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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Défendre et reconquérir les services publics
Défendre les services publics quand on est anarchiste peut paraître une contradiction, tant l'idée même 'de service public est liée à celle de l'État républicain. II nous faut redonner à cette notion la valeur d'un outil au service de l'intérêt général, permettant un égal accès à tous, et mettre en évidence le rapt opéré par l'État sur ce qui n'était auparavant qu'un réseau de solidarité aux mains des travailleurs. Rapt qu'aujourd'hui l'État s'apprête à offrir au privé, dans une course à la libéralisation effrénée.

Qu'est-ce que le service public?

C'est tout ce, qui .vise à la satisfaction des besoins sociaux fondamentaux (accès à l'eau„ à l'électricité, aux transports, à l'éducation, aux soins, poste, communication, etc.). Il s'inscrit dans un cadre de solidarité sociale (Sécurité sociale, système de retraites, assurance chômage), tous participant au bien commun par le biais de l'impôt. Ce service, quand il fonctionne, permet une relative égalité sur le territoire, quels que soient les revenus et les conditions de chacun, isolement, âge, éloignement géographique...

Du contrôle ouvrier à l'étatisation

La contradiction réside dès l'origine dans la revendication des travailleurs à ce que l'État prenne en charge les relations et les besoins Auparavant, les services publics existaient sous forme de Bourses du travail, caisses de secours mutuelles, assurances sociales, coopératives de production et de distribution, créées dans la deuxième moitié du XIXe siècle... Progrès social, fruit d'un rapport de force et d'une lutte incessante pour améliorer les conditions de vie et se rapprocher de l'idée de solidarité et d'intérêt général, ils sont l'objet d'un abandon progressif par les travailleurs.
Une rupture historique s'est effectuée par l'étatisation de ces structures et la perte de contrôle exercé par les ouvriers. D'abord, après la guerre de 1914-1918, où l'État voit dans les services publics le moyen de se substituer aux mécanismes du marché défaillants. Il n'y a donc plus de revendication du droit. Puis, après la crise de 1929, où Keynes met l'État- providence au centre de 1a gestion de l'économie, du progrès et des services publics, qui sont alors utilisés comme outils de régulation du capitalisme. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il y aura de nouveaux acquis comme la Sécurité sociale, notamment grâce au Conseil national de la Résistance, face auquel la bourgeoisie a dû faire d'importantes concessions. Mais cette dernière s'est rendue compte qu'elle en profitait elle-même et que ces avancées étaient nécessaires pour maintenir une certaine cohésion sociale.
La bureaucratisation des syndicats et leur division a accentué la perte de contrôle des travailleurs, mettant à la tête de ces structures à gestion paritaire des « professionnels de la gestion » qui leur permettaient ainsi à la fois de maintenir une place dans les négociations avec l'État, de contrôler les ouvriers en les cantonnant dans un rôle d'usagers-consommateurs et de s'assurer quelques bonnes places. L'exemple de la Sécurité sociale, réformée en 2003, montre que d'une gestion assurée après guerre par les syndicats (75 % des sièges au CA), on est passé au paritarisme en 1967, puis à la suppression pure et simple des élections.

Protester radicalement face à la privatisation

Aujourd'hui, les services publics en réseau au niveau européen sont nommés « services économiques d'intérêt général », et sont considérés comme des activités économiques soumises, pour la Commission, aux règles relatives au marché intérieur, à une obligation de rentabilité et à la concurrence au niveau communautaire.
Le processus de déréglementation a commencé avec les télécommunications et s'est étendu avec La Poste, le rail, aujourd'hui l'énergie. . Les autres services publics, dits « d'intérêt général », sont aussi menacés dans le cadre de l'AGCS (Accord général sur le commerce des services) dont les négociations ont été largement devancées par les directives européennes. Ces accords ont été signés par des responsables de gauche et de droite. Il faut se rappeler l'accord sur la privatisation de la SNCF et d'EDF-GDF signé par Jospin à Barcelone en 2002.
Récemment, la scandaleuse affaire de la SNCM, vendue pour une bouchée de pain, a mis en évidence le rapt opéré par l'État et le cadeau fait à ses amis du Medef La collusion entre les dirigeants politiques et économiques est totale et le totalitarisme n'est pas loin.
Avec la privatisation des services publics, l'appauvrissement et la déculturation d'une partie importante de la population vont s'accompagner de risques pour la santé et la sécurité liés à la recherche du moindre coût et la rentabilité.
Rappelons-nous les accidents de train en Angleterre après la privatisation du secteur ferroviaire, les millions de personnes privées d'électricité aux États-Unis, au Canada, en Italie, en Suède.

Quelles luttes ?

La remise en cause du droit de grève exercée par le gouvernement vise à interdire la possibilité au personnel de défendre l'existence même des services publics, dans des secteurs avec de forts bastions syndicaux et une tradition de lutte. C'est donc l'ensemble des salariés, chômeurs; usagers qui doivent ~ se mobiliser et dépasser le cadre national. Concernant les services publics, la simple résistance ne suffit pas. Elle est certes nécessaire mais ne doit pas occulter les importantes inégalités maintenues par les services existants (absence de gratuité, discrimination pour l'accès aux.droits, coupure d'électricité, reproduction sociale à l'école, etc.) ainsi que la technocratisation de la gestion de ces services.

L'autogestion au cour du débat

Les anarchistes ont toujours posé la question de la gestion des entreprises, de l'organisation et des services. Tout comme la gestion directe dans les usines, nous devons mettre en avant la réappropriation du contrôle des services publics par le personnel et les usagers que nous sommes tous. La définition des besoins par les usagers eux-mêmes et l'adéquation de l'offre permettent de se poser les questions globales de développement, respect de l'environnement, redistribution des richesses, proximité, accessibilité, facilitation des démarches et formation de personnel. S'en remettre à l'État, c'est forcément s'en remettre à cette économie de marché où les services n'existent que comme simple marchandise, et c'est accepter, l'abandon de tout un pan de décisions essentielles à la vie de la société. L'autogestion est le seul moyen de faire coïncider les besoins et les droits individuels et collectifs en resituant chacun à la fois dans un rôle d'usager et dans un rôle de gestionnaire.
À nous de défendre les services publics et de dépasser la simple résistance en affirmant la
nécessaire réappropriation.

Valérie Benito
groupe de Rouen

Le Monde libertaire #1416 du 17 au 23 novembre 2005
Ecrit par libertad, à 21:26 dans la rubrique "Actualité".



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