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Que signifie honnêtement ce qui s’est passé mercredi
pour le mouvement anarchiste / anti-autoritaire ?
Comment pouvons-nous nous positionner face à la mort de ces trois
personnes – quelle qu’en soit la cause ?
Où nous situons-nous en tant qu’êtres humains et en tant que personnes
en lutte ? Nous qui n’acceptons pas l’existence d’“incidents isolés” (de
la brutalité policière ou de l’État) et qui montrons du doigt la
violence quotidienne de l’Etat et du système capitaliste. Nous qui avons
le courage d’appeler les choses par leur nom, nous qui dénonçons ceux
qui torturent les immigrants dans les commissariats ou ceux qui jouent
avec nos vies dans les bureaux et les studios de télévision.
Nous, qu’avons-nous à dire maintenant ? Nous pourrions nous cacher derrière la déclaration du syndicat des employés de banque (OTOE) ou derrière les accusations formulées par les employés de la succursale bancaire, ou nous pourrions insister sur le fait que les morts avaient été forcés de rester dans un bâtiment sans protection contre l’incendie, et même enfermés à clé. Nous pourrions insister sur la merde qu’est Vgenopoulos, le propriétaire de la banque, ou comment cet incident tragique sera utilisé pour déclencher une répression sans précédent. Toute personne qui est passé (qui a osé passer) par Exarchia [quartier militant l’Athènes] mercredi soir sait à quoi nous nous référons. Mais le sujet n’est pas là.
Pour nous, le point crucial est qu’une part de responsabilité nous incombe à nous, à nous tous.
Nous sommes tous responsables. Oui, nous avons raison de lutter de toutes nos forces contre les mesures injustes qu’ils veulent nous imposer, nous avons raison de consacrer notre créativité et notre force à créer un monde meilleur. Mais en tant qu’êtres politiques, nous sommes également responsables de tous et de chacun de nos choix politiques, des moyens que nous utilisons et de notre silence à chaque fois que nous n’admettons pas nos faiblesses et nos erreurs.
Nous qui ne trompons pas les gens pour obtenir leurs
votes, nous qui n’avons aucun intérêt à exploiter personne, nous avons
la capacité, dans ces circonstances tragiques, d’être honnêtes avec
nous-mêmes et avec ceux qui nous entourent.
Ce que le mouvement anarchiste grec est en train d’expérimenter en ce
moment est une sorte d’engourdissement total. Parce qu’il y a des
conditions qui poussent à une sévère autocritique qui va être
douloureuse.
Au-delà de l’horreur que soient mortes des personnes qui étaient “de notre côté”, du côté des travailleuses et des travailleurs dans des conditions extrêmement dures, qui auraient peut-être marché à nos côtés si les choses avaient été différentes sur leur lieu de travail, au-delà de ça, nous sommes confrontés aussi à des manifestants qui ont mis en danger la vie des gens. Même si (et ce n’est pas là une question) il n’y avait aucune intention de tuer, c’est une question essentielle qui peut amener à beaucoup de discussion, une discussion sur les objectifs que nous nous fixons et sur moyens que nous utilisons. L’incident n’est pas arrivé dans la nuit, au cours d’une action de sabotage. Il a eu lieu pendant la plus grande manifestation de l’histoire grecque récente. Et c’est là que se posent certaines questions douloureuses : au niveau global, dans une manifestation de 150-200 000 personnes, sans précédent ces dernières années, une violence de “niveau supérieur” est-elle vraiment nécessaire ? Lorsque l’on voit des milliers de personnes criant « qu’il brûle, qu’il brûle le Parlement » et insultant la police, une banque brûlée de plus a-t-elle vraiment quelque chose à offrir au mouvement ?
Quand le mouvement lui-même devient si massif, disons comme en décembre 2008, que peut offrir cette action si celle-ci dépasse les limites de ce que la société peut assumer (au moins à un moment donné) ou si cette action met des vies humaines en danger ?
Quand nous prenons la rue, nous ne sommes qu’un avec les gens autour de nous, nous sommes proches d’eux, à leurs côtés, avec eux, – c’est à la fin de la journée que nous nous travaillons comme des ânes à écrire des textes et à faire des affiches, – et nos propres contenus sont le seul paramètre sur lequel beaucoup se retrouvent.
L’heure est venue de parler franchement sur la violence et d’examiner de manière critique une culture spécifique de la violence qui s’est développé ces dernières années. Notre mouvement ne s’est pas renforcé par la dynamique des moyens qu’il utilise parfois, mais plutôt par son articulation politique. Décembre 2008 n’est pas devenu historique seulement parce que des milliers se sont soulevés et ont jetés des milliers de pierres et des cocktails Molotov, mais surtout à cause de ses caractéristiques sociales et politiques, et de son riche héritage à ce niveau.
Bien sûr que nous répondons à la violence qu’ils exercent sur nous, mais même ainsi, nous sommes appelés à notre tour à parler de nos choix politiques aussi bien que de nos moyens, en reconnaissant nos – et leurs – limites.
Quand nous parlons de liberté, cela signifie qu’à chaque
moment nous doutons de ce que hier nous tenions pour certain.
Cela signifie que nous osons aller partout, en évitant le bavardage
politique et les clichés, que nous osons regarder les choses dans les
yeux, comme elles sont. Il est clair que, dès lors que nous ne
considérons pas la violence comme une fin en soi, nous ne devrions pas
permettre qu’elle jette une ombre sur la dimension politique de nos
actes. Nous ne sommes ni des assassins ni des saints.
Nous faisons partie d’un mouvement social, avec nos faiblesses et nos erreurs. Aujourd’hui, au lieu de nous sentir plus forts à la suite d’une manifestation si énorme, nous nous sentons anesthésiés, pour ainsi dire. En soi, cela dit tout. Nous devons transformer cette tragique expérience en une introspection et nous inspirer les uns des autres, car à la fin de la journée, nous agissons tous selon notre conscience. Et c’est le développement de cette conscience collective qui est en jeu.
Traduction : XYZ
(pour le site
OCLibertaire… et bien au-delà !)