--> Texte paru dans la Bible fanzine anarcho punk clermond fr. fev 82
La bible: Pourquoi le nom de Crass? Étant donné le fort coté intellectuel et politisé de votre musique.*
Crass: Le nom de CRASS parce que Steve a pris ce mot d'une chanson de Bowie, Ziggy Stardust "The kids were just crass".C'est donc la raison initiale, mais c'est une bonne raison simplement parce que le mot veut dire crasse, grossier, stupide...et notre travail nous a engagé à voir au delà de tout ça, refusant d'être contrôlé, manipulé, cajolé, intimidé, on amoindri à cause de ça.Je ne suis pas sur de très bien comprendre la deuxième partie de votre question, à savoir s'il y a un lien entre le côté intellectuel et politique de notre musique. Je considère notre énergie comme un ensemble, chaque détail y est lié, il ne peut pas y avoir de séparation. Quels que soit le nombre de faces (cotés) différentes qui représentent notre groupe, elles n'existent que parce qu'elles sont reliées à un ensemble complet. Un mur qui fait l'angle d'une rue n'en reste pas moins le même mur. J'aimerais revenir à la première partie de votre question, et parler à nouveau du mot CRASS, pour ceux qui cherche à nous contrôler, qui aimerais nous voir nous adapter à leur idéal de vie particulier,pour ceux-là nous sommes "CRASS".
La bible: Que pensez
vous du fait que les jeunes punks vous prennent pour exemples, ou chefs de file
étant donné le coté "no heros" et "suis ta voie" que vous
préconisez?
Crass: Je suppose que cette question ce réfère aux gens qui
nous idolâtrent et nous témoignent de le considération et ceci en dépit de la
façon dont nous nous définissons par rapport à eux.
Je suis certain qu'il est très facile d'admirer quelqu'un
qui a inspiré ou soutenu une idée. Ce qui est dommage c'est que les gens en
arrivent à dépendre de l'interprète de cette idée, plutôt que de l'idée
elle-même par rapport à eux. Quand les gens viennent à nos concerts ils ne
peuvent très souvent pas discerner de différence entre nous et les gens qui les
entourent (entre le groupe et le public). Il y a autant de vulnérabilité et de
force qui se manifeste sur scène que dans la salle.Je ne suis ni surpris, ni troublé par les gens qui nous
idolâtrent dans une société où l'on exige que l'autorité et le commandement
soient acceptés au même titre que le fait d'inspirer, d'expirer, de chier ou de
dormir. Suivre et obéir sont des conditions profondément enracinées, nous
faisons de notre mieux pour chasser leurs notions de nécessité et les
dévaloriser. Je ne formule donc aucune critique en ce qui concerne les gens qui
nous place sur un piédestal, il y a des blessures qui sont longues à guérir et
une blessure qui a mis tant de temps à
se faire pourrait se refermer s'il n'y avait le mépris qui, comme le sel
l'empêche de cicatriser.Nous essayons tous de faire notre propre chemin ce n'est pas
un chemin facile, tracé, réfléchi ou familier et peut-être que la première
chose à faire, lorsque l'on se trouve sur ce chemin, c'est de s'accrocher à
quelque chose d'apparemment solide, exactement comme on se serait accroché,
auparavant, à quelque chose afin de continuer ou de se faire entraîner. Je
suppose que c'est ce qui ce passe, avant de se rendre compte que l'on peut
s'assumer seul, ou du moins commencer à le comprendre.
Plus tard l'idéalisme et le culte du héro peuvent se
transformer en aide et encouragement réciproques, en une énergie dans laquelle
on pourrait puiser. Un jour viendra ou l'on se rendra compte, en suivant
quelqu'un qui escalade une montagne, que l'on monte soi-même. Je pense que nous
grimpons en trébuchant et que nous dégageons du terrain, et il y aura des gens
qui, pendant un certain temps, ne sauront pas comment utiliser cet espace, et
le remplirons à base de réactions appartenant à l'ordre établi qui leur colle
toujours à la peau chaque fois qu'un problème demande une réponse précise
"ils sont sur scène, donc ils doivent savoir, et comme je suis en bas, je
dois apprendre quelque chose d'eux" Plutôt que "nous sommes réunis
dans cet endroit et nous pouvons tous nous apporter quelque chose".Cette dernière idée, cette possibilité ne nous est pas
donnée à la base (ce n'est pas inné). Il y aura probablement des malentendus,
ils sont même à prévoir.
La bible: Crass groupe
politisé style Clash, ont vous a parfois comparé, quelle était votre réaction?
Crass: C'était un groupe politisé, mais si vous préférez, toute
musique est "engagée" en ce sens qu'elle confirme la politique
qu'elle soutient et quelque soit cette politique. On nous a comparé aux Clash,
et ceci de façon bien compréhensible étant donné que nous avons été motivés
par le contexte de la même époque, par le même besoin de dire et de faire
quelque chose. Ils ont été une source d'inspiration, mais il semblerait que nos
évolutions respectives, à partir de cette inspiration première, aient pris
depuis longtemps des directions différentes. Si vous voulez, on nous a laissé à
tenir l'écriteau alors que les autres manifestants sont rentrés depuis
longtemps chez eux pour dîner. Et il y a différentes façons de manifester sa
politique.
La bible: Que pensez
vous des évènements qui se sont passés dernièrement en UK? Racisme, extrême
droite, grévistes de la faim en Irlande etc.
Crass: La conséquence Inévitable d'un gouvernement de droite
autoritaire est de réveiller la colère, les frustrations et la violence
d'action chez des groupes de personnes parmi les plus aliénés.
Sous un tel gouvernement, les autorités (forces de police)
sont devenues ce qu'elles sont en principe par nature, et presque par
définition, c'est à dire une armée contre le peuple, une armée pour la
sauvegarde de la propriété.Elles n'ont pas encore de canons, mais au fil des
confrontations injurieuses, de l'indifférence de leurs actions, et à force
d'usage frappant de certaines lois visant à harceler et intimider, elles ont
cassé le fil fragile de la tolérance publique. (Je dois reformuler mon langage
quand j'aborde le problème de la nature de l'autorité et certains mots employés
ensemble sonnent bizarrement). Et c'est cependant beaucoup plus compliqué que
ça.
Il y avait des frustrations sincères, il y avait la haine
que l'on avait suscitée, et comme pour nier l'existence de tout cela, les
habituelles démonstrations de bravade et de cupidité.
Vous citez trois thèmes, le racisme, la droite (les
conservateurs), les grèves de la faim en Irlande du nord. Ils sont liés les uns
aux autres comme un mal contaminant le même corps qui présente des symptômes
relatifs à une seule maladie en étant un corps malsain et négligé. Donc les
derniers évènements qui ce sont produits en Angleterre et en Irlande du Nord (parce
que l'Angl et l'Irl du N sont en guerre) déforment et bouleversent l'existence et la
volonté (les déterminations). Pourquoi l'Angleterre refuse-t-elle d'admettre l'étendue
réelle de ces activités en Irl du N, et bien parce qu'elle est la reflet même
de n'importe quels gouvernement, et l'intention d'un gouvernement est de
maintenir une économie viable, les gens (le peuple) qui se mettent en travers
de leur chemin sont considérés comme des gêneurs, au même titre qu'une mouche
que l'on écrase pour avoir traîné sur notre tranche de cake. Ici les informations
divulguées par la presse et la T.V sur l'Irlande du N sont épouvantables, et il
semble que dénaturer les faits soit devenu un procédé très employé pour faire
face à la peur. Il n’était pas possible à Thatcher d'être indulgente envers les
grévistes de la faim, aussi qu'envers la communauté catholique en général, les
troupes britanniques ne le peuvent donc pas non plus. C'est une guerre.
La bible: Pourquoi n'y
a t il jamais de photos du groupe sur vos pochettes de disques?
Crass: Je pense que les photos ne font que capturer
certaines parcelles de l'énergie en elle même. Nous préférons de loin les
posters, pouvant faire passer un message style l'intérieur du 45t "Bloody
Révolution ", c'est une peinture faite par G se servant des corps des Sex
Pistols et des têtes de M.Thatcher, de la reine, de la justice et du pape.
La bible: Ont a
souvent dit que CRASS vivait en communauté, est-ce vrai?
Crass: Nous vivons tous dans la même maison et nous
partageons presque tout ce que nous avons.
La bible: De combien de
membres est constitué le groupe? Ou la société CRASS Production.
Crass: CRASS est constitué de neuf personnes y compris Mick
qui fait des films, ainsi qu'une soliste du nom de Anne Anxiety. Je n'ai jamais rien entendu nous désignant,
par "Crass society production", mais nous y somme tous impliqués,
jusqu'à un certain stade, mais le principal "maniement"de ce genre
d'affaire revient à 4 personnes environ, et quelques autres occasionnellement.
La bible: Vous imposez
des prix pour vos disques, arrivez vous à rentrer dans vos frais, je suppose
que se produire soit même, faire son label et produire d'autre groupes doit
être un gros boulot, surtout avec le soin que vous apportez aux pochettes,
comment faites vous?
Crass: La vente à bas prix de nos disques suffit à couvrir
tous nos frais et nous faisons tout nous même jusqu'au stade de la fabrique, et
même à ce moment là l'un d'entre nous, qui en a fait sa fonction surveille de
prés la qualité du travail effectué. C'est un travail laborieux et chacun de
nous y trouve quelque chose qu'il est capable de faire. C'est pour nous un
travail à temps complet, et si vous ajoutez a la liste le fait de répondre au
courrier, d'écrire des textes, de composer la musique, de faire imprimer des
informations, de dessiner, d'organiser des concerts, de faire des
enregistrements, de partir en tournée...il ne nous arrive pas souvent d'avoir
une journée complète où l'on puisse se sentir libre de faire quelque chose de
personnel et en dehors de tout cela.
La bible: Il se trouve
que tous les punks ne sont pas d'accord avec vos slogans « anarchy &
peace, anti war etc.»Que pensez vous de cette réaction de leurs parts? Cela a t
il une quelconque importance pour vous?
Crass: La dernière vague de punks fabriqué par les médias,
les marchands de chaos,n'est qu'un recul pathétique et négatif vers le
soi-disant bon vieux temps. Ils me font
presque penser à des personnes âgées se remémorant la guerre . L'étroitesse
d'esprit du "sans espoir". Et
bien sur avant tout cela il y a toujours et des gens qui considérent l'anarchie
comme le chaos,la haine, le négatif et la souffrance. Ils lisent le
dictionnaire, la version établie de ce mot est la suivante: "chaos, pas de
gouvernement". Les médias préfèrent véhiculer cette idée parce que le
romantique violent est plus émouvant que tout le plaisir du combat de rue. Je
présume que paix et amour seront toujours des mots obscènes dans l'esprit de
certaines personnes, paix et amour ne provoquent pas de bref frisson
d'adrénaline, ce sont pas des mots que l'on emplois souvent sincèrement. Les
groupes qui préconisent le chaos ne font qu'exploiter le vide ressentit par la
plupart des gens, et le comblent par une réponse rapide et saccadée. Encore un
produit de consommation.
La bible: Pour écouter
Crass faut il être: Punk? Hippie? Anarchiste? Ou les trois réunis?
Crass: Pour apprécier Crass vous n'avez pas besoin de vous
rallier à quelque bannière que ce soit, ni de vous donner une étiquette. Nous
n'imposons pas de restriction quant au style de personnes à qui nous écrivons
ou qui viennent nous voir. Les gens avec qui nous avons des contacts sont tous
différents et viennent de n'importe où.
La bible: que pensez
vous du fait que les skinheads parisiens agressent les gens portant des badges
de Crass pour leur faire bouffer ou tout simplement leur casser la gueule?
Crass: Les skinheads se sont servis de l'attrait de
l'agression, de l'étroitesse d'esprit du nationalisme ils sont tels de pauvres
soldats faisant la guerre pour les
riches. Ils ferment toutes les portes autour d'eux et s'enferment dans un
réduit sombre et inconfortable, duquel ils combattront tous ceux qui ne veulent
pas les y rejoindre, tous ceux qui ne
sont pas d'accord ou sont différents. Ce sont également des identités
repiquées, comme les Punks etc., et au lieu d'écarter leur désespoir par une
énergie positive,ils ont été impitoyablement encouragés à en user par
« l'honnête »société, et ceci de façon traditionnellement familière,
en cherchant leur ennemies parmi les gens qui essaient de venir à bout de la
même chose mais d'une manière différente. Et tout cela a été en grande partie
encouragé par la presse musicale, ça a été construit et embelli, le glorieux
héros des classes laborieuses, le jeune rebelle etc. La violence,c'est le
chemin battu et bien connu qui s'étend ou delà du signe "sortie", et
ne conduit nulle part, si ce n'est à plus de souffrance et de mort, mort de
l'esprit si elle n'est pas physique. Ils ne sont pas nos ennemis, et si
seulement ils pouvaient se rendre compte que nous ne sommes pas les leurs, le
véritable ennemi c'est l'état qui les manipule insidieusement et qui les forme.
Et je pense qu'effectivement ils s'en aperçoivent à certaines étapes de leur
route. (S'il y a un réel danger à porter un badge CRASS à certains moments et dans
certains endroits à Paris, c'est certainement une bonne idée de ne pas les
porter et si vous en portez tout de même, il faudra que vous soyez prêts et
capables de vous en débrouiller. Moi même je n'irais pas porter de badge dans
certaines situations).
La bible: Dans notre
dernière correspondance vous dites que tuer le ou les présidents, ne serait pas
le remède aux ennuies actuels, quelle serait selon vous la solution pour nous
en sortir?
Crass: Il n'y a pas de solution immédiate à grande échelle
en ce qui concerne les problèmes de la vie dans une société dirigée par un
gouvernement. Il n'y a pas de solution pacifique, la solution n'existe pas. Il
ne tient qu'à vous de faire le tri dans votre vie et de réaliser un changement
à force d'exemples et de communication. Ce sera lent et progressif, le
gouvernement ne disparaîtra pas du jour au lendemain, il ne disparaîtra peut
être jamais d'ailleurs, mais le plus important pour vous c'est d'apprendre à vivre, à survivre en dehors de tout ça. Les"petites vies" ne sont
pas totalement impénétrable, il y a des failles suffisantes pour se créer une
place au soleil, plusieurs façons d'y arriver. Personne d'autre ne le fera pour
vous. Tuer « l'homme de paille » ne fait qu'augmenter les motivations
et le pouvoir (La force) de l'idée qu'il y avait derrière. C'est à
l'intérieur de soi-même qu'il faut détruire son influence, mais pas détruire
les gens qui la représentent. Tuer "l'homme de paille" sous prétexte
que l'on considère son pouvoir comme oppressif, c’est comme se couper la tête
pour se guérir d'un rhume. Le corps nourri une maladie, mais il est stupide de
se tuer pour s'en débarrasser. La réaction la plus efficace est de trouver la
cause de ce rhume, de chercher ensuite comment le guérir en douceur, sans
blesser le reste du corps par l'absorption de médicaments forts. Et ainsi, vous
chassez progressivement de votre personne l'influence du pouvoir, vous vous
rendez compte que cette influence existera toujours malgré votre propre
détachement, et vous développez donc un moyen de faire avec... Vous savez, que
si vous chassez vulgairement ce pouvoir du pied, si vous lui crachez dessus, ou
si vous l'insultez, il se mettra en colère et vous punira (et il faut parfois
se demander si ce que l'on souhaite exposer vaut de subir l'inévitable
châtiment). Je pense que cela peut donner l'impression d'un simple compromis,
c'en est un d'une certaine façon, mais il est précurseur de la liberté, il
marque les débuts de la récupération de la terre ,du lent démantèlement de tout
ce que l'histoire a bâti, le renversement des pratiques de destruction.
La bible: seriez vous
d'accord pour produire des groupes reggae, industriels et autres, ou préférez
vous rester dans le style Poison Girls, Zounds, Flux Of Pink Indians? Il y a t
il un ou plusieurs critères pour sortir un disque sur Crass Records?
Crass: Nous n'avons aucune préférence pour ce qui est de garder
un son particulier .Ce qui est la plus grande importance dans ce que nous
faisons,c'est le message, l'intention.
C'est donc là le premier critère. Il faut également que nous
sachions si ça couvrira les frais de production, et s'il y a un autre groupe qui ne vendra
vraisemblablement pas assez de disques pour couvrir ses frais, alors nous le
couvrons nous même, occasionnellement, avec l'argent fait sur nos propres
ventes. Il n'y a pas de critère de son particulier, comme vous pourrez en juger
d'après Ies prochains disques.
La bible: ce qui fait
une partie du charme de Crass c'est le coté marginalité et anarchie présente
sur toute vos productions et à l'écoute du dernier lp "Penis envy"on
remarque tout de suite un petit changement au niveau musical et enregistrement,
n'avez vous pas peur de tomber dans une voie "pro" ou tout est bien
fait?
Crass: «Penis Envy» a marqué un tournant et ceci je pense
grâce à l'atmosphère générale des textes. Je pense également que nous ne
pouvons éviter le changement, nous devons tenter d'être plus efficace, nous
devons nous motiver, nous retrouver sur des terrains inconnus. Si vous avez
surpris un certain professionnalisme dans notre formation, c'est qu'il s'est
développé à partir de notre propre mélange d'approche et de perception. Tout ce
que nous disons ne peut pas être dit de la même façon, et non je ne pense pas
que nous ayons peur d'un son "clean", mais la prochaine fois il sera
peut-être à nouveau plus sale encore (plus dégueulasse, plus confus?), ou peut
être différemment dégueulasse! Tout le chant dans Crass est rendu de façon
différente selon la personne qui l'interprète et il n'est pas surprenant que
"Penis Envy" soit si différent de ce que nous avons sorti
précédemment. Des sensibilités différentes demandent des sons différents. Ces
différentes approches se sont ressenties de façons chaque fois moins nettes,
depuis "Women on feeding" jusqu'à "Darling on station", Steve
et Eve chantant ensemble dans "Bloody révolution".
La bible: Le public
est nécessaire à votre art et à votre idéal, pourquoi vous centralisez à ce
point sur un seul pays?
Crass: Nous avons un public international, cela paraît
évident d'après notre courrier. Nous avons par le passé fait des déplacements
d'ici aux Etats Unis (il y a de ça quelques années, de très petits concerts à New York, nous n'étions pas connus à
cette époque), en Hollande et en Allemagne. Mais parce que nous vivons ici,
c'est ici que nous avons le plus de réactions, les plus grandes connaissances
pour traiter des problèmes particuliers auxquels ce pays fait face. Nous sommes
donc revenus à des "arriérés"de travail, de demandes (d'offres), et d'engagement,
et nous avons senti que, d'une certaine façon, nos départs à l'étranger
n'étaient pas bénéfiques. Car nous ne pouvions jamais y être assez longtemps
pour y être aussi impliquée que nous le voulions, et ces différents déplacements
nous mettaient dans l'incapacité de nous consacrer aux engagements que nous
avions ici. Il y a donc un an ou plus que nous n'avons pas joué à
l'étranger,mais nous entretenons de très bonnes relations avec d'autres pays.
Le simple fait que nous n’allions pas y jouer n'implique pas de désintérêt.
Nous envisageons de faire quelques concerts peut-être à l'étranger l'an prochain. La centralisation est d'une
certaine manière, une chose que nous aimerions constater dans tous les pays. Il
y a des limites à notre capacité d'être ici, là ou ailleurs, de connaître tous
les détails de tous les pays, ce n'est pas par égoïsme que nous ne faisons pas
souvent de tournées à l'étranger. Nous avons toujours dit: "fait le
toi-même", il est donc étrange de sentir de certaines personnes une
dépendance et un besoin par rapport à nous, plutôt que par rapport à une source
d'inspiration pouvant les pousser à faire elle. Même quelque chose de
similaire. L'année dernière, notre politique "anti" concerts à
l'étranger ne nous interdisait pas de participer à d'autres événements à
l'étranger, mais dans le but d'aider et d'y être impliquée autrement qu'en
jouant. Nous avons également dit que nous donnerions des concerts s'il y avait
d'importantes manifestations pacifistes, on pour le désarmement nucléaire,
durant lesquelles nous pourrions apporter notre soutient et "donner un
coup de main".
Ce genre de situations nous avait été proposé pour la grande
manifestation en Suisse, mais alors que nous nous préparions,un des
organisateurs nous a téléphoné pour nous dire que "l'affaire" avait
été récupérée par un groupe politique à des fins personnelles et avait donc
perdu son intention première. Le même style de chose est arrivé en Italie, mais
l'un de nous s'y est néanmoins rendu avec un film et quelques brochures. Il est
vraiment très difficile de décider où et comment, et de se débrouiller avec le
changements de dernière minute. Il y a un an environ, il nous était plus facile
de voyager, mais il devient de plus en plus dur de trouver le temps de faire
tout ce que nous aimerions, ou que nous devrions faire. Mais comme je l'ai dit
un peu plus haut, nous envisageons de jouer
quelque part en Europe l'an prochain.
La bible: comment avez
vous pensé votre idéal? en clair avez vous appartenu a un quelconque groupe
politique qui vous aurait déçu?
Crass: Je n'ai jamais appartenu à un groupe politique, et si
j 'ai eu des déceptions c'était par la sensation qu'aucune organisation n'est
jamais vraiment satisfaisante pour l'individu. J'ai été déçu, étant jeune, par
les contradictions et la cession du mouvement hippie, bien qu'il soit bon de
voir qu'il y a des gens qui ont traversé cette époque avec la même énergie
primordiale et qui la mettent toujours en pratique. Je pense que mon
"idéal" a grandi avec moi, alors que je rejetai ceci ou cela, essayai
quelque chose d'autre, parlai à celui-ci ou celui la...J'ai évolué à travers
toute une suite de déceptions à cause de la famille, de l'école, d'amitiés et
de confiance trahies, mais aussi à travers le contraire, la découverte de gens
sympathiques, les lettres de ceux qui semblent vivre à le même heure ou qui
visent à une nouvelle façon de voir la vie. C'est donc à travers autant de
déceptions que de découvertes que je me retrouve ici, maintenant, avec beaucoup
plus à découvrir et à comprendre encore.
La bible: quel est le
rôle exact de la musique dans votre vie? Est ce uniquement le support d'un
message ou quelque chose en elle même?
Crass: Notre musique est secondaire, mais pas dans le sens négatif du terme. Elle apporte
évidement une certaine ambiance aux
textes, et constitue une part importante de notre travail, mais le message
passe en premier, autrement la musique ne serait pas là.
La bible: que faites
vous d'autres que la musique ou fanzines pour faire passer votre message?
Crass: Nous faisons une quantité assez importante
d'imprimés, de tracts, etc. Ainsi qu'un journal "INTERNATIONAL
ANTHEN" (hymne international). Écrire des lettres, rencontrer des gens, travail
d'imprimerie, beaucoup de choses.
La bible: qu'entendez vous par Network (réseau)?
Crass: Par réseau nous entendons, communication, des gens de
tous les coins qui s'entraident, et sont solidaires d'un même sentiment, un
réseau de personnes qui trouvent des voies vers la paix ,vers de nouvelles
idées. Ça fait du bien de savoir qu'il y a d'autres gens ailleurs qui partagent
les mêmes sentiments, c'est bien de garder contact et d'échanger entre nous nos
sentiments, nos trouvailles et nos idées.
La bible: L'ANARCHIST
CENTER semble vous être très cher, parlez nous en... Qu'en espérez vous?
Crass: Le centre anarchiste est une chose dont nous voulions
aider la naissance .Le 45 tours "Bloody
Révolution" a aidé à augmenter une somme d'argent pour des gens dont
l'idée était d'ouvrir et de diriger un foyer. Maintenant il est ouvert, depuis
peu, dans l'espoir d'être un endroit où de nombreuses personnes, ne se sentant
pas attirées par des clubs, des pubs, et autres "espaces fournis",
viendront trouver leur aise. C'est juste assez grand pour donner de petits
concerts, mais c'est avant tout un lieu de rencontre. Étant donné que je n'a
rien à voir dans le direction de ce centre, je n'en attend rien j`aimerais
qu'il soit ouvert à tout le monde, et jusqu'à maintenant je sais qu'il en a été
ainsi.
La bible: travaillez
vous en dehors de toutes vos occupations? Sinon comment vit la société Crass?
Crass: Comme je l'ai déjà expliqué, notre travail d'équipe
dans Crass est un travail à temps complet, et doit par conséquent nous donner
de quoi vivre. Nous ne vivons pas de façon dépensière et cela en partageant.
Aucun de nous ne ressent le besoin de dépenser de grosses sommes sur des choses
personnelles, et nous n'avons pas d'habitudes "coûteuses". Étant
donné que nous sommes végétariens, nos frais de nourriture sont inférieurs à
ceux des personnes qui mangent de la viande, nous achetons tout à une
coopérative, nous faisons notre jardin, et faisons pousser presque tous les
légumes que nous mangeons. L'argent sur lequel nous vivons provient des
enregistrements de Crass, mais pas des productions de Crass, de Flux ou de
Poison Girls en général. Notre propre musique et nos textes nous donnent
beaucoup de travail, et juste assez de quoi vivre. Selon les critères ordinaires, nous sommes très pauvres, mais il
y a des trains de vie qui ne sont pas pauvres même si le salaire est considéré
comme tel.
La bible: pensez vous
que les gens qui achètent les disques de Crass, attachent plus d'importance aux
textes ou à la musique?
Crass: Je pense que ce doit être pour les paroles, la musique elle même pousserait à une telle réponse,
vous ne croyez pas?
La bible: Ne trouvez
vous pas le fait que vous soyez contre toute forme de violence, incompatible
avec le style de votre musique?
Crass: Je pense que
notre musique est assertive plutôt qu'agressive, et si elle sonne violemment c'est
par reflet de notre colère, de nos espoirs et de nos passions, et par reflet de
l'état des choses. J'espère que notre musique ne fait pas que refléter la
violence du monde uniquement, car l'espoir est présent dans la voix de chacun
de nous. Tant qu'il y aura dégradation et destruction, et cette attitude
cruelle et négligente par rapport à la vie, à l'amour et à la paix. J'ai bien
peur que notre musique soit désireuse de parler de ces choses, ce sont des
choses laides, il est difficile de chanter gentiment la torture, le meurtre, la
famine, un monde qui nous a été volé, à nous qui désirons sincèrement y vivre, une terre divisée en propriétés, et
dont on se sert sans pitié. L'incompatibilité vient de le présence de
souffrance, et de vide là ou il ne devrait pas y en avoir.
La bible: pensez vous
que cette interview pourra apporter au public français quelque chose de plus
précis sur Crass?
Crass: Vu la façon dont j'écris probablement pas, mais je
l'espère tout de même!!
Grand merci à Véro pour la traduction.
O.M.G ! & LA BIBLE
septembre 198I.