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Par Chalmers Johnson, Tom Dispatch, 15 mai 2007
Cet article est le deuxième d’une série en deux volets. Il fait suite à Empire du mal I/II
Bien d’autres aspects de l’impérialisme et du militarisme minent le système constitutionnel de l’Amérique. À ce jour, par exemple, la privatisation des opérations militaire et du renseignement est effectuée totalement en dehors du contrôle et du respect de la loi, et échappe à toute forme de surveillance de la part du Congrès. Elle est également incroyablement lucrative pour les propriétaires et les opérateurs de ce que l’on appelle les compagnies militaires privées — et l’argent servant à payer leurs activités vient finalement des contribuables par des contrats de gouvernement. La comptabilisation de ces fonds, en grande partie distribuée à ces compagnies selon le principe du copinage grâce à leurs relations avec les fonctionnaires de l’administration, est pour le moins problèmatique. Jeremy Scahill, auteur de Blackwater : The Rise of the World’s Most Powerful Mercenary Army, estime qu’il y a 126.000 contractuels militaires privés en Irak, plus qu’assez pour poursuivre la guerre, même si la majeure partie de l’armée des États-Unis se retirait. « Dès le commencement, » écrit Scahill, « ces contractuels ont représenté une importante dimension occultée de cette guerre, pratiquement ignorée par les médias de référence, mais pourtant absolument déterminante quant au maintien de l’occupation américaine de l’Irak. »
L’importance des budgets « militaires », toujours en augmentation, commence à menacer les États-Unis de faillite, étant donné que ses déficits commercial et fiscal en font déjà de loin la plus grande nation débitrice au monde. Les dépenses de l’établissement militaire - parfois nommés à tort « budget de défense » - ont atteint le niveau le plus élevé depuis la deuxième guerre mondiale, excédant celles des guerres de Corée et du Vietnam, et celles du Président Ronald Reagan dans les années 1980. Selon les calculs du National Priorities Project, un organisme de recherche sans but lucratif, qui examine l’impact local des politiques de dépense fédérales, 40% du produit de l’impôt est consacré aux dépenses militaires.
Tout aussi alarmant, il est pratiquement impossible pour un membre du Congrès ou un citoyen ordinaire d’avoir ne serait-ce qu’une petite idée des montants réels des dépenses militaires ou de leur impact sur la structure et le fonctionnement de notre système économique. Environ 30 milliards de dollars dans les budgets officiels du département de la défense (DoD) de l’année fiscale en cours sont « noirs », ce qui signifie qu’il sont prétendument dévolus a des projets classés très secrets. Le budget déclaré du DoD n’est d’ailleurs examiné que superficiellement, parce que les membres du Congrès, à la recherche de contrats lucratifs pour leurs circonscriptions dans le domaine des dépenses de défense, entretiennent des relations mutuellement bénéfiques avec les entrepreneurs travaillant avec la défense et le Pentagone. Le Président Dwight D. Eisenhower avait nommé ce phénomène, dans le premier jet de son discours d’adieu, le « complexe militaro-industrialo-parlementaire. » 46 ans plus tard, le budget de la défense échappe à une supervision ou à un contrôle sérieux de la part du Congrès, à un point que même Eisenhower n’aurait probablement pu imaginer.
Le DoD essaye toujours de minimiser l’importance de son budget en le présentant comme étant en baisse par relativement au produit national brut. Mais ce qu’il n’indique jamais, c’est que le total des dépenses militaires est en réalité bien plus élevé que les seuls fonds officiellement alloués au Département de la Défense. Lors de l’exercice budgétaire 2006, Robert Higgs de l’Independent Institute a calculé que les dépenses de sécurité nationale s’élevaient à presque un trillion ( mille milliards ) de dollars — 934.9 milliards pour être exact — décomposées comme suit (en milliards de dollars) :
Département de la Défense : 499.4
Département de l’ Energie (armes atomiques) : 16.6
Département d’Etat (Affaires étrangères, au titre de l’aide aux armées étrangères) : 25.3
Département des Anciens Combattants (au titre des soins apportés aux soldats blessés) : 69.8
Département de la Sécurité Intérieure (au titre de mesures concernant la défense) : 69.1
Département de la Justice (1/3 destinés au FBI) : 1.9
Département du Trésor (au titre des pensions militaires) : 38.5
NASA (lancements de satellite) : 7.6
Intérêts sur les dettes de guerre de 1916 jusqu’à aujourd’hui : 206.7
Au total, ces sommes sont supérieures à celles dépensées consacrées par l’ensemble des autres nations à leur défense nationale.
Ces dépenses aident à soutenir l’économie de la nation et constituent une ressource considérable, génératrice d’emplois. Cependant, elles commencent à avoir un impact sur l’économie, entraînant la stagnation des niveaux de revenu. Elles contribuent également à la perte d’emplois industriels par des délocalisations vers l’étranger. Le 1er mai 2007, le Center for Economic and Policy Research a publié une série d’évaluations sur « l’impact économique de la guerre d’Irak et de l’augmentation des dépenses militaire. » Ses chiffres montrent, entre autres, qu’une fois passée une phase de stimulation de la demande, le résultat d’un accroissement significatif des dépenses militaires (comme celui auquel nous avons assisté ces dernières années) devient négatif autour de la sixième année.
Tôt ou tard, des dépenses militaires plus élevées entraînent une augmentation des taux d’intérêt et de l’inflation réduisant la demande dans les secteurs sensibles de l’économie, notamment dans les ventes de voitures et de camions, et conduisent à des suppressions d’emploi. Les secteurs du bâtiment et de l’industrie - hors contrats militaires - subissent la plus grande partie de ces pertes. Ce rapport conclut, « la plupart des modèles prouvent que les dépenses militaires détournent les ressources d’une utilisation productive, telle que la consommation et l’investissement, ralentissent finalement la croissance économique et réduisent l’emploi. »
L’impérialisme et le militarisme ont ainsi commencé à mettre en péril le bien-être financier et social de notre république. Ce dont le pays a désespérément besoin, c’est d’un mouvement citoyen qui reconstruise le système constitutionnel et soumette à nouveau le gouvernement à la discipline des contrôles et des équilibres de pouvoirs. Ni le remplacement d’un parti politique par l’autre, ni les politiques économiques protectionnistes visant à sauver ce qui reste de notre secteur industriel ne redresseront ce qui a mal tourné. Car ces deux solutions ne se confrontent pas aux causes de notre déclin national.
Je crois qu’il n’y a q’une seule solution à la crise à laquelle nous faisons face. Les américains doivent prendre la décision de démanteler l’empire qui a été créé en leur nom, ainsi que l’énorme establishment militaire (continuant de croître) qui le sous-tend. C’est une tâche au moins comparable à celle entreprise par le gouvernement britannique quand après la deuxième guerre mondiale, il a liquidé son empire. En accomplissant cela, la Grande-Bretagne a su éviter le destin de la République romaine - devenir une tyrannie et dire adieu à sa démocratie - ce qu’elle aurait du faire si elle avait continué à essayer de dominer une grande partie du monde par la force.
Pour les États-Unis, la décision d’organiser une telle campagne de liquidation de l’empire pourrait bien s’avérer déjà trop tardive, étant donné les intérêts gigantesques et profondément enracinés du complexe militaro-industriel. Pour réussir, un tel effort exigerait pratiquement une mobilisation révolutionnaire de l’ensemble des citoyens américains, au moins comparable au mouvement des droits civiques des années 1960.
Pour parvenir à l’ébauche d’un schéma de retrait de l’empire — si inconcevable pour nos experts et éditorialistes de la presse écrite qu’il n’a jamais été ne serait-ce qu’envisagé — nous devons indiquer aussi clairement que possible ce que les dirigeants élus et les citoyens des Etats-Unis ont à faire. Deux décisions majeures devraient être prises. D’abord, en Irak, nous devrions lancer un calendrier de retrait contraignant de toutes nos forces militaires et transférer aux Irakiens les bases militaires permanentes que nous avons établies. En second lieu, sur le plan interne, nous devrions renverser les priorités budgétaires fédérales.
Comme le dit Noam Chomsky , ce vénérable critique de l’impérialisme américain : « La où les dépenses augmentent, comme celles concernant les factures militaires supplémentaires pour la conduire des guerres d’Irak et d’Afghanistan, elles devraient nettement diminuer. Là où les dépenses stagnent ou diminuent (santé, éducation, formation au travail, promotion des économies d’énergie et des sources d’énergie renouvelables, droits des vétérans, fonds pour l’ONU et des opérations de maintien de la paix de l’ONU, et ainsi de suite), elles devraient nettement augmenter. Les réductions d’impôts de Bush pour les revenus de plus de $200.000 par année seraient immédiatement annulées. »
De telles réformes commenceraient immédiatement à réduire l’influence délétère du complexe militaro-industriel, mais bien d’autres secteurs devraient également faire l’objet de notre attention. Dans ce processus de démilitarisation de la planète et de liquidation de notre empire, nous devrions initier un processus contrôlé de fermeture d’au moins 700 des 737 bases militaires que nous maintenons (selon le compte officiel du Pentagone) dans plus de 130 pays sur chaque continent excepté l’Antarctique. Nous devrions finalement viser la fermeture de toutes nos enclaves impérialistes, mais afin d’éviter l’isolationnisme et maintenir une capacité d’aider les Nations Unies dans des opérations globales de maintien de la paix, nous devrons probablement maintenir pour l’instant, quelques 37 d’entre elles, la plupart navales et aériennes.
Tout aussi important, nous devrions réécrire tous nos accords régissant le Statut de nos Forces militaires [1] - en particulier ceux que nous avons imposé et qui exemptent nos troupes basées dans les pays étrangers des lois locales qu’elles soient pénales, sur les impôts, le contrôle de l’immigration, la législation contre la pollution, et tout ce que les militaires américains ont pu imaginer. Nous devons adopter pour principe en matière de loi que les forces américaines basées en dehors des États-Unis agiront dans les pays d’accueil sur une base d’égalité, et non de privilège extraterritorial.
L’approche américaine des relations diplomatiques avec le reste du monde exigerait également une révision fondamentale. Nous devrions en finir avec notre unilatéralisme belligérant envers d’autres pays aussi bien qu’avec notre comportement désinvolte vis-à-vis du droit international. Notre objectif devrait être de renforcer les Nations Unies, y compris dans le respect de la majorité, en travaillant pour mettre fin au système de veto au sein du Conseil de sécurité (et par l’arrêt de l’utilisation de notre droit actuel de veto). Les Etats-Unis doivent cesser d’être le plus grand fournisseur d’armes et de munitions du monde — un commerce meurtrier dont la gestion devrait être placée sous la surveillance de l’ONU. Nous devrions encourager l’ONU à chercher à proscrire des armes comme les mines terrestres, les bombes à sous munitions, et les munitions appauvries en uranium qui font des ravages à long terme au sein des populations civiles. Dans le cadre d’un effort de redressement de l’équilibre diplomatique, nous devrions prendre certaines mesures évidentes, comme reconnaître Cuba et en finir avec notre blocus de cette île et, au Moyen-Orient, travailler pour équilibrer l’aide entre Israël et la Palestine, tout en essayant de jouer les bons offices afin d’apporter une solution véritable à cette situation désastreuse. Notre but devrait être un retour à l’influence par l’exemplarité — et par le recours aux arguments sains — plutôt que par le recours continuel à l’utilisation unilatérale de la force armée et aux interventions militaires étrangères répétées.
Pour ce qui concerne l’organisation du pouvoir exécutif, nous devons réécrire la Loi de Sécurité Nationale [National Security Act] de 1947, en éloignant de la CIA toutes les missions qui impliquent le sabotage, la torture, la subversion, la manipulation des élections dans les pays étrangers, et les autres formes d’activité clandestine. Le président devrait être privé de son pouvoir de commander ce type d’opérations, excepté avec l’avis et le consentement explicites du Sénat. La CIA devrait fondamentalement se consacrer au recueil et à l’analyse des renseignements concernant l’étranger. Nous devrions éliminer autant de domaines préservés par le secret que possible, de sorte que ni la CIA, ni toute autre organisation comparable, ne devienne plus l’armée privée du président.
Afin de stopper notre déclin économique et de diminuer notre dépendance à l’égard de nos partenaires commerciaux, les américains doivent couvrir leurs déficits commerciaux par l’utilisation parfaitement légale des tarifs selon les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, et ils doivent commencer à diriger leur marché intérieur par une politique industrielle nationale, de la même manière que les principales économies du monde (en particulier celles des japonais et des Chinois) le font de manière habituelle. Bien que cela puisse impliquer d’empiéter sur les intérêts acquis des départements de sciences économiques des universités américaines, il n’existe aucune excuse pour continuer à faire confiance à une doctrine périmée du « libre échange. »
En temps normal, une proposition de liste de réformes comme celle-ci serait tout simplement rejetée et qualifiée d’utopique. Je comprends cette réaction. Je veux cependant attirer l’attention sur le fait que ne pas entreprendre de telles réformes signifierait condamner les Etats-Unis au destin de la République romaine et de tous les autres empires depuis lors. Et c’est pourquoi j’ai donné à mon livre Nemesis le sous-titre « les derniers jours de la République américaine. »
Quand Ronald Reagan a inventé l’expression « empire du mal, » il se référait à l’Union Soviétique, et j’étais fondamentalement d’accord avec lui sur le fait que l’URSS devait être contenue et mise en échec. Mais aujourd’hui ce sont les États-Unis qui sont largement perçus comme un empire du mal et les forces sur la scène internationale se rassemblent pour nous arrêter. L’administration Bush insiste sur le fait que si nous quittons l’Irak nos ennemis « vaincront » ou - de manière encore plus improbable — « nous poursuivront jusqu’à chez nous. » Je crois que, si nous abandonnions l’Irak et nos autres enclaves impériales, nous pourrions regagner la haute terre de la morale et refuser la nécessité d’une politique étrangère basée sur la guerre préventive. Je crois également qu’à moins que nous suivions ce chemin, nous perdrons notre démocratie et qu’alors ce que nous pourrions perdre encore importera peu. Pour reprendre les mots immortels de Pogo, « nous avons rencontré l’ennemi et c’est nous [2]. »
Chalmers Johnson est historien, professeur émérite à l’université de Californie de San Diego. Spécialiste de l’orient, il est le co-fondateur du Japan Policy Research Institute, et est l’auteur de nombreux ouvrages, dont récemment Blowback, The Sorrows of Empire, et Nemesis : The Last Days of the American Republic.
[1] Status of Forces Agreements
[2] Pogo est un personnage de BD américaine. La citation provient d’un dessin de 1971, publié à l’occasion de la Journée de la Terre, ou l’un des deux personnages prononce cette phrase devant le spectacle de la nature menacée par nos détritus. voir Wikipedia