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CADTM : "Les énormes mobilisations spontanées du peuple argentin les 19 et 20 décembre 2001 contre les banques et les institutions financières internationales qui avaient entraîné la chute du gouvernement de De la Rua sous le mot d’ordre « ¡Que se vayan todos ! (Qu’ils s’en aillent tous) avaient fait en sorte que l’Argentine entre début 2002 dans le plus grand défaut de paiement de l’histoire vis-à-vis des créanciers privés. Cette suspension a duré jusqu’en 2005 où le président Kirchner a proposé une décote importante de 55% aux détenteurs de bons. Une proposition que ne soutenait évidemment pas le CADTM pour qui il aurait fallu que le gouvernement répudie purement et simplement cette dette héritée de la dictature responsable de crimes contre l’humanité, d’avoir décapitalisé sciemment le secteur public pour le livrer aux appétits du capital transnational en particulier espagnol et entraîné la faillite de tout un tissu économique de petites et moyennes entreprises. Une dette maintes fois remboursée et tout à fait odieuse. Cette décote si elle avait été acceptée par la majorité des créanciers ne l’avait pas été par tous. Or, le gouvernement est maintenant entré dans un processus de négociation avec les détenteurs de bons qui n’avaient pas accepté l’échange de 2005. Julio Gambina, d’Attac Argentine, organisation membre du réseau CADTM et des membres du collectif des Economistes de gauche (Economistas de Izquierda/EDI) nous informent à ce sujet.
L’opération de renégociation de l’échange avec les détenteurs de bons qui n’avaient pas accepté l’offre de 2005 est célébrée par les financiers, reçoit les éloges du parti justicialiste |1| et approuvée par l’opposition de droite. Cependant, il s’agit d’une transaction onéreuse pour le pays et contraire aux intérêts de la majorité. Elle rouvre une négociation qui était formellement close. Elle manque totalement de justification et ne se base sur aucune donnée crédible concernant l’état des finances publiques. L’affaire est entre les mains de 3 banques (Citibank, Deutsche Bank, et Barclays) qui ont récupéré les bons dépréciés par le défaut et revalorisés par l’offre du gouvernement. Ces banques préparent depuis plusieurs années cet échange de titres qui va leur rapporter d’énormes bénéfices au titre d’intermédiaires. Ils ont commencé à récupérer ces titres lorsqu’ils valaient 8 centimes de dollar en pariant qu’ils atteindraient le taux actuel de 45 centimes. Un groupe de lobbyistes a alors préparé l’opération avec les fonctionnaires en place. Les irrégularités sont considérables ainsi la Barclays est à la fois juge et partie dans l’histoire puisqu’à la fois elle assume à la fois la fonction de conseiller des détenteurs de bons et de conseiller de l’Etat.
Les premiers calculs prévoient que l’échange apportera aux détenteurs de titres un bénéfice de 1 milliard de dollars. Ce chiffre explique l’euphorie des marchés, l’appétit pour les bons argentins et la diminution du risque pays |2|. Tout indique de plus que les commissions des intermédiaires seront plus élevées qu’en 2005.
Le gouvernement vise bien sûr à justifier cette opération. Sa justification repose sur le fait que l’objectif est d’arriver à une « normalisation » de la situation financière internationale. En empruntant cette voie, le gouvernement culpabilise le pays pour avoir choisi le défaut de paiement et fait l’impasse sur le fait que c’est le monde de la finance qui a été responsable de la situation qui a conduit au défaut de paiement. On constate un retour du langage néo-libéral qui est d’exhorter au paiement ponctuel d’accords qui favorisent les banquiers en faisant le silence sur l’escroquerie dont l’Argentine a été victime de la part de ces groupes financiers. Dans ce climat proposer de ne pas payer ou d’exiger l’audit de la dette est considéré comme « démagogique » et « irréaliste ». Par ailleurs, le plus grand changement actuellement est que le paiement de la dette est transformé en « un projet progressiste » revendiqué à coup de revendications grandiloquentes. On parle de « récupération d’autonomie » alors qu’il est évident que l’augmentation des engagements externes génère de la dépendance. Ce même argument avait été utilisé pour rembourser totalement et de manière anticipée le FMI. Le désendettement promis s’est maintenant transformé en relance d’un cycle typique d’endettement.
Par ailleurs, le gouvernement met en avant le remplacement partiel d’une partie de la dette externe par de la dette interne qui représente aujourd’hui 46% du total de la dette, pourtant l’histoire récente de plusieurs pays dont tout particulièrement le Brésil montre bien que la dette interne ne représente nullement une alternative et que la substitution d’une tyrannie étrangère par une autre interne ne réduit en rien les souffrances populaires.
Evidemment face au consensus généralisé que nous venons de voir tant les économistes et organisations critiques argentines que le CADTM prônons une solution tout à fait opposée à savoir la répudiation de cette dette dont le mécanisme d’augmentation considérable a été impulsé sans fondement économique par la dernière dictature entre 1976 et 1983. Il faut s’appuyer sur le jugement Olmos de juillet 2000 pour répudier cette dette. |3| . En effet, cette dette argentine est complètement liée à la loi sur les entités financières de 1977, de la loi sur les investissements étrangers, deux lois datant de la dictature mais aussi du pacte minier entre le Chili et l’Argentine des années 1990 pour l’exploitation de la Cordillère ou du permis de développer les organismes génétiquement modifiés dans l’agriculture. Cette loi qui a vu l’invasion de soja sur les terres argentines dont plus de la moitié de la récolte sera destinée à nourrir les animaux d’autres parties du monde avec un effet direct sur la souveraineté alimentaire. Au cours des années 1970, le bilan de la lutte a penché pour la transnationalisation du capital en Argentine, via le terrorisme d’Etat. La discipline de la terreur a fonctionné avec les disparitions, les tortures, les assassinats, l’exil et différentes formes de répression (certaines se poursuivent) ; s’est répétée ensuite par des mécanismes économiques et sociaux, l’inflation et l’hyperinflation, le chômage, le sous-emploi et la précarisation permanente (présente à notre époque). C’est la conséquence de la dictature, de l’endettement, du pouvoir économique. Les bénéfices du présent ont des antécédents dans le passé récent, dans les années de plomb et dans une époque de déstructuration de l’organisation populaire.
C’est ainsi que Julio Gambina pose la question suivante : « Quand les responsables de ce changement structurel réactionnaire de l’Argentine seront-ils convoqués par la justice ? Est-ce que les plaintes et sentences à l’encontre des militaires suffisent ? Est-ce que le pouvoir économique et ses complices dans le système politique resteront impunis ? » Il raconte que lorsqu’ils se sont engagés dans la lutte pour l’abrogation des lois sur l’impunité, on leur rétorquait que c’était impossible. Or, l’effervescence des luttes populaires de 2002 ont entraîné un changement dans le rapport de forces qui s’est traduit par la concrétisation de l’abrogation. D’où il faudrait arriver par un vaste processus de sensibilisation sur cette question d’entraîner une puissante mobilisation consciente capable de faire basculer le rapport de force pour répudier définitivement cette dette. Les Economistes de gauche, Attac Argentine et d’autres organisations argentines y contribuent dans la mesure de leurs moyens.
Notes
|1| Le parti justicialiste ou peroniste est le parti au gouvernement actuellement en Argentine. Il s’agit d’un parti de tendance social-démocrate qui a été fondé par Domingo Perón après la seconde guerre mondiale.
|2| Le risque pays est la probabilité qu’un pays assurera le service de sa dette externe. Il est évalué par 3 agences de notations (Moody’s, Standard &Poors et Fitch) qui conférent une note qui influence les taux d’intérêt. Plus le pays est considéré comme susceptible de ne pas payer plus les taux d’intérêt de ses prêts sont élevés.
|3| Jugement de la Cour suprême argentine prononcée par le juge Ballesteros du nom du journaliste argentin à l’origine de la plainte portant sur l’endettement durant la période de la dictature. Suite à un audit des dettes, le juge a déterminé l’existence d’au moins 477 délits liés à l’endettement extérieur au cours de cette période.
P.-S.
Cet article a été rédigé à partir de deux articles en espagnol de Julio Gambina, d’Attac Argentine, organisation membre du réseau CADTM et des membres du collectif des Economistes de gauche (Economistas de Izquierda/EDI)