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Du SEL au SELT. Du système d’échange local au système d’échange local au temps
Lu sur refractions : Au travers de l’exemple du SEL (devenu SELT) de Lodève (Hérault), en quoi ce système peut-il être une alternative économique à l’économie de marché ?

En 1994 naissait le premier SEL (système d’échange local) français en Ariège. Le SEL est un multi-troc. Exemple : Annie pose des étagères chez Raoul qui coud des vêtements pour Jean-François qui a fourni des plans de tomates à Annie. Les transactions ne sont pas équivalentes ? Aucun problème, une comptabilité les enregistre à la valeur décidée par chacun, de gré à gré, les soldes, négatifs ou positifs, seront reportés pour la session suivante sur un catalogue. Les premiers SEL fonctionnaient et fonctionnent toujours à peu près ainsi : une association gère le multi-troc. Elle diffuse à ses adhérents un catalogue de ressources, les offres et les demandes de chacun, leur permettant ainsi de s’échanger des services et des biens. Elle tient une comptabilité de ces échanges libellés dans une sorte de monnaie parallèle, les grains de sel, calquée sur la monnaie officielle (le franc à l’origine). Depuis, cette idée a fait son chemin, quelques centaines d’autres SEL sont apparus un peu partout en France. Beaucoup des créateurs et adhérents rêvaient de mettre en place une alternative à l’économie libérale, en permettant des échanges plus justes, plus directs, plus humains.

Aujourd’hui, une partie de ce rêve a été réalisée. Par le SEL, un tissu relationnel s’est renforcé çà et là, des exclus de l’économie ont pu valoriser leur savoir-faire et, surtout, de réels services qui améliorent la vie de chacun se sont échangés, alors qu’ils n’auraient pas pu l’être dans l’économie conventionnelle. Miracle de l’échange, chacun se retrouve à la fin avoir reçu un service ou un bien pour lui difficile à produire, en ayant donné ce qui lui était aisé de produire. Le solde comptable des échanges est équilibré mais le bénéfice réel est positif. Toutefois à côté de leur succès indéniable, force est de constater les dérives et les déboires de la première génération de SEL. Quelques exemples :

– Le SEL n’abolit pas forcément les inégalités sociales. Un professeur d’université demandait 200 grains de sel de l’heure et se plaignait de ce qu’une femme proposant des ménages demandait 50 à la place des 45 grains de sel habituels.

– Les rapports avec l’économie officielle sont ambigus. Un potier proposait ses oeuvres au marché du SEL avec de petites étiquettes portant pour seule inscription un nombre qui indiquait le prix en grains de sel. On pouvait retrouver ce potier avec les mêmes objets et les mêmes nombres portés sur les étiquettes dans des marchés officiels, ces nombres se lisaient alors comme des francs, avec la TVA comprise.

L’administration fiscale et la justice se sont intéressées aux SEL, sans que jusqu’à présent une jurisprudence claire en soit sortie. De l’autre côté, nombre d’adhérents de ces SEL de première génération reconnaissent que le principal intérêt qu’ils trouvent au système est qu’il permet de contourner le fisc. – La logique financière peut parvenir à prendre le pas sur tout le reste : ainsi un candidat à l’adhésion à un grand SEL se plaignait qu’à la place de la présentation humaine attendue, on lui ait fait remplir un formulaire et on lui ait demandé comme première question : « De quel crédit de grains de sel veux-tu disposer? » C’est-à-dire, quel découvert autorisé, demandes-tu? – En grossissant et en devenant compatibles entre eux, les SEL ont permis des échanges sur de vastes zones, comme d’un bout à l’autre des Pyrénées par exemple. Mais, en même temps, les frais de fonctionnement et donc les tarifs d’inscription ont augmenté. Avec l’effet de taille, l’adhérent devient anonyme, déshumanisation des rapports, mais aussi porte ouverte aux indélicats qui disparaissent sans laisser d’adresse avec un solde négatif important, d’où des crises financières chez certains des SEL historiques. Par ailleurs, une Ariégeoise faisait remarquer qu’avoir un énorme catalogue de ressources était de prime abord séduisant, mais qu’après y avoir enlevé toutes les propositions concernant des gens à plus d’une demi-heure de voiture, il lui restait une offre utile pas plus importante que dans un petit SEL, un système d’échange vraiment local. – Les questions politiques se sont également posées. Dans les SEL de grande dimension, les décisions sont prises par un bureau, lui-même élu par les adhérents. D’où les avatars inhérents à la démocratie indirecte : joutes électorales destructrices, enjeux de pouvoir, initiés du bureau et adhérents de base, etc. Les petits SEL se sont quant à eux souvent organisés autour d’un « chef » local, voire comme dans un SEL de l’Aveyron, autour d’une sorte de gourou astrologue qui prélève un pourcentage sur tout échange.

Alors comment prolonger la belle idée du multi-troc en évitant les dérives citées plus haut ? Bien des transformations des règles initiales ont été tentées dans les nouveaux comme dans les anciens SEL. Çà et là, les grains de sel ont été baptisés « cailloux » ou « kroms » ou « talents », avec des modifications de règles comme un blocage du prix de l’heure à 50 unités équivalent au franc. Certains ont une administration rémunérée dans le cadre du SEL, d’autres font appel au bénévolat. Des SEL sont informels alors que d’autres ont été chapeautés dès leur création par une municipalité afin d’aider à la réinsertion.

Avec le recul que nous commençons à avoir sur ces questions des règles initiales, il nous apparaît que la transformation déterminante, celle qui a opéré une cassure entre deux types de SEL vraiment différents et presque incompatibles, tient au choix de l’unité de compte : le franc ou le temps ; et maintenant l’euro ou l’heure. Tant que l’on garde pour référence la monnaie officielle, et même si on la déguise en grains de sel ou autre, les agents économiques se comportent sensiblement de la même manière que dans l’économie qui a institué cette monnaie. L’habitude, l’apprentissage ou le conditionnement conduisent à intégrer les mentalités dans l’outil monétaire. En cela, ces SEL de première génération qui utilisent la monnaie comme référence, forment plus une économie parallèle qu’une économie alternative.

Les SEL de deuxième génération ou système d’échange local au temps (SELT) ont un démarrage beaucoup plus lent que les premiers. Sans référence à la monnaie avec laquelle nous avons appris à échanger, l’acteur économique est dérouté. En fait, sa seule référence en matière d’échanges sans argent provient des habitudes d’entraide que presque tout le monde pratique plus ou moins dans son réseau de relations. On peut dire que si les SELT ont repris les cadres de l’organisation technique des SEL, les comportements et les mentalités y sont, de fait, hérités des réseaux informels.

Entre voisins, amis, relations, au sein d’une famille ou d’une association, il est fréquent de se donner des coups de main : services, prêts ou dons de matériel, soutien technique ou moral. Simples et efficaces à petite échelle, ces pratiques trouvent leurs limites si on veut les augmenter.

D’abord construire de tels réseaux ou s’y intégrer est long, cela se compte en années, et donc inaccessible à un nouvel arrivant. Ensuite, pratiquer l’entraide avec quelques relations directes permet une confiance forte mais une offre limitée. Diluer le système (le cousin de l’ami du voisin) augmente l’offre, mais fait perdre la confiance.

Plus important encore, les relations de ces réseaux se sont construites sur des critères affectifs : amitié, sympathie, centres d’intérêt communs ou autres, les utiliser pour des échanges économiques, même de proximité, crée des distorsions relationnelles : comment refuser de rendre un service sans abîmer une relation entre amis? Comment évincer un pirate qui demande beaucoup et rend peu de service, sans pour autant l’exclure du cercle amical? Comment oser demander un énième service au même copain bricoleur déjà trop sollicité? Ceux avec qui on a envie de passer son temps libre ne sont pas forcément ceux dont on a besoin ou ceux avec qui on a envie de travailler. D’où un renoncement à faire appel aux autres ou bien des temps de travail mal vécus, des hypocrisies ou autres pollutions des relations humaines.

Ce sont justement ceux qui pratiquent le mieux ou le plus ces systèmes d’entraide informels qui s’adaptent le plus rapidement au SELT, car ce système prolonge et renforce ces réseaux. Sa comptabilité apporte la confiance et assainit les relations humaines. En effet, aucun problème pour oser demander un service puisque le refus est toujours possible et sans conséquences relationnelles; l’acceptation, entraînant quant à elle une contrepartie écrite, est gérée par une administration indépendante des deux contractants.

Un nouvel habitant du terroir peut, avec le catalogue des ressources, savoir immédiatement qui fait quoi autour de chez lui et proposer d’échanger, en ayant à priori la confiance de l’autre.

Et le SELT n’est surtout rien de plus que cela : l’outil le plus léger possible pour des échanges sans argent. Le reste de son organisation découle de ces principes : une unité simple, l’heure avec une subdivision assez large, la demi-heure, qui évite les comptes d’apothicaire et la vente au détail.

Le SELT n’a pas de statut même associatif, donc pas d’enjeu de pouvoir, pas de démocratie indirecte, pas de rôle institutionnel. Il n’est composé que de personnes privées se donnant des coups de main. La réunion bimestrielle (facultative) a d’ailleurs toujours lieu chez une personne privée. Le coût du fonctionnement est réduit au minimum : 5 euros et une heure de service pour deux ans. Le but n’est pas, comme beaucoup d’associations, de collecter le plus d’argent possible mais le moins. Le comptable est lui-même intégré à l’outil, puisque son travail est enregistré et rémunéré en temps par le compte « administration ». Le bénévolat nous ayant paru trop cher en coût humain : remerciements obligatoires entraînant un statut particulier de la personne.

Le « L » du SELT signifie « local », un canton environ, et cette échelle est une garantie contre l’anonymat, le maintien d’un groupe à dimension humaine et l’oubli, à priori de la notion de temps de trajet. À ce jour, aucun problème de personne, ni aucun départ avec un solde négatif significatif, ne s’est produit au SELT de Lodève.

Les rares décisions à prendre ne peuvent être discutées et adoptées que lors des réunions bimestrielles, en toute transparence.

Un SELT n’est bien sûr pas une personne physique, mais ce n’est pas non plus une véritable personne morale, il est juste un outil qui sert à des individus et il ne doit en aucun cas leur faire écran. Ainsi, face à un membre en difficulté, le SELT n’a pas plus à être solidaire qu’un outil matériel, mais l’expérience montre que ses membres le sont et que le don y est une pratique courante.

En 1997, année de sa création, le SELT de Lodève générait des échanges très faibles, de l’ordre de 10 heures par session bimestrielle. Il a progressé chaque année, mais lentement, et aujourd’hui, il en est au modeste résultat de 60 heures de moyenne par bimestre. Il compte une cinquantaine de membres, mais seule une dizaine sont vraiment actifs et sont à la base des échanges. Une vingtaine sont peu actifs, et le reste, soit une moitié sont dormants, c’est-à-dire qu’ils n’échangent que s’ils sont sollicités par un des membres actifs.

Mais ce ne sont que les résultats formels enregistrés par la comptabilité interne, qui ne traduisent qu’une part de la réalité. Le but de chacun n’étant pas de faire monter les statistiques, beaucoup d’échanges ne sont pas enregistrés : soit qu’une contrepartie est trouvée directement à un service (il va faire une heure de bricolage chez un jardinier amateur et repart avec des légumes jugés par les deux parties équivalents au travail rendu), soit que deux membres échangent tellement, et à un niveau de confiance tel, qu’ils gèrent leurs échanges ensemble, parfois à la journée plutôt qu’à l’heure, soit il s’agit de don plutôt que d’échange. On peut estimer que ce volume de temps échangé hors comptabilité représente entre une et deux fois les échanges officiels.

Des collaborations qui ne sont pas des échanges se construisent aussi grâce au SELT : nous faisons notre bois ensemble, tu viens avec ta fourgonnette, j’apporte ma tronçonneuse, ou bien nous pratiquons toutes les quatre ensemble le tai-chi et le yoga. Et il faudrait ajouter encore au bilan positif les rencontres humaines et les moments de convivialité que sont les réunions.

La catégorie qui génère le plus d’échanges « officiels » au SELT de Lodève est celle des travaux agricoles.Viennent ensuite les travaux de maison (du petit bricolage au gros-oeuvre de maçonnerie); les transports, manutentions et déménagements; les ménages et services domestiques; les échanges et prêts de biens. Les échanges de savoir et les gardes d’enfants ont beaucoup moins de succès, ils alimentent plutôt la part hors comptabilité.

Qui adhère et échange au SELT de Lodève ? Les ruraux plutôt que les urbains, les hommes un peu plus que les femmes. Les néo-Languedociens sont beaucoup plus nombreux que les Languedociens de souche. Enfin, la « mouvance alternative » locale est majoritaire; ainsi la plupart des offres et demandes de produits alimentaires sont précisées « en agriculture biologique ».Avec des échanges en hausse, un fonctionnement sain, et surtout maintenant un noyau de personnes très attachées à ce système, qui les aide concrètement dans leur vie pratique, le SELT de Lodève ne fait que croître. Insistons encore sur le fort besoin de confiance que nécessite pour se développer ce type de SEL de deuxième génération par rapport à ceux de la première génération. Ainsi, à l’usage, nous pouvons constater aujourd’hui que les nouveaux arrivants sont sensibles au fait que ce système peut se prévaloir de cinq ans d’existence sans problème.

Une autre différence entre les deux générations de SEL porte sur l’offre des professionnels. Ils sont absents des SELT, du moins dans leur activité principale. Exemple, cet accordeur de piano qui proposait des offres de menuiserie, des expertises ou conseils en achat de piano, mais surtout pas d’accorder des pianos. Les seules exceptions sont les paysansagriculteurs, tant les parties professionnelles et privées de leurs activités se confondent. Cette absence des professionnels, conforme à l’esprit des SELT, montre les limites auxquelles ceux-ci toucheront forcément.Tous biens et services demandant des outils chers ou intégrés, des savoir-faire pointus, resteront inaccessibles au SELT.

Si le SELT est bien une authentique alternative à l’économie libérale, il est tout de même une alternative très modeste, et ne pourra jamais constituer une alternative complète. Jusqu’à quel point peut-il grandir et toucher un plus grand nombre de personnes ? Seul l’avenir pourra le dire, mais nous pouvons spéculer sur certains éléments.

Nous avons étudié ici le cas de Lodève qui est un terroir particulier : un taux de chômage important qui crée de la disponibilité, un paysage accidenté impropre à l’agriculture productiviste qui a laissé subsister une agriculture paysanne, la présence de nombreux néo-ruraux arrivés depuis les années 70 jusqu’à nos jours. Ces caractéristiques sont-elles indispensables au développement d’un SELT? Seulement favorables? Il est trop tôt pour le dire.

À Genève, le groupe de créateurs du SELT a négligé d’être présent aux réunions. Des étudiants rentrés après la création y ont fait évoluer les règles dans le sens d’un rapprochement avec l’économie libérale. Les créateurs ont dû battre le rappel et revenir en masse à la réunion suivante pour retrouver les règles originelles au cours d’une séance houleuse. On en est arrivé dans cette ville à avoir un SEL et un SELT qui se côtoient.

Le cas de Bédarieux (Hérault) est intéressant. Un SELT s’y était constitué et avait même compté une cinquantaine de membres. Mais le choix du bénévolat, pour la tenue des catalogues de ressources, laissait trop souvent ceux-ci mal ou pas faits du tout. C’est alors que deux concurrents sont apparus en même temps. À gauche, le JEU (ou jardin d’entente universel) supprimait toute organisation et proposait à chacun de gérer ses feuilles d‘échange sans aucun contrôle (ce système s’est avéré être quasiment un retour aux réseaux d’entraide informels dont nous avons parlé précédemment). À droite, un SEL voisin a envoyé à Bédarieux une « ambassade » vanter les mérites de la référence au franc. Dans le contexte de désorganisation que vivait le SELT de Bédarieux, la plupart des membres se sont éparpillés vers la gauche ou la droite, les derniers irréductibles préférèrent jeter l’éponge ou pour ceux qui étaient en limite de zone, rejoindre le SELT voisin de Lodève. Ce dernier a d’ailleurs connu, en début de vie, des défections vers l’une ou l’autre de ces deux voies opposées.

Enfin, le passage à l’euro a constitué une chance historique pour les SEL. Il leur a fallu décider s’ils transformaient leurs grains de sel/franc en grains de sel/euro. Certains (il est trop tôt pour connaître précisément la proportion) en ont profité pour devenir des SELT, mais hélas, le prestigieux et puissant SEL historique de l’Ariège a adopté à quelques voix près le passage à l’euro. Ce n’est peut-être que partie remise...

Jean-Louis Do

Annexe

SELT : système d’échange local au temps.

Multi-troc.

Monnaie : le temps.

Unité : l’heure

Subdivision minimale : 1/2 heure

Statut : néant (réunion de personnes privées).

Bénévolat : néant.

Réunion : bimestrielle (facultative).

Prix d’adhésion : minimale, c’est-àdire 5 euros et 1 heure pour 2 ans.

Conditions d’adhésion : venir à une réunion.
Ecrit par rokakpuos, à 06:24 dans la rubrique "Economie".



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