Démocratie participative. Une fausse bonne idée
Depuis quelques années, pour faire face à la crise de confiance et de défiance qui se développe vis-à-vis des élus, les politiques ont sorti de leur chapeau une carte magique: la démocratie participative. La gauche et l'extrême gauche - socialistes, communistes, Verts et trotskistes - s'en sont emparées. Énorme supercherie qui fait croire au citoyen et à l'électeur qu'il participe enfin à la prise de décision et à sa mise en oeuvre.
LA DÉSAFFECTION DES FRANÇAIS pour les gouvernements et les élections n'est pas un phénomène nouveau. Pour tenter d'y remédier, de Gaulle, suite à mai 1968, proposait déjà un concept de participation censé dépasser les conflits idéologiques et politiques. Il cherchait ainsi à justifier son maintien au pouvoir en faisant croire qu'il tenait compte des aspirations de la société. Le référendum du 27 avril 1969 sur la transformation du Sénat et la revalorisation du rôle des régions voulait être un bouleversement des institutions.(1) Les socialistes, suivis des autres partis de gauche, tentèrent, pour se démarquer, de mettre le mot autogestion à la mode, sans jamais remettre en cause leur rôle autoritaire; cela n'était qu'un faire-valoir.Dans les années 1970, suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1979, la situation économique s'aggrave et la popularité des gouvernants baisse. Cela se traduit, durant les deux décennies suivantes, par une défiance de plus en plus grande à l'encontre des tenants de la démocratie représentative. Le taux d'abstention aux élections augmente et les citoyens se désintéressent de plus en plus de la vie politique. Par ailleurs, l'émergence de l'individualisme, le poids du consumérisme contribuent à émietter l'intérêt pour les actions collectives. Les institutions électives, aussi bien nationales que communales, apparaissent trop éloignées des préoccupations des Français et la professionnalisation des élus provoque également un rejet. Dans le même temps, l'aspiration de la population à d'autres formes d'organisation et de prise de décisions est forte, surtout localement. De vraies expériences autogestionnaires, celles-là, que les autorités réprimeront, en sont la preuve.(2)
Origine et définition de la démocratie participativeLe terme de démocratie participative apparaît au début des années 1990 dans des associations, des agences de développement et des institutions locales. On le rencontre également dans les courants alternatifs comme les mouvements altermondialistes et aussi chez quelques politiques. Elle a pour but de rétablir le contact entre la population et les élus, de développer l'implication et la participation des citoyens dans le débat public et la prise de décision qui s'ensuit. D'emblée, on s'aperçoit déjà que (objectif est de faire croire aux habitants que les élus vont tenir compte de leurs propositions pour prendre leurs décisions. Ceux qui y croient vraiment font preuve de naïveté. La délégation de pouvoir, chère à la démocratie représentative, n'est absolument pas remise en cause. Lors du Grand Oral IEP Bordeaux/SudOuest du 28 octobre 2005, Ségolène Royal affirmait que si « la concertation est -collective, la décision, elle, reste solitaire ».
Différentes institutions ont été créées pour donner la parole aux citoyens et aider leurs représentants à prendre leurs responsabilités. Comme les référendums locaux sur un sujet spécifique, les conseils de quartier, les ateliers d'habitants, les débats publics, les conférences de consensus et les budgets participatifs.
D'autres en sont encore au stade de propositions, comme les jury% citoyens tirés au sort, chers à Ségolène Royal, qui seront mis en place pour surveiller l'action des élus. L'ancienne ministre de Lionel Jospin s'est inspirée des expériences allemande - notamment à Berlin - et danoise. Dans sa région de Poitou-Charentes - elle en est la présidente depuis 2004 -, elle a expérimenté aussi les budgets participatifs dans une quarantaine d'établissements scolaires. Cette fois, elle est allée chercher l'idée au Brésil, à Porto Alegre, ville-référence de la démocratie participative pour les altermondialistes.
Pour bien comprendre en quoi cette démocratie participative est une supercherie, analysons deux exemples significatifs. D'abord le Plan Climat de Paris qui verra le jour dans quelques mois et le budget participatif de Porto Alegre.
Le Plan Climat de Paris
Voici d'abord comment le site internet de Paris annonce la mise enceuvre de ce plan:
« Parce que les dérèglements climatiques nous concernent tous et que le changement a déjà commencé, la ville de Paris met en place, avec l'aide des Parisiens, un plan d'action de lutte contre le réchauffement de la planète. Le maire de Paris a annoncé, le 25 juin 2005 en conseil de Paris, la mise en place d'un Plan Climat pour l'été 2007. La ville de Paris a souhaité un Livre blanc, sur lequel la ville pourra s'appuyer pour élaborer son programme d'actions, associer de façon significative les citoyens et les acteurs socio-économiques au processus d'élaboration du Plan Climat. Pour y parvenir, une démarche participative, basée sur une large communication, a été proposée. »
Il s'agit tout simplement pour la municipalité d'avoir la caution des Parisiens pour élaborer son plan. Mais bon. Voyons, pour ceux qui croient encore à l'honnêteté de nos élus et à leur capacité à partager les décisions, comment a été réalisé ce Livre blanc. (3)
« Dans un premier temps, des conférences-débats ont été organisées dans les mairies d'arrondissement », indique le Livre blanc. Il y en eut dix-sept qui ont réuni environ mille personnes. Sur plus de deux millions d'habitants, c'est peu. Puis des ateliers thématiques ont regroupé des citoyens volontaires, préalablement inscrits sur internet et par téléphone, ainsi que des professionnels et des responsables municipaux. D'emblée, on voit bien que ia municipalité monopolise l'initiative. C'est elle qui organise et prend l'initiative, et non les Parisiens, prétextant que l'information technique ne peut venir que de spécialistes. Comme si les compétences des habitants ne pouvaient servir elles aussi à s'informer les uns les autres sur ce sujet du climat. C'est prendre les gens pour des imbéciles, mais cela permet aussi de contrôler l'information. Il serait en effet très gênant pour la municipalité ou des entreprises publiques ou privées de voir circuler des documents les mettant en cause.
Ces débats, portant sur le bâtiment, les transports, les activités économiques, l'adaptation au changement climatique, l'éducation, les comportements et les coopérations territoriales ont eu lieu durant l'automne 2006. Soit 8 ateliers pour 234 personnes. Ce sont eux qui ont permis la réalisation du Livre blanc. On peut lire aussi
« Dans un troisième temps, la municipalité élaborera et mettra enceuvre un programme d'actions pour lutter contre le changement climatique, en s'appuyant, lorsque cela est nécessaire, sur ses partenaires institutionnels et économiques, regroupés dans le club Climat. »
L'élaboration et la mise enoeuvre des actions ne reviennent donc pas aux Parisiens. On se trouve finalement ici face au degré le plus faible de la démocratie participative.
Le budget participatif de Porto Alegre
Dans cette ville industrielle du sud du Brésil d'environ 1 200000 habitants se sont formés dans les années 1970, avec l'appui de partis de gauche et d'extrême gauche, des comités de quartiers qui ont mené des luttes locales sur des sujets comme la distribution d'eau, les transports en commun ou les équipements. En 1985, le candidat socialiste du PDT - Parti démocratique du travail - remporte les élections grâce aux comités de quartiers et le PT trotskiste - Parti des travailleurs - prend la tête du mouvement associatif. Pendant les années du mandat socialiste, des conflits opposent les deux partis et a fortiori la municipalité et les comités de quartier. Le PDT considère que le système démocratique lui a octroyé le pouvoir de délibérer et de décider, alors que les comités veulent influer sur les choix municipaux car, selon eux, le maire leur doit son fauteuil. Les comités de quartier font pression sur le candidat socialiste pour qu'il organise un débat public sur le budget de la ville, instance qui décide de tout dans une ville. Le PDT n'a pas d'autre choix que de céder et promet d'organiser de tels débats (il ne tiendra pas ses promesses). Rattrapé aussi par des affaires de corruption, il perd les élections et le PT le remplace. Le parti trotskiste ne fait pas les mêmes erreurs. II crée des structures permettant aux habitants de participer à l'élaboration du budget municipal. Il divise la commune en seize arrondissements et dans chacun d'eux un forum est mis en place. Chaque arrondissement établit une liste de revendications et élit des délégués chargés de les porter dans une nouvelle instance - le conseil du budget participatif -, qui prépare le budget de la ville pour 1990. La municipalité trotskiste tient donc compte des erreurs socialistes, mais à y regarder de près on s'aperçoit qu'elle aussi n'a pas l'intention de renoncer à ses prérogatives. D'abord, seulement quatre cents personnes participèrent aux forums, c'est peu. Il y a bien pourtant un projet réalisé par le conseil du budget participatif regroupant les demandes de la population, sans que la municipalité interfère. À comparer avec l'exemple précédent de Paris, on pourrait en conclure que le processus participatif » est ici plus abouti, mais ce serait sans compter sur la démagogie du PT En effet, le budget est réalisé conjointement avec les services techniques municipaux, chargés d'aider à la mise en oeuvre concrète des projets.
Comme le souligne Paul Boino(4), « ce furent les services techniques municipaux, , toujours dirigés par le conseil municipal, qui hiérarchisèrent les priorités, qui arbitrèrent entre les projets et qui, somme toute, choisirent dans l'inventaire à la Prévert que lui avait remis le conseil du budget participatif ce qui serait réalisé tout de suite, plus tard... ou pas du tout. En d'autres termes, ce fut encore et toujours le pouvoir municipal qui décida de l'architecture du budget d'investissement de la commune et donc de la politique d'aménagement de la ville » . La population eut l'impression à nouveau de s'être fait avoir car les choix opérés ne correspondaient pas toujours à ses aspirations. Pour ne pas perdre la face, le PT accepte alors de revoir l'ensemble du processus. Non seulement, il donne pouvoir au conseil du budget participatif d'élaborer le budget mais aussi de gérer son application. Cette fois, une liste hiérarchisée d'investissements est réalisée et les délégués des forums arbitrent entre les projets proposés. « Si l'on s'en tient à ce schéma théorique, explique Paul Boino [...], on pourrait croire qu'il s'agit là sinon d'un fonctionnement autogestionnaire du moins d'une avancée tout à fait significative en ce sens. Mais comme en toute chose, la réalité est souvent bien différente de la théorie plus ou moins idéalisée. » Cette fois les services techniques - ingénieurs, architectes et urbanistes - interviennent sur la viabilité ou la faisabilité des projets. Ils réussissent à modifier et même à faire annuler des projets en utilisant leurs compétences professionnelles. Les assemblées essaient de s'y opposer mais ces derniers développent davantage leurs arguments. On touche là à l'un des éléments essentiels des sociétés modernes pour écarter la population de la prise de décision et de la réalisation de projets, la technicité et le langage spécifique.
On balaie d'un coup l'investissement des habitants en utilisant l'argument de la professionnalisation.
Thierry Périssé
1. Le non l'emporte par 52,41 %.
2. La gestion de l'entreprise LIP par ses ouvriers dans les années 1970, les communautés du Chiapas, de Oaxaca au Mexique, les entreprises autogérées et les institutions d'autogouvernement en Argentine, etc.
3. Le Livre blanc est téléchargeable sur le site environnement.paris.fr
4. Paul Boino, la Démocratie participative... est-elle un premier pas vers la démocratie directe? On peut lire son article sur
http://increvablesanarchistes.orgLe Monde libertaire #1474 du 19 au 25 avril 2007