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Suite du récit d'Attilio Bortolotti (1903-1995), enregistré au Canada en 1980, et qui couvre les vingt premières années de son histoire américaine.
Au bout d'un moment à Windsor aussi s'était formé un groupe avec lequel j'étais toujours en contact. Je me souviens d'un certain Umberto di Fontanafredda, qui avait perdu une jambe dans une mine de charbon, et de sa femme, une piémontaise qui ne pesait pas plus de vingt-cinq kilos, pleine d'énergie et qui vendait du whisky et autres substances illégales : c'était l'époque du prohibitionnisme.
Pendant ces premières années à Windsor, je travaillais dur comme forgeron ou tourneur, après j'ai été faire le maçon avec mon frère, à Detroit : mortier et briques sur les épaules.
En 1926, je reçus un coup de téléphone de Pietro Bedus, qui m'informa que les fascistes avaient préparé une affiche pour annoncer que le Consul d'Italie de Toronto devait aller à Windsor pour pousser tous les jeunes qui n'avaient pas fait leur service militaire à se mettre en règle, à quoi nous répondîmes par une affiche invitant tous les antifascistes à être présents.
La réunion se tenait dans une école catholique. Le consul fasciste déclara que tous les jeunes devaient servir la patrie : à la fin du discours, trois pelés applaudirent, le restant de la salle demeura silencieux ; puis quelqu'un demanda à parler et le modérateur, un important entrepreneur italien de Windsor pour lequel j'avais travaillé deux ans, lui donna la parole, il se mit à contester le fait que les jeunes devraient rentrer en Italie pour faire le soldat pour une patrie qui ne leur avait même pas donné ce passeport qu'ils avaient du eux-mêmes payer. Cette intervention fut vivement applaudie... C'est alors que j’ai demandé la parole et au moment où j'allais me lever un des fascistes - il s'appelait Meconi- alla parler avec Luigi Merlo , l'entrepreneur, et ils se mirent à murmurer tout doucement. Je n'entendit rien, mais Luigi Merlo dit alors : «Ca suffit les interventions, Attilio, je ne te donne pas la parole», alors j'ai répliqué : «Et qui suis-je pour ne pas avoir le droit de parler ? Tu as fait parler tout le monde, salaud». Merlo bredouilla quelque chose et le fasciste dit : «Viens sur l'estrade pour parler si tu en as le courage». Je l'atteint en deux bonds, et m'adressais directement au consul en lui disant que j'avais vu la guerre et que j'étais parti au Canada avec l'idée que je ne l'aurais faite pour personne. Puis je me suis tourné et j'ai vu le portrait du roi Vittorio Emmanuele III : en une seconde je l'avais déchiré, j'en fit un projectile et je l'envoyais à la tête du consul. C'est à ce moment là que se déclencha une rixe, la police intervint, et mon frère me dit : «Retournons tout de suite à Detroit, sinon ce seront les coups et les inculpations».
Deux semaines après ces évènements nous avions commencé des travaux dans une maison à une vingtaine de kilomètres de Detroit. Personne ne savait ou mon frère nous envoyait travailler,mais vers 10 heures on a vu arriver une voiture d'ou sont descendus deux hommes gros et bien habillés qui se dirigèrent vers nous. Il me sembla les reconnaître...je me souvint qu'ils étaient des services de l'immigration. Ils vinrent à ma rencontre et moi dans un anglais désinvolte je leur ai demandé ce que je pouvais faire pour eux : ils me répondirent qu'ils étaient là pour contrôler si nous étions des immigrés illégaux. A quoi je répondis très tranquillement qu'ils pouvaient commencer par moi et que je m'appelais Carriaris - un de ceux que j'avais rencontré à Ellis Island. Quand ils me demandèrent mon passeport je répondis que cela faisait plus de cinq ans que j'étais là et que nous étions dans un pays libre dans lequel il n'était pas nécessaire d'avoir son passeport sur soi...Le deuxième inspecteur déclara que j'avais raison, mais ajouta aussi que comme ils ne voulaient pas interrompre notre travail ils allaient nous appeler un par un : c'était sûrement une vengeance des fascistes... Par conséquent je dis à mon frère Guglielmo qu'il serait préférable d'aller travailler ailleurs pendant un moment.
Mais quelques mois plus tard, un soir mon frère vint me voir en me disant : «Prends tes affaires et sauves-toi ! Les fascistes ont découvert ou tu habites et il est probable que les gens de l'immigration débarquent ici d'un moment à l'autre». En effet, dix minutes plus tard, ceux de l'immigration arrivèrent, mais entre-temps mon frère m'avait emmené avec son camion Windsor. J'ai cherché du travail, mais là aussi les fascistes avaient fait terre brûlée autour de moi, et je passais ainsi l'hiver 1926-1927 sans travail. Mais ce ne fut pas inutile, car je fis beaucoup de propagande pour sauver Sacco et Vanzetti. [...]
Mais un jour à l'heure du dîner, je fus pris par la police. Ils m'emmenèrent voir leur chef et en m'asseyant je vis tous les tracts pour Sacco et Vanzetti ainsi que ceux de la propagande ordinaire, qui avaient été ramassés par le fasciste Meconi. Les premiers mots du chef de la police furent : «Si tu n'étais pas le frère de Guglielmo, je t'enverrai en prison pour vingt ans.L'article 98 du code pénal dit que quelqu'un comme toi qui va partout disant que l'Etat est inutile est néfaste pour l'humanité... Grace à tout ce qu'a fait ton frère, même si maintenant il est à Detroit, je te donne une semaine pour quitter Windsor, et si tu étais malin tu quitterais le Canada».
J'abandonnai tout, sans travail et sans argent je pris le ferry pour Detroit. Je laissais aussi "Bortolotti" à Windsor et je devins "Bartelot", le nom d'un chimiste français, puis je me suis éclipsé en allant chez un camarade qui habitait du coté des usines Ford.
Passer le frontière était facile, j'avais remarqué que beaucoup, sitôt la passerelle du Ferry abaissée, courraient en disant : "Windsor,back today", c'est-à-dire "Windsor, je reviens dans la journée", et j'en fit autant. J'était grand et blond : j'avais l'air de tout sauf d'un italien ; grâce à cela je ne fut arrêté qu'une fois. J'ai brûlé mon passeport italien le jour ou j'ai lu que Mussolini avait fait assassiner Matteotti. Je l'ai brûlé dans le poêle, et entre 1927 et 1957 je n'ai plus eu de papiers : pour circuler il me suffisait d'avoir un chapeau dernier cri... J'avais en effet remarqué que quand le Ferry arrivait les inspecteurs savaient déjà qui ils devaient arrêter, ils reconnaissaient les immigrants grâce aux vêtements qu'ils portaient. Moi j'étais toujours bien habillé et je les trompais...
Au bout d'un moment je suis entré chez Ford sous le nom d'Alfred Bartelot, et au début j'ai essayé de me tenir éloigné des italiens. Je suis resté chez Ford jusqu'à mon arrestation en 1929, lors du second anniversaire de l'assassinat de Sacco et Vanzetti. Durant les derniers mois de 1927 nous avons fait une énorme propagande pour sauver sacco et Vanzetti : le jour ou ils furent tués tous les radicaux de Detroit étaient dans la rue ; il y avait des orateurs sur huit camions et nous étions presque quarante mille. A un moment je suis monté sur un camion et j'ai dit : «Faisons quelque chose, attaquons la mairie», et beaucoup appuyèrent ma proposition. Mais autour de la mairie il y avait des policiers sur quatre rangs : il y eu des affrontements, un copain toscan mit hors service toutes les motos des policiers, il y eu des matraquages... j'en reçu une bonne dose et je me suis enfuit vers le siège du "Detroit Free Press" qui était à coté ; j'y suis entré plutôt mal en point et il me dirent que Sacco venait d'être exécuté et que Vanzetti s'apprêtait à subir le même sort. Alors je suis rentré à la maison et là j'ai retrouvé Guglielmo, et d'autres camarades : ils étaient tous en sang...
A suivre…
Texte original en italien publié dans le numéro 24 du bulletin
du Centre d'Etudes Libertaires - Archives Centre Pinelli.
http://www.centrostudilibertari.it/
Traduction Rokakpuos