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Lu sur Oulala.net : "« Le travail doit être remis à l'honneur ». (Alain Juppé, Le Monde, 29 avril 2003). Le champ d'honneur où crèvent les soldats, jeunes gens fauchés par la mitraille et couchés dans la boue au lieu de se coucher dans l'herbe haute pour y jouir de leur jeunesse, va de nouveau fleurir de sombres couronnes et de tristes médailles. Fils bâtard de l'esclavage et de la torture, le travail revient à l'honneur, en même temps que la guerre, avec la famille et la patrie pour sinistres fiancées. La famille pour reforger la discipline, et la patrie pour fermer sur la liberté le couvercle de l'autorité. Honneur au travail, à la souffrance des corps asservis, à la brisure des volontés. Honneur à la bêtise, promue vertu publique au rang d'institution. Honneur aux ordres, aux consignes, aux directives, aux instructions, à tout ce qui oblige l'obéissance et façonne le caractère des imbéciles. Honneur aux jouissances mortes, à la vie gaspillée, aux plaisirs laminés.
Honneur aux cons. Aux petits chefs. Aux grands chefs. Aux têtes d'aboyeurs, avec ou sans casquette. Honneur à la pointeuse, au temps découpé en tranches de vide, à la vie résumée en plages horaires. Honneur à la décrépitude programmée, à la sénilité précoce des clercs diligents, serviteurs dévoués, cadres motivés, employés consciencieux et autres larbins satisfaits. Honneur aux courbettes, à l'humiliation chaque jour ravalée, aux mercis étranglés, aux menues gratifications octroyées en échange de besogneuses bassesses.
Honneur à l'arrogance des maîtres de forges ou de laboratoire, à la suffisance des négriers, à la morgue des capitaines d'industrie. Honneur au mépris souverain des actionnaires principaux pour les esclaves qu'ils salarient dans leurs entreprises. Honneur aux pachas modernes, dont la vanité luxueuse se gonfle de la sueur et du sang dont ils tirent profit. Honneur aux salopards.
Le travail remis à l'honneur restaurera la vigueur des punitions, des remontrances et des injustices. L'usure des corps bardés de médailles et de titres honorifiques servira d'argument pour briser la fierté de ceux qui refusent les chaînes de la servitude. L'honneur du travail cachera l'horreur du sort des travailleurs. On célébrera la grandeur de ceux qui ont sacrifié leur vie à leurs employeurs. On fera des statues d'ouvriers magnifiés. On citera en exemple les plus serviles d'entre eux, décervelés, vidés, anéantis par une existence de labeur honorable. Et de nouveaux petits stalines, délégués par les démocratiques conseils d'administration, pavaneront à la tribune pour regarder passer la glorieuse cohorte des héros du travail.
Le travail, toujours indexé à l'horreur, n'a pas fini de nous épouvanter. Choc et terreur sont ses mamelles de fer. Il plaît aux maîtres, et plie les humbles. Son long supplice ne rend digne que les cravates dont sont affublés les dignitaires du régime qui le célèbrent. Les seigneurs de jadis, nobles de naissance, savaient que le travail était le déshonneur par excellence. Le bas et vil peuple avait seul pour devoir de s'avilir encore plus dans le travail. Rien n'a changé, mais au temps d'aujourd'hui, les mots donnent des gifles à la réalité. La guerre y est baptisée paix, le pouvoir liberté, et le travail honneur. Pieux mensonges s'il en est, qui ne rendront pas bonheur à ce qui est la source de tous les malheurs : le travail des multiples uns rend quelques autres libres.
Paul Castella