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L'En Dehors


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Des déchets pour la décroissance
--> Les ateliers de la Bergerette

A quoi ressemblera la déchetterie du vingt-et-unième siècle ? Avec la pénurie prévisible d'énergies, de matières premières, notre société de consommation pourra-t-elle se contenter de produits recyclables, centres d'enfouissement et autres incinérateurs ?

N'en déplaise aux tenants de ces grands projets qui mobilisent les fonds publics et la matière grise de nos ingénieurs, la déchetterie du 21e siècle ressemblera probablement beaucoup plus à l'alternative expérimentée depuis plus de vingt ans par une association autogestionnaire du Beauvaisis : les Ateliers de la Bergerette.


Une déchetterie en avance sur son époque... A première vue ce n'est pas évident. Lorsque nous arrivons aux Ateliers de la Bergerette, qui sont installés dans un ancien corps de ferme au coeur d'un quartier résidentiel de Beauvais, nous sommes frappés par l'originalité du lieu. Sommesnous arrivés dans une brocante, un vide grenier ? Est-ce le repaire d'un ferrailleur ou une exposition permanente des compressions du sculpteur César ?

La caverne d'Ali Baba

Entre la montagne de métaux ferreux et la benne à papier recyclé, plusieurs personnes s'affairent à décharger un camion d'encombrants devant l'entrée d'un immense hangar : un canapé, une vieille télé, un carton rempli de livres... Nous pénétrons dans la caverne d'Ali Baba : un labyrinthe creusé dans des montagnes d'objets entassés jusqu'au plafond. Nous croisons d'abord Karine, qui est en train de sélectionner et de nettoyer des lampes, lustres et appliques en tout genre. Elle s'occupe de l'atelier "luminaire". Nous nous faufilons entre de vieux meubles. Un virage à gauche, un virage à droite. Nous nous laissons guider par la musique qui vient du fond du hangar, traversons des étagères de jouets et arrivons au milieu de l'atelier "livres, revues, disques et jouets". Après que son responsable nous ait expliqué sympathiquement le fonctionnement de cet atelier, nous tentons de rebrousser chemin. Cette fois, c'est Georges Brassens qui chante à tuetête et nous conduit, au travers d'une montagne de fripes, jusqu'à l'atelier "quincaillerie" de Christian. Celui-ci nous montre fièrement les objets fabriqués par les enfants de l'institut médicopédagogique, qui viennent lui rendre visite chaque mercredi. Il est en train de trier des vis, boulons et écrous, qu'il regroupe en lots dans des vieux pots de confiture.

Plus loin, nous restons ébahis devant les tonnes de matériel hi-fi, de téléviseurs et d'ordinateurs, dont beaucoup fonctionnent encore ou n'ont besoin que d'une petite réparation. Mais leurs propriétaires les abandonnent aux Ateliers de la Bergerette car ils sont démodés, dépassés ou tout simplement par ce que leur réparation coûterait plus cher que le même objet neuf importé de Taïvvan. Il y a ici de quoi équiper des centaines de foyers... Un coup de klaxon nous sort de notre rêverie postindustrielle :c'est l'heure du déjeuner.

Le repas est pris collectivement autour d'une grande table dans la pièce principale de la ferme. Iambiance est conviviale. On discute de tout et de rien. Certains parlent boulot. Etienne partage les soucis qu'il a dans sa relation avec la Communauté d'agglomération du Beauvaisis.Les Ateliers de la Bergerettesont leur prestataire depuis vingt ans. Ils ont fortement sensibilisé la collectivité dans la gestion des déchets. Mais suite à un appel d'offre c'est une multinationale qui est choisie face au groupement qu'avaient constitué les Ateliers de la Bergerette et Emmaüs. Multinationale qui s'est finalement désistée. Les Ateliers se retrouvent donc à la table des négociations avec les élus et les techniciens de la "CAB".

Il pleut très fort. Un homme très âgé déambule sous son parapluie à la recherche d'un interlocuteur qui pourrait lui trouver une pièce d'occasion pour un taille-haie. II est accueilli, tout comme le facteur qui vient d'arriver, dans la grande pièce à vivre, où on lui sert une chicorée.

Nous faisons à nouveau la visite, commentée cette fois, du hangar dans lequel se trouvent les quinze ateliers de réemploi. Puis nous découvrons le Recycl'à broc, le magasin des Ateliers. Les consommateurs que nous sommes, retrouvent leurs repères. Il y a des rayons, des étagères, des prix affichés. Un magasin normal, dans lequel on trouve de tout, mais d'occasion et à des prix défiant toute concurrence. Jérome, notre guide, admet d'ailleurs que ce n'est pas par conviction que la plupart des clients vient à la recyclerie,mais plutôt "pour faire de bonnes affaires". C'est pourquoi les Ateliers mettent en place des supports d'information et de sensibilisation au sein même du magasin.

Collecter, valoriser, revendre et sensibiliser

L'objectif premier des Ateliers de la Bergerette est d'ailleurs bien de sensibiliser les particuliers et les collectivités au respect de l'environnement, notamment par la prise de conscience "des problèmes posés par la gestion des déchets ménagers, dans la perspective d'un moindre gaspillage. Partant du principe que les ressources naturelles sont limitées, les Ateliers de la Bergerette prennent le contre-pied de la logique consumériste en prônant bien-sûr le recyclage, mais surtout la sobriété et le réemploi.

Concrètement, les Ateliers de la Bergerette ont mis en oeuvre le concept de recyclerie autour de quatre activités complémentaires et indissociables.

Tout d'abord, la collecte, par apport volontaire ou enlèvement à domicile d'encombrants ménagers ou de "déchets industriels banals", qui est dite "adaptée" ou "séparative". Il s'agit de préserver au maximum l'état des déchets collectés afin de favoriser leur valorisation par réemploi. En deuxième, les objets collectés sont valorisés : triés, nettoyés et, dans la mesure du possible, réparés. Les objets qui ne sont pas réutilisables sont démontés, dépollués et triés par matières premières pour être valorisés dans les filières locales de recyclage conventionnel. En troisième, les objets "réemployables" sont mis en vente dans le Recycl'à broc, magasin qui constitue l'aboutissement de la filière mise en place par l'association. Ainsi, en 2002, 72% des 700 tonnes de déchets collectés ont été valorisés, soit par réemploi, soit par recyclage en dehors de la structure. Le magasin représente les trois quarts des recettes de la Bergerette, ce qui lui permet, avec d'autres ressources telles que la vente de matières premières ou les collectes à domicile, de s'autofinancer : les subventions représentent moins de 5% du budget de l'association.

La quatrième activité, l'information et la sensibilisation, est centrale et doit être vue comme la vocation des Ateliers. En effet, comme l'explique Jérome "c'est à la source qu'il faut agir", en produisant moins et mieux, "mais les industriels ne feront rien, tant qu'il n'y aura pas de lois contraignantes". Les salariés qui, comme Jérôme, partagent les convictions écologistes fondatrices de l'association, se sentent parfois découragés dans leur travail. "Nous ne sommes qu'une goutte d'eau dans le système" dit Eric. Admettant que les mentalités évoluent et que les médias les aident de plus en plus dans leur travail de sensibilisation, il déplore aussi que ceux-ci, sous la pression des annonceurs, poussent en même temps de plus en plus à la consommation.

La mondialisation est vue comme un frein au changement des comportements de consommation. Comment inciter au réemploi, alors que le marché est inondé par des biens neufs, sans cesse renouvelés et très bon marché, issus des industries délocalisées ? Il y a ainsi un déséquilibre entre l'offre et la demande de produits d'occasion qui peut mettre en péril l'activité des Ateliers de la Bergerette. A preuve, les fripes qui étaient revendues, il y a quelques années à environ 0,20 le kilo, sont aujourd'hui données aux grossistes "et encore nous sommes heureux qu'elles partent gratuitement !" ironise Eric. Pas facile de responsabiliser les consommateurs face au dumping de l'économie mondialisée !

Lactivité de recyclerie permet d'appuyer par l'expérimentation d'une alternative concrète un discours de sensibilisation à l'environnement. Si on prend en compte l'intérêt général, créer une activité basée sur le réemploi n'a aucun sens sans un discours de sensibilisation permettant de changer les comportements. Le recyclage sans réduction de la consommation pourrait même, par l'entremise de l'effet rebond, avoir des conséquences contraires à celles recherchées. Gestion des déchets et discours anti-consumériste sont donc intimement liés. Nous sommes ici très loin du discours développement durable des entreprises de recyclage classiques, qui, en prônant la réduction des déchets à la source, auraient peur de scier la branche sur laquelle elles sont assises. "Il ne s'agit pas seulement de ramasser pour revendre", résume Etienne, un des fondateurs de l'association, "c'est l'éducation qui permettra d'arriver au but politique de la recyclerie : la décroissance ! °.

Les Ateliers de la Bergerette ont donc mis en place un dispositif très étoffé permettant la sensibilisation et l'information de publics variés. Les enfants tout d'abord, pour lesquels ont été créées des animations scolaires en partenariat avec des réseaux d'éducation à l'environnement comme Ecole et nature ou Graine (1). La malle RouleTaBoule par exemple est un kit pédagogique permettant de construire une démarche de sensibilisation à la gestion des déchets et à la consommation responsable pour les enfants à partir du CE2. Les Ateliers proposent également des animations sous forme d'ateliers de fabrication de papier recyclé, de sorties sur le terrain pour comprendre l'impact de l'activité humaine sur le fonctionnement des écosystèmes, de visites de la recyclerie.

Sandrine, qui est responsable de l'activité "Sensibilisation et information", regrette cependant que beaucoup d'enseignants ne s'impliquent pas suffisamment dans ces animations. Il est en effet nécessaire que l'enseignant soit motivé pour faire suivre l'animation par des actions concrètes, comme la mise en place du tri des déchets dans la classe.

Les actions d'information et de sensibilisation s'adressent également à d'autres publics. Les Ateliers de la Bergerette réalisent par exemple des animations sur la réduction de la consommation d'énergie destinées à des adultes en insertion, un atelier de fabrication de papier recyclé avec une association de mal-voyants et interviennent dans de nombreux colloques pour expliquer le fonctionnement et les principes de la recyclerie.

Par ailleurs, les Ateliers de la Bergerette organisent ou participent à de nombreuses manifestations auprès du grand public, afin "de susciter des réflexions et de fournir des outils pour le changement des comportements et une consommation plus responsable". Ainsi, ils participent à au moins une action d'envergure par an : la construction à Beauvais de la pyramide de Toutenkarton en papier et carton de récupération, déménagement de tous les Ateliers pendant trois jours sur la place de l'Hôtel-de-Ville de Beauvais, invitation d'artistes plasticiens pour qu'ils créent à partir des matériaux trouvés dans la recyclerie, actions de nettoyage de lieux pollués, etc.

Enfin, l'association a ouvert dans ses locaux depuis 2003 un "Espace Info énergie".en partenariat avec l'Ademe (2), afin de fournir au grand public des informations sur les économies d'énergies, les énergies renouvelables et l'écoconstruction.

La volonté d'influencer les politiques est un des objectifs fondateurs des Ateliers de la Bergerette. Les statuts prévoyaient d'ailleurs, dés la création de l'association, "l'intervention auprès des collectivités locales pour qu'elles assument la récupération et le recyclage dans la perspective d'un moindre gaspillage". Partenaire naturel des collectivités qui leur sous-traitent la collecte des encombrants, les Ateliers de la Bergerette n'ont cessé depuis vingt ans d'y promouvoir un discours environnementaliste. Les collectivités ont aujourd'hui hérité de la "compétence déchets" et reçoivent à ce titre des fonds d'Eco-emballages (3) destinés à la sensibilisation. Ainsi elles sollicitent les Ateliers pour les aider à concevoir -des outils de sensibilisation, des animations ou pour former leurs animateurs ou "ambassadeurs du tri". Mais leur implication reste faible et elles se contentent souvent de sous-traiter cette prérogative au secteur associatif en s'auto-évaluant par la quantité d'animations subventionnées. De plus, comme l'explique Etienne, leur collaboration avec les collectivités locales doit faire face à des réticences au niveau des élus en raison de l'originalité des Ateliers, notamment dans leur mode de fonctionnement autogestionnaire et égalitaire et dans leur discours anti-consumériste.

Insertion durable et autogestion

Les Ateliers de la Bergerette peuvent être vus comme une structure d'insertion par l'emploi. Mais ils restent très prudents et critiques face aux dispositifs d'insertion et aux emplois aidés. Ces derniers sont en nombre très limité et lorsque l'association y a recours, c'est uniquement dans l'optique de les pérenniser. Cette approche correspond à une volonté d'indépendance par rapport aux subventions, au refus de la précarisation de l'emploi, mais surtout à une volonté de professionnaliser l'activité de récupération et recyclage. Et cette professionnalisation passe principalement par la viabilité économique de la structure et par la pérennisation des emplois. Il n'y a jamais eu de licenciement aux Ateliers.

Chacun des 17 permanents de l'association est responsable d'un atelier spécifique (ateliers de valorisation comme petit électroménager, ameublement, cycles, TV/bureautique, matières premières, mais aussi animation, comptabilité, etc.) et doit aussi s'impliquer dans des activités communes. Ce "tronc commun" occupe les permanents à mi-temps. Il comprend les activités d'accueil, de collecte, des tâches administratives ou de gestion, le ménage.

Le principe de partage du temps de travail entre ateliers et "tronc commun", principe posé dès la création de l'association, favorise la professionnalisation par le développement de compétences spécifiques. Il vise aussi la responsabilisation des salariés et leur autonomie : chacun gère son atelier et son temps comme il l'entend. Les Ateliers de la Bergerette fonctionnent sans hiérarchie et chaque salarié perçoit le même salaire (Smic+ 12%). Que l'on soit administrateur bénévole ou salarié, les décisions sont prises en conseil d'administration selon le principe "une personne égale une voix". Ainsi, de par leur nombre, ce sont les salariés qui dirigent l'association.

Sandrine apprécie l'égalité entre des permanents de compétences, d'âges, d'origines sociales et d'expériences très variées. De même, la pluriactivité et l'alternance entre travail en extérieur et en intérieur, - le travail seul, en groupe, en interne ou au contact du public apporte une diversité extrêmement enrichissante. "C'est le côté très humain des Ateliers", résume-t-elle.

Bien sûr, l'autogestion a ses limites. Avant de travailler aux Ateliers, Sandrine n'avait comme expérience qu'un stage de huit mois dans une entreprise multinationale du secteur industriel, extrêmement hiérarchisée et organisée. Passée à l'autre extrême, elle trouve l'autogestion parfois usante : "£autogestion a un côte bordel, du fait que chacun soit responsable de son activité et travaille dans son coin, du fait que je n'ai personne au-dessus de moi pour me motiver lorsque c'est nécessaire, du fait que, dans mon domaine de responsabilité, je sois arrivée à mon seuil de compétence et que je n'ai personne pour m'aider â progresser". Elle avoue ainsi être passée par des phases d'euphorie et des phases de démotivation totale. Mais les projets communs permettent de motiver l'équipe, "tout le monde s'y met de bon coeur, dans l'improvisation, même s'il manque parfois des personnes pour coordonner et organiser en amont". Comme le dit Etienne, "l'autodiscipline fait qu'il n'y a que des problèmes", mais les Ateliers fonctionnent depuis vingt ans sans patron et sans hiérarchie et, "miraculeusement, ça se remet en route tous les matins".

Le bilan du stage d'Amandine, qui s'est "immergée" aux Ateliers de la Bergerette dans le cadre du compagnonnage du réseau Repas, est accessible à tous sur le tableau d'affichage de la salle à manger. Elle y résume les richesses et les limites du fonctionnement autogéré de l'association. Outre la responsabilisation et l'autonomie, l'autogestion enseigne la confiance en ses idées, en soi, en ses collègues. Elle permet d'agir et de travailler pour un groupe et pour des valeurs partagées. Mais, selon Amandine, l'autogestion amène aussi une certaine lenteur dans la prise de décisions et dans leur application, ainsi qu'une difficulté à évaluer son travail. Elle pense qu'il manque aux Ateliers un organe de réflexion, d'évaluation pour parler des problèmes ou des tensions qui peuvent apparaître : "II manque une réflexion commune pour construire une vision commune".

Ces limites, inhérentes à l'autogestion, sont aussi le fait du nombre de permanents qui n'a cessé d'augmenter depuis vingt ans. Les Ateliers de la Bergerette ont donc dû intégrer à ce qu'ils appellent la Roc - réunion de l'organe de concertation - un système de délégation sur certains sujets comme la gestion du planning collectif. Ce système a permis d'améliorer le fonctionnement, en créant une dynamique de projet et en permettant un suivi plus efficace des actions et cela visiblement sans remettre en cause l'absence de hiérarchie. Selon Etienne, il n'y a jamais eu de volonté de prise de pouvoir.

De l'humanitaire à l'écologie

Les racines de cette alternative solidaire et écologiste, qui voit officiellement le jour en 1984, remontent aux années 60. Ses futurs fondateurs prennent goût à l'organisation de projets collectifs chez les Eclaireurs Scouts. C'est à cette époque qu'ils prennent conscience qu'il existe un tiers-monde et qu'ils constituent à Beauvais un comité de jeunes contre la faim dans le monde. Mais ils prennent aussi conscience de l'existence de ce qu'on appellera plus tard le quart-monde et choisissent de ne pas limiter leur action à l'humanitaire. Etienne, qui était à l'origine de ces projets, confie qu'il ne s'est pas senti concerné par les événements de mai 68 : "Lorsqu'en 68 je traversais les bidonvilles de Nanterre pour me rendre à la fac de sociologie où j'étudiais, c'est l'action qui me motivait et non pas Marx !". Des actions pour le dépannage de familles pauvres viennent ainsi s'ajouter aux actions menées par ces jeunes Beauvaisiens, qui créent l'Association de jeunes pour l'entraide et le développement (Ajed). Ils mettent ainsi en place, en collaboration avec les assistantes sociales, un système de prêt pour les familles en difficulté. Ils créent aussi des bibliothèques de rues dans les quartiers pauvres.

Au début des années 70, la sortie du rapport du Club de Rome et la campagne présidentielle de l'écologiste et tiers-mondiste René Dumont infléchissent l'action de l'Ajed. Ils s'installent à la ferme de la Bergerette et prennent une orientation résolument écologiste tout en continuant leurs actions en faveur des "tiers et quarts-mondes". Une rencontre avec des compagnons d'Emmaüs leur donne l'idée de financer leurs actions par des activités de récupération.

Au début des années 80, l'Ajed subit de plein fouet une crise du bénévolat et une forte démotivation. C'est alors qu'ils se mobilisent et repensent complètement leur projet. L'activité de récupération, qui n'était jusque-là qu'un moyen de financer leurs actions sociales et humanitaires, devient un but en soi. L'objectif de l'association sera la sensibilisation à l'écologie et la lutte contre le gaspillage. Et de la démotivation des bénévoles de l'Ajed vient aussi la motivation de professionnaliser leur activité. Le recours au bénévolat du temps de l'Ajed aura permis de financer l'acquisition de la ferme et ainsi de lancer les Ateliers de la Bergerette en 1984 avec un solide capital de départ. L'autogestion était déjà le mode de fonctionnement de l'Ajed et s'impose naturellement au moment de la création des Ateliers de la Bergerette.

De l'expérience à l'exemplaire

En 1997, l'arrivée d'une nouvelle génération de permanents fait prendre un nouveau virage à l'association. Ces nouveaux venus aident à mieux conceptualiser l'activité des Ateliers; notamment en introduisant l'idée de réemploi, se distinguant du recyclage et en inscrivant leurs valeurs environnementales dans l'objectif de la décroissance. La recherche d'une meilleure qualité dans l'activité des Ateliers devient à l'ordre du jour à partir de 2000. Lidée est, comme l'exprime Etienne "de passer d'une recyclerie expérimentale à une recyderie exemplaire".

Face aux sollicitations d'élus souhaitant mettre en place le même type de recycleries dans leurs circonscriptions et face à un fonctionnement en autogestion qui devient complexe au delà de dix permanents, les Ateliers choisissent de limiter leur croissance et de favoriser la création d'autres structures de ce type. En bon autogestionnaire, Etienne n'aime pas l'idée d'essaimage, car les ruches sont hiérarchisées et que c'est une reine qui commande la construction d'une nouvelle ruche. Il préfère parler de constitutions de réseaux et d'accompagnement de porteurs de projets.

Ainsi, la rencontre avec un universitaire québécois à l'origine du concept de "ressourcerie" aboutit en septembre 2000 à la création du réseau des Recycleries & ressourceries (4). L'objectif est de fédérer un ensemble de structures spécialisées dans le réemploi au sein d'un groupement professionnel et de promouvoir cette activité. Le concept de Recycleries & ressourceries est déposé et chaque nouvel adhérent s'engage à respecter une charte. La sensibilisation est toujours l'objectif central d'une recyclerie, qui se donne comme moyens la collecte, la valorisation et la revente de déchets valorisés. Le réseau comptait neuf membres en France à sa création. Aujourd'hui ils sont une vingtaine de structures à y adhérer, associations ou régies.

La région Picardie a financé des personnes, dans le cadre des emplois jeunes, afin qu'elles se forment au métier de "valoriste en réemploi" pendant plusieurs mois au sein des Ateliers de la Bergerette. Elle a ensuite confié à un de ces jeunes la création d'une recyclerie couplée à une déchetterie, selon les principes de la charte du réseau des Recycleries & ressourceries. De même, les Ateliers de la Bergerette participent activement au Réseau d'échange et de pratiques alternatives et solidaires (Repas) et à son système de compagnonnage. Ainsi, des anciens des Ateliers et de Champs libres (5) viennent de créer avec un ancien compagnon Repas une recyclerie en Limousin (6).

Alternatifs à bien des égards

Alternatifs, les Ateliers de la Bergerette le sont à bien des égards. Alternatifs dans leur modèle économique, puisqu'il s'agit d'une association à but non lucratif opérant dans un secteur de plus en plus considéré comme un eldorado par les grands groupes industriels. Alternatifs dans leur modèle de "développement", puisqu'ils pensent avoir atteint, avec dix sept personnes salariées, leur taille maximale. Alternatifs dans leur vision de la concurrence, puisqu'ils seraient prêts à partager leurs "territoires" avec d'autres et vont même jusqu'à tout mettre en oeuvre pour aider d'autres structures à s'installer. Alternatifs dans leur fonctionnement interne, puisqu'ils n'utilisent les emplois aidés que pour les pérenniser, puisqu'ils n'ont aucune hiérarchie et se versent des salaires égaux et volontairement limités. Alternatifs dans leur interface avec le système dominant, qu'ils cherchent avant tout à subvertir tout en restant indépendants.

La vision de la problématique des déchets qu'offre les Ateliers de la Bergerette constitue-t-elle aussi une alternative crédible ?

Notre société de consommation produit toujours plus de déchets : d'après le Cniid (7), un Français produit en moyenne 550 kg de déchets par an et la France, tous secteurs confondus, produit chaque année 650 millions de tonnes de déchets, avec une croissance annuelle de 2% de cette quantité. Or, 80% de ces déchets donc des matières premières et de l'énergie qui ont été nécessaire à leur production - finissent soit en centres d'enfouissement, soit en incinérateurs, créant de surcroît des problèmes écologiques et de santé publique. Le recyclage. représente seulement 8°/o des traitements réservés à ces déchets. Et même si ce taux de recyclage devait augmenter, il faut prendre en compte les matières premières et l'énergie qui seront nécessaires à la fabrication de nouveaux biens de consommation à partir de ces matières recyclables. Lentropie (8) générée par notre mode de développement est donc extraordinairement élevée. Et face. à la raréfaction des ressources naturelles, qui devient prégnante aujourd'hui, accepter de continuer à produire autant d'entropie revient à courir au suicide. Il n'y a pas d'autre solution que de réduire drastiquement notre consommation (et ainsi réduire la production de déchets à la source) et de prolonger la durée de vie des biens consommés.

Espérons que le réseau des Recycle-, ries dr ressourceries saura favoriser l'éclosion de nombreuses alternatives allant dans le sens des Ateliers de la Bergerette, car en axant leur action sur la réduction de la consommation, sur la lutte contre le gaspillage et en favorisant le réemploi, ceux-ci ont su construire une vraie alternative, préfigurant non seulement la déchetterie, mais peut-être aussi le supermarché du 2le siècle !


Alban Labouret et Aymeric Mercier

Les Ateliers de la Bergerette, 8, rue de la Bergerette,

60000 Beauvais, tel : 03 44 48 26 74

http://bergerette.chez.tiscali.fr


  1. Graine, Groupement régional d'animation et d'information à la nature et à l'environnement en Picardie, 33, rue des Victimes-de-Comporter, 02000 Merlieux, tél : 03 23 80 03 03 et Réseau école et nature, espace République, 20, rue de la République, 34000 Montpellier,tél : 04 67 06 18 70, site http://www.ecole-et-nature.org

  2. Ademe-Picardie, Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie, 67, avenue d'Italie, immeuble Apotika, 80094 Amiens cedex 03, tél : 03 22 45 18 90 ou Adéme, 2, square Lafayette, BP 406, 49004 Angers cedex Ol, tél : 02 41 20 41 20, http://www.ademe.fr

  3. Eco-emballages, est une entreprise privée, créée à l'initiative d'industriels de la grande distribution, qui a pour principal objectif de percevoir une connibution financière (en moyenne, 2 centimes par emballage en 2000-2002) de la part des entreprises qui vendent des produits emballés à destination des ménages. Cette écotaxe est ensuite reversée aux collectivités pour les aider dans la mise en place du tri Sélectif sur leur territoire. On reconnaît les produits qui sont l'objet de cette écotaxe par un "point vert", qui ne veut cependant pas dire que le produit est recyclable. II n'incite pas non plus à réduire le volume des emballages. Eco-emballages, 44, avenue Georges-Pompidou, BP 306, 92302 Levallois-Perret cedex, tel : 01 40 89 99 99, http://www.ecoemballages.fr


  4. Voir Silence N°265/266.

  5. Association "Le monde allant vers...", 2, rue des Maquisards, BP 14, 87120 Eymoutiers, tél : O5 55 64 23 11.

  6. Cniid, Centre national d'information indépendante sur les déchets, 21, rue Alexandre-Dumas, 75011 Paris, tel : Ol 55 78 28 60, http://www.cniid.org.

  7. L'entropie mesure le désordre, l'usure par opposition à l'élaboration du monde par le vivant

S!ilence #330 décembre 2005
Ecrit par libertad, à 10:42 dans la rubrique "Projets alternatifs".



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