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Du même coup, l’existence révélée
par l’INSEE de ces 320 000 auto entrepreneurs pose des questions,
d’autant plus que ce statut est récent (il a alors juste un an). Qu’en
est-il de ce statut ? Est-il l’indice d’un glissement d’un statut de
travailleur salarié disposant d’un certains nombres de droits vers celui
d’ « entrepreneur » soumis aux aléas du marché, sans filet de
protection, occupant la même place dans le rapport de production mais
muni du simple droit d’émettre des factures en guise de bulletins de
salaire ? Etait-ce le signe de l’aggravation de la paupérisation de la
population, avec la recherche de compléments de revenus ? Ou alors
n’était-ce qu’un des avatars de la prophétie sarkoziste, « Travailler
plus pour gagner plus ! » ?
Le statut d’auto entrepreneur a été défini par la loi de modernisation
de l’économie votée en aout 2008. Il est effectif depuis le 1er janvier
2009. Cette loi instaure un statut de l’entrepreneur individuel, en même
temps qu’elle entend « mobiliser la concurrence comme levier de
croissance », développer le commerce, « mobiliser l’attractivité au
service de la croissance », « améliorer l’attractivité économique pour
la localisation de l’activité en France », développer l’économie de
l’immatériel ou encore « attirer les financements privés pour des
opérations d’intérêt général ».
L’initiative de cette loi revient à Hervé Novelli (1),
secrétaire d’Etat au commerce, à l’artisanat et aux PME, un proche de
Madelin, également un ancien militant d’extrême droite (Occident, Ordre
Nouveau, Parti des Forces nouvelles...), selon sa notice biographique
mise en ligne sur Wikipedia.
Par l’introduction du statut d’auto entrepreneur, la loi entend
simplifier le lancement, l’interruption ou la cessation d’une activité à
but lucratif. La déclaration d’activité est gratuite. Elle se fait en
ligne. L’activité commerciale est exonérée de TVA (celle-ci est quand
même payée en amont, par l’achat des fournitures qui lui sont
nécessaires). Il est possible de se servir de son habitation pour la
domicilier. Les HLM autorisent ainsi les locataires à le faire. Les
charges sont payées au fur et à mesure des encaissements et uniquement
en cas d’encaissements. Les obligations comptables sont réduites à la
tenue d’un livre des recettes et d’un registre d’achat. Il y a tout de
même des limites : le chiffre d’affaire doit être inférieur à 80 300
euro pour une activité de vente de marchandises ou 32 100 euro pour des
prestations de service. De même les charges sont calculées sur le
chiffre d’affaire et non sur les bénéfices.
Compléments de revenus
Un mois après son entrée en vigueur, en février 2009, un engouement pour ce statut a été constaté. Novelli en a conclu que ça révélait l’appétence des Français pour l’entreprise individuelle. Un site internet qui appuie cette initiative distille la même idéologie (2). Le bandeau donne la couleur, avec cette phrase : « Conquérir le monde sans obligation de vous inscrire au registre du commerce en France ». En dessous, une photo d’un jeune cadre, à l’allure très viril, le menton haut, la cravate bien serrée, avec en fond une mappemonde. Cette image, à la forte charge idéologique, ne correspond pas vraiment à la réalité du monde des auto entrepreneurs. Une étude de l’ADIE s’interroge sur ce statut qui concerne une bonne partie de sa clientèle, composée à 61% par des chômeurs. En ce qui la concerne, elle ne voit pas l’émergence de nouvelles catégories d’entrepreneurs mais une certaine continuité. Elle estime que si « nouvelle catégorie » il y a, elle pourrait se trouver parmi les salariés et les retraités (4). Nous sommes loin de cette image du gagneur se lançant à la conquête du monde mais sans doute plus prêt de la réalité de personnes recherchant des compléments de revenus qu’elles soient au chômage, à la retraite ou en activité salariée et qui auparavant auraient travaillé « au black » mais qui de par la facilité d’accès à ce statut peuvent exercer leur travail au grand jour.
L’INSEE nous apprend que 66% des auto entrepreneurs sont des hommes, se trouvant principalement dans les tranches d’âge « Plus de 60 ans » et « moins de 30 ans ». les femmes se retrouvent davantage dans la tranche « Plus de 40 ans ». En ce qui concerne le secteur d’activité, les auto entrepreneurs se positionnent sur le soutien aux entreprises, l’information-communication et les « autres services aux ménages » qui recouvrent principalement des professions des arts et des spectacles.
Le cumul est possible avec le RSA jusqu’à un certain
degré de revenus. Nous sommes bien, là, dans le « workfare », avec ce
levier d’« incitation au travail » qui n’augure pas une volonté de
mettre à un niveau décent les minimas sociaux (5). Il semblerait aussi
qu’une majorité d’auto entrepreneurs n’aient déclaré aucun revenu de
leur activité (60% selon l’Express) et que les 40 % restant
disposeraient d’un salaire moyen mensuel de 1 200 euro (6). Par
ailleurs, certaines PME proposeraient à de nouveaux collaborateurs de
travailler sous ce statut plutôt que de les embaucher, évitant au
passage de devoir verser des cotisations sociales, des primes de
précarité (liées au travail en intérim) et autres congés. La sur
représentation des auto entrepreneurs dans les catégories « soutien aux
entreprises » et « information-communication » étaye cette hypothèse.
Ces personnes se retrouvent alors davantage dans une relation
« employeur-employé » que « fournisseur-client ». Par contre, elles
n’ont aucun filet de sécurité et sont entièrement soumises aux aléas du
marché et de la concurrence avec leurs « collègues » (pardon, leurs
« confrères » !). Le 17 mars dernier, des salariés sans papiers en lutte
ont fait une descente dans un restaurant chic de l’ouest parisien. Ils
ont découvert trois auto entrepreneurs parmi les employés. De plongeurs,
ils étaient devenus « cleaners » par la magie de la libre entreprise.
Ce statut mécontente aussi les artisans qui y voient de la concurrence
déloyale. Au nom du PS, Marylise Lebranchu a pris leur défense (7). Elle
estime que ce statut les fragilise, en tirant la concurrence vers le
bas et aura des conséquence sur la qualité du travail, en ouvrant le
règne du « Tous tâcherons ». Pour elle, il fragilise les entreprises qui
ont investi sur les compétences et participe à la mise en place d’une
économie de « bas coûts ». Plus récemment, le sénateur Arthuis a voulu
amender cette loi en introduisant une limitation dans le temps de la
jouissance de ce statut. Cet amendement a été rejeté.
Mais ce statut est bien dans la ligne, ni plus, ni moins, des trente
dernières années en matière de normes d’emploi. Les socialistes ont mis
en avant le « lien social », la solidarité pour casser le SMIC en
instrumentalisant l’économie solidaire et les emplois aidés qui allaient
avec. Déjà, les Maisons de chômeurs, subventionnées par les Directions
départementales du Travail, après le mouvement de 1998, incitaient les
chômeurs à créer leur emploi. La droite met en avant l’enrichissement
personnel, la liberté d’entreprendre, etc. Mais à chaque fois, une étape
est franchie vers la dérégulation au bénéfice des exploiteurs.
L’auto entrepreneur est davantage quelqu’un qui veut améliorer son
revenu, dans un contexte de paupérisation qu’un entrepreneur prédateur
partant à la conquête du monde. Parler d’auto exploitation n’est pas non
plus juste puisqu’il s’agit d’exploitation, tout court, au même titre
que les autres travailleurs soumis à la loi capitaliste de
l’accumulation.
Christophe, mai 2010
1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Herv%C3%A9_ Novelli
2 http://www.autoentrepreneurs.com/si.... html
3 Association pour le droit à l’initiative économique
4 ADIE, Les clients de l’ADIE ayant opté pour le statut d’auto
entrepreneur, Profil et besoins d’accompagnement, décembre 2009
5 Le RSA, « revenu social d’activité » s’est substitué au RMI, « revenu
minimum d’insertion » et à l’API, « allocation Parent Isolée »
6 Express.fr, 26 mars 2010
7 http://www.maryliselebranchu.fr/201...