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Guatemala – Prostitution typique

Lu sur : RISAL « Quand on parcourt la route qui va de la ville de Guatemala vers les hautes terres de l’ouest, on traverse le prospère village cakchiquel [ethnie maya, ndlr] de Chimaltenango et son paysage bigarré d’autobus, de commerces, de cafés et de lupanars.

À leur porte on peut y voir des femmes qui négocient les conditions de leur probable rencontre avec des clients potentiels. Cette formalité n’a rien d’exceptionnel, sauf peut-être qu’ici les prostituées se montrent, avec l’orgueil identitaire qui se doit, en habits autochtones qu’elles nuancent, comme cela se pratique, avec des éléments "occidentaux", en créant ainsi des hybridations voyantes où la jupe ou "le vêtement" traditionnel se voit assortie à des chemises décolletées colorées qui étalent des enseignes de paillettes en anglais, avec toute sorte de bijoux scintillants et des cosmétiques appliqués en abondance prodigieuse sur le visage et les cheveux.

Parmi ces femmes, il y en a une qui assume avec une intensité originale la fameuse attitude provocante que les prostituées déploient face aux hommes. Elle exhibe une chevelure abondante colorée de différents tons orangés et des lèvres épaisses maquillées d’un rouge lumineux qui laissent voir une dent en or impeccable, laquelle brille plus que la normale grâce à l’éclat de boucles d’oreille criardes qui lui touchent les épaules, à peine bordées par deux minuscules bandes qui tiennent un débardeur multicolore minuscule. Le débardeur est cintré par une large ceinture qui emprisonne son habit traditionnel, transformé par elle en une mini jupe sexy qui tombe sur de fortes cuisses bronzées et de robustes mollets noueux qui débouchent sur des chaussures à talons hauts, lesquels révèlent de larges pieds visiblement malmenés par les chemins caillouteux de l’altiplano [les hauts plateaux montagneux, ndlr].

Elle discute et rit aux éclats pendant qu’elle parle avec les hommes qui s’approchent de la porte ou de la fenêtre du café où elle travaille. Parfois elle fume, avec des gestes sophistiqués de femme vampire de film mexicain des années 50, ou alors elle danse au rythme de la musique rock en imitant les contorsions de Thalia ou du triste souvenir de l’héroïne des journaux télévisés ragotés, Gloria Trevi. Elle paraît contente et elle semble profiter de son travail.

Il ne fait aucun doute que la mode interculturelle liée à la consommation a touché entièrement les communautés indigènes, lesquelles ont adopté non seulement les "vêtements en laine de paca" (usée) provenant des pieux fidèles de l’église fondamentaliste d’Amérique du Nord qui les vendent à bas prix, mais aussi la musique techno, l’esthétique du clip vidéo et, pourquoi pas, le commerce sexuel populaire local avec des éléments culturels qui font partie de la mondialisation. C’est ce "mondialocalisme" qu’il serait intéressant d’explorer, surtout en ce qui concerne les mentalités qui se contentent des consommations médiatiques dans les communautés indigènes, et qui ensuite produisent des hybridations culturelles comme celles qui ornent le commerce sexuel indigène de Chimaltenango, un phénomène qui est à la vue du touriste ou du promeneur le plus perdu, donc, les femmes qui exercent ici "le plus vieux métier du monde" s’exhibent pleinement, tout comme celles des zones rouges d’Hambourg, de San Salvador et celles que l’on nomme de "la ligne de train" à Ciudad Guatemala.

Il conviendrait peut-être que la myriade d’ONG, qui se voue à moraliser sur la prostitution en inventant des euphémismes comme "travailleuses du sexe" ou "sexo-serveuses" pour éviter d’appeler prostituées ou putes les femmes qui font du commerce de la sexualité, enseignent à ces filles acharnées de Chimaltenango à s’organiser pour revendiquer des droits inhérents à toutes les formes de travail : conditions hygiéniquement acceptables pour l’exercice de leur profession, éducation de leurs enfants, prestations et assurance maladie à long terme. Au lieu d’essayer de convaincre les prostituées de quitter leur travail parce qu’elles considèrent leur travail "indigne", les organisations chargées de veiller sur le bien-être de ces femmes robustes devraient remplacer leur moralité puritaine par des critères plus pratiques et leur montrer les avantages de l’organisation corporative et les mécanismes de la revendication de leurs droits du travail.

D’autre part, ceux qui exigent que "le vêtement typique" puisse être porté orgueilleusement par les femmes indigènes dans tous les domaines sociaux, trouveront chez les prostituées de Chimaltenango un exemple digne d’exercice identitaire et de travail féminin qui offrent une indépendance économique à beaucoup de femmes indigènes qui se libèrent ainsi de l’âpre joug patriarcal et du typique machisme lacérant de la culture indigène communautaire, loin des infâmes maquiladoras [1] exploiteuses des Coréens et d’un travail domestique asservissant dans les foyers d’autrui ou chez elles. »

Mario Roberto Morales

NOTES:

[1] Usine de montage, d’assemblage et de fabrication utilisant beaucoup de main-d’œuvre. (ndlr)

Source : La Insignia, septembre 2004.

Traduction : Isabelle Lopez Garcia, pour RISAL (http://risal.collectifs.net).

Ecrit par Mirobir, à 04:19 dans la rubrique "Le privé est politique".

Commentaires :

  Wathelet
13-02-06
à 14:08

Votre article l'a encouragé

Bonjour,

Votre article m'a beaucoup intéressé car j'ai épousé une femme originaire du Guatemala .

Agée de 11 ans, elle a été adopté par un couple de Belgique.

Pourquoi? elle était régulièrement maltraitée, battue, détruite par sa mère. Vivant dans le milieu de la prostitution, elle s'est vue offerte dès l'âge de 6 ans. Sa vie est une tragédie.

Avec sa nouvelle famille elle a appris la langue, a eu une scolarité décalée, ...

Elle a complètement oublié sa langue maternelle.

Aujourd'hui, elle est maman de deux petites filles . Mais n'ayant reçu aucuns repères de ce qu'est une bonne mère, elle éprouve beaucoup de difficultés de compréhension à l'égard de ses enfants. Rassurez-vous, elle ne les maltraite pas.

Malheureusement, dans ce décors parfait, une sombre histoire lui est arrivée. Il y a deux ans, elle a subit un viol collectif (à 30 ans). Elle avait mis tant d'efforts et d'acharnement pour se sortir de la vie d'enfance qu'elle avait eu... et voici qu'elle retombe dans la dépression, la peur panique, ...

Aujourd'hui, nous luttons tous les quatres à son rétablissement.

Je vous remercie pour votre article.

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