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Eco-radicalité et passage à l’acte : danse prudente autour des écrits d’Unabomber

Lu sur Article XI : "Il n’a pas fait dans la dentelle, Theodore J. Kaczynski. Convaincu d’œuvrer pour la survie de l’humanité, le bougre n’a pas hésité à faire couler le sang pour les besoins de sa cause. Pas exactement un modéré. Entre 1979 et 1996, celui que le FBI et la presse avaient surnommé Unabomber, l’homme le plus recherché des États-Unis, a balancé de nombreuses lettres ou colis piégés à des adresses diverses, tuant trois personnes et en blessant 29. Avant d’être finalement capturé par le FBI suite à ce qui fut sans doute la plus longue traque de son histoire. Les victimes ? Des cibles épistolaires choisies pour leur implication plus ou moins directe dans le "désastre technologique" en cours. Kaczinsky espérait ainsi faire connaître ses écrits, plus particulièrement celui qui est généralement considéré comme son manifeste : La Société Industrielle et son Avenir. Dans cette optique, son action terroriste fut plutôt une réussite puisque, sur demande du FBI soumis à son chantage, le Washington Post publia une version quasiment complète du texte en 1995.

Depuis 1996, Unabomber est en prison. Celui qui avait mis en conformité sa vie avec ses idées, rompant totalement avec une carrière universitaire s’annonçant plus que brillante (entrer à Harvard à 16 ans n’est pas forcément à la portée du premier venu…) pour aller vivre dans une cabane perdue dans la nature, a été condamné à vie pour ses attentats. Traité comme un fou psychopathe, un dément, il est soumis à un traitement particulier et à des conditions draconiennes de sécurité. Et ses écrits, s’ils prolifèrent sur le web, n’avaient pour l’instant, en France en tout cas, eu droit qu’à un mépris quasi total : qui voudrait publier les théories politiques d’un terroriste psychopathe ? Qui prendrait le risque de proposer au grand public la lecture de l’œuvre d’un type qui a tant fait trembler le ricain moyen, préfigurant à sa manière la psychose Al Qaida/anthrax ?

Dérobés aux regards et aux cerveaux du public, les œuvres d’Unabomber végétaient. Jusqu’à ce qu’une maison d’édition suisse, Xenia, se pique d’entrer en contact avec le prisonnier. Parvienne à la convaincre de la nécessité d’une édition complète de ses textes. Et effectue un travail éditorial plutot impressionnant : huit essais ou articles traduits, une interview de l’éco-terroriste, des extraits de sa correspondance, des préfaces et des actualisations par Kaczynski en personne.

Disons-le tout net, publier ce livre était nécessaire. D’abord parce qu’il permet de se rendre compte que l’auteur de ces textes n’était pas le psychopathe envappé que les médias ont dépeints : pensée claire et méthodique, argumentation dénuée de toute envolée hystérique, approche synthétique, recours fréquent et très documenté à l’anthropologie. Et ensuite parce que les questions soulevées par Kaczynski restent plus que jamais d’actualité. Kaczynski aimait considérer ses textes comme une alarme, un électro-choc à l’attention d’une société au bord de l’implosion. La manière dont il a voulu attirer l’attention sur ses analyses des dérives de la technologie triomphante est certes critiquable (euphémisme d’envergure), cela n’en discrédite pas pour autant son travail théorique.

Ceux qui viendraient à ces textes parce qu’attirés par le côté spectaculaire de l’auteur en seront pour leurs frais : il est très peu question de bombes, voire pas du tout, dans ces écrits, et ils sont rédigés dans une langue un tantinet soporifique. Par contre, ceux qui cherchent à comprendre les tenants et aboutissants d’une critique ultra radicale du progrès à tout prix et de nos sociétés hyper technologiques trouveront dans ce livre costaud matière à réfléchir. Pour ceux-ci, je me contente de soulever quelques pistes éparses. Qu’ils se reportent à l’ouvrage s’ils souhaitent les approfondir.

Rage Against the Machine

Pour Kaczynski, l’ennemi c’est la machine. Pas à tortiller, la face la plus sombre de nos sociétés s’incarne dans le progrès technologique, dans l’emprise toujours plus grande des machines sur nos sociétés industrialisées. Ce n’est pas le premier à formuler ce genre de théorie évidemment. D’Alfred de Vigny déclamant "La science trace autour de la Terre un chemin triste et droit" à Butler, Orwell, Thoreau ou Jacques Ellul, ils sont pléthore à s’être lancé dans des critiques du progrès à tout pris. En France, on notera l’excellent travail militant et théorique des activistes de Pièces et Mains d’Oeuvre (PMO, entretien Article 11 ici). Et pour remonter dans le temps, on notera que Lao-Tseu, déjà, déclarait : "Plus les outils sont aiguisés, plus l’état est obscurantiste."

[1]

Ted Kaczynski n’est pas seul dans son combat, donc. On peut d’ailleurs le rapprocher de diverses mouvances contemporaines de l’écologie radicale, des anarcho-primitivistes aux écoguerriers en passant par les néo-luddistes. Sauf que lui est encore plus radical dans dénonciation des mécanismes sociaux de contrôle et qu’il n’hésite pas à critiquer les théories de ces compagnons de lutte. À ceux qui verraient dans ses thèses une forme avancée de naïveté nostalgique (type : "On vivait tellement mieux il y a 10 000 ans à se dorer la pilule en grignotant les fruits du jardin d’Eden en se tenant tous par la main"), je conseille la lecture de sa critique de l’anarcho-primitivisme ("La vérité au sujet de la vie primitive", p.123), très sévère envers l’angélisme un peu stupide de ses partisans.

Dans l’introduction à cette édition, Kaczynski résume la situation en quatre points qui résument bien les fondamentaux de sa pensée :

1/ "Le progrès technologique nous conduit à un désastre inéluctable. Il peut s’agir d’un désastre physique ou d’ un désastre en terme de dignité humaine."
2/ "Seul l’effondrement de la civilisation technologique moderne peut empêcher le désastre."
"Un moindre désastre aujourd’hui en empêchera un plus grand demain. (…) Nous sommes par conséquent confrontés à la nécessité d’une révolution absolue."
3/ "La gauche politique est la première ligne de défense de la société technologique contre la révolution. En fait, la gauche fonctionne aujourd’hui comme une espèce d’extincteur qui douche et qui noie dans l’œuf tout mouvement révolutionnaire naissant. (…) Sitôt qu’un mouvement de résistance commence à émerger, ces gauchistes s’agglutinent dessus comme des mouches sur le miel jusqu’à ce qu’ils dépassent en nombre les membres fondateurs, reprennent la direction du mouvement et en fassent une faction gauchiste de plus, l’émasculant du même coup."
4/ "Ce qu’il faut, c’est un nouveau mouvement révolutionnaire, voué à l’éradication de la société technologique, et qui prendra des mesures pour tenir à l’écart les gauchistes et consorts : les névrosés, les paresseux, les incompétents et les individus dépourvus de self control qui affluent vers les mouvement de résistance dans l’Amérique d’aujourd’hui."

Outre la défiance absolue envers le gauchisme (j’y reviens plus bas), Kaczynski a quelques point sur lesquels il revient obstinément. D’abord l’effet délétère des technologies sur nos modes de vie en société, chaque nouveau progrès menaçant insidieusement nos libertés, renforçant nos sociétés de surveillance et notre dépendance envers des éléments externes. Ensuite, le stress absolu qui pèse sur les épaules de l’homme contemporain contraint de se gaver de médocs pour supporter la vie au 21e siècle :

Mais au lieu de s’attaquer aux conditions de vie anxiogènes, la société moderne se contente de masquer les effets en fournissant des médicaments anxiolytiques et antidépresseurs. Ces substances permettent de modifier le milieu intérieur d’un individu de façon à ce qu’il supporte des conditions qu’il jugerait intolérables sans cela.

Réduit à se médicamenter pour échapper à sa condition, l’homme contemporain compense également en sursocialisant et en se jetant à corps perdu dans des "activités de substitution" stupides (du foot au bowling en passant par la télévision ou les timbres…).

Enfin, chaque nouvelle avancée technologique renforce la dépendance de l’homme envers des instances supérieures et son incapacité à prendre son destin en main :

L’homme primitif tient donc sa sécurité entre ses mains (en tant qu’individu ou en tant que membre d’un petit groupe) alors que la sécurité de l’homme moderne est entre les mains de quidams ou d’organismes, trop lointains et trop inaccessibles pour qu’il puisse espérer les influencer.

L’avancée insidieuse de la technologie

Souvent, critiquer le progrès technologique équivaut à tendre le bâton pour se faire battre. Prises individuellement, hormis énergie nucléaire ou armement, la plupart des avancées techniques semblent en effet bien innocentes, voire vertueuses. Pourquoi s’insurger contre ce qui semble vecteur de confort et de progrès ? Kaczynski y répond par une comparaison frappante : "N’oubliez jamais que la race humaine se comporte vis-à-vis de la technologie comme un alcoolique devant un tonneau de vin." En clair : un petit verre n’a jamais fait de mal à personne. Mais il en appelle forcément un autre puis un autre puis un autre, avec au final un totale perte de contrôle :

Alors que le progrès technologique DANS SON ENSEMBLE réduit inexorablement notre espace de liberté, chaque nouvelle technologie prise ISOLEMENT apparait désirable et attrayante. L’électricité, les réseaux de distribution, les communications rapides sur de longues distances… Comment pourrait-on protester contre ces acquis ou contre n’importe quelle innovation technologique parmi la multitude de celles qui nous sont offertes par la société moderne ?

Ce n’est pas au coup par coup que l’avancée technologique doit être combattue, c’est dans son ensemble. Une pensée de l’écologie véritablement radicale qui fait forcément grincer des dents [2] mais a le mérite d’être claire : nos petites agitations écolo-gentillettes et développementalistes sont de la bibine qui détournent du vrai but à atteindre. Face à l’avancée insidieuse et doucereuse du progrès technique, seul un changement radical est concevable. Réformes et mesures au cas par cas ne changeront rien au cours des choses. Il n’y a que deux portes de sortie : tout raser ("Il serait préférable de se débarrasser en bloc de ce système puant et d’en assumer les conséquences." ) ou accepter l’asservissement exponentiel :

A supposer que la société industrielle survive, il est probable que la technologie prendra le contrôle du comportement humain de façon à peu près complète.

Pour éviter cela, Kaczynski ne s’embarrasse pas de scrupules (Parlant des militants : "Ils doivent se tourner vers l’action pratique, sans renoncer a priori à ses formes les plus extrêmes."). Pour faire tomber le système oppresseur, la révolution doit être menée par la petite minorité d’élus qui auront compris que ce combat est le seul qui vaille. Il considère par ailleurs que cette révolution ne peut qu’être mondiale, car un pays qui se débarrasserait de manière isolée de sa technologie se retrouverait vite asservi par les autres et détesté par sa population. Utopique ? Bien sûr, mais Kaczynski sait que le temps joue pour lui, ou plutôt contre l’homme : les désastres écologiques et le saccage exponentiel de la terre pourraient générer des prises de conscience radicales, si le contrôle par le système ne l’emporte pas en abrasant toutes les consciences. Dans ce combat, le jeu est pipé [3] et la victoire ne peut passer que par une intelligence stratégique aiguisée (cf. l’article "Frappez les points névralgiques !", p. 239)

Au final, ce vers quoi Kaczynski tend est simple : un retour à une vie simple, débarrassée des griffes de la vie en société et du stress contemporain. Sans idéalisation ni naïveté (cette vie est rude et difficile, admet-il), mais avec cette certitude que c’est la seule solution viable collectivement :

L’idéal positif que nous proposons est la Nature, la Nature VIERGE et SAUVAGE, qu’il s’agisse de la terre ou des formes de vie qui s’y développent sans la moindre intervention de l’homme.

Dans un entretien publié en 2001 par un journal du Montana et reproduit dans l’ouvrage des éditions Xenia (p. 247), Kaczynski revient sur la vie frugale et austère qu’il avait adoptée après avoir fui l’université et une carrière de mathématicien prometteuse. Isolé dans un trou paumé du Montana, il vivait principalement de chasse et de la culture de son jardin. Un récit qui ne fait pas forcément rêver [4] mais qui rappelle qu’Unabomber avait au moins le mérite d’avoir mis son existence en conformité absolue avec ses idées.

Le "gauchisme", gentil hochet qui conforte le système

Le Meilleur tour du système est d’avoir mis de puissants désirs de rébellion qui auraient pu engendrer des révolutions au service de modestes réformes.

Dans l’introduction à sa traduction de "La Société industrielle et son avenir", Jacques Barriot explique que différentes traductions de ce Manifeste existaient déjà, mais qu’elles brillaient souvent par leur manque de rigueur. Surtout, il souligne un point essentiel, à savoir que ces traductions avaient choisi de transcrire le terme de "Leftist", utilisé de manière très péjorative par Kaczynski, par "progressiste". La critique au vitriol menée par Unabomber s’en trouvait décentrée, orientée vers la gauche réformiste (les démocrates aux EU) alors qu’elle englobait en langue anglaise une acceptation beaucoup plus large du terme. L’anecdote prête à sourire : l’écologie radicale étant souvent liée à l’extrême gauche, celle-ci accepte difficilement de se voir ravaler au rang d’alliée involontaire du système, d’où ces déformations dans la traduction.

Pour lui, le gauchisme est contre-productif car il détourne les énergies des vrais combats, de la remise en cause radicale qu’il prône. Certes, les combats pour les droits civiques, contre les guerres, pour les libertés (…) se situent du côté du bien. Mais ils ne remettent pas en cause l’oppression technologique. Pendant que des beaux-parleurs sursocialisés (Kaczynski n’est pas vraiment tendre avec les gauchistes. Pioché dans ses textes : "Si notre société n’avait pas le moindre problème, les gauchistes en INVENTERAIENT pour justifier leur agitation.") accaparent l’espace médiatique alloué à la révolte, les vrais combats sont délaissés.

La situation est pour lui un peu comparable à celle tracée par Orwell dans 1984. Alors que Big Brother régente un monde inhumain et ultra totalitaire, Winston Smith, le héros du roman, semble trouver des compagnons de lutte dans la Fraternité, une nébuleuse rebelle dirigée par un certain Goldstein. Le pouvoir suprême de Big Brother ne cesse d’invoquer Goldstein comme cible de haine, défouloir parfait. A la fin du roman, Smith apprend que Goldstein est une création de Big Brother, qu’il fait également partie du système totalitaire. L’autorité a besoin d’un ennemi, de préférence inventé de toute pièce, c’est vieux comme le monde.

Dans les écrits de Kaczynski , on retrouve un peu cette vision. Non pas que les gauchistes soient ouvertement à la solde du système. Mais plutôt parce qu’ils empêchent, par leur vaine agitation sur des sujets frivoles, une véritable opposition de se former. Ils sont nécessaires aux pouvoirs en place car ils incarnent une vision naïve de la révolte. Position pour le moins radicale mais qui a au moins le mérite de faire réfléchir.

Une démarche éditoriale courageuse

Comme ce billet commence à s’éterniser et que mon dimanche ne saurait se passer intégralement devant un ordinateur, je ne pousse pas plus loin l’analyse de l’ouvrage. Ceux que cet aperçu auront alléché n’auront qu’à filer dans une librairie quérir le livre. Mais il est un point que je tenais à aborder, même en vitesse, à savoir celui de la démarche éditoriale qui a présidé à la publication d’un tel ouvrage [5]. En ces temps de frilosité et de censure à tout va, on ne peut que louer la démarche courageuse d’un éditeur qui, forcément, va se trouver accusé de faire le jeu du terrorisme.

Ce n’est pas facile d’éditer un tel livre, on le sent dans les contorsions de l’éditeur dans son avertissement introductif : "Rien ne peut justifier que l’on use du meurtre et de la violence pour répandre des idées. Nous tenons toutefois à appliquer, même dans ce cas précis, le droit imprescriptible à la liberté d’expression, ce qui est la mission d’un éditeur."

De la même manière que je me sens obligé de tempérer ma présentation du livre jusque dans mon titre ("Danse PRUDENTE autour des écrits d’Unabomber"), les éditeurs avancent à pas de loup pour présenter l’œuvre d’Unabomber. Et surtout, ils se gardent de tout sensationnalisme sur la question, ne donnant à l’activité terroriste de l’auteur qu’un très rapide aperçu (en post-face). C’est louable. On sourira d’ailleurs en lisant sur la couverture que l’intégralité des droits d’auteur de Kaczynski seront offerts à la croix-rouge.

En fouinant sur Internet, j’ai trouvé un entretien donné par l’éditeur de l’ouvrage, un certain Slobodan Despot [6], à un quotidien suisse. Il y explique le point de départ de cette démarche éditoriale et fournit une excellente conclusion à ce billet qui menaçait de se prolonger indéfiniment :

Censurer ses écrits reviendrait à interdire les rééditions d’un Karl Marx parce que ses charges contre la bourgeoisie ont servi à justifier les crimes du communisme. Un éditeur n’est pas un policier. Il doit ouvrir les horizons, non les verrouiller sur des idées qu’on croit indiscutables parce qu’elles expriment l’opinion dominante du moment.

par Lémi

Notes

[1] Photos empruntée au blog du photographe roumain Hadju Tamas. Que son auteur, à qui je n’ai rien demandé, en soit remercié.

[2] J’attends le pied ferme le salaud qui tentera de me priver d’Internet…

[3] "Il n’est CERTAINEMENT PAS dans l’intérêt du système de préserver la liberté des individus ni l’autonomie des petits groupes. Bien au contraire, son intérêt est de contrôler le comportement humain de façon la plus stricte possible."

[4] Pas très rock’n’roll.

[5] Publié dans le même temps en version originale anglaise par le même éditeur.

[6] Non, ce ne semble pas être un pseudo…






Ecrit par libertad, à 23:13 dans la rubrique "Pour comprendre".



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