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Je retourne à l'humidité de l'air

Lu sur asile.org:Thoreau est un homme du dehors. Il n'écrit pas sur la nature mais depuis la nature. Il est poreux, à l'écoute, aux aguets. De chaque sensation, de chaque vivant il fait une expérience intense.


Extrait d'une peinture de Sophie Berrué
Extrait d'une peinture de Sophie Berrué

On connaît bien Henry David Thoreau pour son petit opuscule La désobéissance civile ou pour l'expérience quasi ascétique de sa vie à Walden : deux ans dans une cabane en bois construite avec quelques amis au bord d'un étang, deux ans à se nourrir de hoecakes, de patates et de pommes, deux ans d'observation intense, de stricte économie, de liberté. On connaît cet épisode, presque mythique, on sait qu'il en fit un très beau livre Walden ou la vie dans les bois et qu'avant Lafargue il soutint qu'une vie pleinement épanouie devait concéder à la nécessité du travail six semaines par an ; rien de plus.

On connaît peu, par contre, le journal qu'il tint tout au long de sa vie et dans lequel il puisait la matière de ses autres écrits. Et pour cause : en France, la seule version disponible - et très condensée puisque des 14 volumes de l'édition originale il reste, après traduction, 1 volume de 200 pages - était introuvable depuis vingt ans ! Mais passons, Denoël vient de remédier à cette effroyable situation : le Journal est enfin réédité. Et pour ce livre seul, Thoreau aurait pu répondre à la question de Walt Whitman : « - Votre oeuvre peut-elle faire face à la pleine campagne et au bord de la mer ? » « - Oui. » Car le journal, proliférant, organique, tient du lichen ou du champignon et s'inscrit à l'intérieur même du paysage de Concord. Il fait partie du territoire, c'est un corps vivant, un corps animal qui se déroule au fil des pages, il respire et croît et marche.

« Les meilleurs vers ne sont pas autre chose que ceci : un homme qui a vraiment vu, entendu ou senti ce qu'il y a de plus ordinaire dans l'expérience. »

Thoreau est un homme du dehors, un sauvage à sa manière, il court les bois, les rivières, les champs et il tombe sans cesse sur des pistes indiennes qu'il suit, il veut se naturaliser, c'est à dire, exactement dans le sens de Deleuze : accomplir un devenir-indien, un devenir-animal, un devenir-plante.

Il n'écrit pas sur la nature mais depuis la nature. Il est poreux, à l'écoute, aux aguets. De chaque sensation, de chaque vivant il fait une expérience intense. Il peut avoir « disons douze heures de conversation familière avec la grenouille tachetée », s'étendre « indistinct comme une lande à midi » et dire que « les meilleurs vers ne sont pas autre chose que ceci : un homme qui a vraiment vu, entendu ou senti ce qu'il y a de plus ordinaire dans l'expérience. » Ce qui le porte et l'anime c'est le flux de la vie qui traverse et déborde, ce qu'il cherche c'est un autre espace, ce qu'il cherche à faire c'est une autre littérature, primitive, naturelle, sauvage.

Le corps est prégnant dans chaque page, il est sa puissance d'écriture. Et Thoreau regrette : s'il avait pu disposer de l'âme humaine, il l'aurait donnée de préférence à une antilope des plaines mais il travaille : « fais-toi un corps parfait ». Le mouvement s'inscrit dans le corps et dans l'oeuvre comme le signe de la pensée et de la vie. Sur la piste du renard il dit : « je sais, par la disposition de ses traces, de quel côté un esprit s'est dirigé ce matin, à quel horizon il a fait face ».

Extrait d'une peinture de Sophie Berrué
Extrait d'une peinture de Sophie Berrué

Corps, mouvement et sensation sont la matière même du journal. Et devant des phrases comme celle-ci : « je reste en plein air à cause de l'animal, du minéral, du végétal qui sont en moi » on ne peut s'empêcher de penser à un autre journal (un manuel), en mouvement lui aussi, celui de Simone Forti. Tous les deux, et chacun avec leur pensée dans leur corps, explorent des états d'inhumanité, des "états de nature" non pas au sens d'un retour à un âge d'or mais au sens d'une étendue active de la perception. Ils creusent la sensation des autres (l'ours polaire, la tortue d'eau, la perche...), ils se mettent par contiguïté, à travers les parois, dans la disposition perceptive d'un autre vivant, radicalement différent et radicalement proche. Ils partagent cette étrange pratique de la porosité (Thoreau l'appelle exaltation) qui serait comme une sorte de dilatation concentrique, une véritable aliénation mais nourrissante à partir de quoi ils créent, chacun avec leur médium mais d'une manière extraordinairement similaire. Car on imagine sans peine H. D. Thoreau faire du taï chi tous les matins derrière la scierie de Concord, s'y sentir comme une nouvelle rivière et écrire : dans cet état de danse « je retourne à l'humidité de l'air, et l'odeur abondante des fleurs de trèfle blanc épaissit les cellules de mon corps, pendant que mes mains renouvellent l'expérience de la fraîcheur de l'ombre des feuilles ombrelles d'une courge ».

Et sans peine on imagine Simone Forti, après une promenade intense autour de Nova Scotia, rentrer dans sa cabane en bois et noter pour son manuel : « sachez perdre tout un jour pour vous épandre et respirer de l'air au moins une fois ».

Céline Minard

Ecrit par didier2, à 15:56 dans la rubrique "Pour comprendre".



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