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Les deux marchands d’émotions quotidiennes à un sou pour coeurs de concierges (ces bonnes chiennes de garde) et de romans éducateurs pour petites ouvrières (les futures suicidées) ont ajouté à leur marchandise habituelle l’article d’actualité contre les révoltés. C’est Le Petit Journal et Le Petit Parisien, roquets aboyant après les beaux chiens de chenils bourgeois, Figaro, Débats et autres, qui frappent à leur tour, mais à bonne distance, aux jambes des anarchistes.
Au bois de Vincennes, dimanche dernier, quelques
camarades avaient projeté une simple promenade. On s’était donné
rendez-vous par la voie d’un journal. On devait chanter et quelques-uns
dire, en plein air il est vrai, leur indignation contre un monde où
tout, paraît-il, est cependant pour le mieux.
Manifestation redoutable, au premier chef et dont il importait, on
le voit, de signaler l’audace criminelle aux autorités armées pour en
prévenir le retour.
Le même dimanche, au matin, un homme avait le courage, dédaignant la honte patiente de ceux qui l’entouraient, de protester à haute voix, dans une basilique, contre la cynique effronterie d’un prédicateur de charité. L’histoire de ce criminel, que Le Petit Journal à la tête de ses confrères, désigne à la haine publique pour avoir osé troubler un exercice de culte, vaut d’être contée dans sa révoltante réalité, comme aussi l’histoire de ce qui fit éclater sa colère.
Frappé dès l’enfance d’ataxie, né dans un milieu pauvre, cet homme dut, malgré la plus redoutable des infirmités, demander au travail dont il était incapable le droit de vivre. Il fut occupé par des amis qui durent eux-mêmes, un jour, renoncer à ses services. Sans ressources et sans emploi à vingt ans, mais d’intelligence heureusement assez robuste et vaillante pour commander à des membres impuissants, l’infortuné que ses premières plaintes contre une société qui l’accueillait pareillement avaient déjà rendu suspect dut quitter Bordeaux, son pays.
Il partit à pied vers Paris.
Ceux qui rencontrèrent dans la vie de ces effrayants infirmes que
sont les ataxiques peuvent imaginer le douloureux calvaire parcouru, de
la Gironde à la Seine, à travers des campagnes hostiles au vagabond,
sous l’incessante persécution du gendarme ou le regard haineux du
paysan, par cet homme, plus faible qu’un petit enfant. Il arriva
pourtant jusqu’ici, mais tant épuisé, tant écoeuré surtout par la
dureté de ses semblables et le désespoir de se subvenir qu’il ne vit
plus que la prison pour refuge. Ses premières nuits, en effet, furent
d’atroces fuites de banc en banc sur les boulevards extérieurs, devant
l’injure et la menace des agents. Les pauvres jambes flageolantes et
l’estomac torturé, l’ataxique, achevant son calvaire, gravit dimanche
matin le mont des Martyrs et pénétra dans la basilique édifiée à
renfort de millions en mémoire éhontée du coeur de ce problématique
Jésus qui chassait les vendeurs du temple...
Le jeudi et le dimanche matin, la basilique du doux coeur de Jésus s’ouvre à plusieurs milliers de mendiants, qui viennent à la distribution du pain. Ces miséreux font queue ainsi qu’aux théâtres les jours de représentations populaires, une ou deux heures durant, à la porte de la crypte. Les portes ouvertes, on les parque sous la surveillance de curés et de sacristains chargés de leur direction, des chants et de la récitation des prières pendant la messe de plus d’une heure et le sermon dont ces âmes privilégiées doivent se nourrir avant de satisfaire, avec les 0,20 francs de pain accordés, à leur fringale d’estomac. Un mot, un geste, un rire, de l’inattention pendant le prêche ou le refus de prier à haute voix et chanter entraînent l’expulsion et la privation d’aumône. Pendant l’office, comme dompteurs en cage ou gardes-chiourme au bagne, les sacristains et les curés délégués à cette fonction parcourent les rangs, menaçant qui ne témoigne pas de son ardeur. Enfin, les deux heures d’attente et les deux heures d’office supportées, les mendiants sont autorisés à défiler un à un devant le distributeur qui leur remet une livre de pain. Par ce temps de sacrifices à l’alliance et de pain cher, on le voit, c’est un véritable sacrifice.
Dimanche dernier, à ce repas de gueux, un
révolté se présenta, le vagabond ataxique. Sans attendre sa ration,
quand il entendit le prédicateur parler de l’influence des idées malsaines, il osa crier au menteur abominable qui parlait ainsi combien son audace était exaspérante.
Pensez-vous que les gueux qui formaient le bataillon autour de ce
fier mais si faible isolé, le voyant déjà chanceler sous la poigne bien
nourrie des suisses et bedeaux, pensez-vous qu’un seul d’entre eux prit
sa défense ? Le gibier lâche de misère se dispersa sans murmures,
abandonnant aux chiens d’église le vagabond audacieux qu’on remit aux
agents.
Et comme le prisonnier revendiqua non seulement son acte de
révolte mais parla d’autres révoltés, la prison s’est ouverte et fermée
sur lui. Le tribunal statuera sur le cas de ce criminel, dont il faut
espérer qu’on va débarrasser la société pour au moins quelques temps !
[...]
Elle est haute et, paraît-il, solidement perchée, votre grande machine du Sacré-Coeur.
La haine monte plus haut et détruit plus solide.
Albert Libertad dans L’anarchie, 12-19 septembre 1897.
Commentaires :
OgRuR |
N'est-ce pas Broutchoux qui récusait, par ailleurs, sur un autre sujet qu'on puisse s'en référer à des écrits littéraires anciens sous prétexte qu'ils n'ont aucune portée aujourd'hui? Pour débile que soit son argument, il n'a pas été relevé, sans doute parce que tous "les moyens sont bons" entre alliés, et notamment les arguments les plus crétins peuvent être utilisés sans soucis de cohérences...
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Broutchoux 25-10-09
à 11:56 |
Re:OgRuR, ne me faites pas dire ce que je n'aie pas dit. Je ne suis pas utopiste au sens littéral du terme : mon idéal tient tient compte du réel. Je crois à une société libertaire viable, il faut s'en donner les moyens. Tout est contre nous.
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à 10:02