Lu sur
Claude Guillon : "Je reproduis ici un tract rédigé par des camarades de (ou proches de) la revue L’Envolée à propos des récentes émeutes. Je le reproduis comme contribution au débat qui doit avoir lieu entre les ennemis du système capitaliste, et malgré des divergences d’appréciation sur lesquelles j’essaierai de revenir ultérieurement.
Il bon de redire au moins que pour une partie de la jeunesse la "garde à vue" n’est jamais qu’un moment particulier d’une garde à vie permanente dans des banlieues reléguées.
Il ne s’ensuit pas, à mon avis, que le militant révolutionnaire doive se sentir sommé d’approuver toute espèce de révolte quelle que soit la forme qu’elle prend et ce qu’elle produit réellement dans la société. Le fait que les émeutiers aient des ennemis assez débectants n’y change rien. Quant à "la gauche", à laquelle certains s’adressent encore, elle prouve - mais c’est la énième fois - qu’elle est incapable du minimum quand il s’agit de défendre les dites "libertés démocratiques".
Je m’associe à la conclusion de ce texte (avec la restriction que la rvendication de l’amnistie me paraît difficile à concilier avec le degré de guerre sociale où nous en sommes).
C.G.
Non, les "jeunes" des banlieues ne sont pas devenus méchants. Bien au contraire, cela fait longtemps qu’ils sont trop calmes face à un acharnement policier qui n’a jamais hésité à employer toute la force brutale pour étrangler et maintenir dans l’ordre social des centaines de milliers de pauvres pour qui plus rien n’est possible. Ce n’est pas une accumulation sociologique hasardeuse qui a mené à l’élaboration et à l’application de textes de lois relatifs à la gestion des travailleurs, des chômeurs et des précaires. Dans les années 60, l’Etat faisait construire des cités béton proches des sites industriels pour "loger" les ouvriers souvent immigrés dont ils avaient besoin. Au début des années 80, délocalisations, informatisation, etc. obligent, il n’y avait plus de travail pour les habitants de ces cités qu’il fallait du coup gérer : c’était le début d’une politique de la ville réfléchie et appliquée au travers des Contrats Locaux de Sécurité. Ces contrats encadrent depuis vingt-cinq ans les conditions de "vie" dans les quartiers populaires. Leurs objectifs : étendre toujours plus le contrôle, non seulement en multipliant la présence des forces de l’ordre sur le "terrain" mais en transformant progressivement le plus grand nombre posible en "citoyen", c’est à dire en délateur et relais local de la police.
La police en uniforme à qui l’État a donné de plus en plus de pouvoir et de moyens pour excercer son autorité : contrôles au faciès permanents, perquisitions à tout-va, garde à vue pour un oui ou pour un non, comparutions en justice pour outrage et rebelion,... et rares sont les quartiers qui n’ont pas à déplorer un des leurs tué par la police.
Le travail de police assuré par des associations de quartiers qui, pour recevoir quelques subventions, doivent travailler main dans la main avec les maires, les commissaires et assurer une surveillance de proximité pour maintenir l’ordre en dénonçant tous les comportements jugés incontrôlés ou dangereux pour le pouvoir en place.
Le travail de police de l’institution scolaire à qui il est demandé de signaler tout écart de conduite aux pouvoirs publics ; une des fonctions de l’école est de détecter et de ficher ce qu’ils appellent les "signes d’une délinquance juvénile", ce qui contribue en fait à renvoyer les plus démunis dans des classes relais, des centres éducatifs fermés, des prisons pour mineur grâce à l’abaissement de l’âge pénal à treize ans. Des parents d’élèves sans-papiers sont même interpellés à la porte des écoles...
Le travail de police des éducateurs de rue, des médiateurs qui sont sommés de donner les noms des familles en difficulté à la mairie, les désignant comme étant de fauteurs potentiels de trouble avec la menace pour les familles de suppression des allocations familiales, accréditant l’idée que c’est une poignée de "voyous" qui seraient responsables de tous les maux.
Le travail de police des sociétés de transports en commun qui pratiquent des prix exorbitants, qui inondent leurs réseaux de vigiles et de contrôleurs et qui invitent leurs conducteurs à assurer la surveillance de la fraude qui est passible d’incarcération.
Le travail de police de colocataires qui signalent au force de l’ordre la présence "illégale" et pénalement répréhensible de personnes dans les halls d’immeuble et qui pratiquent légalement la dénonciation anonyme.
Le travail de police des commerçants, des vigiles, des maîtres-chiens...
Après quinze jours d’émeute, "l’opinion" admet "que c’est dur de vivre dans les banlieues, mais que c’est pas en brûlant tout que cela va s’arranger et que ces jeunes sont des voyous qui se livrent à une compétition dans la destruction aveugle, et qu’ils sont forcément manipulés par des mafias ou des intégristes".
Et pourtant, les mouvements sociaux d’envergure, celui des sidérurgistes, des enseignants en 2003, des postiers, des lycéens en 2005, des traminots de Marseille, semblent impuissants face à la détermination de l’état qui continue de faire voter ses lois sur les privatisations, la décentralisation, les retraites, la réforme du code du travail, de l’éducation nationale, le durcissement du code pénal, les lois sur la prévention de la délinquance, le renforcement des lois anti-immigrés... Même deux millions de manifestants en 1995 se sont heurtés à un autisme imperturbable.
Alors que ceux qui ont la bonne méthode la donnent. Et en attendant, il est plus sage de ne pas donner de leçons à ceux qui expriment leur colère et de ne pas se transformer en criminologues, en militants experts, en sociologues en quête d’un terrain de lutte à vampiriser, ou en moraliste de gauche appellant une fois de plus l’état au secours pour rétablir l’ordre républicain. Qu’est-ce que ce "devoir républicain" pour des enfants de parents immigrés qui n’obtiendront la nationalité française qu’en échange d’une bonne conduite au risque de se faire expulser du territoire à leur majorité ? Qu’est-ce que ce "devoir républicain" pour des jeunes qui naviguent entre petits boulot de merde payés des miettes et allocations sociales ou RMA ?
Et puis, on peut remarquer que dans toute cette destruction on retrouve des cibles privilégiées : des locaux d’entreprises installées dans les zones franches, exonérées d’impôts en échange de création d’emplois dans les quartiers mais qui préfèrent embaucher ailleurs, une trésorerie principale, des commissariats, une ANPE, des écoles, des bus qui sont perçus comme des symboles de l’état, un laboratoire pharmaceutique, des dépôts de voitures appartenant à France Télécom, à l’EDF et à la police,des concessionnaires automobiles. Pas de pillages systématiques, pas d’accumulation de marchandises, mais la destruction.
Ah ! mais ils brûlent aussi les voitures des voisins, de ceux qui galèrent pour survivre... Primo, il n’y a jamais eu dans l’histoire de révoltes et de révolutions qui n’aient pas été génératrices de désordres et c’est dans le développement de l’émeute que se réfléchissent et se précisent les objectifs. Deuxio, c’est presque indécent de pleurer sur de la ferraille quand ça fait des années que la misère est orchestrée par les plus nantis qui ne se soucient guère de la vie des enfants des quartiers populaires. Tertio, c’est toujours la même rengaine du bouc émissaire et de la victime : il faut un responsable pour cacher sa propre misère, c’est forcément le plus pauvre. Ceux dont les voitures crament qui appellent à la responsabilité citoyenne se trompent de "tortionnaires" .
Le plus grand risque est que ce feu de vie ne dure qu’un instant, qu’il ne se propage pas et qu’il se fasse le lit d’un nouveau durcissement du contrôle social sur chacun de nous et particulièrement sur les mineurs cordialement invités dans les prisons en construction. Les policiers interpellent à la pelle, les tribunaux condamnent sans vergogne et le pouvoir décrète l’état d’urgence... Mesures d’une véritable guerre sociale. Ne laissons pas les émeutiers seuls face à la répression, ne laissons pas se développer la chasse aux étrangers, soyons présents dans les tribunaux, refusons concrètement le couvre-feu, occupons les rues,exigeons l’amnistie pour tous les émeutiers d’hier et de demain.
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