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« Un article récent, « Les causes historiques de la xénophobie dans l'ancienne Allemagne de l'Est » (http://www.zzf-pdm.de/papers/thesp.html), publié par le Centre pour la recherche historique contemporaine à Potsdam, soutient fermement cette deuxième opinion. Les trois auteurs, Jan C. Behrends, Dennis Kuck, et Patrice G. Poutrus, considèrent que les causes de la xénophobie sont le traitement et la perception des « inconnus » dans la RDA, et la politique nationaliste du PSU (Parti socialiste de l'unité, le parti de l'État stalinien).
Une de leurs thèses centrales est qu'« à la différence de la République Fédérale (l'Allemagne de l'Ouest), il n'y avait pas de critique publique des idéologies nationalistes, la nation allemande restait un important point de repère psychologique pour le régime et la population. La nation socialiste avait ainsi tendance à être imaginée comme une société fermée, dont les ressources devraient être inaccessibles aux 'étrangers' ('ennemis de classe' ou 'inconnu') ».
Cet article fut source de protestations virulentes, surtout dans les milieux du PSD (Parti du socialisme démocratique successeur au PSU). Un exemple typique est l'article de Thomas Ahbe publié par l'hebdomadaire Freitag, qui écrit que l'on « peut trouver assez de raisons pour l'extrémisme de droite à l'Est dans l'histoire des dix dernières années ». S'il fallait en croire Ahbe, l'article de Potsdam, selon lequel il faut chercher les origines de l'extrémisme dans la RDA, ne fait rien de plus que réactualiser la propagande du PSU, selon laquelle la rébellion ouvrière du 17 juin 1953 était un « putsch fasciste ». Dans les deux cas, le contenu du message est supposément le même : « ce n'est pas notre faute, ce n'est pas 'notre bon système' qui cause toutes ces difficultés momentanées, mais bien les forces maléfiques du passé ».
La façon par laquelle ils expliquent le présent à partir du passé ne fait pas avancer grand-chose. Il est évident, et les historiens de Potsdam ne le nient pas, que le déclin social et la désorientation politique de grandes couches sociales ont créé un terrain fertile pour l'extrémisme après la réunification. L'hostilité officielle du gouvernement envers les étrangers est sans doute un facteur important. On n'a qu'à considérer le traitement fait aux ouvriers vietnamiens après la réunification ou les restrictions au droit d'asile instaurées en réaction au pogrom de Rostock en 1992. Il est aussi impossible de nier que des tendances semblables existent en Allemagne de l'Ouest, mais quand même à un moindre degré.
Mais ceci ne répond pas à la question : pourquoi les slogans xénophobes et nationalistes ont-ils une telle influence sur sections assez importantes de la population de l'Allemagne de l'Est ? Cette question est d'autant plus urgente quand on considère que « l'anti-fascisme » et « l'internationalisme prolétarien » étaient à la base de l'idéologie officielle de la RDA pendant quarante ans, étaient enseignés dans toutes les écoles et donnaient lieu à beaucoup de fêtes nationales. S'ils ont laissé si peu de traces, la conclusion évidente est que « l'anti-fascisme » et « l'internationalisme » de la RDA avait quelque chose de fondamentalement faux.
On ne peut éluder cette question en affirmant, comme le fait Ahbe, que la recherche des causes de la xénophobie dans l'histoire ne servirait qu'à cacher les causes actuelles. Surtout si l'on soutient une alternative socialiste à la société actuelle, il est essentiel d'analyser d'une façon critique les expériences de la RDA et d'en tirer des leçons.
Le nationalisme dans la RDA
Les auteurs de l'article de Potsdam ont touché juste quand ils disent qu' « il n'y a pas eu de critique des idées nationalistes dans la RDA ». Ils écrivent que « la propagande au cours des années 1950 pour légitimiser que le PSU soit au pouvoir continuait l'ancienne tradition de justification nationaliste sans la moindre hésitation. À en juger par son discours, la RDA se voyait comme le vrai représentant de la nation allemande : un contenu socialiste dans une forme nationale ».
On peut facilement trouver dans l'histoire de la RDA les marques d'un nationalisme franc, particulièrement visibles dans la période où fut établi le pays, en 1949.
Le « Comité national pour une Allemagne libre », créé en 1943 sous la direction de Walter Ulbricht, chargé de la propagande soviétique en Allemagne, ne faisait pas appel à l'internationalisme d'un mouvement ouvrier, mais, comme l'indique le nom, au nationalisme allemand. Sa bannière utilisait même les vieilles couleurs impériales (noir, rouge, et blanc) au lieu des couleurs républicaines (noir, rouge, et doré).
Aussi longtemps que Staline a continué d'espérer que Allemagne serait neutre et qu'elle ne serait pas soumise au contrôle direct des puissances occidentales, les staliniens allemands se sont fait les défenseurs acharnés de la cause de l'Allemagne unifiée. Plus la guerre froide se développait et prenait de l'ampleur et plus leur nationalisme devenait hystérique. Leur nationalisme ne se limitait aux questions politiques. Par exemple, dans le domaine culturel, le PSU chantait les louanges de la nation d'une façon rappellant la politique culturelle des Nazis.
Comme exemple, nous citerons un discours donné en 1950 par le premier ministre du premier gouvernement de la RDA à l'occasion de l'ouverture de l'Académie allemande pour les arts. « Pour qu'un art vraiment grand et exalté se développe, il faut que l'unité de notre nation soit restaurée », a déclaré Otto Grotewohl. « Ce n'est pas contraire à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Car le plus une oeuvre d'art a de valeur pour le monde entier, le plus profondément ses racines sont jetées dans le sol de la nation ; si elle a une importance internationale, c'est qu'elle aura des caractéristiques, des origines, et une forme nationales ».
Et pour ceux qui n'auraient encore compris, il a rajouté que « La fuite désespérée des artistes allemands vers l'esprit cosmopolite, vers une citoyenneté mondiale mal comprise, vers l'abandon des particularités nationales n'est pas une solution, mais ne fait qu'affaiblir la volonté de vivre de son propre peuple et le rend incapable d'accomplir ses devoirs nationaux ».
L'ouverture du PSU aux anciens membres du NSDAP (le parti nazi) allait main dans la main avec cette propagande nationaliste. En 1949, le Front National était créé, unissant les membres de tous les partis et des organisations populaires sous le contrôle du PSU. Il a déclaré que l'impérialisme américain, qui « avait hérité du fascisme hitlérien dans la lutte pour la domination mondiale », était le seul ennemi et, pour ces raisons, a demandé la collaboration des « anciens officiers, soldats, fonctionnaires, et généraux de la Wehrmacht (armée allemande) ainsi que celle des anciens nazis. () Ce qui compte vraiment, c'est le point de vue de l'individu allemand dans cette grande lutte pour la libération du peuple allemand, et non pas son ancienne affiliation organisationnelle. »
Le PSU a créé le Parti national démocratique de l'Allemagne (NDPD) dans l'unique but d'accomoder les anciens nazis. Mais le NDPD s'est bientôt plaint que le PSU lui ravissait trop d'« anciens » (nazis). Au début des années 1950 le PSU avait 100 000 anciens membres du NSDAP, et le NDPD, bien plus petit, n'en avait que 4 000. Les anciens membres du NSDAP faisaient presque 9 pour cent des membres du PSU. Si l'on compte les anciens membres de la Jeunesse hitlérienne et d'autres organisations nazies, le chiffre atteint les 25 pour cent. Par contre, la proportion des anciens social-démocrates et communistes n'était que 16 pour cent, à causes des purges continuelles.
On peut facilement comprendre l'effet qu'ont eu ces changements dans la composition du PSU sur le climat public, surtout en relation avec la propagande nationaliste.
Ce n'était que dans les années 1960 et 1970 que l' « internationalisme prolétarien » a pris de l'importance dans la propagande du PSU. Mais, comme l'indique correctement l'article de Potsdam, celui-ci restait toujours lié à une doctrine publique officielle du « patriotisme socialiste ». L' « internationalisme » officiel était limité à des rites planifiés, qui aidaient à mobiliser le soutien public à la politique étrangère de l'État, tandis que « les voyages et le contact avec d'autres pays et leur culture était un privilège accordé qu'à une élite restreinte au sein du parti ».
On continuait à interpréter l'histoire de la RDA en termes nationalistes. La seule différence était qu'avec la détente, il n'y avait plus une mais deux nations allemandes, une socialiste et une capitaliste. Dans un article publié pour l'anniversaire de la création de la RDA, publié dans le journal Einheit en 1979 sous le titre « La naissance et la floraison de la nation socialiste allemande », on lisait que la RDA se développait de plus en plus en une « vraie communauté nationale » dans laquelle « la conscience socialiste nationale allemande » était consolidée et « le terme 'allemand' » prenait « un contenu plus riche » à cause de la fusion de l'Ethnos (le peuple) avec le socialisme.
Dans la dernière décennie de son existence, la RDA a vécu une renaissance des traditions et des vertus prussiennes contre lesquelles le mouvement ouvrier avait si durement combattu dans les premières années de son histoire. Le célèbre réformateur religieux Martin Luther, le roi de Prusse Friedrich le Grand, et le « Chancelier de Fer » Otto von Bismarck étaient redécouverts comme des symboles nationaux. Les philosophes réactionnaires Friedrich Nietzsche et Martin Heidegger se gagnaient une nouvelle réputation.
« Étrangers » dans la RDA
Les préjugés contre les étrangers ou les dissidents étaient presque automatiques dans un pareil climat idéologique. Les auteurs de Potsdam rappellent qu'il n'y avait pas d'étrangers « normaux » dans la RDA. On ne pouvait pas entrer dans le pays sans une invitation et un visa. La population n'avait presque aucun contact avec les gens d'autres pays et d'autres cultures.
Par rapport à sa population, il y avait très peu d'étrangers vivant en RDA : environ 190 000 dans un pays de 17 millions d'habitants. La plupart étaient des soldats soviétiques, qui vivaient dans des casernes où ils devaient obéir à une discipline très stricte et n'avaient donc qu'un contact limité avec la population allemande, et des travailleurs étrangers qui vivaient presque dans des conditions d'esclavage. Si, par exemple, une ouvrière vietnamienne devenait enceinte, elle devait retourner immédiatement au Vietnam.
Les auteurs de l'article de Postdam ajoutent que « Leur position légale était toujours précaire. La loi ne prévoyait pas de droit de résidence ; les autorités pouvaient se comporter comme des 'seigneurs dans leurs fiefs' avec les étrangers. Les immigrants politiques ne pouvaient pas prétendre à un droit d'asile ; leur séjour en RDA dépendait de leur loyauté envers le PSU. Pour garantir la paix sur le plan politique, ils étaient éparpillés partout en RDA et ainsi se trouvaient en grande partie isolés ».
D'autres préjugés étaient stimulés, selon l'article de Potsdam, quand « la population, particulièrement dans les années 1950, mais aussi plus tard, était encouragée à être 'en garde' contre 'les étrangers'. Dans le lexique de la propagande du PSU, des 'étrangers' pouvaient être 'des agents hostiles, des malfaiteurs, ou des saboteurs', à qui on ne pouvait faire confiance ».
Quand les manifestations ouvrières ont secoué la Pologne au début des années 1980, le PSU a commencé une campagne anti-polonaise. C'était à cette époque que le journal Neues Deutschland, contrôlé par l'État, a utilisé le terme péjoratif « pollack » pour décrire les Polonais. En 1988 une chanson populaire à succès, passée au crible de la censure omniprésente, avait pour paroles : « Je viens de la grande surface de Berlin, et je dois dire que les rayons sont vides. Sur tous les bancs et toutes les marches il y a des Polonais avec leurs familles ».
Dans les années 1980, on entendit les premières nouvelles sur les gangs skinheads d'extrême droite dans la RDA, qu'on appelait officiellement « Rowdys » (hooligans). Le journal Junge Welt a mentionné un procès en 1987 où « Pendant l'émeute, les Rowdys ont constamment hurlé des slogans de la période nazie, ce qui est un délit en RDA, où le fascisme a été exterminé avec toutes ses racines ».
Les skinheads attaquaient les cimetières et les monuments juifs, et, en octobre 1987, une réunion de punks et de dissidents dans l'Église zioniste de Berlin. Après cette attaque, la police a arrêté André Riechert qui fut condamné. Il était le fils d'un officier de la Stasi (Service de Sécurité de l'État) chargé de contrôler « l'extrémisme de droite ». En 1990, Riechert était cofondateur et représentant auprès de la presse du groupe néo-fasciste Alternative nationale (AN), qui a été déclaré illégal depuis. Riechert, qui est loin d'être un cas unique, est la personnification du fait que le nationalisme en Allemagne de l'Est est le rejeton de la bureaucratie dirigeante.
La thèse de responsabilité collective
Les auteurs de l'article de Potsdam comprennent qu'une des causes passées de la xénophobie actuelle est la doctrine officielle de l'ancienne RDA. Cependant, ils ne comprennent pas les motivations politiques qui ont encouragé les dirigeants de la RDA à adopter ce discours, et conséquemment, ils arrivent à des conclusions totalement fausses.
Ils maintiennent qu'après la défaite du régime nazi, « les stéréotypes racistes, nationalistes, et anti-bolcheviques disséminés par la propagande nazie » étaient largement acceptés par le peuple allemand, et accusent le PSU de ne pas assez considérer ce fait en formulant sa propre propagande : « Au lieu de parler ouvertement de la période nazie, pendant quarante ans ils ont essayé de communiquer à la population la perspective minoritaire des résistants communistes, qui s'étaient radicalement opposés au nazisme. La plupart des Allemands avaient ou bien soutenu le régime ou vécu avec, et ainsi dès la première période, il y avait un gouffre idéologique entre les expériences et les idées du peuple d'un côté et la propagande du PSU de l'autre ».
Ainsi, consciemment ou non, ils font leur la thèse principale que les autorités soviétiques et le PSU avançaient eux-mêmes pour justifier leur politique : la thèse de la « responsabilité collective » du peuple allemand, selon laquelle la vaste majorité des Allemands soutenait le régime hitlérien. Cette thèse avait deux buts : d'une part, elle cachait la responsabilité des staliniens pour l'arrivée au pouvoir d'Hitler et mettait le stalinisme à l'abri de toute critique, et de l'autre, elle justifiait la politique soviétique d'occupation et de démontage des usines que l'on renvoyait en URSS comme indemnisation de guerre.
D'un point de vue historique, la théorie de responsabilité collective ne tient pas la route. Chaque fois qu'ils pouvaient exprimer leur volonté plus ou moins librement dans des élections, la « plupart des Allemands » ont rejeté le Parti du socialisme national (le Parti nazi). Des millions d'ouvriers ont voté pour le KPD (Parti communiste) ou le SPD (Parti social-démocrate), et certains ont même combattu le fascisme l'arme à la main. Hitler devait sa victoire aux erreurs des deux grands partis ouvriers, le SPD, qui s'était accomodé à l'État bourgeois et ses institutions, et le KPD, qui, sous l'influence de Staline, a saboté la formation d'un front ouvrier contre les nazis.
Après 1933, les erreurs des partis ouvriers et l'utilisation immédiate par les nazis de la terreur généralisée, détruisant toute opposition à la racine, ont rendu toute résistance systématique quasiment impossible. Ainsi, beaucoup d'ouvriers ont été passifs, ou bien actifs seulement en petits groupes. Par contre, conclure de ce fait que pendant les douze ans de leur règne les nazis avaient acquis la sympathie de la plupart des Allemands est absurde. Après la capitulation de l'Allemagne nazie, des comités anti-fascistes sont apparus partout, d'habitude dirigés par des membres ordinaires du KPD ou du SPD qui prirent le travail de reconstruction en main.
Le mouvement nationaliste du PSU était dirigé contre cet anti-fascisme spontané. De nombreux documents historiques et témoignages personnels démontrent que le PSU a systématiquement dissout ces comités et conciliabules d'usine spontanés, les remplaçant par des organisations où les hommes politiques bourgeois avaient une forte présence.
Une des meilleures descriptions de cette époque se trouve dans le livre Enfant de la Révolution de Wolfgang Leonhard. Comme membre du groupe d'Ulbricht, Leonhard faisait partie du mouvement pour dissoudre les comités ouvriers. Leonhard ne laisse aucun doute sur l'importance de ces mesures : « Le stalinisme ne pouvait tolérer que des mouvements anti-fascistes, socialistes, ou communistes se développent d'initiatives des couches sociales inférieures, parce que de telles initiatives risqueraient toujours d'échapper à son contrôle et de ne pas se conformer aux ordres des couches supérieures. La dissolution des comités anti-fascistes n'était rien d'autre que la destruction du début d'un mouvement socialiste et anti-fasciste puissant et indépendant. C'était la première victoire des apparatchiks sur le mouvement indépendant anti-fasciste des couches de gauche en Allemagne ».
Le stalinisme et le nationalisme
Pour comprendre toute l'importance du parcours nationaliste du PSU on doit remonter aux origines du stalinisme en URSS dans les années 1920. A ce moment, le caractère international de la révolution socialiste était le point central de la dispute entre le groupe stalinien et l'Opposition de Gauche trotskyste. L'opinion de Staline que le socialisme pouvait se construire en un seul pays signifiait une rupture totale avec le point de vue internationaliste du marxisme.
Ce n'était pas uniquement une question théorique. Le point de vue nationaliste de Staline correspondait aux besoins de la bureaucratie naissante à l'intérieur du parti et de l'État, qui se développait en caste privilégiée et qui se sentait menacée par tout mouvement révolutionnaire, aussi bien à l'étranger qu'en URSS. En plus, ce mouvement trouvait un appui parmi les éléments réactionnaires imbus des traditions de chauvinisme russe, dont la bureaucratie avait besoin comme base sociale dans leur lutte contre l'opposition marxiste. En bref, le nationalisme servait d'arme idéologique et politique contre les mouvements socialistes de la classe ouvrière.
L'ascension de Staline était l'expression gouvernementale de la consolidation du pouvoir par la bureaucratie, qui a culminé en 1937 avec l'extermination d'une génération entière de marxistes révolutionnaires. Au niveau international, le stalinisme jouait un rôle de plus en plus ouvertement réactionnaire. Pendant la guerre civile espagnole, la police secrète stalinienne a mené des assauts sauvages contre les éléments révolutionnaires, facilitant ainsi la victoire de Franco.
Après la Deuxième guerre mondiale, la politique étrangère du Kremlin dépendait des besoins sociaux de la bureaucratie, qui voulait par-dessus tout la sécurité et le calme. L'établissement d'une série d'États contrôlés par le stalinisme en Europe de l'Est, dont les gouvernements dépendaient directement de Moscou, servait les intérêts de sécurité nationale des bureaucrates soviétiques. Le calme était établi en étouffant toute initiative des couches inférieures qui, comme les éruptions révolutionnaires d'après la Première guerre mondiale, menaçait le nouvel ordre international d'après-guerre.
En Italie et en France, les partis communistes, agissant en accord avec la politique étrangère soviétique, entraient dans des gouvernements et essayaient de stabiliser les régimes bourgeois. En Europe de l'Est, où les staliniens détenaient le pouvoir, toute activité indépendante du peuple était supprimée par la force. À mesure que les écarts entre la population et les dirigeants staliniens se creusaient, ceux-ci dépendaient de plus en plus des éléments nationalistes. En RDA, la réhabilitation des anciens membres du NSDAP n'était qu'un aspect de la répression de la révolte ouvrière de juin 1953.
Staline n'avait pas prévu d'étendre le modèle soviétique en Europe de l'Est et d'y effectuer des expropriations en masse. Celles-ci n'ont eu lieu que lorsque la guerre froide qu'entreprirent les USA ait soumis le régime stalinien à des pressions intenses. Immédiatement après la guerre, dans la partie de l'Allemagne occupée par les Soviétiques, on limitait les expropriations aux biens des grands propriétaires (les junkers) et de l'industrie lourde qui appartenait ou bien à l'État allemand, ou à des organisations nazies, ou encore à des criminels de guerre. À une époque où le rôle direct que jouèrent les corporations allemandes dans l'arrivée au pouvoir d'Hitler était largement connu, ces mesures jouissaient d'une large mesure de popularité. Dans l'état de Saxonie dans l'est de l'Allemagne, 77 pour cent de la population a voté l'expropriation sans compensation de tous les criminels de guerre dans un référendum en 1946.
En grande mesure, la réputation de la RDA comme « État anti-fasciste » était basée sur ces expropriations. À la différence de la République Fédérale, où les biens de ceux qui avaient soutenu Hitler restaient intacts, en RDA on éliminait les bases matérielles des plus importants piliers sociaux du régime nazi. Les castes des junkers et des officiers, dont les terres étaient surtout en Allemagne de l'Est et dans des zones qui sont actuellement en Pologne ou en Russie, étaient la base essentielle de la réaction extrême en Allemagne depuis plus d'un siècle, de la suppression de la révolution démocratique de 1848, aux empires de Bismarck et du Kaiser Wilhelm, à la République de Weimar, et ont très fortement contribué à l'arrivée au pouvoir d'Hitler.
Mais si on pose aujourd'hui la question : « qu'est-ce qui avait plus d'importance historiquement : les expropriations et les nationalisations ou la suppression de toute initiative indépendante de la classe ouvrière ? », la réponse est claire. Une société socialiste ne peut être construite qu'en utilisant les initiatives créatrices du peuple. La suppression systématique par le PSU de tout mouvement politique indépendant a désarmé les ouvriers du point de vue politique et idéologique. Ceci a non seulement déterminé le destin de la RDA et préparé le chemin vers le retour au capitalisme en Allemagne de l'Est, mais a aussi laissé la classe ouvrière sans organisations et sans base idéologique pour s'opposer efficacement aux assauts continuels qui ont accompagné la réunification capitaliste portés aux emplois, aux salaires, et autres gains sociaux réalisés précédemment.
Cette histoire révèle les causes plus profondes de la renaissance des courants fascistes aujourd'hui. Le fascisme, comme le montre l'expérience historique, trouve un appui parmi les couches dévastées de la société quand la classe ouvrière ne peut pas leur indiquer de solution à une impasse sociale. Parce que le mouvement ouvrier n'a pas encore pu avancer sa propre réponse à la crise sociale, la xénophobie et le néo-fascisme propre continuent à s'épanouir dans le terrain idéologique et social que la RDA a laissé.
La lutte contre le fascisme coïncide donc avec la lutte contre un développement social qui condamne des couches de plus en plus nombreuses au chômage, à la pauvreté, et la crainte généralisée. Elle nécessite une réorientation politique du mouvement ouvrier. Les traditions socialistes que le stalinisme a écrasées la solidarité internationale et l'égalité socialiste doivent renaître.
Les auteurs de l'article de Potsdam arrivent à des conclusions complètement différentes : « Nous implorons que l'État agisse clairement pour instaurer les droits humains pour les étrangers, même si la population s'y oppose », écrivent-ils. L'État doit donc défendre la « démocratie » contre le peuple ! Est-ce que ceci ne ressemble pas étrangement à la RDA ? En même temps, ils rejettent une lutte pour l'égalité socialiste : « La tentative de réussir une harmonisation générale enlève le dynamisme à notre société et nous ramène à l'impasse où la RDA a fini par se trouver ».
(Peter Schwarz)