Lu sur Fakir : "Pourquoi le journaliste Denis Robert détient-il, aujourd'hui, le record toutes catégories des plaintes pour diffamation ? Pourquoi, dès qu'il ouvre la bouche pour une interview, dès qu'il prononce le mot maudit, « Clearstream », pourquoi cette seule évocation se matérialise-t-elle, le mois suivant, par une visite d'huissier ?
Parce qu'il dénonce le cœur de la planète financière ? A peine. Parce qu'il porte une bonne nouvelle, surtout : la planète financière est régulable...
Denis Robert démontre, certes, que des centaines de
banques off shore, situées aux Bermudes, aux Bahamas, à Jersey, dans
une quarantaine de paradis fiscaux, possèdent leurs compte chez
Clearstream. Il ajoute que, contrairement au règlement de la firme
luxembourgeoise, des sociétés privées, des multinationales, et non
seulement des banques, sont présentes dans les listings de Clearstream.
Il révèle, enfin, et l'ancien responsable informatique de Clearstream
le confirme, que des transactions ont été quotidiennement effacées de
la mémoire des ordinateurs, afin de rendre certains échanges plus
opaques encore. Autant d'éléments qui, à l'évidence, peuvent faciliter
le blanchiment, voire le noircissement d'argent.
Mais tout cela n'est rien. Le capitalisme s'est habitué aux vaines
dénonciations, aux déplorations impuissantes. De rares films, plus
fréquemment des livres, se sont attaqués à Total, à la CIA, à Pinault
Arnault, aux hypermarchés, à la corruption des élus, etc., et qu'ont
récolté leurs auteurs ? L'indifférence le plus souvent, un succès
d'estime ou de librairie parfois, un procès à la rigueur lorsqu'ils
avaient blessé l'orgueil d'un de ces maîtres. Jamais, en tout cas, une
pluie de plaintes comme celle qui, depuis cinq années, s'abat sur Denis
Robert.
Ce ne sont pas ses dénonciations, en vérité, que paie Denis Robert, pas
même certaines erreurs sur des points de détails. Non : il paie pour
la solution. C'est sans doute le message le plus dangereux, le plus
explosif, le plus subversif qui découle de ses ouvrages : la planète
financière est régulable. Facilement, même, peut-être...
Une tour de contrôle de la finance
Qu'on s'explique : lorsque deux banques, l'une au Japon par exemple,
l'autre en France, doivent échanger des valeurs entre elles, elles
passent par Clearstream (ou par Euroclear, à Bruxelles). On appelle ça
des « chambres de compensation ». Autant dire que les plus gros
flux, des centaines de milliards d'euros transitent chaque jour par ces
autoroutes de la finance. Le système, que l'on croyait totalement
éclaté, décentralisé, et donc incontrôlable, se révèle au contraire
hyper-centralisé, et donc parfaitement observable. Donc contrôlable....
Clearstream sert aujourd'hui à décupler la spéculation, et
éventuellement à dissimuler les fruits de divers trafics. Cette
« banque des banques » pourrait tout aussi bien, demain, devenir
une tour de contrôle de la finance globalisée. Le gendarme d'un monde
sans loi. A condition que cet établissement soit transformé en
organisme international, ou que des instances indépendantes le
surveillent de près....
Voilà ce qu'il ne faut surtout pas comprendre....
Alors, pour qu'on ne comprenne pas cela, on nous embrouille avec de la
technique financière ou des « corbeaux ». Les avocats de la firme
poursuivent, menacent, chipotent sur des vétilles. Toute cette fumée
médiatico-judiciaire pour que l'on n'aperçoive pas, clairement, la
bonne nouvelle, la lumière au fond du tunnel : la mondialisation
financière peut être régulée. Encore faut-il le vouloir...
François Ruffin