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Résumons d’abord brièvement les épisodes précédents du feuilleton pour nous y retrouver plus facilement. Il y a trois ans, éclatait la crise des subprimes aux Etats-Unis et en Europe, une crise financière et monétaire mondiale déclenchée par des prêts usuraires aux ménages modestes américains désireux de devenir propriétaires. (cf CA 173, 184, 185 et 186). Nous sommes toujours dans les conséquences de cette crise, qui est une crise au cœur du système capitaliste. La « crise grecque » en est une des suites. Qui dit crise dit baisse des rentrées fiscales et donc augmentation du déficit public. Ces déficits ne sont pas perdus pour tout le monde : ils nourrissent les marchés financiers (cf CA n°198). Dernier épisode en date, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande sont menacés et l’Europe « vole au secours de la Grèce »... C’est ce dernier épisode qu’on va essayer de comprendre.
Un peu de technique
Pour financer son déficit, l’Etat grec doit
régulièrement faire des emprunts sur les marchés financiers (ce n’est
pas le cas de tous les Etats, ça dépend si les emprunts sont à court
terme ou à long terme). Il avait notamment 9 milliards d’euros à
rembourser le 19 mai.
Les agences de notation qui évaluent si un débiteur (Etat, banque,
grande entreprise...) est fiable avaient encore baissé sa note, à BB+
(investissement spéculatif). Rappel : ces agences dénotation sont des
entreprises privées dont les actionnaires de référence sont de très
grandes banques, la plus importante, Standard &Poors, étant
partiellement détenue par Goldman Sachs. Les grandes banques en question
ont par ailleurs parié sur une aggravation des difficultés de la Grèce
et fait les opérations financières qui vont avec, c’est-à-dire qu’un
dégradation de la note de la Grèce leur permet d’engranger des profits
supplémentaires.
Lorsqu’un emprunt est considéré comme plus risqué, on fait payer ce
risque à l’emprunteur par un taux d’intérêt plus élevé. Le taux
d’intérêt de la dette grecque était en train de s’envoler, ce qui
rendait ce nouvel emprunt très difficile. Ce qui rapporte là dedans (pas
à la population grecque !) ce n’est pas seulement le taux d’intérêt.
Les créanciers prennent des assurances contre le risque de défaut de
paiement (assurance qu’ils font naturellement payer à l’emprunteur dans
le taux d’intérêt). Si le risque augmente, le coût de l’assurance
aussi : bonne affaire pour celui qui détient ces assurances et peut les
revendre beaucoup plus cher, Goldman Sachs entre autres....
Pour ne pas payer ses crédits de plus en plus cher, et ce sans limite,
l’Etat grec s’est tourné vers l’Union Européenne, qui dispose quand même
d’une banque centrale. Mais ses statuts interdisent à cette dernière
d’investir dans des emprunts notés moins de AAA+. Le traité de
Maastricht, lui, interdit de rembourser des emprunts d’Etat en créant de
la monnaie. D’où les atermoiements de l’Europe pour financer l’emprunt
grec. Enfin, côté légitimation officielle, car les décisions récentes
ont montré que l’Europe comme tout le monde sait s’asseoir sur ses
traités, ses accords et ses statuts.
Le week-end du 8 mai, in-extremis donc, l’Europe a donc décidé de
« sauver la Grèce ». Qu’a-t-elle décidé ?
Ils ont mis 60 milliards d’euros sur la table disponibles immédiatement
pour être prêtés aux Etats ou aux banques qui auraient des problèmes de
liquidité, c’est-à-dire de remboursements immédiats. Pourquoi 60
milliards et pas les 9 nécessaires immédiatement ? C’est 30 milliards
que la Grèce doit rembourser d’ici la fin 2010, et il y a derrière
l’Espagne et le Portugal... Quelle générosité ! l’a très bien expliquée
le 29 avril dernier sur France Inter : « En aidant la Grèce, on s’aide
nous-mêmes. Les 6 milliards[d’euros prêtés à la Grèce par la France] on
ne les a pas trouvés dans les caisses de l’Etat. On les emprunte à un
taux d’environ 1,4 ou 1,5 % et on les prête aux Grecs à environ 5 %.
Donc nous ferons un gain là-dessus. »
Ils créent en plus un Fonds de stabilisation européen de
440 milliards d’euros : un (SPV), soit en français une société , une
entité juridique traditionnellement utilisée en finance pour servir
d’instrument de gestion du risque (Enron s’en est aussi servi pour
cacher ses dettes et les grandes banques pour développer leur ’actifs
toxiques). Si un pays européen a des problèmes pour financer sa dette,
le SPV émettra des obligations dont le remboursement est garanti par les
pays de la zone euro dans leur ensemble, c’est-à-dire par les
contribuables de la zone euro. Ces obligations resteront donc à un taux
d’intérêt plus faible. C’est à ce fonds de garantie que le FMI rajoute
220 milliards. Ces 660 milliards là servent donc de garantie, et l’idée
est que la garantie soit suffisante pour qu’ils n’aient pas besoin
d’être dépensés.
On voit que les sauvetages se suivent et se ressemblent : prêter de
l’argent à un taux avantageux (pour celui qui prête) et garantir leur
rentabilité aux marchés financiers.
Un peu de sémantique
Lorsque les représentants d’Etats impérialistes se
réunissent pour « sauver la Grèce », il ne s’agit bien sûr pas de sauver
la population grecque, mais bien l’économie grecque, autrement dit le
bon fonctionnement du système capitaliste en Grèce.
La population grecque est en train d’en faire la douloureuse expérience
avec le plan d’austérité. Un plan d’austérité, c’est un plan qui vise à
réduire les dépenses publiques pour résorber le déficit public. Pas
question bien sûr de toucher à la fraude fiscale ou d’augmenter les
impôts des plus riches. Pas question non plus de toucher aux dépenses
militaires grecques, proportionnellement les plus importantes de l’Union
Européenne (13,4 milliards d’euros, 13,6% du PIB). Reste donc à réduire
les services publics, diminuer les salaires des fonctionnaires... Air
connu...
Lorsque l’Union Européenne aide la Grèce, elle entend par là qu’elle va
aider le gouvernement grec à imposer la politique économique préconisée
par les marchés financiers mondiaux : modération salariale,
privatisation des services publics, priorité à la lutte contre
l’inflation pour ne pas perturber le rendement des rentes financières.
Comment ? C’est simple, par le biais de la dette. Car la Banque Centrale
Européenne a pris un engagement supplémentaire, théoriquement interdit
depuis Maastricht : racheter aux investisseurs des titres de dettes
publiques européennes s’ils veulent s’en débarrasser de peur des
difficultés des Etats en question. A une minuscule condition : que les
Etats concernés aient mis en œuvre des politiques de rigueur
budgétaire... Ce scénario a déjà été expérimenté pendant de nombreuses
années dans le tiers monde : ce sont les plans d’ajustement structurels
imposés par le F.M.I. aux pays endettés. Et le gouvernement grec, comme
les gouvernements africains ou latino-américains, expliquera à ses
grévistes qu’il est désolé, mais qu’il n’a pas le choix, ce n’est pas de
son ressort.
D’aucuns ont salué un pas en avant de l’Europe avec la mise en place
d’une solidarité européenne. C’est vrai. On peut même parler de
solidarité de classe, celle des capitalistes entre eux. Pourquoi cette
soudaine solidarité ? Il y a principalement deux raisons.
Certes, l’Allemagne a joué les pères la rigueur, expliquant que la Grèce
n’avait à s’en prendre qu’à elle-même. Mais il y a un petit bug. Parmi
les investisseurs qui ont pensé intéressant d’acheter des emprunts
grecs, il y a au premier rang... les banques allemandes. 17% des
emprunts grecs ont été financés par des investisseurs français (crédit
agricole et société générale notamment), 9,5% par des investisseurs
allemands, mais les banques allemandes sont plus engagées que les
banques françaises (chez nous, c’est beaucoup des assurances qui ont
investi) et sont plus menacées car elles sont moins grandes. Pourquoi
ont-ils acheté des emprunts grecs ? Ils présentaient un double
avantage : en tant qu’emprunts garantis par un Etat, ils sont sûrs, mais
par contre ils rapportent plus que les emprunts français ou
allemands....
L’autre raison tient au risque de contagion. En se ruant sur la Grèce,
les marchés financiers observent aussi les réactions de l’Europe. Ils
ont fait des affaires en pariant sur une hausse des taux d’intérêts et
des CDS (les assurances des prêts). La non intervention signifie qu’ils
peuvent faire ce type de pari sans limites, au risque de mettre un pays
sur la paille. Or, derrière la Grèce, il y a aussi le Portugal,
l’Espagne et l’Irlande, pays touchés de plein fouet par la crise parce
que leur croissance était basée sur celle de l’immobilier et des
crédits. Et là, pour l’Europe, ça commencerait à faire beaucoup. Mieux
valait réagir tant que seule la Grèce était officiellement touchée.
Remarquons enfin que ce n’est pas seulement une solidarité de classe. Il
s’agit de budgets publics, c’est une solidarité fiscale, une solidarité
entre capitalistes qui est donc financée par l’ensemble des
contribuables de l’Union Européenne.
Un peu de panique ?
Tout d’abord, la situation grecque ne va pas s’arranger.
Déjà, on a vu que l’Europe ne l’avantage pas tant que ça en terme de
taux d’intérêts, ce qui va encore alourdir le poids de la dette dans ses
finances. Ensuite, le plan d’austérité imposé va plonger la population
grecque dans une récession sévère. A ce sujet, on peut penser qu’elle
sert aussi de test politique. Ces mesures passeront-elles ou non ?
La situation globale de l’Europe ne va pas s’arranger non plus. En
réalité, toutes les économies ne rencontrent pas les mêmes problèmes et
auraient besoin de politiques économiques différentes, du simple point
de vue d’une bonne gestion du système. Notamment, il faudrait que les
pays excédentaires (Allemagne surtout) relâchent un peu la vis pour
offrir des débouchés aux pays déficitaires. Or, ce sont des mesures et
des politiques communes qui sont proclamées.
L’euro a baissé, et va sans doute continuer à travers quelques yoyos. Ce
n’est pas très grave en soi, sauf pour ceux qui comptaient partir en
vacances aux Etats-Unis, c’est même plutôt favorable aux exportations.
Mais ça pousse à une hausse des taux d’intérêts pour deux raisons
essentielles. Il faut compenser la baisse de l’euro pour attirer des
capitaux. Cette baisse de l’euro conjuguée à une hausse des matières
premières au cas où certaines régions du monde renoueraient avec la
croissance (c’est déjà le cas de la Chine et de l’Inde) entraînerait un
risque d’inflation. Ca non plus, ce n’est pas très grave. Ce qui compte
pour nous, ce n’est pas l’inflation c’est l’évolution comparée entre
celle-ci et nos salaires. Mais c’est très grave pour ceux qui vivent de
revenus financiers et pour la Banque Centrale Européenne. Et le remède
qu’elle connaît bien, c’est une hausse du taux d’intérêt.
En quoi est-ce embêtant ? Une hausse des taux d’intérêt décourage les
investissements et ralentit la croissance, encourage donc le chômage. En
bref, aggrave la crise. Accessoirement elle aggrave les déficits en
augmentant le poids du remboursement de la dette.
Or, un des problèmes de l’Europe, c’est justement qu’elle n’a pas renoué
avec la croissance alors que les Etats-Unis et l’Asie l’ont fait.
L’Europe a pris de grands engagements de « sagesse », c’est-à-dire qu’en
réalité elle s’est engagée à respecter les souhaits des marchés
financiers : réduction des dépenses publiques et privatisations,
modération salariale, ... Bref, elle s’engage à une politique
d’austérité, c’est-à-dire à dégrader les conditions de vie de la
population qui vit dans l’Union. On a vu dans plusieurs articles
précédents qu’en réalité l’origine de la crise se situe dans la
contradiction du capitalisme entre la nécessité de débouchés et la
volonté de compression des salaires, ou plus exactement que la crise est
celle de la solution que le capitalisme avait cru trouver : le
développement très important du crédit (1) Toutes les mesures
d’austérité ne font à terme qu’aggraver le problème. Et c’est l’autre
raison pour laquelle les marchés jouent la baisse de l’euro.
Sylvie, votre conseiller financier habituel
(1) C’est un raccourci (trop) rapide. Le capitalisme n’a pas de gouvernement central ou de parti unique qui guide sa stratégie. Il s’agit de solutions trouvées « naturellement », ou plutôt empiriquement, par le système dans la pratique.