IL ME FAUT REVENIR SUR CESARE BATTISTI.Depuis l'article du Monde libertaire (1), des données ont changé, certaines demeurent. Il est important, pour nous, de résumer ce qui a évolué dans cette « affaire », ce qui est resté constant. Je dis bien « affaire », l'on a tellement brouillé la pelote qu'il faut à nouveau reprendre, .préciser, démêler, rattacher les fils, pour combattre les amalgames, la désinformation, la lâcheté ambiante. Pour tenter de retrouver la vérité. Pour récupérer quelqu'un de fraternel qui est tombé dans la nasse : Cesare Battisti.
De tels combats, en France, l'opinion publique en a déjà connu contre sa propre justice, contre l'armée, contre le pouvoir politique, contre le pouvoir religieux. Par dignité, pour échapper à la honte. Ils ont été menés par ceux qui n'acceptent pas l'inacceptable.
En ce qui concerne l'affaire Battisti, plusieurs facteurs ont joué favorablement: le milieu du polar s'est mobilisé, cette mobilisation s'est propagée un peu partout en France, et elle a été relayée par une voix ferme et déterminée, celle de l'archéologue et écrivain Fred Vargas.(2) Heureusement. Sinon, Cesare Battisti aurait été réexpédié à Berlusconi, sans que personne ne s'émeuve, dans l'anonymat, comme Paolo Persichetti, enseignant à Paris VIII, quelques mois auparavant (le 25 août 2002), et d'autres d'une longue liste auraient suivi.
En effet, les réfugiés italiens des années de plomb que François Mitterrand avait protégés en notre nom, et qui ont refait leur vie en France, se sont vus, près de vingt ans après, brutalement menacés par un curieux marchandage pofitico-mafieux entre les gouvernements italien et français. Entre l'Italien Berlusconi et ses sbires, et ceux qui nous cornaquent les Chirac, Raffarin, Perben et Cie.
Ainsi; la livraison de Cesare Battisti qui aurait dû se faire en catimini n'a pas eu lieu. Elle est devenue une affaire d'État. Cesare Battisti, condamné à perpétuité en son absence,en février 1991, ne devait pas bénéficier d'un nouveau procès en Italie, et, en mai 1991, la cour d'appel de Paris a jugé qu'il n'y avait pas lieu d'accueillir favorablement la demande d'extradition faite par le gouvernement italien.
La France a repris sa parole, et sa justice s'est couchée devant le politique. On a déjà connu ça.
Aujourd'hui, la justice s'est donc assise sur sa loi, a brisé l'autorité de la chose jugée (nul ne peut être jugé pour les mêmes faits, quels que soient ces faits), a renié le droit français sur la contumace et bafoué les droits de l'homme («Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable »).
Sans revenir entièrement sur l'historique de l'affaire, précisons ce qui s'est passé depuis cet été. Les manipulations sont telles que rien ne semble plus rien signifier. La grande machine de la désinformation est en marche. Il faut s'y opposer. « Le caractère véritable de la guerre de ce siècle m'apparaît: guerre dans le cerveau, guerre contre le cerveau », disait Armand Robin qui préconisait le métier de « désenvoûteur ». Il faut désenvôuter.
Donc, le 30 juin dernier, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris revient sur son jugement et rend, cette fois, un avis favorable à l'extradition de Cesare Battisti. Une prise de position évidemment politique, avec à la base un gros mensonge: « Battisti était au courant de son procès et s'est volontairement abstenu de comparaître. » Les Italiens (affirment. C'est faux, et Cesare Battisti le nie, ff était au Mexique, il ne savait pas qu'il y avait un nouveau procès (il avait été condamné avant sa cavale en 1981 à treize ans de prison). La justice a décidé de faire plaisir à l'Italie, de faire plaisir à Berlusconi (pour quel marchandage? pour quels échanges économiques? pour la signature de quels contrats? pour obtenir quel soutien politique?). Les avocats de Cesare Battisti se pourvoient en cassation. L'enjeu semble tel que, le 2 juillet, lors d'un sommet franco-italien, Jacques Chirac s'empresse de déclarer à Berlusconi qu'il est favorable à son extradition. Sans attendre la décision de la Cour de cassation. Le 13 octobre, celle-ci rejette le pourvoi en cassation, ce qui donne un caractère presque définitif à l'avis favorable de le livrer à la prison à vie.
Entre-temps, Cesare Battisti s'est cassé. Heureusement. Le samedi 21 août, il ne s'est pas présenté à son contrôle judiciaire. Au grand soulagement de ses amis. Tant les dés dans ce jeu cynique et mensonger nous paraissent pipés. J'y reviendrai. Cesare Battisti le sait, il l'explique dans une lettre datée du 19 août que publie le Monde. « Le choc est énorme, je ne pouvais pas croire que la justice française se plierait au pouvoir politique, revenant sur la chose jugée en 1991, je ne pouvais pas croire qu'elle accepterait la contumace italienne qui ne me donne plus aucune possibilité de défense. Enfermé à vie, trente ans après les faits, ce seraient la famille, les enfants, d'autres vies qui paieraient. Je ne veux pas courir ce risque, ne plus revoir mes enfants, le pays où ils sont nés, l'idée m'est insupportable. La déclaration de Jacques Chirac, deux jours après la décision de la cour d'appel, a achevé de m'ôter tout espoir. »
Le 30 août, un mandat d'arrêt est lancé contre lui.
Et le gouvernement continue à s'enfoncer dans -la mauvaise foi et l'abjection. (Pierre Marcelle a cette heureuse formule dans Libé: « Une faute en forme de saloperie. ») Pour Villepin : « Cesare Battisti a trahi la confiance de la justice française. » Comme si ce n'était pas l'inverse! Perben juge « affligeants » et « irresponsables » les commentaires « de ceux qui prennent la défense de Cesare Battisti et approuvent sa fuite » , il ose même: « En contestant les fondements du droit français, c'est la démocratie que l'on fragilise. » Comme s'il n'était pas « affligeant », « irresponsable », d'avoir mijoté cette saloperie avec le ministre italien fascisant, Roberto Castelli (Ligue du Nord, parti qui a créé sur Internet un site intitulé « Anti-Franzia » ), et s'être essuyé les pieds sur le « droit français ».
Enfin, le 22 octobre, Raffarin signe promptement le décret d'extradition, « d'une main ferme ». Raffarin! je n'en dirai pas plus, tant mon dégoût est grand pour la petitesse de ce courbeur d'échine, méprisable et lâche!
On se cogne à un mur navrant, déshonorant. Cependant, les combats pour la vérité sont faits pour détruire les murs. Et dans ces murs, parfois, il y a des trouées qui laissent passer, par instants, un peu d'espoir. Je pense au poète Théophile de Viau, enfermé dans un cul-de-basse-fosse qui, « dans cette nuit sans fin », en attendant son procès qui devait le conduire au bûcher, guettait chaque jour pour écrire sa défense quelques rayons de soleil lui arrivant vers midi, « par les sinuosités d'une étroite et très lointaine ouverture ».
Le 10 novembre, un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) vient épauler la défense de Cesare Battisti. Cet arrêt condamne la procédure de contumace italienne, à propos du cas d'Ismet Sejdovic, originaire de l'ex-Yougoslavie, soupçonné d'un meurtre en Italie et jugé en son absence en 1996. Il ne pourra pas être extradé d'Allemagne.
Formidable désaveu pour Perben: il affirmait, à propos de Battisti, qu'une réforme de la contumace en Italie, faite en 1989 (et en 1999), réforme en réalité très mineure, avait le feu vert de la Cour européenne des droits de l'homme... Décidément, ces gens ne sont pas à un mensonge près.
Avant de se « soustraire à son contrôle judiciaire », Cesare Battisti avait lui-même demandé, dans le journal du dimanche, à ce qu'on joue cartes sur table. Il a été accusé par le témoignage de repentis et de dissociés notamment par Pietro Mutti, fondateur des PAC (Prolétaires armés pour le communisme), dont Cesare Battisti a été membre (il en était même un des plus jeunes membres), mais jamais le chef, l'organisateur, comme on cherche à le faire croire.' Condamné sans preuves et sans qu'il puisse se défendre (« Mes deux avocats avaient été arrêtés. »), il se disait prêt à rentrer en Italie, s'il pouvait bénéficier d'un procès « équitable ». Sur France 3: « Je demande à l'Italie de me refaire un procès, mais alors avec des observateurs internationaux. Parce que moi, je me méfie de la justice italienne. »
Jusqu'ici, je pensais naïvement que l'affaire Battisti était surtout une affaire française; nous concernant vis-à-vis de « notre » justice. Un homme auquel on était sur le point d'accorder la nationalité française (la demande de naturalisation a même été acceptée juste avant son arrestation) - et, subitement, hop! pour d'obscures raisons politiciennes, on décidait de l'expédier dans une prison à vie, sans qu'il puisse se défendre. Aujourd'hui, il me faut évoquer le contexte italien. À cause d'ignobles campagnes médiatiques qui ont fait passer Cesare Battisti pour un monstre sanguinaire et qui ont ensuite déteint dans nos médias, dans nos cerveaux. Et à cause de ces tombereaux d'injures que certains esprits transalpins déversent sur ceux qui prennent sa défense.
Ce travail de réexamen minutieux, Fred Vargas l'a déjà fait dans le livre que nous mentionnons, et dans un article du Monde daté du 14 novembre 2004 et intitulé: « Et si Battisti était vraiment innocent? »
Cesare Battisti, innocent. Arrêtons-nous un instant là-dessus. Ses amis, ses proches ne doutent pas de son innocence. Comment ne pas croire Cesare Battisti quand, dans le journal du dimanche, celui-ci déclare: « Je n'ai jamais tué et je peux le dire, les yeux dans les yeux, aux parents des victimes, aux magistrats » ?
Cependant, jusqu'ici, je le répète encore, ce n'était pas l'enjeu de notre combat contre son extradition, nous ne voulions pas entrer dans le jeu d'un discours sur l'innocence, il était seulement inadmissible que la France reniât ses engagements. De plus, chacun savait que Cesare Battisti, respectant une solidarité avec les autres réfugiés, avait opté pour une défense « politique » et collective de tous, sans distinction des actes commis.
Il affamait donc son innocence (« pas de sang sur les mains », selon son expression) mais ne voulait la revendiquer de peur, « en le disant, de passer pour une balance ».
L'ampleur de la désinformation, qui a retourné une partie de l'opinion publique, la vindicte italienne, les crapuleries judiciaires, qui l'ont obligé humainement de se mettre momentanément à l'abri, réclament aujourd'hui une autre démarche, plus « individuelle ». Cesare Battisti a changé d'avocats et de système de défense. Forcément privée, puisque il s'agit de la vie d'un individu, de sa famille, de sa femme, de ses filles; un individu qui se sait innocent; un individu que l'on désigne assassin, sur des paroles douteuses, sans qu'il n'y ait jamais eu la moindre preuve matérielle. Un individu à qui l'on ne donnerait même pas la possibilité de s'expliquer devant la justice? Ça va pas la tête? Même un Barbie, même un Papon, même un Milosevic, même un Saddam Hussein ont droit à un procès public! Pas Battisti? C'est là que ce combat individuel est plus que jamais le nôtre, et concerne tous les autres réfugiés italiens.
Revenons aux Italiens, à leurs accusations, à leur acharnement contre Battisti. D'abord, les années de plomb en Italie, les lois spéciales, la répression, les brutalités, les tortures, etc. Ces choses sont connues, manifestes. Rappelons seulement que pendant dix ans les rapports d'Amnesty international condamnent les autorités italiennes. Rappelons également, à propos du système judiciaire italien en question, cette déclaration de Francesco Cossiga, en 1995, ministre de l'Intérieur à l'époque de la répression, devenu ensuite président de la République (eh oui, c'est possible aussi en Italie!): « Chaque soir, je fais un acte de contrition de cette manière de rendre la justice. J'étais alors en guerre (contre les groupes pratiquant la lutte armée, comme les Brigades rouges) mais c'est là un cancer qui tue le système judiciaire... La justice italienne est entièrement faite de rumeurs, bavardages, délations. Bouffonneries, aussi, que celles qui utilisent les parquets qui se servent des repentis... Je pense présenter une proposition de loi pour changer les choses: je prends les règles de l'Inquisition de Torquemada et les traduit en italien d'aujourd'hui. Il y a là plus de garanties que dans notre code de justice pénale. » Puisque c'est lui qui le dit! Cette citation, Fred Vargas la donne dans sa réponse, sur Internet, au procureur Armando Spataro qui l'attaque à nouveau dans le Monde (je vais y revenir).
Rappelons encore qui sont les quatre victimes attribuées à Cesare Battisti: Santoro (gardien de prison accusé de tortures sur des prisonniers); Torregiani (bijoutier appelé , le « shérif » dans son quartier, meurtrier,extrême droite); Sabbadin (boucher meurtrier, fasciste membre du MSI) ; Campagna (policier, tortures sur inculpé).
Le principal accusateur, nous l'avons vu: Pietro Mutti. Voilà ce qu'en dit Fred Vargas: Mutti est arrêté en 1982, alors que Cesare Battisti est déjà en exil au Mexique. Inculpé de meurtre, il se constitue « repenti » : il aurait exécuté Santoro et Sabbadin et il marchande sa peine en échange d'accusations. « Plus il accuse et plus fl tend vers l'obtention de sa liberté. C'est Mutti qui chargea Battisti de tous les crimes qui lui sont actuellement reprochés, lui faisant peu à peu endosser les cinquante braquages et les quatre homicides du groupe. »
Mutti regagne ensuite sa liberté et disparaît dans la nature. Tous ceux, repentis et dissociés, qui chargèrent Cesare Battisti à son procès (1982-1990) obtinrent allégements de peine ou liberté. Certains avec plusieurs crimes connus. Seul Battisti, en fuite, désigné comme bouc émissaire des PAC, eut la perpétuité.
Pourquoi Mutti charge-t-il Battisti?
Plusieurs arguments ont été avancés
Cesare Battisti était jeune et réfugié à (étranger; c'était une pratique courante au sein de certains groupes de l'époque, en cas d'arrestation de se défausser sur un camarade en sécurité.
Mutti, lorsqu'il accusa Battisti au procès, avait entre-temps rejoint l'une des plus importantes formations armées, Prima Linea.
En octobre 1981, Mutti a aidé Cesare Battisti à s'évader de sa prison italienne. Et c'est à ce moment qu'il y a un clash entre les deux hommes. Mutti veut reconstituer le groupe dissous des PAC avec l'appui de Battisti, et celui-ci, écrit Fred Vargas, « a pris conscience depuis longtemps que la lutte armée devait finir et qu'elle était un piège, une impasse. Il refusa catégoriquement, et une dispute violente les opposa avant leur séparation... Le départ de Battisti apparaît-il à Mutti comme un abandon, une traîtrise? ».
Elle ajoute: « Le repenti Mutti, décrit comme un jeune homme perturbé, dévasté .par les drogues, bégayant ses accusations, accusa des dizaines de personnes.' Il fut l'un des sujets les plus zélés du juge Armando Spataro, réputé pour avoir le plus exploité les possibilités des repentis. »
Revoilà Armando Spataro ! Il est le plus implacable chien lâché après Cesare Battisti. Sa récente tribune dans le Monde, en réponse à Fred Vargas, sur un ton doucereux, reflète le mépris, la mauvaise foi, la perfidie. Il redonne du « crédit » à Mutti qu'il a instrumenté. Pourtant le portrait tracé par Fred Vargas ne fait que reprendre la description d'un des avocats de l'époque: Mutti s'emmêle tellement les pinceaux qu'il en va même jusqu'à accuser Yasser Arafat. « En réalité, Mutti fut, avec Barbone, une des créations les plus fameuses du juge Spataro, une marionnette qu'il utilisa partout. » Spataro nie que Battisti, arrêté en juin 1979, ait déjà pris de la distance avec la lutte armée. Fred Vargas pourtant confirme: « Absolument vrai. Battisti a compris que la lutte armée devait finir, juste après l'assassinat d'Aldo Moro. C'est sur ce thème que lui et Mutti s'affrontèrent violemment lorsque Battisti s'évada. »
Cela est capital. Le cadavre d'Aldo Moro a été retrouvé à Rome le 9 mai 1978. Dès cet instant, Cesare Battisti l'a répété à plusieurs reprises à Fred Vargas, et il me l'a confié lors - d'une discussion (juin 2004) sur les enjeux politiques de cette période, il avait compris que la voie armée était sans issue et, tout en restant un militant, il s'était éloigné du groupe. Il avait exprimé (et il n'était pas le seul) son désaccord avec certains camarades.
Tous les crimes attribués à Battisti sont postérieurs à la mort d'Aldo Moro: Santoro, 6 juin 1978; Sabbadin, 16 février 1979 à Venise; Torregiani, le même jour, le 16 février 1978 mais à Milan (!) ; Campagna, le 19 avril 1979. Je n'insisterai pas sur l'invraisemblance maintes fois démontrée que Battisti ait pu commettre à la fois tous les délits attribués aux PAC. (Curieux, quand même, que lorsque la justice italienne le tient en prison, instruit son affaire, organise un procès et le condamne à treize ans de prison, il ne soit pas question un seul instant des crimes qu'on lui mettra ensuite sur le dos!)
Qui croire? La parole de Cesare Battisti qui affirme que le meurtrier qu'on a fait de lui « il ne le connaît pas » ? Qui dit s'être, de nouveau, opposé « violemment » à Mutti lorsque celui-ci l'a sorti de prison? (Beaucoup de ses camarades souhaitaient qu'à sa sortie Cesare Battisti les aide à convaincre Mutti d'arrêter la lutte armée et de dissoudre définitivement les PAC.) Ou celle d'un procureur qui ment comme il respire, qui a exploité à fond le système des « repentis » , a fait appliquer toutes les lois d'exception?
Armando Spataro faisait partie des juges liés an Parti communiste italien qui, pendant les années de plomb, ont mené la répression aux côtés du gouvernement Démocratie chrétienne. Le PCI en voulait particulièrement aux « gauchistes » qui faisaient capoter leur rêve de pouvoir. Pas étonnant que la majorité actuelle de la gauche italienne, ex-PCI, crache ainsi sur ceux qui défendent Cesare Battisti. Non seulement, ils sont partie prenante des lois d'exception, mais certains sont mouillés jusqu'au cou dans la répression... Comment pourrait-il supporter que de nouveaux procès des réfugiés fassent tomber leur beau masque actuel de démocrate et exhibent bien des turpitudes qu'ils voudraient oublier? Spataro est le premier à affirmer qu'aucun nouveau procès ne se tiendra en cas d'extradition de ces exilés. À propos de Cesare Battisti, Spataro (c'est un teigneux) n'y va pas avec le dos de la cuiller: « Battisti, en fait, fut l'un des assassins les plus cruels et déterminés que le terrorisme italien ait jamais connus. » Avec un air de nous prendre pour des cons. Il s'est senti, dit Fred Vargas sur Internet, « obligé de contre-attaquer. Et pourtant, je n'ai même pas dit dans mon article l'essentiel sur Armando Spataro: c'est sous sa juridiction que furent pratiquées des tortures épouvantables sur les prisonniers et, au cours des interrogatoires, par dizaines et dizaines. Spataro était parfaitement informé de ces pratiques courantes ».
Ces gens nous ont trop habitués à la « fausse parole », je préfère croire à la parole de Cesare Battisti, mon ami.
Voilà pour aujourd'hui.
Je souhaite que le gouvernement français qui s'est pris les pieds dans le tapis en réveillant des vieux démons qui datent d'un quart de siècle se redresse avant de se couvrir d'opprobre. Un recours a été déposé, le 22 novembre, devant le Conseil d'État. Il s'appuie sur la déclaration d'innocence de Cesare Battisti. Et sur la condamnation, par la Cour européenne des droits de l'homme, de la procédure de contumace italienne.
Restons vigilant. Le danger pour Cesare Battisti est grand. Il faut encore se battre pour le sauver. Il était un auteur de romans policiers, reconnu et respecté. (Quand ce n'est pas de « sadique glacial » , on ne le désigne plus que comme « concierge », « ancien terroriste » ou « ex-activiste ». Il y a parfois, vis-à-vis de lui, un mépris de classe évident.) Pendant dix ans, le gouvernement italien ne s'est absolument pas manifesté alors qu'il savait qu'il s'était installé en France et y menait une carrière littéraire. Il a suffit du cynisme, de la bassesse de quelques politicards et la soumission de la justice pour que l'on renie nos valeurs, notre éthique, notre indépendance. Et que Cesare Battisti devienne un homme aux abois, un fugitif privé de ses enfants. Le décret d'extradition signé par le clan Chirac pourrait, de fait, condamner à la prison à vie un innocent. Et, après que la République a respecté sa parole durant vingt ans, s'en prendre ensuite à d'autres réfugiés italiens qui, déclare leur Comité de défense, verraient aujourd'hui, comme Battisti, leurs droits « légitimement acquis » méprisés, leur famille « formée par et dans l'asile » détruite, leurs enfants « plongés sans le désarroi, interdits d'avenirs. »
Peut-on les laisser faire ?
Jacques Vallet
1. « À propos de Cesare Battisti u, le Monde libertaire, jeudi 27 mai 2004.
2. La vérité sur Cesare Battisti, textes et documents rassemblés par Fred Vargas, éditions Viviane Hamy
3. Issu d'une famille ouvrière communiste, Cesare Battisti a rejoint les PAC en 1976. II avait 22 ans. « C'était une organisation horizontale, expliquera-t-il au journal du dimanche, d'inspiration anarcho-syndicaliste... Tout le monde pouvait s'approprier le sigle, et chaque cellule décidait de ses propres actions. » II n'y avait pas à proprement parler de direction.
Le Monde libertaire #1383 du 27 janvier au 2 février 2005