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Oh Mensch ! Gieb Acht !
Was spricht die tiefe Mitternacht ?
„ Ich schlief, ich schlief -,
„Aus tiefem Traum bin ich erwacht : -
„Die Welt ist tief,
„Und tiefer als der Tag gedacht.
„Tief ist ihr Weh -,
„Lust – tiefer noch als Herzeleid :
„Weh spricht : Vergeh !
„Doch alle Lust will Ewigkeit -,
„- will tiefe, tiefe Ewigkeit !
O homme ! prends garde !
Que raconte donc minuit profond
« J’ai dormi, j’ai dormi !
« D’un profond rêve je me suis éveillé.
« Le monde est profond
« et plus profond que ne le pensait le jour.
« Profonde est sa douleur
« Mais la joie est plus profonde encore que la peine.
« La douleur dit : renonce, passe,
« Mais toute joie veut l’éternité,
« veut la profonde éternité ! »
Cet après-midi-là, j’avais médité sur les dernières strophes du Chant de l’Ivresse, le poème sur lequel s’achève, comme on sait : « Ainsi parlait Zarathoustra. » Je m’étais appesanti longtemps sur un fac-similé en ma possession de l’écriture de Nietzsche, fac-similé qui comporte la strophe placée en tête de cet article. En pensant à la sombre destinée du poète-philosophe de Sils-Maria, je scrutais cette écriture droite, où la tendance est de détacher, de scander chaque lettre des mots qui se succèdent sur le papier, - est-ce le signe d’une pensée qui se suit, qui se recueille, qui se comprime avant de s’élancer, de s’extérioriser comme un torrent en délire ? Le crépuscule s’annonçait, mettant fin à mes réflexions : L’heure était venue de quitter la ville.
*
* *
Le long des quais, je croise à tout instant des jeunes filles s’appuyant langoureuses, pâmées, sur le bras d’un compagnon. Oh ! la belle soirée ! Il y a dans l’air de la douceur, de la volupté, des promesses de germination. Bientôt il fait nuit Dans les haies, dans les vergers des maisons bordant le canal qu’il me faut suivre pour me rendre à ma destination, des arbustes sont déjà en fleurs : prunelliers, pommiers, pêchers, etc. Les peupliers, les ormes, les hêtres commencent à se parer. Des pâquerettes, des coucous, des violettes, d’autres fleurs encore étoilent le gazon. La lune, toute pleine, argentée, illumine le sol ; les arbres se mirent dans l’eau clapotante ; les crêtes des vagues menues, éclairées davantage, dansent, se trémoussent sans répit. Qu’il fait bon respirer l’atmosphère de cette nuit de veille de printemps ! Certes le monde est profond, plus profond que ne le pense le jour, le jour où s’en donnent à cœur joie les dominants et les dirigeants, le jour où, pour que les exploiteurs vivent leur vie, les exploités renoncent à la leur. Le monde est plus profond que ne e pensait le jour, car le jour c’est le royaume de la peine et de la douleur. Et le monde n’est pas que douleur et souffrance. Il est aussi joie, et cette joie, on ne la comprend bien que lorsqu’on se sent comme réveillé d’un profond sommeil, sur les minuit, alors que c’est le calme, la solitude, le silence qui prédominent ; lorsqu’a disparu la dernière des rumeurs du monde où l’on sue et où l’on peine, lorsqu’a cessé l’appel des tâches ininstinctives, des labeurs desséchants, des astreintes mutilantes. Oui, c’est au cœur de la nuit qu’on éprouve, qu’on goûte, qu’on apprécie la joie d’être un vivant, d’aimer la vie en passionné, la joie de vivre sa vie pour soi-même.
Jamais, je n’ai tressailli comme cette nuit-ci sur ce chemin étroit qui file tout droit entre les eaux pailletées du canal et les haies d’aubépines, de coudriers, de prunelliers qui frémissent sous la caresse primevérale toute proche. Jamais je n’avais – je ne dis pas compris – mais appréhendé, saisi, conçu le sens contenu, celé en cette strophe du merveilleux chantre de Zarathoustra. Je me la répète, cette strophe, en français, en allemand, une fois, deux fois, dix fois. Je crois bien que je la chante, que je la rythme à haute voix, à plein gosier. Sûrement je suis plein, cette nuit, de l’ivresse de Zarathoustra. Sûrement, je communie avec l’état d’esprit de Nietzsche au moment où il composait ce poème.
– o –
Pourquoi faut-il qu’en pleine ivresse quelque chose d‘incommode, me gêne ? Quelque chose comme une bête sale et visqueuse qui passerait sur mon visage. Quelque chose de semblable à une morsure de pou ou de punaise. Comme une sensation de laideur rappelant « la peine du jour ». Qu’est-ce donc ? Ce n’est pourtant pas un spectre qui s’est dressé en travers de mon chemin. Non ! C’est dans ma mémoire qu’il me semble voir se détacher en caractère de bave et de fange quelques mots qui ne sont pourtant pas de mise en ce moment ineffable où mon être, tout mon être bat à l’unisson de la raison d’être des choses qui vivent, se confond avec elle, c’est-à-dire aspire à pleins poumons la joie d’exister, de réaliser que le but de l’existence est de savourer la jouissance de vivre.
Ah ! Les vilains mots, les mots déprimants qui me remontent à la mémoire en cette nuit-ci : « Où il nous faudrait de réalistes, nous avons des poètes ».
Des « réalistes »… Mais c’est un mot du « jour », du jour où l’on pleure, où l’on trime, où l’on crève justement pour la plus grande gloire et le plus grand profit des « réalistes » : détacheurs de coupons et encaisseurs de dividendes, détenteurs-accapareurs des moyens de production, manieurs d’argent et brasseurs d’affaires, joueurs et spéculateurs en bourse et en banque. Ah ! certes, « réalistes », ceux-là, et comment ! Réalistes les Monopoleurs et les Privilégiés qui se disputent sur le dos de millions de victimes insensées les marchés commerciaux du monde exploitable. « Réalistes », bien sûr, les capteurs de sources de pétroles et les Comités des Forges d’en deçà comme d’au-delà du Rhin. « Réalistes » les chemises noires du pseudo-César transalpin ou les rouges galonnards de la Moscovie soviétique.
« Réalistes » aussi les « copains » roublards à la recherche d’une combine impérilleuse – n’importe laquelle – pourvu que ça rapporte – l’argent n’a pas d’odeur – fût-ce celle de solliciter leur inscription sur la liste des émargeurs aux guichets de publicité des emprunts de l’Etat qui prépare et fomente la guerre, ou de la Haute Banque qui profite de la Barbarie universelle. Ne leur parlez pas des poètes, à ceux-là !
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* *
« Où il nous faudrait des réalistes nous avons des poètes ».
Pauvres poètes, vous n’êtes pas des « réalistes », on ne le sait que trop. Assurément vous ne connaissez ni la popularité, ni le succès, ni la fortune des « réalistes ». Sans doute, vous ne mourez pas de faim tous les jours et ce n’est pas quotidiennement que vous vous réfugiez dans le repos du suicide. Le plus souvent vous vous contentez – je pense ici aux vrais poètes – d’agoniser lentement votre vie durant. Vous n’êtes jamais assez pratiques pour décrocher la « combine », la vraie combine de tout repos, qui vous permettrait de finir vos jours bien doucement. Cependant, avec votre misère chronique, votre inguérissable façon de ne point savoir vous y prendre, votre insurmontable gaucherie, vos enthousiasmes et vos chutes, vos caprices et votre irritabilité, vous êtes mile fois plus près des sources primitives, originelles de la vie des hommes que les plus roués « réalistes ». C’est instinctivement que vous chantez, que vous aimez que vous souffrez, que vous vous réjouissez. Vous prêtez l’oreille au bouillonnement de vos désirs, vous ; vous ne repoussez pas les séductions de vos sensations, vous ne restez pas sourds à la voix des émotions qui vous tentent. Vus êtes plus vibrant, plus frais, plus neufs, plus libérés que le reste des hommes. Plus nature. Oui, plus nature. Et à cause de cela, vous heurtez sans cesse et toujours la croûte, le moule de la respectabilité d’expressions on veut vous engeôler le bon sens réaliste. Vous le heurtez tant et si bien – ô vrais poètes – que vous finissez par le faire éclater en mille morceaux. Et votre imagination s’échappe et galope bride abattue dans les campagnes de l’originalité créative. Poètes vrais – vous êtes individualistes – vous n’entendez vous exprimer que comme vous sentez, comme il vous plaît personnellement. Poètes vrais – lyriques ou cyniques – Vous êtes anarchistes – vous vous riez de toutes les servitudes de la pensée. Que vous êtes peu nombreux sur la planète, ô vrais poètes, irremplaçables animateurs d’humanités.
E. Armand, 1931
Commentaires :
marchal |
Tu as raison Armand, voici le flou. L'indescriptible. Et il rit encore quand je lui prends cette phrase pour mieux me faire comprendre : « On entend, on ne cherche pas, on prend, on ne demande pas qui est celui qui donne : comme un éclair une pensée jaillit, nécessaire, sans hésitation dans sa forme - je n'ai jamais eu un choix à faire. »
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à 19:42