Pascal est mort. Ce putain de cœur que tu avais aussi gros qu’un poing a cessé de battre et c’est vrai, comme tu disais parfois, que c’est con la vie. Mais il est aussi con de mourir. Tu étais ce qu’ils appellent un « casseur ». Parce que tu t’habillais de noir, balançais des œufs, des pierres ou des marrons – selon la saison – sur les flics, parce que tu luttais contre cette « démocratie », parce que tu désobéissais. Et tu étais ce que j’appelle un pote…
J’écris dans le brouhaha des réunions où nous n’étions pas d’accord, où nous disputions sans trêve le rôle et l’impact de l’État, de la répression et de l’action, dans la fièvre et la rage des occupations, dans l’impatience des veilles, les coups et les insultes des flics.
J’écris dans cette affiche qui dit ton emprisonnement et notre volonté de te sortir de là - coûte que coûte -, dans l’inquiétude des heures et dans ta faim, dans cette solitude multipliée où les pages de ton écriture brouillonne et précipitée nous arrivaient par fax ; ces pages auxquelles on tenait comme on tient à une promesse.
J’écris dans le visage de Pascale et de tes enfants que j’ai vraiment vu là pour la première fois quand ceux qui t’ont arrêté et tabassé sont aussi ceux qui ont tué Semira, ceux qui te regardaient avec les lunettes du pouvoir et n’imaginaient même pas que tu étais papa et qu’il y avait tes enfants qui sont les armes que l’on garde au fond de soi comme on garde un secret. Je devrai dire les occupations, les manifs, les réunions enfumées, les coups et le mépris. Dire aussi bien sûr ton « anarchisme », ta haine des flics et ta rage devant les centres fermés. Mais l’essentiel est ailleurs. Il est dans cette volonté de ne rien céder, de ne pas leur abandonner un pouce de ta vie, dans cette volonté de tout casser qui n’était que le versant le plus tranchant de ta soif de vivre. Il est dans cette éthique radicale de la liberté et dans cette évidence que lorsqu’une loi est injuste, il est juste de se révolter. Dans cette communauté de lutte enfin ; cette lutte dans laquelle tu désirais tant te consumer.
J’écris dans l’écho de nos conversations sur tout et sur rien, sur les filles et le temps qui passe, sur les livres, la lutte et la vie. J’écris dans cette souffrance que tu portais dans la voix comme une femme porte un enfant, dans la fragilité intacte de tes mains, dans les paroles suspendues aux cigarettes que tu faisais toi-même, dans les orages délavés de ton rire.
J’écris dans le silence assourdissant de cet après-midi de printemps où l’on m’a annoncé ta mort. J’écris parce qu’il ne me reste rien d’autre que de pleurer et de lutter quand lutter est la seule manière de ne pas oublier, de rester fidèle, et quand écrire est encore une manière détournée et pudique de pleurer.
Frédéric (22.04.2004)
à 15:30