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Demain la décroissance, aujourd’hui la décroi-science ?
Lu sur A voix autre : "Pour aborder la politique scientifique selon un angle libertaire, un premier réflexe est de se démarquer de cette étroite vision patriotique en adoptant plutôt une vision internationale. On réalise alors qu’un tel malaise est largement partagé par la communauté académique de la plupart des pays dits développés. Par Xavier Bekaert.

Le 9 mars 2004, des centaines de directeurs d’unités de recherche démissionnèrent de leurs charges administratives, des milliers d’autres démissions suivirent ainsi que de nombreuses manifestations dans toute la France. Le 19 juin 2008, plus d’un millier de chercheurs bloqua le conseil d’administration du Centre National de la Recherche Scientifique. Sans s’attarder sur le détails de ces mouvements et de leurs revendications, on peut constater que depuis plusieurs années en France un nombre grandissant de scientifiques est inquiet pour l’avenir proche de leur profession (voire de son présent !).

Dans les discours des porte-paroles ou des commentateurs, ces événements sont souvent l’occasion de s’appesantir sur les risques de déclin qui pèsent sur la recherche française noyée dans la féroce compétition mondiale. Pour aborder la politique scientifique selon un angle libertaire, un premier réflexe est de se démarquer de cette étroite vision patriotique en adoptant plutôt une vision internationale. On réalise alors qu’un tel malaise est largement partagé par la communauté académique de la plupart des pays dits développés. Et pour prendre pleinement conscience des enjeux, il convient d’ajouter à cette prise de recul géographique une prise de recul historique afin de constater que la crise du développement scientifique semble un phénomène global qui s’est amorcé il y a déjà plusieurs décades.

Avant-hier : deux siècles d’explosion

L’historien des sciences Derek de Solla Price (1922-1983) est considéré comme le fondateur de la « scientométrie », discipline consistant dans l’étude de la science du point de vue de ses aspects quantitatifs, bref selon ce que les économistes appellent des indicateurs [1]. Cet angle d’approche a fait école depuis, il constitue l’outil traditionnel d’évaluation utilisé par les décideurs de la politique scientifique. Malgré ce détournement du programme de recherche de Price, sa conclusion principale reste étonnante et n’a peut-être pas été intégrée en profondeur dans les débats contemporains sur la science.

Dans les années soixante, Price observa que la science fut caractérisée, de la moitié du 18ème à la moitié du 20ème siècle, par une croissance exponentielle : tous les indicateurs (par exemple les dépenses, le nombre de journaux et d’articles scientifiques, de chercheurs, de diplômés, etc) doublant environ tous les 15 ans. Après une course folle de croissance exponentielle de deux siècles à peu près (1770-1970) la recherche scientifique, à l’origine le passe-temps d’une poignée de brillants amateurs aisés, est ainsi devenue une « mégascience » (« Big Science » pour les anglophones) aux proportions gigantesques : l’effectif mondial de chercheurs professionnels comptabilise des millions de personnes tandis que plusieurs centaines de milliers d’articles spécialisés sont publiés chaque année !

Hier : trois décennies de ralentissement

Physicien de formation, Price insista sur le fait qu’une croissance exponentielle ne peut pas se maintenir à l’infini : « Ce qui se passe plutôt, c’est que la croissance exponentielle atteint une limite quelconque ; après quoi, le processus doit ralentir et s’arrêter avant d’atteindre l’absurde. » Vu que l’accroissement du nombre total de scientifiques est beaucoup plus rapide que celui de la population mondiale, en conservant un tel rythme, on peut estimer que, au cours du siècle prochain, chaque être humain consacrera la majeure partie de son temps aux activités scientifiques ! Price pronostiquait plutôt qu’aux alentours de 1970 devrait commencer une phase de croissance linéaire et atteindre finalement un plafond. Il percevait déjà dans les années soixante « tous les symptômes de la saturation » et estimait que les institutions accorderaient « toujours plus d’attention aux problèmes de main-d’oeuvre, de publications et de budget. » Les dernières années ne lui ont pas donné tort sur ce dernier point... Nous assistons ainsi depuis une trentaine d’années à une croissance scientifique caractérisée par un taux non plus constant mais en baisse, ce qui constituerait une première en deux siècles ! Ce fait n’est pas anodin car il met en lumière la duplicité du discours dominant sur la croissance économique selon lequel cette dernière nécessiterait et promouvrait automatiquement le développement scientifique. Ce modèle apparaît obsolète (mais a-t-il jamais été valable ?) et essayons de mieux comprendre pourquoi.

Retours sur investissement

Pour bien évaluer l’extrême rapidité de la croissance des indicateurs scientifiques (doublement tous les 10 ou 20 ans), il convient de la comparer avec celle des traditionnels indicateurs socio-économiques (PIB, population, etc). Ces indicateurs n’ont doublé qu’à intervalles de temps au moins deux fois plus longs (bref minimum tous les 20 ou 40 ans) depuis la révolution industrielle jusque la seconde guerre mondiale. Cette évolution en parallèle de la science et du capitalisme durant l’industrialisation a conduit au modèle classique du développement économique : la recherche pure nourrit l’appliquée, cette dernière suscite des inventions menant ensuite à des innovations techniques, ce dernier maillon de la chaîne permet finalement d’entretenir la machinerie capitaliste. Il est donc de bon ton que les pays industrialisés consacrent un certain pourcentage (entre 1 et 3%) de leurs ressources aux activités de Recherche et Développement (la R&D). Pragmatiques, beaucoup de scientifiques en quête de moyens tirent leur épingle du jeu en invoquant ce modèle du développement pour légitimer leurs demandes de crédit auprès de l’État, de l’industrie, ou de mécènes.

Néanmoins il est une caractéristique qui est rarement pris en compte : les rythmes de croissance qui ont prévalu au cours de l’industrialisation sont tels que, pendant la durée où les indicateurs socio-économiques doublaient, les indicateurs scientifiques au minimum quadruplaient ! Des points de vue démographique et économique, cela signifie que, jusqu’au milieu du siècle dernier, la proportion de scientifiques au sein de la population et la fraction des ressources allouée à la science ont approximativement doublé tous les quarts ou tiers de siècle.

D’abord, voilà qui met à mal la politique d’un pourcentage fixe du PIB accordé à la R&D si l’on veut maintenir un schéma de croissance identique à l’essor industriel. Ensuite, pour le capitalisme mondial, cela représenta une érosion progressive du retour sur investissement et le risque d’une baisse du taux de profit (analogue à celle conjecturée par tonton Karl). Cette tension structurelle entre les croissances scientifique et économique conduisit à un revirement d’attitude à la fin des années 60. Price décrivit ainsi ce tournant : « Le phénomène de saturation fut provoqué par l’augmentation du poste budgétaire accordé à la R&D, jusqu’au point où elle rencontra une résistance politique grandissante » [2]. Le gouvernement et les industriels chargèrent alors des comités d’analystes d’examiner la situation. Ceux-ci prirent « conscience que l’innovation industrielle avait beaucoup plus à voir avec la force d’attraction de la demande du marché qu’avec une pression exercée par l’offre de technologie, et que l’on était loin d’une relation simple entre la science et la technologie. (...) Une nouvelle invention ne procède pas en général d’une nouvelle découverte scientifique, mais d’une nouvelle configuration du marché et de nouveaux besoins de l’homme » [3]. Que l’on adhère ou pas à cette conception, voilà qui démolit en tout cas le dogme selon lequel la croissance économique promeut automatiquement le développement scientifique, et réciproquement.

Ce corollaire des conclusions de Price pourrait expliquer la raison pour laquelle, depuis les années 80, l’on peut observer une augmentation de la précarité dans les carrières académiques (allongement de la durée du parcours post-doctoral, nombre de postes stables quasi constant, etc). Une forte chute du taux d’accroissement annuel de la quantité de publications scientifiques a même été constatée. Malgré qu’il soit vain d’évaluer la production de savoirs par le nombre de publications, un bilan aussi négatif remet en cause l’interprétation de la récente mutation du capitalisme comme une transition vers une « économie de la connaissance. » Le terme de « décroi-science » semblerait plus approprié ! Il faut cependant rester prudent et apporter quelques précisions.

Bémols

Le bilan mentionné plus haut ne concerne pas les pays dits émergents, comme la Chine ou l’Inde, car ils connaissent actuellement un développement scientifique exponentiel comparable à celui des pays industrialisés durant les siècles précédents, ce qui pourrait amener à retarder les prévisions de Price.

De plus, les détracteurs des techno-sciences ne doivent pas se réjouir trop vite. Les dépenses mondiales en R&D, le nombre de brevets et de chercheurs officiellement répertoriés continuent à doubler approximativement tous les 15 ans, ce qui semble en contradiction avec le constat précédent. Cependant, la situation est complexe puisque les indicateurs sont nombreux et sujets à interprétation. Tenant en compte ces subtilités, un profil plus détaillé de la situation semble se dégager : d’une part un désengagement progressif de l’État dans le financement de la R&D, d’autre part une stagnation du nombre d’emplois allouées à la recherche académique ou fondamentale, les authentiques créations d’emplois ayant principalement lieu dans la recherche industrielle ou appliquée.

Un autre piège à éviter est le déterminisme économique. Une crise structurelle entre la dynamique capitaliste et le développement scientifique n’engendrerait pas nécessairement leur déclin réciproque. On attend encore la réalisation de la prophétie de l’oncle Karl sur la fin inéluctable, voire imminente, du capitalisme s’effondrant sous le poids de ses propres contradictions. Pour l’instant, on peut en revanche observer les capacités d’adaptation extraordinaires de ce système qui a surmonté régulièrement ses crises, en y mettant certes les grands moyens : dépressions, famines, guerres,... Quand à la science, son histoire est largement plus ancienne que celle du capitalisme (la première remonte à l’antiquité et la deuxième à la modernité), elle devrait donc vraisemblablement lui survivre.

En guise de conclusion

« Et la décroissance dans ce tableau, où est-elle ?
Elle est sous nos yeux,en train de se faire, et nous ne la voyons pas.
 » [4]

[Xavier Bekaert]

Sources

Afin de ne pas noyer les lecteurs sous les tableaux et les graphiques, les détails chiffrés à l’appui des observations mentionnées dans le texte ont été omis ou grossièrement simplifiés. Le lecteur désirant se fonder sa propre opinion peut consulter l’ouvrage de Price publié chez Fayard en 1972. Comme complément utile, une source de données plus récentes est la série des annuels Science and Engineering Indicators http://www.nsf.gov/statistics/indicators/ (http://www.nsf.gov/statistics) Ces données peuvent enfin être comparées avec l’évolution des indicateurs socio-économiques durant les siècles précédents, répertoriée dans le livre de Maddison L’économie mondiale : statistiques historiques publié par l’OCDE en 2003 (http://www.ggdc.net/maddison).









Notes

[1] Un indicateur est une statistique construite afin de mesurer certaines dimensions de l’activité économique.

[2] En effet, il faut préciser que cette « saturation » n’est pas due à une diminution du nombre de passionnés par la recherche scientifique de haut niveau de compétence, mais à une offre d’emplois stables fort inférieure à la demande.

[3] Derek de Solla Price, « La valeur extrinsèque de la recherche », Alliage n°19 (1994) disponible sur http://www.tribunes.com/tribune/alliage/19/soll.htm

[4] Pierre Sommermeyer, « Le capitalisme à un tournant », Réfractions n°18 (printemps 2007).]

Revisiter l’oeuvre de Derek de Solla Price ne livre donc pas une théorie supplémentaire de l’effondrement du capitalisme, mais suggère plutôt d’abandonner la conception traditionnelle, déjà dépassée, des rapports entre science, État et Capital. Ces liens paraissent entrés dans une phase de profonds changements. Deviner les conséquences futures d’un tel bouleversement est impossible, il convient cependant d’y rester vigilant. Et pourquoi pas profiter de cette tension pour réfléchir sur ce que pourrait être une politique scientifique anarchiste ? [[Par exemple, le numéro « Visages de la science », Réfractions n°13 (automne 2004) a tenté d’esquisser quelques pistes de réflexion.

Ecrit par libertad, à 22:59 dans la rubrique "Actualité".



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