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Histoire du chant de l’Internationale

lu sur cnt-ait. : "  Le chant de l’Internationale « ... L’Internationale est devenue un chant universel, parce qu’il a dans ses chants la sublimité d’un profond et délicat sentiment humain et la clameur des peuples en souffrance. »
-  Xavier GUILLEMIN. (« La Muse Rouge », num. 4, 3e année). C’était pendant les sombres journées de l’occupation nazie en Belgique et ailleurs. Nous venions d’écouter les radios de Londres et de Moscou, et nous n’étions pas encore remis de notre surprise, encore que nous devions nous attendre à tout avec cette drôle de guerre qui fut celle de 1939-44, N’empêche : Radio Moscou avait rayé de ses émissions le chant de l’Internationale, qui clôturait ses informations étrangères, on nous servait en remplacement un chant patriotique dont les paroles faisaient envie aux nationaux royalistes les plus fervents d’Angleterre, de Hollande et de Belgique, et il n’était jusqu’aux républiques bourgeoises de France et d’Amérique qui ne se réjouissaient de cette métamorphose spirituelle.

A quel mobile avait-on obéi au Kremlin ? Vraisemblablement aux sentiments exprimés et aux désirs sollicités par les chefs capitalistes, de ne point provoquer des heurts dans l’union de nationaux afin de sauvegarder l’unité, consolider ce pacte des Nations Unies, dans leurs luttes contre ce qu’elles étaient censées d’appeler fascisme ou hitlérisme. Par ces concessions, on se donnait des airs de savoir-vivre. Prétentions polies qui révélaient le désarroi dans lequel pataugeaient les nations dites unies qui faisant flèche de tout bois essayaient de galvaniser les esprits pour faire mieux accepter par leur population réciproque les sacrifices demandés pour la continuation de la guerre jusqu’au bout. Cela réussit à merveille, puisqu’il n’y eut guère de note discordante, tout au moins en apparence. Les hostilités plus ou moins terminées, chacun se replia sur ses positions utilitaires et opportunistes.

Une fois de plus, la classe ouvrière internationale avait été jouée par les bateleurs des gouvernements. L’union sacrée, cette sacrée union, avait donné à plein rendement si bien qu’un jour le monde se réveilla en présence d’une victoire sans lendemain.

C’était sinistre et lamentable. La guerre faite à grands renforts de slogans pour tuer le fascisme n’avait en rien liquidé la bête, au contraire, il fallut vite déchanter lorsqu’on s’aperçut que ce qu’on devait tuer était resté plus vivant que jamais dans l’esprit de beaucoup de monde. En fait, ce fascisme s’était installé de maîtresse façon dans les nations qui se disaient victorieuses parce que démocratiques. Ainsi se précise l’histoire...

L’édition de « La Librairie de Propagande Socialiste » du chant de l’Internationale, texte et musique, s’était vue jadis amputée du cinquième couplet. Ceci se passait bien avant l’entre-deux guerres, et l’édition à laquelle je me rapporte, est antérieure à la première guerre mondiale. En ces temps, la « Librairie de Propagande Socialiste » se situait au 60 du boulevard de Clichy, à Paris ; la couverture de l’édition à laquelle je fais allusion, est illustrée d’un dessin de Steinlein. Sur les drapeaux qu’agitaient des manifestants, le dessinateur avait inscrit : American Party of Labour, Parti Socialiste, Social Demokratie, Parti Ouvrier.

Voici les huit vers du couplet rayés dans cette édition :

Les rois nous soûlaient de fumées

Paix entre nous, guerre aux tyrans !

Appliquons la grève aux armées,

Crosse en l’air et rompons nos rangs !

S’ils s’obstinent ces cannibales

A faire de nous des héros,

Ils sauront bientôt que nos balles

Sont pour nos propres généraux

Ceci est pour le moins étrange. Il s’agit d’éclaircir ce mystère, sinon de tenter de l’expliquer aux jeunes générations, qui ignorent tout des subtilités de l’opportunisme politique.

Peut-être même que les anciens ne manqueront point de se souvenir des faits qui seront rapportés. Ainsi, les uns et les autres seront à même de tirer l’enseignement que comporte l’amputation volontaire de ce couplet de l’Internationale. Mais il n’y a pas que cela, puisque nous essayerons de conter la vie d’Eugène Pottier, auteur parolier de l’Internationale et de Degeyter, qui en composa la musique.

L’Internationale est devenue un chant universel. Il était utile qu’on en fixe l’histoire et l’évolution afin que « la clameur des peuples en souffrance » ne se perde point lamentablement en des litanies qu’on se plairait à psalmodier certains jours de cavalcades comme cela, hélas, s’est généralisé et plus encore depuis que la journée du Premier Mai a été décrétée fête nationale dans certains pays démocratiques.

Rappelons-le au seuil de ces pages d’histoire du chant de l’Internationale. Nous reviendrons sur cette stance qui marque l’essentiel de la lutte ouvrière contre les tyrans, et qui affirme également en un raccourci saisissant, l’esprit antimilitariste et de révolte qu’on se doit d’entretenir dans la classe ouvrière.

Autrement on reprendrait avec beaucoup d’à propos pour le compte de l’Internationale, ce que Jules Vallès écrivait pour la « Marseillaise » :

’« Elle me fait horreur, votre « Marseillaise » de maintenant. Elle est devenue un cantique d’État. Elle n’entraîne pas de volontaires, elle mène des troupeaux. Ce n’est pas le tocsin sonné par le véritable enthousiasme, c’est le tintement de la cloche au cou des bestiaux. »

Cette comparaison est pertinente, et combien elle est vraie, puisque les pontifiards, les hommes d’État, les ministres, sénateurs et députés, ont déjà fait de cette Internationale un chant romantique de victoire, sans esprit de révolte. Heureusement, les paroles sont là, qui viennent démentir l’humiliation et l’insulte.

II. - Le parolier de l’Internationale : Eugène Pottier

« C’est la lutte finale

Groupons-nous et demain

L’Internationale

Sera le genre humain ! »

C’est à Eugène Pottier que l’on est redevable de la poésie qui allait devenir un jour le chant de combat da la classe ouvrière : l’Internationale. Qui était Eugène Pottier ?

Lui-même, dans sa demande d’adhésion à la loge « Les Égalitaires », loge fondée à New-York par un groupe de proscrits de la Commune, donne sur ses origines ces quelques indications :

« Je suis né à Paris, le 4 octobre 1816, d’une mère dévote et d’un père bonapartiste. A l’Ecole des frères jusqu’à dix ans et à l’Ecole primaire jusqu’à douze ans, c’est à mes lectures de jeune homme que je dois d’être sorti de cette double ornière sans m’y embourber.

En 1832, j’étais républicain, en 1840, socialiste. J’ai pris une part obscure aux révolutions de 1848 : février et juin. Du coup d’État au 4 septembre, je demeurai intransigeant : participer avec les assassins du droit, c’est se prostituer. Après plus de trente ans de prolétariat, je m’établis dessinateur en 1864 ; les dessinateurs industriels n’avaient pas alors de chambre syndicale. A mon instigation, ils en fondèrent une qui comptait cinq cent membres avant la guerre et qui adhéra en bloc à la fédération de l’Internationale. C’est à ma coopération à ce mouvement que je dus d’être élu membre de la Commune dans le II, arrondissement. Jusqu’au 28 mai, j’y exerçai les fonctions de maire, après la prise de la mairie par les versaillais, je me repliai sur le XIe arrondissement. J’avais accepté sans réserve le programme de la révolution du 18 mars : autonomie de la Commune, émancipation des travailleurs ».

Voilà Eugène Pottier. J’ajouterai que durant cette période il croyait avoir accompli son devoir. II s’estimait favorisé, puisqu’il avait conservé sa vie et sa liberté à l’encontre de beaucoup de ses concitoyens, qui avaient perdu l’une et l’autre.

Eugène Pottier, avant de se rendre à New York, avait passé deux ans d’exil à Londres, et deux autres années à Boston. Ainsi donc, Eugène Pottier, que la mort avait épargné, lors du massacre ignoble de la semaine sanglante, offrira à la classe ouvrière son ardant amour qu’il n’avait cessé de témoigner aux humbles. Il va chanter pour le peuple et dénoncer les préjugés qui divisent les nations et fait reculer les haines et lève l’étendard d’une révolte saine et juste.

Contre cette trinité oppressive, qui courbe l’homme, en fait trop souvent un résigné, il va lui, avec ses chants, réveiller les endormis, flageller les endormeurs et dresser une protestation vigoureuse contre la religion, le militarisme et la propriété individuelle. Il va chanter la révolte, dénoncer les imposteurs et préparer l’avènement d’un monde meilleur.

De lui, Jules Vallès écrira dans le « Cri du Peuple » :

« Celui-ci est un vieux camarade, un camarade des grands jours. Il était du temps de la Commune. Il a été exilé comme le fut Victor Hugo. Comme Hugo, il est poète, mais poète inconnu, perdu dans l’ombre.

Ses vers ne frappent point sur le bouclier d’Austerlitz ou le poitrail des cuirassiers de Waterloo ; ils ne s’envolent pas d’un coup d’aile sur la montagne où Olympio rêve et gémit. Ils ne se perchent ni sur la crinière des casques, ni sur la crête des nuées ; ils restent dans la rue, la rue pauvre. Mais je ne sais pas si quelques-uns des cris que pousse, du coin de la borne, ce Juvénal de faubourg, n’ont pas une éloquence aussi poignante, et même ne donnent pas une émotion plus juste que les admirables strophes des Châtiments.

Certes, il n’y a pas à comparer ce soldat du centre au tambour-major de l’épopée ; mais sur le terrain, un petit fantassin qui, caché dans les herbes, tire juste, vaut mieux qu’un tambour-major qui tire trop haut.

Puis, par la largeur même de son génie, Hugo est trop au-dessus des foules pour pouvoir parler à tous les coins de leur cœur, il faut la voix d’un frère de travail et de souffrance.

Celui dont je parle a travaillé et souffert, c’est pourquoi il a su peindre, avec une déchirante simplicité, la vie de peine et de labeur.

C’est de cet autre côté maintenant qu’il faut tourner ses regards et sa pensée - du côté de la grande armée anonyme que le capital accule dans la famine et dans la mort.

Laissez là les porteurs d’armure et les traîneurs de tonnerr e ; on a assez léché leurs éperons ! Parlons de l’atelier et non de la caserne, ne flattons pas la croupe encore fumante des canons, mais escortons de nos clameurs de piété ou de colère ceux que la machine mutile, affame, écrase ceux qui ne peuvent plus trouver à gagner leur pain ; parce que leur métier est perdu ou parce qu’on les trouve trop vieux quand ils demandent, comme une aumône, le droit de crever à la peine.

Pottier, mon vieil ami, tu es le Tyrtée d’une bataille sans éclairs qui se livre entre les murs d’usine calcinés et noirs ou entre les cloisons des maisons gâtées, où le plomb à ordures fait autant de victimes que le plomb à fusil.

Reste le poète de ce monde, qui ne fait pas de tirades et se drape dans des guenilles pour tout de bon, et tu auras ouvert à la misère murée un horizon et à la poésie populaire un champ nouveau.

Elle est là, cette poésie, sous la casquette du vagabond qui finira au bagne, ou sous la coiffe honnête de la mère qui n’a plus de lait pour nourrir son petit ; crime et détresse se coudoient dans la fatalité sociale. Crie cela aux heureux ! et jette comme des cartouches, tes vers désolés dans la blouse de ceux qui, las de subir l’injustice et le supplice, sont gens à se révolter, car ils ont besoin qu’on les encourage et méritent qu’on les salue pendant qu’ils combattent et avant qu’ils meurent ! »

Mais peut-être serait-il intéressant de fixer quelques traits de ce petit bonhomme au regard vif et perçant. Empruntons à Ernest Museux ce portrait vivant :

« Ses yeux noirs, à demi cachés sous ses sourcils, dénotaient par leur scintillement, toute l’intelligence de son âme. Un pli très accentué à la jointure du nez et au front probant de la volonté et du courage. Ernest Museux : Eugène Pottier, Portrait d’hier. P. 37.

Il avait la voix douce et le sourire affable. A première vue, on n’eut pas soupçonné qu’il y avait en lui l’étoffe d’un grand poète, énergique tout dévoué à la classe ouvrière. Lui seul savait fouiller dans les replis du coeur du misérable pour y trouver les causes de sa souffrance. Ajoutez à ces qualités mâles une grande timidité qu’il conserva toute sa vie »

Voilà l’homme, voyons l’oeuvre.

III . Quelques remarques sur l’œuvre d’E. Pottier

On a coutume de médire des paroliers. Souvent on leur trouve peu de talent. Il faut avouer que dans l’ensemble la médiocrité est grande. Trop souvent, il nous est offert, sous prétexte de chansons, une suite de strophes dont la valeur poétique est des plus contestables. Sans doute, peut-on pour certains - il s’agit ici du chansonnier - excuser la légèreté de la composition, obligés qu’ils sont de plier la beauté ou la richesse de leurs vers aux nécessités de l’actualité, et dame, il faut parfais que quelques concessions soient faites, sans pour cela trop nuire à l’ensemble du sujet parolier. Cette remarque, empressons-nous de l’ajouter, ne s’applique point à Eugène Pottier, non pas que tout soit parfait chez lui. Son oeuvre généreuse est comme toute celle qui doit son inspiration au fil de la vie, parsemée de quelques faiblesses, de quelques lacunes, mais l’ensemble atteste un artisan farouche qui a su dépeindre l’existence du monde des travailleurs.

On a dit d’Eugène Pottier qu’il a été l’incarnation du « poète du peuple » et Henri Avenel a magnifié celui qui léguait à son insu, ce chant de l’Internationale en lui donnant dans son livre : « Chansons et chansonniers » la première place parmi les poètes révolutionnaires. Nadaud, ce « chansonnier » de profession, comme l’écrit Jacques Chailles dans « La Chanson populaire française », à qui certains reprochaient la couleur politique de Pottier répondit : « Ne le boudons point parce qu’il est rouge ; c’est sa couleur à cet homme, nous n’y pouvons rien. Il était déjà rouge en 1848, quand je l’ai connu, il n’a pas déteint, c’est une qualité. »

Heureuse époque, où l’on savait être tolérant à suffisance envers un confrère de l’autre bord, lui reconnaître du talent, au point de faire les frais d’un recueil de ses chansons.

Bourgeois repu et délicat, Nadaud fit un sort aux chansons de Pottier en éditant « Quel est le fou ? » Ce « Maître en l’art du couplet » qu’était Nadaud avait su découvrir tout ce que contenait l’oeuvre du chansonnier.

Eugène Pottier consignait George Montorgueil à l’époque : « Était bien né poète celui-là », et quoique son livre encore aujourd’hui manuscrit, n’ait été communiqué que confidentiellement à un très petit nombre d’amis, certaines pages se sont envolées au delà du cercle intime et quelques hommes, dont la parole et la plume font autorité, pourraient confirmer mon jugement.

Eugène Pottier composa sa première chanson en 1831. Il avait quelque chose comme 24 ans.

Les idées de liberté se pressaient confusément en son esprit. « Vive la liberté ! » fut son chant de départ. La révolution de février lui donnera l’occasion de s’affirmer dans « Le peuple » :

Lorsque tombait la pluie fine et qu’un manteau de glace semblait peser sur tout Paris, que les pieds dans la boue et la mitraille en face,

Il y a quelque chose dans cette composition qui annonce quelqu’un. Ce quelqu’un va mêler la pensée et l’action et prendre part au coup de feu, aux barricades :

Poète et citoyen de France,

Aux Palais de Tyrans, de sa main amaigrie,

Il a gravé ces mots : « Vivre libre ou mourir !

Eugène Pottier chante : « Les arbres de la liberté », « J’ai faim », « Le petit oublié », « La mort du Globe », « Les buveurs de sang vont naître ».

Pottier fréquente un cénacle de la chanson où se rencontrent Gustave Mathieu, Pierre Dupont, Gustave Nadaud. Ce dernier, après avoir entendu un soir Pottier chanter une de ses oeuvres, fut fort ému de la fierté et de la véhémence de ses couplets révolutionnaires, et sans être entraîné par la doctrine racontait : « Je me passionnais pour le talent de cet homme qui se révélait soudainement. »

Pierre Dupont, ce même soir répondit à Nadaud, qui lui demandait son avis : « C’est un qui nous dégote tous les deux ».

Ainsi se précise la valeur de l’oeuvre d’Eugène Pottier. Un jour que des amis s’étaient présentés chez lui pour lui offrir aide et assistance, le poète indigent fit choix sans hésitation : « Qu’on publie mes oeuvres, et que je meure de faim ! »

Ainsi vit le jour « Quel est le fou ? », la première chanson qui ouvre le recueil qui datait 1849, nous étions en 1884. Trois ans après, par les soins de ses anciens collègues de la « Commune de Paris » fut publié « Chants révolutionnaires ». Henri Rochefort écrivit la préface, de laquelle j’extrais ces lignes : « Le poète, disons-le, le grand poète dont vous allez lire les chansons, n’a pas eu à se défendre, n’ayant jamais été attaqué » et le fameux pamphlétaire d’avouer « qu’il ignorait Eugène Pottier, que des amis, anciens compagnons d’exil, exaltaient comme un admirable chansonnier « d’une grandeur » et d’une pureté de style qu’on essayerait en vain d’extraire des flacons d’orgeat que Béranger a servis pendant vingt cinq ans à ses contemporains. »

IV. - Querelle de boutique

Dans le Grand Dictionnaire Socialiste du Compère Morel qui fut édité après la première Guerre mondiale, nous trouvons au mot « l’Internationale » ces quelques lignes : « Chant officiel des socialistes dont le texte est d’Eugène Pottier et la musique d’Adolphe de Greyter, composé en 1871, l’Internationale fut éditée en 1894. »

Nous étions à quelques années de cette paix malpropre qu’a été celle du Traité de Versailles. De ci de là, quelques socialistes avaient été membres des gouvernements démocratiques, certains même occupaient ou avaient occupé le ministère de la Défense Nationale.

La chose est pour le moins troublante et il est autorisé de faire un rapprochement.

D’autre part, l’on ne doit pas ignorer que l’édition de 1894 fut poursuivie et l’éditeur condamné pour provocation à la désertion, à la désobéissance et au meurtre dans l’armée. Compère Morel ne devait cependant pas craindre semblable mesure. Placé dans un « Dictionnaire », le texte entièrement reproduit ne pouvait être poursuivi. Il n’y a donc eu de sa part que pusillanimité, ce qui est impardonnable pour quelqu’un qui prétend fixer dans un dictionnaire l’histoire et les faits du mouvement politico-économique national et international du socialisme. C’est un véritable abus de confiance, une contre vérité qui mettent en doute la science, la sincérité et les connaissances de celui qui prend semblable responsabilité, le parti pris de Compère Morel est d’ailleurs proverbial et maints articles et études du « Grand Dictionnaire Socialiste » sont très contestables tant au point de vue historique que véridique.

Mais ce qui ne manque pas de saveur, ce sont les réflexions que publiait le journal « Le Peuple », de Bruxelles, organe du Parti Socialiste Belge, dans son numéro du 1er mai 1948. Relevant du Chant, que le « Drapeau Rouge », organe central du Parti Communiste de Belgique avait publié le 30 avril, la veille du 1er mai 1948, dans l’intention que l’Internationale jaillirait des milliers de poitrines enthousiastes qui défileraient derrière « les fiers et rouges étendards ouvriers qui claqueront dans le vent », l’échotier du journal « Le Peuple » écrivait : « Pour le 1er mai, les staliniens épurent l’Internationale », et d’ironiser au sujet de cette Internationale épurée : O démocratie, ô « résistants ». Pudiquement ajoutera ce journaliste : « Le Drapeau Rouge » censuré :

S’ils s’obstinent ces cannibales

A faire de nous des héros

Ils saurant bientôt que nos balles

Sont pour nos propres généraux.

Pour l’échotier du « Peuple » cette suppression serait le fait que les communistes staliniens ne désirent plus s’attaquer aux généraux, et autres maréchaux puisque cela devient embarrassant pour un parti qui utilise « la soldatesque pour imposer aux ouvriers de l’Europe un régime qui n’est ni moins brutal ni moins criminel que le régime hitlérien. »

On cacherait aux ouvriers les dures paroles du cinquième couplet de l’Internationale et il ajoutait : « Et demain on leur demanderait de ne plus le chanter du tout ». L’échotier du « Peuple » termine son papier : « Comme en U.R.S.S. précisément où la vieille Internationale a été supprimée par décret et remplacée par un hymne national odieux de chauvinisme. Mais que les staliniens belges se soient prêtés à ce truquage, voilà qui montre jusqu’où va leur servilité à l’égard de leurs maîtres, les dictateurs du Kremlin. Voilà qui prouve aussi combien nous avons raison de dire que nous n’avons rien de commun avec eux. » Il se peut que notre journaliste ait l’excuse de l’ignorance de la « jeunesse », ce qui l’autorise avec une naïveté déconcertante à s’en prendre à ses confrères communistes staliniens.

Mais force nous est de lui conseiller avant de se lancer dans une polémique de consulter le « Grand Dictionnaire Socialiste » du fameux Compère Morel. Avant d’écrire, trempez sept fois votre plume dans l’encrier, cela évitera bien des bévues, car il y a belle lurette que les socialistes, eux, ont supprimé le dit couplet.

Mais puisqu’on cache aux ouvriers certaines « dures paroles » de l’Internationale, puisque pour les prolétaires, les partis socialistes et communistes déforment la vérité et n’hésitent point à faire une entorse à un texte selon les besoins de l’heure, analysons donc le contenu de cette internationale afin de lui restituer, aux yeux des travailleurs, sa véritable signification qui fut celle qu’Eugène Pottier lui imprima en la composant, la situant dans l’atmosphère. Voici ce qu’écrivait Fernand Després dans un article publié dans le journal « L’Humanité » du 7 mai, 1923 sous le titre « Eugène Pottier et l’Internationale » :

« Dans Paris en ruines montait la pestilence des cadavres. La soldatesque cherchait de nouvelles victimes. »

Les communaux qui avaient pu échapper au massacre étaient obligés de se cacher pour fuir, à la première occasion, la ville infestée de délateurs et de sicaires. »

Eugène Pottier, traqué comme tant d’autres vaincus d’un grand conflit social, écrivit dans cette heure douloureuse son immortelle Internationale. »

V. - Quelques commentaires sur le texte de l’Internationale

C’est en juin 1871 qu’Eugène Pottier rime les couplets de ce chant, au lendemain de cette répression sauvage qu’illustrera la défaite des communards, alors que dans Paris, il cherchait à se soustraire aux conseils de guerre versaillais.

Mais il fallut attendre la fin de 1887 pour que fut publiée « L’Internationale » dans un recueil de chants révolutionnaires où Rochefort en fit la préface.

Entre-temps Pottier était rentré en France après l’armistice de 1879. S’il n’adhère à l’époque à aucune des organisations socialistes constituées, c’est qu’il lui semble difficile de faire un choix. Par sympathie il se sent attiré vers Guesde et le Parti Ouvrier, cependant il ne cesse de collaborer au « Socialiste » qui, à l’époque est l’hebdomadaire central du Parti Ouvrier Français.

Le 6 novembre 1887, Eugène Pottier meurt. Paris lui fait des funérailles grandioses. Dix mille personnes, des centaines de drapeaux, suivent le corbillard. Au cimetière, ce fut une avalanche de discours : Eugène Fournière, Edouard Vaillant, Louise Michel y prirent la parole.

Certes, on peut contester une certaine valeur littéraire de « L’Internationale », cette poésie n’est d’ailleurs pas la meilleure des chansons d’Eugène Pottier, mais cela ne nous préoccupe pas outre mesure.

Ce qu’on ne peut discuter, c’est la caractéristique que « L’Internationale » présente au point de vue propagande. C’est pourquoi il ne s’agit point de clamer ce chant en ignorant la valeur des paroles que l’on crie. Il faut s’en pénétrer, en saisir la portée et en connaissance de cause, alors l’affirmer comme un chant de révolte, de revendications, d’espoir et d’espérance. « L’Internationale » est un poème qui exprime dans ces six couplets, les conceptions essentielles du monde socialiste.

L’amputer, en changer le texte, c’est commettre une goujaterie sans nom envers son auteur et envers l’idée qu’elle représente dans ces strophes, où Eugène Pottier a condensé le meilleur de son idéal de socialiste et de révolté.

Voici tout d’abord l’appel à l’action. La classe ouvrière doit prendre conscience de sa force et agir en conséquence.

I

Debout les damnés de la terre,

Debout les forçats de la faim ;

La raison tonne en son cratère,

C’est l’éruption de la fin.

Du passé, faisons table rase :

Foule, esclave, debout, debout,

Le monde va changer de base,

Nous ne sommes rien, soyons tout.

Eugène Pottier est un ancien communard. Il n’ignore point que déjà, les belles idées et associations sont utilisées ou encombrées par des arrivistes qui essaient d’utiliser le dynamisme de la classe ouvrière à des fins contestables et s’efforcent de la détourner des véritables chemins de la libération.

II

Il n’est pas de sauveurs suprêmes,

Ni Dieu, ni César, ni Tribun,

Producteurs sauvons-nous nous-mêmes,

Décrétons le salut commun.

Erreur voulue ou non, l’Internationale, publiée en ce 1er mai 1948 par le Parti communiste de Belgique portait ni Roi... au lieu de ni Dieu. L’opportunisme politique jouait-t-il en l’occurrence ?

On sait qu’à l’époque, la question royale préoccupait les esprits en Belgique. Il s’agissait de juger du comportement du roi Léopold III, de Belgique, vis-à-vis de l’occupant, et son attitude trouvait force réprobation dans les milieux socialistes et communistes, voire libéraux.

D’autre part, on ne pouvait négliger la clientèle électorale, catholique ou chrétienne ; le ni Dieu pouvait nuire au recrutement clérical chez les croyants. Pourtant, on ne devait point s’y méprendre.

La trinité était d’une signification symbolique, et Eugène Pottier avait synthétisé dans cette strophe « Ni Dieu, ni César, ni Tribun » l’essentiel des manifestations autoritaires que les producteurs se devaient de combattre pour leur salut commun.

Le Dieu représentait la religion, le César personnifiait le gouvernement, tandis que le Tribun avait trait à la politique.

Encadré de ces strophes :

Il n’est pas de sauveurs suprêmes,

Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes,

la confusion n’était guère possible. Cette trinité : Dieu, César, Tribun, c’était à l’époque où Eugène Pottier composa son « Internationale » le leitmotiv de tout ce qu’exprimait le « programme » revendicatif des luttes pour la délivrance du genre humain, esclave du monde capitaliste qui reposait son autorité sur la religion, le gouvernement ou l’Etat et la politique que servaient les valets qui s’étaient vendus corps et âme au régime d’iniquité, qui tolérait et justifiait l’exploitation de l’homme par l’homme.

Dans une poésie - parmi ses oeuvres inédites - voici « Simples conseils », de laquelle je retiens la seconde strophe : Dans l’Etat, le pouvoir se fonde

sur les méfaits, sur les forfaits.

Faut-il donc faire un nouveau monde ?

- Fais !

Eugène Pottier, ici encore dénonce l’Etat ; l’Etat que même G. Clémenceau, au Sénat français, le 17 novembre 1903 accusait en ces termes : « L’Etat a une longue histoire, toute de meurtres et de sang. Tous les crimes qui se sont accomplis dans le monde, les massacres, les guerres, les manquements à la foi jurée, les bûchers, les tortures, tout a été justifié par l’intérêt de l’Etat, par la raison d’Etat. L’Etat a une longue histoire, elle est toute de sang. »

En outre, dans sa critique de l’Etat, Eugène Pottier ne précisait point le genre d’Etat auquel il faisait allusion. Comme il avait raison, et comme il fut prévoyant, et l’Internationale reste éternellement vraie, face à l’Etat, quelle que soit la structure dont on cherche à l’accommoder.

III

L’Etat comprime et la loi triche,

L’impôt saigne le malheureux.

Nul devoir ne s’impose au riche,

Le droit du pauvre est un mot creux.

Dénonçant l’exploitation du régime capitaliste, Eugène Pottier résume en six strophes l’économie inhumaine qui frustre le travailleur de son labeur.

Hideux dans leur apothéose

Les rois de la mine et du rail

Ont-ils jamais fait autre chose

Que dévaliser le travail ?

Dans les coffres-forts de la banque

Ce qu’il a créé s’est fondu.

Mais Eugène Pottier affirmera dans les deux strophes qui terminent ce quatrième couplet, la « légalité » de la reprise par les travailleurs de ce dont ils ont été dépouillés, c’est en quelques mots la légitimité de l’expropriation par la révolution.

En décrétant qu’on le lui rende,

Le peuple ne veut que son dû.

Et nous voici à ce fameux couplet qui est devenu promettant pour nos socialistes comme pour nos communistes, embourbés dans le parlementarisme, la dictature et tous les compromis qu’implique cette politique réformiste, ni chair ni poisson. La proclamation de l’internationalisme a dû être remisée avec des sous-entendus, des réserves qu’impliquaient ces collaborations nationalistes et ces fantaisies du socialisme ou communisme nationaux. La haine à la guerre s’est sensiblement transformée. Du bout des lèvres on murmure bien encore quelques imprécations contre le dieu Mars, mais des résolutions viriles auraient pu arrêter les massacres, tout a été abandonné ; la grève aux armées la crosse en l’air, thèmes désuets depuis que tous et chacun ont accepté de se battre pour la défense des régimes capitalistes qui pour mieux faire avaler « la couleuvre » entouraient les guerres de beaux mots : liberté, justice, civilisation !

Les rois nous soûlent de fumée,

Paix entre nous, guerre aux tyrans.

Décrétons la grève aux armées

Crosse en l’air et rompons nos rangs.

C’était net au moins, à force d’être clamés, ces mots d’ordre auraient pu devenir une réalité. Pourquoi alors ralentir l’élan spontané des masses entrainées par le subvertivisme de ces quatre strophes.

Oui, pourquoi ? La peur des responsabilités ? Peut-être, mais ne fallait-il pas donner des gages pour participer dans les gouvernements de ces sociétés anonymes policées et ordonnées.

S’ils s’obstinent ces cannibales

A faire de nous des héros,

Ils sauront bientôt que nos balles

Sont pour nos propres généraux.

Pourquoi cette jeunesse anti-militariste a-t-elle été dévirilisée semblablement par les aînés qui acceptaient leur sacrifice, mais se refusaient, eux, à sacrifier quoi que ce soit de leur quiétude ?

Enfin, Eugène Pottier affirme dans son poème, l’espoir pour le monde des travailleurs d’une libération prochaine. Leurs efforts conjugués chasseront les exploiteurs pour faire régner la paix sur la terre.

Ouvriers, paysans, nous sommes

Le grand parti des travailleurs.

La terre n’appartient qu’aux hommes,

L’oisif ira loger ailleurs.

Combien de nos chairs se repaissent ?

Mais si les corbeaux, les vautours

Un de ces matins disparaissent,

Le soleil brillera toujours.

Après chaque couplet, Eugène Pottier avait trouvé pour le refrain quelques strophes laconiques, pleines de ferveur, de fermeté et d’allant :

C’est la lutte finale,

Groupons-nous et demain,

l’Internationale

Sera le genre humain !

Il faut avoir entendu, repris par des milliers de voix ce refrain pour se rendre compte du dynamisme qu’il transporte. Encore faut-il que ceux qui le chantent en aient compris la signification et l’ayant comprise, désirent sincèrement réaliser ses aspirations !

Après plus de soixante quinze ans, il faut bien le constater, hélas, les désirs exprimés par Eugène Pottier, dans son poème l’Internationale, sont loin d’être réalisés.

Trahie, déformée par une armée de saltimbanques de la politique d’arrivistes et de faux frères, la pensée exprimée dans son chant l’Internationale s’en est allé à vau-l’eau. Cette Internationale n’est plus pour beaucoup qu’un chant du souvenir que l’on ressort les jours de fêtes officielles, ou de réceptions ouvrières, et ceux qui l’entonnent le font sans foi ni espérance, sans conscience ni conviction. Rares sont ceux qui continuent à lui donner sa signification réelle et profonde d’un hymne superbe qui renferme en même temps que les rancoeurs, toutes les aspirations des déshérités, et fait d’Eugène Pottier le poète révolutionnaire par excellence.

VI. - L’auteur de la musique de l’Internationale : Pierre ou Adolphe ?

« La chanson appartient surtout au peuple. C’est dans le coeur et dans l’âme des travailleurs, des foules plus ou moins malmenées et opprimées, des campagnes et des villes, qu’elle a trouvé ses plus forts et plus beaux accents. Il semble que la souffrance et les aspirations des masses s’expriment surtout dans ces cris de musique ou dans ces brèves plaintes mélodieuses que sont les chansons. Dans le trésor artistique il n’est rien de plus précieux que l’ensemble des chants de révolte, de résignation, de douleur ou de douceur qui sont nées spontanément, semble-t-il du sein de la multitude. » - Henri Barbusse. - Lettre à la « Muse Rouge ».

Le chant de l’Internationale a été interprété pour la première fois le 8 juillet 1888. Eugène Pottier est mort le 6 novembre 1887. Il n’a donc jamais entendu chanter son poème. Ce fait extraordinaire autant qu’étrange méritait d’être signalé. On doit savoir qu’Eugène Pottier publia ses chansons en deux recueils. Le premier fut édité en 1884 sous le titre « Quel est le Fou ? ». Le second est daté de juin 1887, il s’intitulait « Chants révolutionnaires ». Il est préfacé par Henri Rochefort.

De cette préface nous cueillons ces quelques lignes : « Qu’on dégote ces quelques strophes du premier morceau, Jean Misère. N’est pas profond comme Lammenais et coloré comme Ribeira. » Jugez-en par ce premier et ce dernier couplet :

Décharné, de haillons vêtu,

Fou de fièvre, au coin d’une impasse,

Jean Misère s’est abattu.

Douleur, dit-il, n’es-tu pas lasse ?

Ah ! mais...

Ça ne finira donc jamais...

A la morgue où coucha son corps

Et tous les jours, dalles de pierre,

Vous étalez de nouveaux morts.

Les otages de la misère.

Ah !, mais...

Ça ne finira donc jamais...

« Après les massacres de 1871, écrit Rochefort, le vieux combattant a senti la poudre et tout le sang répandu lui a remonté à la gorge. Ah ! les Versaillais peuvent être tranquilles. Leur mémoire ne périra pas. Ils ont trouvé leur Juvénal... »

C’est donc en juin 1871, à Paris, qu’Eugène Pottier composa l’Internationale. L’auteur la dédia à son collègue de la Commune, au citoyen Gustave Lefrançais.

Comment s’est-il fait que ce chant perdu parmi d’autres dans ce volume oublié, « Chants révolutionnaires », ce chant dont on ne fait même pas allusion, dans les articles qui seront consacrés à Eugène Pottier au lendemain de sa mort, devait sortir de l’obscurité et prendre un jour l’essor que nous lui connaissons ?

En janvier 1888, P. Argyriadès, bien connu par ses almanachs, publiait une brochure de vingt-quatre pages, consacrée à Eugène Pottier, dans laquelle l’Internationale n’est pas citée parmi les poèmes et les chants dont il est fait allusion.

La poésie de l’Internationale existait depuis dix-sept ans déjà, quand un membre de la chorale « La Lyre des Travailleurs » adapta aux paroles de Pottier un motif musical entraînant.

« La Lyre des Travailleurs » avait été organisée au sein de la Section Lilloise du Parti Ouvrier. Laissons Alexandre Zévaes, nous conter ce qu’elle était : « Cette chorale se réunit à l’Estaminet de la Liberté, tenu, rue de la Vignette, par le camarade socialiste Gondin. Elle chante le « Bûcheron de la Fournaise », le « Forgeron de la Paix », les « Hymnes plus ou moins démocratiques de l’époque. »

Ceux qui ont vécu dans ces régions n’ignorent point du tout ce que représentent ces chorales, souvent aidées et encouragées par quelques mécènes mélomanes. La musique est fort prisée, les répétitions suivies, la passion est vive et avec la bonne volonté, les connaissances qui s’acquièrent, produisent des miracles. Quelques-unes de ces chorales ont une réputation étendue. N’ont-elle pas donné de grands noms au monde des théâtres, quelques basses et ténors dont la réputation est devenue mondiale ?

Pour ce qui est de la « Lyre des Travailleurs », l’un de ses organisateur, G. Delory, qui allait devenir un jour maire de Lille, soucieux de voir interpréter par la chorale quelques chants plus conformes à la propagande socialiste, ayant pris connaissance du recueil des « Chants révolutionnaires » de Pottier, qui venait d’être édité, eut son attention attirée par un chant qui s’intitulait « L’Internationale ».

L’idée lui vint d’en faire composer une musique. Il s’adressa à Degeyter, l’un des membres de la « Lyre des Travailleurs », qui avait la réputation de composer des airs.

Il lui confia le recueil de Pottier, lui signala ce chant tout particulièrement, et lui demanda de composer sur ces vers, quelque chose d’entraînant.

Deygeter, après une répétition de la chorale, nanti du recueil de Pottier, se met à l’oeuvre. Il est littéralement emballé par les paroles du chant de l’Internationale, les vers de Pottier l’inspirent et voilà les notes et les phrases musicales qui se succèdent.

Musicien, Degeyter l’était. Ce militant ouvrier, monteur aux ateliers de Fives-Lille, avait suivi le soir les cours de musique au conservatoire de Lille. Il jouait divers instruments et composait.

A quarante ans, aidé d’un modeste harmonium, il écrivit la musique de l’Internationale. Les jours suivants Degeyter porte le brouillon de sa composition sur lui, à l’atelier ; il en parle et se confie à ses amis Thoilliez, puis à d’autres. Il apporte de ci de là quelques légères modifications, et bientôt, « La Lyre des Travailleurs » se met à apprendre l’Internationale.

A la fin de juillet 1888, la Chambre Syndicale des Marchands de Journaux organise une fête où « La Lyre des Travailleurs » prête son concours. Au programme est inscrite l’Internationale, qui sera chantée pour la première fois en public.

Cependant l’Internationale ne dépasse pas la région. Elle va bien être propagée à Tourcoing, Armentières, Roubaix et même à Gand, elle reste ignorée au-delà ou au-deçà des frontières. La première édition du Chant de l’Internationale fut tirée à 6.000 exemplaires. Dans cette édition, le nom de l’auteur de la musique n’est pas précédé de son prénom afin d’éviter les susceptibilités de Pierre Degeyter, frère du compositeur présumé. Ceci demande des éclaircissements. Les voici : Une querelle était née entre les deux frères, Adolphe et Pierre, pour savoir qui était l’auteur de la musique de l’Internationale.

Pierre Degeyter en 1903 rendait visite à J. B. Clément, qui avait imprimé une édition de l’Internationale en faisant figurer le nom d’Adolphe sur la couverture, et lui apportait le manuscrit original authentique de la musique qui avait été utilisée pour l’édition originale de 1888. L’erreur fut par la suite réparée.

Pourtant, deux hommes se disputèrent la gloire d’avoir composé cette musique. Les procès et les controverses ne parvinrent guère à prouver qui en fut l’auteur ; historiquement parlant, c’est Pierre Degeyter.

L’attribution ne sembla point contestée au moment où, en décembre 1903, Louis Lumet publiait une biographie de Pierre Degeyter dans la « Petite République » , pas plus d’ailleurs qu’aux fêtes du P.O.B., où Pierre Degeyter avait été invité. Alors qui, Pierre ou Adolphe ?

On leur prêtait à tous deux un amour de la musique. La question des droits d’auteur devait faire surgir la rivalité entre les deux frères. De 1904 à 1922, ce fut une suite de longues péripéties devant les tribunaux, chacun tour à tour vainqueur des enquêtes et contre-enquêtes. En 1914 le tribunal de la Seine trancha le débat en faveur d’Adolphe. Pierre a-t-il interjeté appel ? La guerre de 1914 survint. Un arrêt du 23 novembre 1922 proclama Pierre Degeyter auteur de la musique de l’Internationale. Que s’est-il passé ?

On sait que Louis Bergot, un Lillois de vieille souche, témoignait qu’à la demande de Delory il alla lui-même trouver Adolphe Degeyter et non son frère Pierre pour lui demander de composer la musique du chant révolutionnaire.

Cette version semble quelque peu contraire à celle que nous offre l’histoire que nous apportent certains biographes. Mais voici que le magazine « Vu » reproduisait le fac-similé d’une lettre écrite par Adolphe avant son suicide en 1916. La teneur de cette lettre, orthographe respectée, la voici :

Lille, le 26 avril 1915. « Cher Frère dans la terrible tourmente que nous traversons ne sachant comment cela finira je Remet à tan Beau Frère Dubart cette letre la décaration que j’aurai faite moi même si je devai venir à Paris au moment de ton appel.

voici

je n’ai jamès fait de Musique encore moin l’internationale si j’ai signé, une feuil elle a été préparer Par delary qui ma venu trouver a latelier comme tu sai et je travillier Pour la ville et delory étant Maire je nosés rien lui Refuser. Par crinte de Renvoi et comme tu avez dit que avez esigne la Musique de l’internationale de Degeyter si cela pouvez nous servir à quelque chausse que cétai à nous, je nai Pas cru tan Mal faire en signan ce Papier et encor il ne ma Pas dit pourquoi cétait faire.

si je t’écrit c’est Parceque l’on ne sai pas ce qui peu arivé ne menveu pas pour cela si je pouvez te le remettre moi même je serai Bien heureux. (s) Aphe Degeyter

Cette lettre provoqua en 1922 le revirement de la justice en faveur de Pierre, mais connaîtra-t-on jamais la vérité ? En 1921, au moment de la scission du S.F.I.O., Pierre Degeyter adhéra au P. C. et en 1927, il assistait aux fêtes du 10e anniversaire de la Révolution Russe.

VII. Les débuts de la renommée

Dès 1894 le secrétaire de la mairie, Armand Gosselin, ancien instituteur, publia une édition populaire de l’Internationale. Il est poursuivi, accusé de provocation au meurtre à cause des paroles du cinquième couplet. Le 11 août 1894, déféré aux assises de Douai, notre éditeur amateur est condamné à un an de prison et à cent francs d’amende.

Tout cependant passa inaperçu ; Jules Guesde, lors d’une conférence à Calais, rappellera le fait, parce qu’une collecte organisée en faveur de Gosselin suscita une demande de renseignements.

« Le Socialiste » du 8 septembre 1894 rapporte l’explication de Guesde où il est dit que le couplet incriminé par le jury « ayant trait, étant écrit sous l’empire, aux armées des despotes et que, par cette condamnation la justice bourgeoise prenait fait et cause pour les traîtres et les lois des conjurés dont parle la Marseillaise ».

A ce sujet Zévaes fait remarquer que Guesde commet une légère inexactitude, attendu que l’Internationale est postérieure à la guerre et à la proclamation de la République. Le 14 septembre 1894, au XIIe Congrès national du Parti Ouvrier, la condamnation de Gosselin est de nouveau invoquée. On y vote un ordre du jour de protestation en faveur de victimes de la réaction, l’Internationale n’y est pas citée, on parle d’un chant révolutionnaire de Pottier. « La Jeunesse Socialiste » de mai 1895, signale Zévaes, publia une étude consacrée à l’oeuvre de Pottier, là non plus l’Internationale n’était pas signalée par Henry Pécry, auteur des pages sur le poète Pottier.

En 1896, le 20 juillet, s’ouvre le XIV° Congrès National du Parti Ouvrier Français. C’est à ce Congrès seulement que l’Internationale va prendre son essor.

Des délégués étrangers assistèrent à cette réunion : allemands, autrichiens, espagnols, roumains, la réaction Lilloise mobilise ses adhérents, le P. O. appose sur les murs de Lille une affiche sur laquelle est fait un appel à la population travailleuse de Lille pour venir saluer les « frères du dehors ». Le 23 juillet à 21 h, le cortège se dirige vers le palais Rameau. La collision se produit entre les nationalistes et socialistes. Les uns chantent la Marseillaise les autres l’ Internationale. C’est la cohue, mais le peuple ouvrier, écrira le « Réveil du Nord » sort triomphant, et voilà mise en déroute la réaction Lilloise. L’ Internationale a été pour une bonne part paraît-il dans la victoire. Du coup, le chant va se vulgariser en France. On en retient les paroles, on enregistre la musique. Le rythme est engageant, les paroles de Pottier, la musique de Degeyter conquièrent les coeurs et l’âme du peuple. A dater de ce jour l’ « Internationale » s’imposait dans les réunions ouvrières. Au début de décembre 1899, le Congrès Socialiste Français tient au Gymnase Japy, à Paris, ses assises. Au moment de sa clôture, Henri Ghesquière, délégué du Nord monte à la tribune et chante l’ Internationale et la salle reprend en choeur le refrain.

L’ Internationale était adoptée par le Parti Ouvrier Français. Cependant aux Congrès Internationaux, c’est toujours la Marseillaise qui est en l’honneur. Au Congrès de Bruxelles le 23 août 1891, Jean Volders, fait encore chanter la Marseillaise comme hymne révolutionnaire et ce n’est qu’au Congrés de Copenhague en 1910 que les délégués Français entonnent l’ Internationale, reprise par tout le Congrès. Mais l’hymne révolutionnaire n’a pas encore trouvé entière approbation, et des sections sont réticentes, l’esprit de la révolution française domine encore fortement chez certains socialistes. Les français eux, savent à quoi s’en tenir sur les bienfaits de la IIIe République. Ils préfèrent s’abstenir d’entretenir une légende qui ne peut que nuire à l’esprit de révolte qui doit animer la classe ouvrière. Ceux qui n’allaient pas tarder à trahir le peuple penchent plutôt vers la Marseillaise.

Voici octobre 1917, la Révolution Russe triomphe, les bolchevistes s’emparent du pouvoir et rejettent le Bojé-Tsara-Krani avec les symboles et attributs de l’ancien régime. L’ Internationale devient le chant officiel de l’Union Soviétique.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La deuxième guerre mondiale met aux prises hitlériens, fascistes, démocrates ( ?). L’U.R.S.S. s’allie avec les Etats démocratiques et ploutocratiques. Une nécessité s’impose, il faut arrondir les angles, éviter de froisser ses amis et alliés. On cesse à Radio Moscou, de jouer l’ Internationale après les émissions, comme c’était l’usage avant. On va même jusqu’à composer un hymne national soviétique. II devient l’hymne nouveau, accepté par tous, la diplomatie a sauvé la face des choses.

Ie mai 1948, le « Peuple » de Bruxelles publie le communiqué suivant : « Nouveau Chant militaire en U.R.S.S. Le premier prix du « meilleur chant militaire, vient d’être attribué au compositeur Krouchinine. qui a composé une musique martiale sur des paroles de Borodowski. Les deux lauréats recevront 15.000 roubles. » Le patriotisme coule à pleins bords dans le nouvel hymne, dont la phrase suivante constitue le refrain : « Nous sommes prêts à marcher au combat sur l’ordre de Staline »... Autrefois les Russes chantaient « Dieu protège le Tzar... ». Ce n’est pas la peine vraiment de changer de gouvernement. Ainsi donc, le chant universel du socialisme a fait le tour du monde. Certains, ont tenté de le plier à leurs fins politiques, étatiques, mais il est trop compromettant pour servir les desseins fossoyeurs des révolutions. Chaque fois que l’on a voulu l’utiliser pour des fins inavouables, il s’est dressé contre les prétentions stupides de ces renégats. Il a rompu les amarres qui prétendaient entraver sa force dynamique. Il faussa compagnie aux imposteurs, toujours il réservera de durs lendemains à tous ceux qui ne font que chantonner ces paroles de Pottier, si pleines de révolte à venir.

Et comme un appel de conscience aux pleutres, aux démagogues, aux renégats, le couplet dont on veut se débarrasser resurgit plus vivant que jamais au lendemain d’une seconde guerre mondiale, et, alors que l’on s’apprête à lancer le monde ouvrier dans de nouvelles boucheries, ces strophes resurgissent, elles sont là pleines de révolte :

Les rois nous soûlaient de fumées

Paix entre nous, guerre aux tyrans

Décrétons la grève aux armées

Crosse en l’air et rompons nos rangs.

S’ils s’obstinent ces cannibales

A faire de nous des héros,

Ils sauront bientôt que nos balles,

Sont pour nos propres généraux.

Paroles que l’on fera bien de méditer, chez les uns et chez les autres et de ne point oublier leur véritable signification. Mais demain, que chanterons les armées des pays de l’U.R.S.S. et de la Chine, si elles s’entretuent au nom des prestiges et des dictatures des états totalitaires ? Qui vivra verra. (1970)

CNT/AIT


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Ecrit par patrick83, à 18:02 dans la rubrique "Culture".



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