Lu sur
Afrikabidon: "Pour les rencontres d’Afrikabidon, nous avions souhaité inviter, depuis le Sénégal, les artistes Corentin Faye, Moussa Sakho et Michael Daffé, Auguste Diatta, directeur de l’agence Diatta Tour, Charlemagne et Léopold Coly, respectivement guide et pêcheur, employés du précédent, le lutteur Jean Diatta et le maçon Auguste Diene.
La nouvelle est tombée vendredi 6 juillet, comme un coup de tonnerre :
seuls Auguste Diatta et Corentin Faye obtiendraient leur visa.
L’ambassade de France à Dakar a recalé tous les autres.
Il va de soi que nous avions fournis tous les documents nécessaires à
la venue de nos invités : billet d’avion aller-retour, attestation de
participation aux Rencontres, «certificat d’accueil» et que nous étions
prêts de surcroît à nous porter financièrement garants de l’opération.
Christian Saglio, Directeur de l’Institut Français de Dakar, avait
personnellement appuyé la demande.
Motif du refus : «absence de garanties économiques».
Vous avez bien lu.
Un peu estomaqués, nous avons contacté l’ambassade à Dakar. Et là, les
propos tenus (évidemment, pas de manière officielle...) ont été
beaucoup plus explicites : nos invités, qui ne disposent certes pas
tous d’un compte bancaire, seraient de «quasi-indigents». Quant aux
artistes, leur talent serait «celui d’un enfant de quatre ans».
Sic.
Voilà où nous en sommes. A l’heure où l’on nous chante sur tous les
tons les supposés bienfaits d’une «mondialisation» censée favoriser les
déplacements des hommes et des marchandises, alors que la France adopte
volontiers la posture avantageuse de défenseur des Droits de l’Homme
sur la scène internationale, alors que sa devise contient toujours, aux
dernières nouvelles, le mot «fraternité», le message est limpide : que
les «pauvres» (pauvres aux yeux de l’Occident, évidemment, c’est-à-dire
dépourvus de compte bancaire) restent chez eux. Nous n’en voulons pas.
L’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ?
«Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays»
vous l’avez mal lu. Il ne concerne que les riches, évidemment : les pauvres ne sont pas des personnes.
Il ne suffit pas que nos représentations à l’étranger infligent
quotidiennement une harassante et humiliante litanie de paperasses à
ceux qui désireraient mettre le pied en Europe (que l’on songe un
moment à l’abjection profonde que représente le «certificat d’accueil»)
; désormais, n’importe quel employé d’ambassade peut décider que, en
règle ou pas, vous n’êtes pas suffisamment riche pour bénéficier du
privilège de vous déplacer librement. N’importe quel employé
d’ambassade - et chacun sait que sa formation l’y a longuement préparé
- peut se poser en arbitre de vos qualités artistiques, et vous refuser
un visa parce que vous ne dessinez pas suffisamment bien.
Que les politiques de tous bords, qui ont fait de la xénophobie l’un de
leurs fonds de commerce favoris, dorment tranquilles : leur message a
fait son chemin. Aucun risque que la parole d’hommes simples, d’hommes
ordinaires, vienne témoigner de ce qu’est la vie en-dehors du
coffre-fort glacé qui nous tient désormais lieu de maison commune.
Rien ne doit troubler notre digestion de nantis.