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Chronicart :
"Nous avions croisé Jean-Pierre Bouyxou, écrivain, journaliste, cinéaste et pornographe éclairé, à la Cinémathèque française lors d'une soirée consacrée à Etienne O'Leary en décembre 2000. Il y présentait son premier film, "Satan bouche un coin" (1967), où apparaissait la figure emblématique et infernale de Pierre Molinier. Les Editions du Lézard publiaient alors une nouvelle édition de "L'Aventure hippie", un livre coécrit avec Pierre Delannoy, devenu depuis sa sortie une source d'informations incontournables et inédites sur l'éclosion de la culture underground en France et à l'étranger. L'occasion était trop belle de rencontrer un des rares témoins privilégiés de cette période, un homme à la croisée de toutes les expériences avant-gardistes majeures de la fin des sixties : surréalisme, situs, happenings et cinéma underground.
Chronic'art : Comment as-tu connu le mouvement ?Jean-Pierre Bouyxou : Mon parcours personnel est passé, vers 15/16 ans, par la découverte du surréalisme, de l'anarchie, de l'internationale situationniste, le lettrisme. Il y a plein de choses que j'ai pris sur le blair en quelques années. Toutes les avant-gardes, y compris celles qui étaient au présent et qui étaient des avant-gardes politiques. Puis, j'ai fait des rencontres importantes, de gens qui vivaient différemment. Pierre Molinier, quand je l'ai rencontré en 1965 à Bordeaux, tu te prenais une claque ! Ce mec vivait de façon absolument libre et il avait 65 ans ! Quel phare ! Il me démontre alors qu'il est possible de vivre différemment, sans vivre le mode d'emploi qui m'est imposé. Donc j'arrête tout, et puis on verra. Il n'est plus question de bosser. Une autre rencontre importante a été Jean-Jacques Lebel, avec qui j'ai participé à des happenings, notamment celui du festival Sygma à Bordeaux en 1966. Nous étions habillés en costume-cravate et après un long cérémonial, on a chanté la Marseillaise en battant la mesure sur les fesses nues de deux jeunes femmes. C'était suffisant à l'époque, même dans un festival d'avant-garde, pour foutre une merde incroyable ! Ca a été instantanément l'émeute dans la salle. Puis, nous avons mis des sacs en papier sur la tête des spectateurs et on les a baladés en se tenant le long d'une corde dans le quartier. De retour dans la salle, tout a basculé dans la folie, chacun faisant sa performance ou laissant éclater sa colère. Lebel a aussi fait connaître en France les poètes de la Beat generation. Une autre rencontre décisive a été celle avec les cinéastes underground, dont Taylor Mead que l'on a retrouvé ensuite chez Andy Warhol. En 1965, ce mec débarque en France avec des bobines de films underground américains sous le bras. Personne ne connaissait ce cinoche ! Il y avait en tout et pour tout deux ou trois courts métrages de Kenneth Anger qui étaient connus en France. On connaissait l'existence de ce cinéma mais on ne savait pas ce que c'était. En 1965, j'ai rencontré deux mecs qui eux aussi avaient les cheveux longs, tiraient sur des joints et faisaient des films, sans producteurs, du cinoche underground, là, à Paris… et donnaient envie de faire du cinéma underground. Je crevais d'envie de faire des films. C'était Etienne O'Leary, un Québécois, et Francis Conrad, un Américain qui est reparti tout de suite aux Etats-Unis. Etienne O'Leary est devenu un ami. Il était également copain avec Marc'O, Kalfon, Clémenti et Lebel. Les films d'Etienne O'Leary étaient projetés sur le chapiteau où était représentée la pièce Le Désir attrapé par la queue de Picasso, mise en scène par Jean-Jacques Lebel, avec la strip-teaseuse Rita Renoir, Taylor Mead, Ultra Violet et les Soft Machine. Lebel m'avait proposé d'être son assistant mais je n'ai malheureusement pas participé à l'aventure. On en voit des petits bouts dans Chromo Sud de O'Leary, un film auquel j'ai participé et qui se termine par quelques-unes des rarissimes images des barricades en couleur. Il y a très peu d'images en couleur de Mai 68. Avec Michel Auder, et d'autres cinéastes, on allait projeter nos films dans les facs et les usines occupées, dans les MJC dont les directeurs étaient un peu déjantés. On a commencé à faire une tournée au petit bonheur. Quand il y avait des musicos sur place, ils improvisaient une musique en direct pour les films qui n'avaient aucun son synchrone. C'était fréquent. Quand je dis fréquent, il y a eu 40 projections en France, et encore je suis large, pendant environ un an. Et puis un jour on était à Nantes, en train de projeter nos films dans une fac occupée, quand on a appris que cela bardait vraiment à Paris. On est vite rentrés à Paris, juste à temps, le lendemain, pour prendre d'assaut l'Odéon. Avec qui ? Avec Jean-Jacques Lebel ! (Rires.) Donc, tout ça, on peut le raconter de l'intérieur.
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iciInterview en 8 parties :
Jean-Pierre BouyxouLire aussi le dossier sur
les origines de mai 1968