières et ferroviaires. Ces fédérations auront d’autant plus leur mot à dire s’il s’agit d’une usine représentant des risques élevés de pollution et d’accidents. De la même façon, les fédérations de la formation professionnelle devront coopérer étroitement avec les fédérations de travailleurs, comme avec les fédérations de Communes, pour décider des stages à mettre en œuvre. Les fédérations du bâtiment se référeront aux Communes qui connaîtront mieux que n’importe quel autre organisme de statistiques, les demandes en logements. Les transports publics, ou les organismes de santé, planifieront toujours leurs implantations et leur développement d’après les informations que leur auront transmises les diverses fédérations concernées par la mise en oeuvre de ces projets (sur les capacités techniques disponibles et les besoins sociaux).
En ce qui concerne l’organisation de la répartition des biens, elle serait prise en charge par des fédérations de consommateurs créées au sein des communes. Les fédérations de travailleurs livreraient les produits à des organismes communaux qui géreraient un réseau de dépôts, autogérés par les habitants, par quartiers, villages etc. Car s’il faut bien que des travailleurs s’emploient à assurer le fonctionnement quotidien de ces structures, leur particularité serait d’être contrôlées directement par les individus qui s’y inscriraient. Ces deux sortes de fédérations, de production et de consommation, seraient en relation constante, afin de garantir l’adéquation entre l’offre” et “la demande”.
Le rôle des Communes et des Régions dans une société anarchisteLe fédéralisme communal mérite que l’on s’y arrête un instant, car il doit être, à notre avis, relativisé. En ce début de 21e siècle et pour les sociétés industrialisées, il serait absurde de concevoir une organisation sociale basée exclusivement sur des entités géographiques.
La production et la distribution s’organisent en réseaux à une échelle mondiale ; avec l’accroissement des possibilités de communication et de transports, les individus ne limitent plus leur socialisation à un quartier ou à une ville. Et tant mieux : si certains se plaisent à déplorer “la fin des vies de quartiers” on ne regrettera pas “l’esprit de clocher” qui était leur corollaire. Ceci dit, la commune, dans une société libertaire, continuerait d’être indispensable pour toutes les activités sociales de “proximité”. En collaboration constante avec d’autres communes et fédérations de travailleurs, les habitants pourront y décider des plans d’aménagement de l’espace (urbanisme). C’est là que se coordonneraient la gestion des fédérations de consommateurs, celle des structures éducatives, des organismes d’information et des services collectifs tels ceux de l’équipement sanitaire, de la voirie, de la sécurité civile (prévention contre les risques d’incendies et risques industriels...). C’est dans les communes que pourraient se créer des organismes chargés de la répartition et de l’entretien du parc de logements, sous forme de régies de quartiers. Il faudra, en outre, coordonner les relations entre les communes et ce au niveau mondial, afin d’éviter qu’une région, naturellement plus riche qu’une autre, ne s’octroie des privilèges et de régler les problèmes de choix de production pouvant se poser entre différentes régions du monde.
Sur le plan politique, les communes et leurs fédérations sont appelées à être des lieux de débats par le biais de forums locaux, ouverts à tous sans distinction (réflexions sur les problèmes rencontrés, expression des critiques et des propositions, élaboration de projets...).
L’autogestion généralisée de la productionLe fédéralisme libertaire ne va pas sans l’autogestion qui est la prise en main, concrète et quotidienne, par les individus et les collectivités d’individus, de la vie sociale, économique, politique et culturelle.
Autogestion et mandatementsDans ce système, où il n’y a ni économie de marché ni planification autoritaire, c’est la population qui décide et valide les grandes orientations, lors d’assemblées des Fédérations, de réunions de Communes, de Régions etc. Comme il est impossible que “tout le monde s’occupe de tout”, des individus sont mandatés pour coordonner la mise en application des politiques ainsi définies et des équipes sont chargées d’étudier et de préparer des projets, d’entretenir les relations entre les fédérations et de faire circuler l’information. Si les mandatés prennent des initiatives, ils le font dans le strict cadre de leurs mandats, ils n’ont pas de pouvoir décisionnel à proprement parler. Ils ne disposent d’aucun moyen coercitif pour imposer ces décisions et peuvent être révoqués à tout moment s’ils ne respectent pas leurs obligations.
Autogestion et propriétéLes unités et réseaux de production n’appartiendraient à aucun groupe en particulier. C’est l’ensemble de la collectivité humaine qui les posséderait. Les fédérations, donc les individus égaux qui les composent, en auraient la gestion. Elles décideraient de construire telle usine, de lancer tel type de fabrication ou de service, de transformer un site industriel ou de l’abandonner ; elles coordonneraient la circulation et l’utilisation des matières premières et des machines.
Mais elles ne seraient pas “propriétaire” des moyens de production, au sens où elles ne pourraient pas en disposer pour procéder à des transactions au seul bénéfice de leurs membres. Dans notre idée, les fédérations ne sont ni des “corporations”, ni des “cartels économiques”. Chaque fédération s’intègre dans une politique dont le premier objectif est la satisfaction des besoins de tous. Elles ne sont que des outils de cette politique globale et collective.
L’autogestion et le statut du travailleur
L’autogestion implique un statut radicalement nouveau pour les travailleurs. Nous ne serions plus des salariés de telle ou telle entreprise capitaliste, aux ordres d’un patron et de ses cadres du personnel et autres petits chefs. Nous serions des adhérents à des fédérations, des “travailleurs fédérés”, tout simplement ! Nous prendrions part à la vie de notre fédération, nous assisterions à diverses réunions pour décider de l’organisation de notre travail, pour régler les conflits (qui surgissent inévitablement dans n’importe quel groupe), pour faire des bilans d’activité ou pour formuler des propositions...
Le contrat que nous passerions avec notre fédération (concernant les heures de travail, l’occupation d’un poste défini, etc.) serait alors un vrai contrat : établi à égalité avec les autres et non dicté par un “entrepreneur” sous la menace du chômage !Là encore, il nous faut préciser que nous n’y déciderions pas “unilatéralement” de nos orientations professionnelles. Comme nous l’avons dit, notre liberté est forcément une liberté sociale et l’on ne peut jamais espérer “faire exactement ce qui nous plaît”, sans se soucier des problèmes collectifs. Si par exemple, en fonction de phénomènes de mode quelconque sur tels ou tels métiers, des fédérations sont en “sur-effectif", il faudra bien qu’elles prennent des mesures, surtout si d’autres branches ont du mal à trouver de nouveaux adhérents ! Le cas échéant, la décision serait prise, après concertation entre les fédérations, de bloquer, pour un temps, les adhésions dans certains domaines professionnels. De toute manière, il ne servirait à rien que 300.000 individus exercent dans l’informatique si 200.000 suffisent pour réaliser les objectifs de production.
Autogestion et emploiSi parler “d’emploi” rappelle peut-être trop l’organisation actuelle du salariat, nous le reprenons dans le sens où les individus auraient cette garantie de pouvoir s’employer à exercer un métier. Aucune contrainte économique ne poussant les fédérations à une aveugle logique de rentabilité à court terme, elles auraient toute latitude pour ajuster constamment l’organisation du travail aux variations de la population active (les personnes en âge de travailler) et celles de la productivité (l’efficacité que confèrent les progrès technologiques au travail).
Les travailleurs seraient seuls juges de la durée du temps de travail à effectuer, et des organismes de formation prendraient les initiatives adéquates pour rendre possible toutes les “restructurations” (alors qu’aujourd’hui, décrocher un stage “sérieux” relève du parcours du combattant !).
L’autogestion et la rotation des tâchesLa non-division du travail est la condition sine qua non de l’égalité sociale et politique.
Nous entendons souvent l’objection suivante : “Qui va réclamer en priorité de travailler sur des chantiers d’immeubles, de décharger des camions, de faire du nettoyage industriel, s’il peut choisir d’occuper un poste de dessinateur, de médecin, d’architecte ou de conseiller technique ?... Vous ne trouverez personne et le système sera bloqué.“ Cet argument sous-tend deux questions différentes : un travail serait refusé soit parce qu’il est trop pénible, soit parce qu’il n’est pas assez (ou pas du tout) valorisant.
À la première question, nous répondrons qu’il n’est pas tolérable que des individus soient cantonnés, toute leur vie durant, à des travaux de forces, à des tâches répétitives, alors que d’autres se réservent les travaux les plus agréables, les plus variés, les moins fatigants, sinon, il ne servirait à rien de parler d’égalité.
Quant à la seconde question, elle reflète bien l’aliénation de notre époque ! C’est en effet le système capitaliste et méritocratique qui attribue à certaines tâches un caractère “subalterne” alors que d’autres sont socialement sur-valorisées. Dans les faits, nous savons bien qu’aucun travail n’est plus sot qu’un autre, puisque le balayage des rues est aussi indispensable que l’ingénierie industrielle. C’est une raison de plus pour montrer que l’objection ne tient pas, car dans un système où tous les travaux seraient également considérés, il n’y aurait plus cette course au prestige que nous connaissons aujourd’hui.
Nous pourrions enfin nous demander si la mise en œuvre de la rotation des tâches ne pose pas de problèmes insurmontables. Si nous la concevons de manière simpliste, en pensant qu’un individu “doit faire tous les métiers, au moins une fois”, elle est une utopie irréalisable. Heureusement, à ce niveau, toutes les adaptations sont possibles : d’une part, la rotation peut s’opérer sur des mois ou des années, si le poste exige un long apprentissage et une grande expérience ; d’autre part, elle n’est pas un but en soi. Nous n’irions pas tenir une comptabilité, en mois ou en heures, avec des barèmes pour chaque travaux, de ce que font les autres ! Tout en tenant compte des contraintes, des impératifs particuliers liés aux différents métiers, l’essentiel sera que chacun prenne globalement sa part de travaux pénibles (selon, bien entendu, ses capacités physiques). Rien n’empêcherait un ingénieur ou un enseignant de se sortir périodiquement du travail théorique pour participer à des travaux de voirie ou de constructions ! Rien n’empêcherait que les individus partagent leur semaine, leur mois ou leur année entre deux emplois, l’un plus plaisant et l’autre plus monotone. Il nous semble qu’il y a là une question d’éthique incontournable.