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Généalogie du négationnisme en France

Lu sur La Gryffe : "Les précurseurs du négationnisme en France ont été essentiellement deux : Maurice Bardèche, mort en 1998, et Paul Rassinier. Bardèche, spécialiste de littérature française, est le beau-frère de Robert Brasillach, l'écrivain collaborationniste fusillé à la Libération. Pour blanchir les collaborateurs les plus engagés et pour réhabiliter la collaboration d'Etat voulue par les hommes de Vichy, Bardèche cherche à démontrer, dans les livres qu'il publie à partir de 1947, que le crime des nazis et de leurs auxiliaires français n'est en rien différent de celui des alliés lorsqu'ils bombardaient Dresde ou Hiroshima. Pour travailler à la réhabilitation des collaborateurs et du nazisme, il lui faut à toute force nier la différence entre crime de guerre et crime contre l'humanité, présenter comme iniques les jugements de Nuremberg et tenter de convaincre l'opinion que ce qui précisément faisait la spécificité des crimes nazis, à savoir l'assassinat programmé de millions d'êtres humains pour la seule raison qu'ils étaient juifs, que cette spécificité n'existait pas, que les camps d'extermination n'étaient qu'une invention des vainqueurs.

En 1948, Bardèche a 39 ans lorsqu'il publie un livre au titre éloquent : Nuremberg ou la terre promise, qui fait de lui un précurseur de l'entreprise négationniste. La toute première phrase du livre - « Je ne prends pas la défense de l'Allemagne « - est aussitôt suivie d'un chapelet de dénonciations sur ce qu'il appelle « la falsification de l'Histoire », imposée depuis 1945 par les vainqueurs de la guerre alors « qu'ils se sont emparés de l'épée de Jéhovah et qu'ils ont chassé l'Allemand des terres humaines ». Bardèche poursuit : « Les Juifs sont originellement des étrangers qui ont d'abord été admis dans notre pays avec prudence puis en nombre de plus en plus grand à mesure que certains d'entre eux obtenaient de l'influence. En dépit de cette hospitalité qui leur était accordée, ils n'ont pas hésité à entraîner notre pays dans une guerre désastreuse mais souhaitable parce qu'elle était dirigée contre un ennemi de leur race <...>. Ils nous ont divisés, ils ont réclamé le sang des meilleurs et des plus purs d'entre nous, et ils se sont réjouis et ils se réjouissent de nos morts. Cette guerre qu'ils ont voulue, ils nous ont donné le droit de dire qu'elle fut leur guerre et non la nôtre, ils l'ont payée du prix dont on paie toutes les guerres et nous avons le droit de ne pas compter leurs morts avec nos morts. » Et il ajoute : « On a eu la bonne fortune de découvrir en janvier 1945 des camps de concentration dont personne n'avait entendu parler jusqu'alors et qui devinrent la preuve dont on avait précisément besoin, le flagrant délit à l'état pur de crime contre l'humanité qui justifiait tout ».
L'autre précurseur du négationnisme d'aujourd'hui est Paul Rassinier, né en 1906 et mort en 1967. Pourquoi ai-je consacré tant de temps et d'efforts à écrire la biographie de cet homme ? La raison de départ de cette longue aventure était que les négationnistes, ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui, en France ou ailleurs dans le monde, qu'ils soient d'extrême droite ou qu'ils viennent de
l'extrême gauche, revendiquent presque tous Rassinier comme le père fondateur de leur entreprise. Qui était cet homme, successivement communiste, socialiste, anarchiste [1], ce pacifiste, ce résistant puis déporté, ce militant de gauche qui en était venu à collaborer avec des fascistes déclarés, tel Bardèche, ou d'ancien nazis nullement repentis et toujours actifs ?
La vie de Rassinier se compose de deux période clairement distinctes et d'une très violente parenthèse. La première période commence par sa naissance en 1906 dans le Territoire de Belfort et s'achève avec son départ définif en 1947 de ce territoire où elle s'est toute entière déroulée jusque là. La parenthèse va du moment où il est arrêté à Belfort pour résistance, à l'automne 1943, jusqu'à son retour de déportation au printemps de 1945, après notamment treize mois passés dans le camp de concentration de Dora en Allemagne. La seconde période de la vie de Rassinier commence donc en 1947, se déroule successivement à Mâcon, à Nice et enfin dans la banlieue parisienne, à Asnières, où il meurt, en 1967, des séquelles de son arrestation et de sa déportation. Durant ces deux dernières décennies, il a en fait tenté de régler des comptes avec ce qu'il avait vécu au cours des quatre décennies précédentes. Il l'a fait notamment par ses livres, ceux-là mêmes qui ont fait de lui après sa mort le père fondateur revendiqué par les négationnistes.
La deuxième raison qui m'a conduite à entreprendre une telle biographie était la volonté de comprendre comment se fabrique une pensée antisémite, comment l'antisémitisme vient aux gens. En effet, le négationnisme est tout simplement l'expression la plus contemporaine de l'antisémitisme le plus éculé. Au cours des siècles, on a périodiquement accusé les juifs d'escroquerie et de manipulation, mais l'accusation atteint des sommets avec l'entreprise négationniste puisqu'elle présente les juifs comme capables : 1) d'avoir inventé de toutes pièces une extermination de la taille et de la nature de celle qui a été perpétrée contre eux par les nazis et 2) d'avoir ensuite extorqué des millions de marks aux Allemands à titre de réparation pour un meurtre collectif ... qui n'avait tout bonnement pas eu lieu. Voilà pourquoi la vigilance est requise face à l'entreprise négationniste qui, après des décennies, constitue aujourd'hui un des principaux instruments d'une nouvelle acclimatation de cet antisémitisme et qui peut du même coup en favoriser un nouveau développement.
Fils de paysans, Rassinier fut très tôt engagé dans le militantisme politique : d'abord membre du parti communiste, il entra douze ans plus tard au parti socialiste. Il devient instituteur en même temps qu'il entre en 1923 dans un parti communiste, né seulement en 1920, un parti ultra minoritaire, sur la brèche, obéissant aux mots d'ordre venus de Moscou et inculquant de manière massive à ses militants une vision dénonciatrice dans laquelle le monde n'est rien d'autre qu'un vaste complot capitaliste destiné à duper la classe ouvrière. Exclu du PC en 1932, Rassinier adhère deux ans plus tard à la SFIO, le parti socialiste qui, lui, va être en proie à des conflits internes de plus en plus violents et dramatiques. Entre, d'un côté, les partisans de la paix à tout prix, ceux qui autour du secrétaire général du parti Paul Faure, sont favorables « à toutes les négociations avec tous les pays et sur tous les terrains » et, de l'autre, ceux qui avec Léon Blum considèrent que le parti socialiste devra participer « totalement et sans réserve à la défense du pays contre toutes les agressions ou entreprises qui menaceraient l'intégrité de son territoire. » Rassinier est un paul-fauriste convaincu et militant. D'une manière générale, dans les engagements successifs de Rassinier, il existe cette constante absolue, le pacifisme à tout prix, le « pacifisme intégral ».
Malgré son pacifisme, Rassinier a fait partie d'un groupe de résistants belfortains au sein du mouvement Libération Nord en 1943. Mais là aussi, il est constamment hostile à toute action armée. Il se préoccupe alors beaucoup de son ambition politique personnelle. Dans les archives du parti socialiste sous l'occupation conservées aux Archives Nationales, il existe une lettre manuscrite de Rassinier, datant du 1er novembre 1943, adressée à un résistant socialiste parisien. Avec une inconscience qui fait frémir, il signe cette lettre de son nom parfaitement lisible, où il inscrit aussi les noms d'un grand nombre de résistants ou sympathisants, dans une sorte d'organigramme fantasmatique de son département tel qu'il l'imagine pour le lendemain de la victoire. Dans cet organigramme, Rassinier se voit, tout à la fois, 1° délégué politique du comité commun des mouvements Libération et Les Volontaires de la liberté, 2° commissaire à la République du nouveau département et 3° délégué du mouvement Libération au comité départemental de libération. Mais le 30 du même mois de novembre 1943, il est arrêté puis déporté en Allemagne en janvier 1944, où, après deux mois à Buchenwald, il passe treize mois dans le camp de concentration de Dora, d'où il ne revient qu'au printemps 1945. Gravement atteint par les séquelles de son arrestation et de sa déportation,il ne peut plus exercer son métier d'instituteur alors qu'il n'a que 39 ans, et il est bientôt mis à la retraite anticipée. Mais il reprend aussitôt, à Belfort, la vie politique, militante et électorale qui n'avait pas cessé d'être la sienne avant la guerre. On est alors dans une période de reconstruction du pays, qui signifie notamment la réorganisation du fonctionnement de la démocratie, avec plus de 7 élections entre octobre 1945 et novembre 1946. Des joutes électorales violentes opposent dans le Territoire de Belfort la Fédération socialiste au parti du radical Pierre Dreyfus-Schmidt. Rassinier parvient à être élu député du Territoire ... pendant deux mois. Mais à l'automne 1946, Dreyfus-Schmidt, allié aux communistes, reprend à Rassinier ce siège de député à peine obtenu. Alors que, pour la première fois de sa longue vie de militant politique, Rassinier détenait enfin un mandat électif, donc une reconnaissance, une légitimité, cette défaite électorale quasi immédiate constitue un grave échec. Or c'est de cette époque précisément que datent les premières manifestations publiques d'antisémitisme chez Rassinier. Le 4 octobre 1946, dans La Quatrième République, l'hebdomadaire belfortain de la SFIO, il écrit en effet : « Le sieur Dreyfus s'est réfugié dans des maquignonnages avec les margoulins de la résistance et de l'épuration. <...> Il y a des gens qui sont comme ça. Nés dans « la bedite gommerce » , ils en ont conservé l'âpreté au gain et les autres habitudes dans la politique. Ils ne sont pas des militants, ils sont des politiciens ambitieux qui se croient retors et ils font de la politique comme leurs parents vendaient des tissus ». Un seuil a ici été franchi par Rassinier. Dreyfus-Schmidt, d'adversaire singulier, est devenu pluriel, de ceux « qui sont comme ça », nés avec l'âpreté aux gains de leurs parents et chez qui, somme toute, l'essence précède l'existence. Cet article est suivi d'autres attaques en rafales mais Rassinier est battu.
Ce n'est que lorsqu'il quitte en 1947 pour toujours Belfort qu'il se met véritablement à régler ses comptes. Il le fait durant vingt ans jusqu'à sa mort en 1967. En quittant Belfort, Paul Rassinier est prêt à entrer dans l'armée innombrable de ceux qui font des juifs un territoire fantasmatique sur lequel concentrer leur ressentiment. Dans une lettre à Pierre Monatte, publiée par celui-ci en juin 1947 dans sa revue La Révolution Prolétarienne, Rassinier écrit : « Condamné à l'inaction, je vais en profiter pour procéder pour moi-même à une révision des valeurs révolutionnaires et autres. Où cela me conduira, je n'en sais rien, mais à l'occasion je te ferai part de mes conclusions. » Lire ces considérations une fois connue la fin de la trajectoire de Rassinier, devenu dénonciateur monomaniaque du complot juif mondial chez des éditeurs d'extrême droite, donne évidemment au mot « révision » et à « où cela me conduira je n'en sais rien » une résonance particulière. Mais il n'est pas besoin de faire d'anachronisme : en 1950, Rassinier fait paraître un livre intitulé Le mensonge d'Ulysse, dans lequel il dédouane largement les nazis des atrocités commises dans les camps de concentration, atrocités dont il accuse presque exclusivement certains des déportés eux-mêmes. La préface, due à un pamphlétaire d'extrême droite, Albert Paraz, qui dénonce violemment des résistants traités de « très basses fripouilles », vaut à Rassinier d'être exclu de la SFIO en avril 1951.
Pour la première fois hors d'un parti politique alors qu'il n'avait jamais cessé de militer à l'intérieur d'une organisation politique structurée, il s'engage alors immédiatement dans un nouveau type de contact politique, essentiellement concrétisé par l'écriture. A partir du mois de septembre 1951, et jusqu'en 1964, il collabore à l'organe du pacifisme intégral La voie de la paix, fondé par Emile Bauchet. Dès la reconstitution de la Fédération Anarchiste en décembre 1953, Rassinier y adhère. Dans La voie de la paix, à la fin de 1954, alors que Pierre Mendès France est président du Conseil, Rassinier entame une dénonciation nominale « de Monsieur René Mayer alias Rothschild et autres banquiers. » Il consacre à cette dénonciation un pamphlet intitulé Le Parlement aux mains des banques, publié en octobre 1955 comme numéro spécial un bulletin anarchiste Contre Courant, fondé quatre ans plus tôt par Louis Louvet. Durant la seconde moitié des années 50, Rassinier collabore au Monde Libertaire, l'organe de la FA. Il publie là des articles économiques dont plusieurs, déclenchés par l'arrivée au pouvoir de Mendès France, sont exclusivement consacrés à dénoncer la manipulation politique à laquelle se livrent selon lui les banques et les banquiers essentiellement juifs qu'il énumère. Ces dénonciations qu'il fait paraître simultanément dans La voie de la paix et dans Défense de l'Homme, la revue du libertaire Louis Lecoin, Rassinier en donne une conclusion dans le troisième et dernier fascicule de ce Parlement aux mains des banques, qui paraît en octobre 1957, alors même que ses « investigations sur les banques » ne sont qu'un résumé d'un ouvrage intitulé Les financiers qui mènent le monde, écrit par Henry Coston, un antisémite notoire de l'extrême droite française sévissant depuis les années trente.
Les anarchistes de la FA ne semblent pas s'alarmer de la proximité entre les articles de leur collaborateur et les dénonciations antisémites venues de l'extrême droite. Le Monde libertaire annonce les conférences de Rassinier et la FA en organise elle-même. Sous le titre « Propagande », son bulletin intérieur rend compte, ville par ville, d'une tournée de conférences entreprise par Rassinier, toujours sur le même thème, dans le sud de la France en décembre 1956. En 1956 justement, Rassinier s'installe à Nice où il prend contact avec un petit groupe anarchiste, le Groupe Elisée Reclus, qui ronéotype un petit journal L'Ordre social. Dans le cadre des conférences organisées par ce groupe plutôt informel, dont il devient très vite le « secrétaire général », Rassinier présente le 10 avril 1957 un exposé sur « Israël, les problèmes du sionisme et les peuples arabes à l'heure de la guerre des pétroles. » Auto-proclamé « gérant-directeur » de L'Ordre social, Rassinier publie, de janvier 1958 à avril 1959, sept numéros imprimés de ce bimestriel de quatre pages dont il rédige presque tous les articles. Mais en juillet 1958, Rassinier part s'installer à Asnières, où il rejoint le groupe local de la FA, qu'anime notamment Maurice Laisant. Au début de 1959, la dénonciation de ce qu'il appelle « les interférences de la politique et de la finance » paraît simultanément dans La voie de la paix, Le Monde libertaire et L'Ordre social, mais aussi dans la revue d'extrême droite de Maurice Bardèche, Défense de l'Occident.
L'inattention à la teneur véritable de ses propos, l'aveuglement à son sujet, mais aussi un assentiment partiel ou total à ses dénonciations constituent un écheveau complexe de réactions dans une large sphère du monde pacifiste et libertaire. La FA a en effet mis un certain temps avant de prendre clairement ses distances avec les dénonciations quasi exclusives des banquiers juifs par Rassinier. Elle réagit seulement lorsque des anarchistes allemands alertent leurs camarades français sur le fait qu'en 1960 Rassinier était allé en Allemagne et en Autriche faire une tournée de conférences, organisée par un ancien SS. En 1964, Rassinier est en correspondance étroite, pour faire connaître ses livres, avec d'une part Maurice Bardèche et d'autre part avec un nazi, Johann von Leers, qui avait été l'adjoint de Goebbels à la propagande puis, à partir de 1955, le responsable de la propagande antisémite en Egypte.Un exemple frappant de l'aveuglement qu'on trouve parfois dans les milieux de gauche à l'égard de Rassinier et de ce qu'il écrivait est celui de Maurice Dommanget (1888-1976), auteur de nombreuses études sur l'histoire du mouvement ouvrier et animateur de L'Ecole Emancipée. Quand en 1950 Dommanget rend compte du Mensonge d'Ulysse, il parle d'un « livre de bonne foi dont le seul but est la recherche de la vérité, écrit par un homme qui a le courage de la sincérité, un livre contre le courant et qui a le tort de convaincre d'inexactitudes et de mensonges un certain nombre d'oracles ». Un autre livre de Rassinier, Le véritable procès Eichmann ou les vainqueurs incorrigibles, dans lequel il explique notamment que les chambres à gaz d'Auschwitz servaient en fait à désinfecter les vêtements des déportés, lui vaut un nouvel éloge de Dommanget qui écrit : « Ce livre remarquable <...> est encore une contribution à l'histoire des crimes de guerre que nous apporte l'ami Rassinier ».
L'ultime livre de Rassinier est publié par un éditeur de la collaboration, Fernand Sorlot, qui s'était fait connaître dès 1934 pour avoir publié une traduction française de Mein Kampf. La thèse exposée dans ce dernier livre de Rassinier est toute entière dans son titre : Les responsables de la seconde guerre mondiale. Derrière le traité de Versailles, Roosevelt, Churchill, les socialistes, il y a toujours et partout, les juifs. Roosevelt accepta, selon Rassinier, « tous les postulats de la politique juive ». A propos de Churchill, il note « l'influence que sa femme et son entourage juif exerçaient sur lui ». Quant au parti socialiste en France, il prit position face à Hitler « en fonction de sa politique générale et, plus particulièrement à l'égard des Juifs qui étaient très nombreux et très influents en son sein ».
Rassinier mourut quelques semaines après la parution de ces Responsables de la seconde guerre mondiale. D'une manière générale, les nécrologues de Rassinier, notamment les pacifistes intégraux, puis ses disciples, les négationnistes d'aujourd'hui, ont brossé le même portrait d'un homme admirable, désintéressé, dépourvu d'ambition personnelle, qui aurait été un résistant de la première heure, et qui serait demeuré socialiste jusqu'à son dernier jour. Or la source unique de cette vulgate au sujet de Rassinier, c'est Rassinier lui-même. Il n'a cessé de l'écrire, de l'améliorer, de la réviser. Ainsi, aux origines du mensonge antisémite qu'est le négationnisme, il y a cette révision de sa propre histoire à laquelle s'est adonné le père fondateur : Rassinier ou la révision de soi. Il a en effet progressivement donné de divers épisodes de son existence des versions arrangées, exagérées, mensongères, inventées. C'est lui par exemple qui le premier s'est prétendu tout bonnement un des fondateurs de Libération Nord. Cette auto-révision a été chez lui le terreau sur lequel s'est développée la révision de l'Histoire, menée jusqu'à la négation d'un événement de la nature et de l'ampleur du génocide. La corrélation est étroite et fondamentale entre l'entreprise négationniste et la fiction hagiographique fondée sur l'auto-révision rassinienne. Sa démarche a consisté à légitimer sa négation du génocide par la légitimation de sa personne, à laquelle n'a cessé d'œuvrer son auto-révision. Le message implicite de cette double légitimation était le suivant : « Résistant de la première heure, fondateur d'un des principaux mouvements de résistance, socialiste convaincu, injustement calomnié comme étant l'agent d'une internationale nazie avec laquelle je n'entretiens pourtant aucune relation, je dis donc nécessairement la vérité lorsque je déclare mensongère la vérité communément admise au sujet du prétendu génocide ».

Mais les écrits de Rassinier et ceux de Bardèche ne rencontrèrent que très peu d'échos. Rassinier meurt en juillet 1967, et il faut attendre la fin des années 70 et Robert Faurisson, pour que le négationnisme fasse enfin son entrée sur la scène publique en France. En 1978, Faurisson se met à inonder les journaux d'un texte polycopié dans lequel figure notamment ce qu'il appelle « les conclusions de trente ans de recherche des auteurs révisionnistes ». Ces conclusions sont au nombre de sept : « 1. « Les chambres à gaz » hitlériennes n'ont jamais existé. 2. Le « génocide » (ou la « tentative de génocide ») n'a jamais eu lieu. En clair, jamais Hitler n'a donné l'ordre (ni admis) que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion. 3. Les prétendues « chambres à gaz » et le prétendu « génocide » sont un seul et même mensonge. 4. Ce mensonge qui est d'origine essentiellement sioniste a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont l'Etat d'Israël est le principal bénéficiaire. 5. Les principales victimes de ce mensonge et de cette escroquerie sont le peuple allemand et le peuple palestinien. 6. La force colossale des moyens d'information officiels a jusqu'ici assuré le succès du mensonge et censuré la liberté d'expression de ceux qui dénonçaient ce mensonge. 7. Les artisans du mensonge savent maintenant que leur mensonge vit ses dernières années. Ils déforment le sens et la nature des recherches révisionnistes ; ils nomment résurgence du nazisme ou falsification de l'histoire ce qui n'est qu'un juste retour au souci de la vérité historique ».
Le négationnisme est aujourd'hui une des formes revêtues par l'antisémitisme. Réviser l'histoire ainsi que le font constamment les historiens, qu'il s'agisse d'ailleurs de la seconde guerre mondiale ou de tout autre événement, ne consiste évidemment pas à dénoncer un complot aux dimensions planétaires. Le désir de dénoncer comme fiction une réalité telle que le génocide est le fait d'un antisémite, fût-il déguisé en historien. Seuls les juifs, et non les tziganes par exemple, intéressent les négationnistes, c'est d'eux seuls qu'il s'agit de faire la preuve qu'ils ne sont pas morts et qu'ils ont eux-mêmes organisé ce complot « sioniste » d'après guerre, en fabricant de toutes pièces cette escroquerie gigantesque. D'où évidemment l'acharnement des négationnistes à détruire les chambres à gaz, précisément parce qu'elles ont été la manifestation la plus frappante, dans l'originalité, dans l'horreur et dans l'organisation technique, de cette extermination. La fin de cette année 1978 se révéla particulièrement chargée et propice à Faurisson. Sous un titre choc : « A Auschwitz, on n'a gazé que les poux », l'Express publia en effet un entretien avec Louis Darquier, autoproclamé de Pellepoix. Vivant en Espagne, cet octogénaire grabataire n'avait rien perdu de son antisémitisme tel qu'il s'était notamment exercé de mai 1942 à février 1944 à la tête du commissariat général aux questions juives. Darquier expliquait dans cet entretien de l'Express que les juifs « avaient voulu la guerre », qu' »il n'y a pas eu de génocide », que « la solution finale est une invention pure et simple », entretenue par « cette satanée propagande juive », qui « a toujours été fondée sur le mensonge », que les « Juifs sont toujours près à tout pour qu'on parle d'eux, pour se rendre intéressants, pour se faire plaindre », et qu'après la guerre, ils « ont fabriqué des faux par milliers » et qu' »ils ont intoxiqué la terre entière avec ces faux ». Darquier précisait : « Je vais vous dire, moi, ce qui s'est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c'est vrai. Mais on a gazé les poux ».
L'émotion soulevée en France par les déclarations de Darquier fut très importante. Pour Faurisson, ces déclarations furent une aubaine. L'entretien avec Darquier parut le 28 octobre 1978 et aussitôt Faurisson adressa une lettre à plusieurs journaux : « J'espère que certains des propos que le journaliste Philippe Ganier-Raymond vient de prêter à Louis Darquier de Pellepoix amèneront le grand public à découvrir que les prétendus massacres en « chambres à gaz » et le prétendu « génocide » sont un seul et même mensonge. » Le Matin publia le 1er novembre cette lettre de Faurisson. Le mois suivant, ce fut au tour de la rédaction du Monde de publier un article de Faurisson. Dès lors le négationnisme devenait une affaire publique.
La France n'avait certes pas le monopole d'une telle entreprise. Celle-ci se développait dans le même temps ailleurs, en Europe et dans le monde. Mais une caractéristique française du négationnisme tient au fait que les premiers adeptes de Faurisson au début des années 80 ne viennent pas de l'extrême droite, comme on aurait pu s'y attendre et comme c'était le cas ailleurs. C'est une poignée de doctrinaires d'extrême gauche se réclamant du marxisme qui mettent aussitôt leur pratique de la dialectique au service de l'universitaire lyonnais. Ils sont emmenés par deux hommes, Pierre Guillaume et Serge Thion, nés l'un et l'autre durant la seconde guerre mondiale. Le premier vendait jusque-là livres et brochures d'extrême gauche dans sa librairie du Quartier latin, dont un texte bordiguiste de 1960 qui s'appelait « Auschwitz ou le grand alibi », republié en 1970 par Guillaume. Ces bordiguistes de 1960 ne niaient pas le génocide. Ils écrivaient dans ce texte que ce génocide avait été utilisé comme alibi par les impérialistes occidentaux ou soviétiques pour jeter de la poudre aux yeux au visage des ouvriers et les détourner de ce qui était leur seul vrai combat, à savoir le combat pour leur émancipation, en prétendant les faire lutter contre un ennemi en fait fictif : le fascisme. En 1979, dès que Guillaume fait la connaissance de Faurisson, il crée une maison d'édition proclamée révolutionnaire La vieille taupe, dans laquelle Serge Thion se chargera plus particulièrement de diffuser les thèses de Faurisson. Celui-ci, spécialiste du vrai et du faux, comme il se présentait dans le petit livret du département de littérature de l'université de Lyon II où il enseignait alors, avait en effet révélé à ses nouveaux amis médusés qu'Auschwitz n'était pas seulement un alibi, mais un mythe : les chambres à gaz n'avaient pas existé, le génocide n'avait pas eu lieu, les juifs avaient inventé toute cette histoire pour escroquer les Allemands au bénéfice d'Israël. La révélation était de taille, mais de même que le socialiste Rassinier n'avait pas été arrêté dans son combat par le fait de le mener en collaboration avec des fascistes et nazis notoires, de même les révolutionnaires Guillaume et Thion n'ont pas été arrêtés par les conclusions de Faurisson, qui sont pourtant tout bonnement la version contemporaine des dénonciations antisémites séculaires du complot juif mondial et autres « protocoles des sages de Sion ».
Durant les premières années de leur nouvel engagement, ces doctrinaires venus de l'extrême gauche se défendaient d'ailleurs des accusations d'antisémitisme, en prétendant n'être animés dans cet engagement que par le désir de lutter contre l'impérialisme sioniste. A sa façon, bien particulière, paroxystique, cette prétention procédait d'une modification du regard porté sur les juifs dans la gauche française après la seconde guerre mondiale. Avec la victoire militaire des Israéliens lors de la « guerre des six jours » en juin 1967, cette modification s'était radicalisée.Pour une partie de la gauche, protester contre une politique israélienne d'expansion, défendre les droits des Palestiniens, soutenir leur revendication d'un Etat, n'entraîna pas, ni sur le moment ni par la suite, le moindre dérapage antisémite, aussi chargé, ancien et inextricable que semblait le conflit israélo-palestinien. Chez d'autres cependant, la modification du regard déboucha plus ou moins vite sur de véritables révisions. Il y avait en sorte deux images. Celle de rescapés du plus effroyable des massacres trouvant enfin un pays, Israël, où vivre en paix et libres d'être juifs, et celle d'agents de l'impérialisme américain, persécutant les Palestiniens. La seconde image chassa la première : la guerre des six jours permit ainsi à un certain nombre de gens de ne bientôt plus voir que des oppresseurs dans les anciens opprimés et, luxe inouï, elle autorisait pour eux l'inversion suprême, traiter des juifs de nazis. Pour une poignée d'entre ces gens, les conclusions de Faurisson arrivèrent à point nommé. Mais aussi soutenue qu'elle l'ait été, la stratégie de la Vieille Taupe ne pouvait pas à elle seule sortir tout à fait le négationnisme français de la confidentialité. Guillaume et Thion, à la différence de Rassinier avant eux, ont bénéficié d'une forte émergence de l'extrême droite, puisque leur meilleur allié et propagandiste a été sans conteste le chef du Front National, Le Pen, exploitant ponctuellement leur entreprise au profit de sa propre stratégie d'occupation du terrain politique. On se rappelle ses propos sur « le point de détail « ou « Durafour crématoire ». Dès lors, la dérive fascisante des négationnistes allait se poursuivre dans un contexte politique plus large.
L'émotion a été vive dans le pays quand on a appris en avril 1996 que l'homme-le-plus-aimé-des-Français, l'abbé Pierre, apportait sa caution au nom de l'amitié au collage antisémite publié sous le titre Les mythes fondateurs de la politique israélienne, écrit au soir de la sienne par Roger Garaudy. Tous deux ont en effet 83 ans lorsque ce livre qualifié d' »anthologie de l'hérésie sioniste » par Garaudy lui-même paraît en avril 1996. Lors de la conférence de presse qui lance cette parution, Garaudy fait sensation en donnant lecture de la lettre de soutien qu'il vient de recevoir de l'abbé Pierre. Garaudy, ancien membre du bureau politique du PCF, chantre de l'orthodoxie stalinienne jusqu'en 1970, était redevenu chrétien jusqu'à ce qu'il décide finalement en 1983 de se convertir à l'Islam car pour lui le christianisme relayait « une certaine idéologie sioniste ». En 1991 et en 1995, Garaudy avait siégé au colloque annuel du GRECE, émanation de la nouvelle droite. La lettre de soutien de l'abbé Pierre à son « très cher Roger » fit scandale. Il y a là quelques beaux thèmes de réflexion, au choix, sur les amitiés indéfectibles, sur le naufrage de la vieillesse ou sur l'intolérable judéité originelle du Fils de Dieu. Ce fut d'ailleurs dans une église que la dérive négationniste d'extrême gauche connut, si l'on peut dire, un point d'orgue. En septembre 1998, à Paris, en l'église St Nicolas du Chardonnet, confisquée depuis de nombreuses années par des catholiques intégristes, une messe en latin était célébrée à la mémoire de Bardèche, mort quelques semaines plus tôt, le 30 juillet. Le Pen avait fait parvenir un hommage au défunt en qui il saluait « un historien d'avant garde et le prophète d'une renaissance européenne ». Dans l'assistance, où se côtoyaient plusieurs générations, fleurons et anonymes, de l'extrême droite française, on remarquait la présence de Pierre Guillaume. Il est vrai qu'à la messe dite ce jour-là en l'honneur de Bardèche, on trouvait aussi Pierre Sidos et Henry Coston. Ainsi presque tous les éditeurs français de Paul Rassinier, trente ans après sa mort, vingt ans après l'émergence de son disciple Faurisson, étaient présents en ce 12 septembre 1998 en l'église St Nicolas du Chardonnet.

Michel Foucault écrivait que « les identités se définissent par des trajectoires ». La trajectoire de Rassinier l'avait bien montré, celle de ses disciples depuis vingt ans le montre tout autant : il est rare que quelqu'un revienne de dérives de cette sorte, entamées bien avant d'être visibles, poussées par des ressentiments anciens, mais demeurés imperceptibles jusqu'à ce qu'une cause telle que la cause antisémite mobilise corps et âmes ceux qui y trouvent enfin la vérité qu'ils cherchaient.

[1] « Au passage, je tiens à dire, dans ce lieu, que tout au long de mon enquête, j'ai trouvé auprès des anarchistes une générosité incomparable dans le temps donné, dans les archives spontanément proposées par des gens qui avaient appris que je préparais une biographie de Rassinier, dans les recherches entreprises sans compter pour répondre à mes innombrables questions et requêtes, dans la confiance qui m'a été manifestée à travers le prêt de documents précieux parce que devenus introuvables. Je pense en particulier à Maurice Laisant, à Roland Lewin, à Marc Prévôtel, à Charles Jacquier et à René Bianco du Cira à Marseille », Nadine Fresco, 29 janvier 2000.

Ce texte est le résumé de l'intervention de Nadine Fresco, lors d'un débat autour de son livre sur Paul Rassinier, Fabrication d'un antisémite, le 29 janvier 2000 à la librairie La Gryffe.
Fabrication d'un antisémite, Seuil, « Librairie du XXe siècle », 1999, 800 p., 180 F.
Ecrit par libertad, à 23:24 dans la rubrique "Extrême-droite".

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