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L'ANARCHIE ...de A à Z |
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Comme toute autre forme d'assassinat de la liberté, l'homophobie devrait apparaître aux anarchistes comme un adversaire à abattre. En effet, la liberté et l'autogestion ne signifient pas grand-chose si chacun-e n'est pas d'abord libre de disposer de son corps et de gérer son cul. D'un point de vue libertaire, le seul critère éthique applicable à la sexualité devrait être le plein consentement des partenaires impliqué-e-s, quel qu'en soit le sexe et le nombre. Le fait que le modèle hétérosexuel est le plus répandu ne justifie en rien que les pratiques sexuelles différentes et plus marginales - qu'on peut appeler altersexualités - soient l'objet de préjudices légaux, physiques ou psychologiques. Être hétérosexuel-le, c'est comme être droitier-e: ce n'est pas "normal", c'est simplement commun.
La lutte contre l'homophobie a pris son essor à partir de 1969, lors d'une descente de police à New York dans un lieu de rencontre fréquenté par des personnes dites “homosexuelles”, le Stonewall Inn. Pour la première fois dans l'histoire, les client–e–s menaçé–e–s d'arrestation ont riposté aux flics par des jets de pierres et des coups de poing. Il s'en est suivi trois nuits d'émeutes qui sont devenues le symbole de la résistance contre l'oppression envers l'altersexualité. Dès 1970, une manifestation a été organisée à New York pour commémorer les émeutes des Stonewall. Depuis, cette manifestation s'est répétée chaque année, se vidant rapidement de son contenu politique, et a été reprise dans la plupart des grandes villes occidentales sous la forme d'un grand carnaval commercial: le Gay Pride Day.
Hélas, au lieu de réaliser son potentiel subversif, le mouvement de revendications issu des émeutes de Stonewall a pris un caractère réformiste et petit-bourgeois. Dans sa presque totalité, le mouvement de libération gai s'est borné à réclamer l'égalité à l'intérieur de l'État capitaliste sans remettre en question les fondements de celui-ci. Deux des principales revendications du mouvement gai sont d'ailleurs profondément inquiétantes: le droit au mariage, qui sanctionne l'encadrement juridique des relations affectives par l'État, et le droit à la carrière militaire, qui cautionne la violence étatique organisée. Certes, le mariage est un cabot édenté qui ne mord plus qu'avec un râtelier emprunté à la déesse Consommation, mais on s'étonne de voir le mouvement gai se soumettre à la logique du massacre érigée en système autoritaire, au nom de la défense de la patrie.
La montée du mouvement de libération gai se manifeste aussi par la multiplication d'une foule de commerces spécialisés qui carburent au profit et à la concurrence, exactement comme n'importe qu'elles autres entreprises capitalistes. La communauté gaie est de toute évidence un marché avant d'être une communauté. Inévitablement, ce marché engendre à son tour son lot d'inégalités. Qui dit "marché" dit aussi "consommateurs". C'est pourquoi le milieu gai est avant tout un monde d'hommes blancs aux revenus confortables, capables de payer les divertissements et les marchandises dont le système d'échange tient lieu de relations communautaires. De surcroît, l'imaginaire érotique qui sous-tend ce système d'échange fonctionne en idéalisant un modèle de beauté particulier: le jeune mec blanc, bien baraqué, bronzé et soigneusement coiffé, fringué à la dernière mode. Quiconque s'éloigne de ce modèle se trouve marginalisé par une pseudo-normalité homosexuelle aussi aliénante que la pseudo-normalité hétérosexuelle. Dehors les pauvres, dehors les vieux, les grassouillets et les gringalets, dehors les femmes...
Dans une perspective anarchiste, il va sans dire que la lutte contre
l'homophobie ne saurait se réduire à une quête de tolérance acquise au
prix d'une adaptation à la société capitaliste. Pour sortir du fade
réformisme dans lequel le mouvement de libération gai s'est enfermé, il
faut voir la lutte contre l'homophobie non pas comme un but qui se
suffit à lui-même, mais plutôt comme un des aspects d'un combat radical
contre le patriarcat. Le véritable enjeu de la lutte contre
l'homophobie, c'est la destruction des catégories identitaires qui
répartissent l'humanité de part et d'autre de frontières dont la seule
fonction est de maintenir un système de domination et de
privilèges: hommes/femmes, hétérosexuel–le-s/homosexue-le-s,
normal–e–s/déviant-e-s. Aussi pernicieuses que les frontières
nationales, ces frontières sexuelles aplatissent la liberté en
l'asservissant à des stéréotypes étriqués, et elles sèment la division
à l'intérieur de la classe ouvrière en dressant les prolétaires les
un-e-s contre les autres au nom d'une morale rétrograde et
déshumanisante.
Heureusement, nous sommes loin de l'époque où Emma Goldman créait un malaise chez ses camarades anarchistes en parlant favorablement de l'homosexualité dans ses conférences. Dans la foulée de mouvements des années '70 comme le Front homosexuel d'action révolutionnaire et les Gouines rouges, et sous l'élan de la critique du patriarcat formulée par les féministes radicales, la lutte contre l'homophobie s'est installée dans la conscience politique des anarchistes, comme en témoigne l'émergence récente des Pink Blocks et des Panthères roses. Cependant, il faut aussi reconnaître que, dans nos actions et nos discussions, le combat contre le patriarcat et l'homophobie passe souvent au second plan, derrière des objectifs apparemment plus importants, comme la destruction du capital et l'abolition de l'État. C'est dommage, car on affaiblit ainsi un formidable moteur de révolte et de subversion. Quelles que soient nos préférences sexuelles, n'oublions pas que lutte de classes passe par le corps, et que notre cul est révolutionnaire.
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Extrait de Cause commune no 9.