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Lu sur deroutes : " Forme marchande de " loisir extrême ", le tourisme sexuel est un fléau moderne qui, s'il s'enracine dans l'univers ancien de la prostitution toujours confrontée à la mobilité, tend aujourd'hui à s'étendre sous la pression de la mondialisation libérale et touristique. Les industries du voyage et du sexe partagent beaucoup d'intérêts communs dans la transformation du monde en gigantesque parc de loisirs, voire en terrain de jeux sexuels1. Face au retour pesant de l'ordre moral, la seule voie que nous sommes en mesure de préconiser pour lutter contre le tourisme sexuel consiste à intensifier la lutte en faveur d'une éducation pour tous, et en particulier à destination des enfants, avec en première ligne les filles des régions les plus déshéritées de la planète. Car, on le sait parfaitement, lorsque les filles fréquentent massivement les écoles, elles découvrent un autre monde par le biais de l'instruction et du partage des savoirs, et elles n'accepteront plus d'être maltraitées simplement parce qu'elles sont des filles. Un meilleur accès à l'éducation est donc la condition première pour améliorer le sort des filles et lutter contre la misère. C'est ainsi qu'on parviendra, par petites touches, à éviter que des filles d'ici ou d'ailleurs ne sombrent un moment donné dans l'univers de la prostitution. Pour ce faire aussi, il s'agit aujourd'hui d'arriver à fixer cette part d'ombre de nos sociétés pour mieux refuser, à l'avenir, la croissance d'une industrie marchande du sexe qui n'a pas sa place dans une société ouverte fondée sur le respect. Le corps-capital des prostituées " de luxe " des pays du Nord s'oppose nettement au corps-marchandise des prostituées " de la misère " des pays du Sud et de l'Est. Une opposition qui ne doit pas faire perdre de vue le rêve qui fait miroiter certaines personnes prostituées qui n'ont " rien " et qui pensent qu'en faisant commerce de leur corps elles peuvent " tout " avoir ! Un basculement du destin, toujours possible mais tellement rare, qui se trouve à l'origine… d'une impuissance à changer la situation et à faire évoluer les mentalités et d'une indifférence d'à peu près tout le monde, notamment les " entrepreneurs sexuels ", les autorités officielles, les clients…
Epidémies, terrorisme, hausse du prix du pétrole et baisse du pouvoir d'achat des particuliers, accroissement des formes de misères affective et sociale, etc., nous voyagerons demain " autrement " - pas nécessairement mieux et de manière plus respectueuse des milieux naturels et culturels traversés - et l'épidémie de grippe aviaire, par exemple, n'a pas seulement comme conséquence de baisser les flux touristiques vers certaines destinations, elle risque également d'instituer un peu plus des barrières entre les cultures et les populations : l'Organisation Mondiale de la Santé a ainsi préconisé au printemps 2006 " la distanciation sociale " afin de tenter de ralentir le fléau. En matière de tourisme sexuel aussi, la lutte s'intensifie, et c'est tant mieux, sauf que des excès - nourris de discours religieux ou identitaires - sont déjà fortement perceptibles : pour combattre plus efficacement le fléau du tourisme sexuel, des voix s'élèvent actuellement pour proposer l'abstinence sexuelle à l'étranger ou avec des personnes " différentes ", tandis que certains suggèrent de ne plus du tout toucher les gens qu'on ne connaît pas… Un citoyen du monde digne de ce nom ne peut se satisfaire de ces voies réactionnaires qui ont le vent en poupe et ne cessent de gagner du terrain. Peut-être que ces mesures conservatrices s'adressent d'abord à leurs partisans, puisque le sexisme et le racisme sont particulièrement fréquents chez les touristes sexuels occidentaux… Mais, à la suite du tourisme classique, c'est maintenant au tour du tourisme sexuel de connaître une regrettable " démocratisation " qui, au demeurant, s'inscrit tout à fait dans les schémas libéraux actuels.
De plus en plus, on observe l'essor d'une " prostitution à la carte ", une tendance qui, finalement, ne fait que suivre celle des voyages à la carte… Il n'est plus rare aujourd'hui de rencontrer à Phuket ou à Ko Samui, pour évoquer le cas de la Thaïlande, un routard occidental avec à l'arrière de sa moto ou accrochée à son bras une " girlfriend ", appellation officielle et plus acceptable de la prostituée qu'il a louée à la semaine ou au mois… Le tourisme sexuel connaît un dangereux effet " boule de neige " qui ne le met absolument pas à l'abri d'une massification dans le futur : toujours en Thaïlande, d'une part, les nouveaux clients sont ainsi de plus en plus des jeunes occidentaux en quête d'aventures et de sensations fortes qui peu à peu remplacent les vieux touristes allemands, japonais et américains qui eux-mêmes avaient déjà succédé aux militaires en stationnement pendant la guerre du Vietnam ; d'autre part, une nouvelle clientèle apparaît sur les plages et dans les bars : Malais, Chinois, Coréens… Le secteur informel de la prostitution s'est développé avec l'arrivée plus importante de touristes individuels. En résumé, les femmes vont à Goa en Inde, en Jamaïque, en Gambie, etc., tandis que les hommes préfèrent les pays du sud-est asiatique, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, République Dominicaine, Cuba, la Colombie, le Panama, le Surinam, le Mexique, sans oublier le Brésil où l'on compte pas moins de 500 000 enfants tombés dans la prostitution2… Le tourisme sexuel de masse est l'un des gros problèmes qui est train de se développer sur les décombres de la mondialisation qui croise l'univers des mobilités touristiques. Il représente la poursuite de la colonisation sous une forme nouvelle et adaptée à la mondialisation libérale.
Tout au moins en Occident, la prostitution actuelle n'a plus grand-chose à voir avec celle, un brin frivole et marquée par le romantisme, de nos aïeux. La quête d'une soumission absolue de l'autre est au cœur de notre malaise contemporain. Comme le précisent Clarisse Fabre et Eric Fassin : " C'est seulement dans la prostitution que s'affirme aujourd'hui une domination incontestée : elle est le refuge des frustrations modernes de la domination masculine. Au contraire d'une épouse, la prostituée n'exige pas d'être séduite ; elle n'attend pas de plaisir. La seule négociation porte sur l'argent, et non sur le désir ". On sait aujourd'hui que les prostituées étrangères, plus dépendantes et précaires, " font tout " et " cassent les prix ", se révélant de la sorte comme de dangereuses concurrentes pour les " Françaises " ou les " traditionnelles " : " En s'affranchissant des proxénètes, les Françaises ont ainsi conquis une autonomie qui les rend moins désirables pour qui désire dominer sans partage "3. L'essor du tourisme sexuel à destination des pays " pauvres " et celui de la pédophilie plus généralement s'inscrivent tous deux dans cette même logique : dominer l'autre à tout prix, avant d'être dominé et au lieu d'être dominé par lui…
Fin août 2006, un journaliste français a été retenu au Cambodge, prié de verser 125 000 dollars, car il dégradait l'image dorée et touristique du royaume khmer en enquêtant sur les dérives du tourisme sexuel. Pendant qu'on empêche aux journalistes de faire leur travail, les touristes sexuels occidentaux de connivence avec certains personnages corrompus liés au pouvoir en place courent toujours. Pendant ce temps, à Benin City, au sud du Nigeria, des milliers de filles visent la transe et pactisent avec le vaudou avant de partir pour l'Europe et échouer dans les filets des réseaux de prostitution qui jetteront ces Africaines sur les trottoirs des grandes villes. Toujours à la même période, un livre intitulé Fuck and Forget. Journal de Pattaya, apologie à peine déguisée du tourisme sexuel en Thaïlande (le titre résume bien l'action), sort en librairie en France, succès garanti dès lors que l'on mêle voyeurisme, sexe, domination et tourisme ! Certaines régions du monde se transforment en plaques tournantes du trafic de femmes, d'autres en lieux de plaisirs pour étrangers nantis, d'autres encore en terroirs frustrés où l'on importe des filles du bout du monde…
A l'échelle mondiale, on constate de nos jours une augmentation de trois faits particulièrement inquiétants pour lesquels l'essor du tourisme sexuel n'est pas étranger : l'extension géographique et l'importance des flux liés aux trafics sexuels, la surreprésentation des groupes ethniques et des minorités nationales dans la traite des femmes, la féminisation croissante des migrations internationales. Trois oppositions sont généralement acceptées mais ne nous apparaissent pas forcément toujours évidentes :
- 1ère opposition : ne pas confondre prostitution forcée et prostitution volontaire ou " libre ". Cette distinction n'a pas du tout la même signification dans les régions pauvres du globe et chez les nantis du Nord, mais aussi du Sud et de l'Est. Par exemple, dans certaines villes du Nord - ou dans des enclaves fortunées ou aisées dans les pays déshérités - la prostitution dite libre permet à certaines filles de " disposer librement de leur corps " ainsi qu'elles le revendiquent, tout comme elles revendiquent avec raison de meilleurs droits. A l'opposé, dans la plupart des pays du Sud - mais aussi dans des enclaves de misère des villes du Nord ou des pays de l'Est - la prostitution est d'abord une activité exercée sous la contrainte (proxénétisme, misère, viols). Cette opposition est à appréciée au cas par cas, car si elle peut ici ou là s'avérer opérante, elle ne le sera pas dans d'autres cas. Il y a surtout derrière cette opposition un danger de normalisation de l'être humain perçu comme une vulgaire marchandise. Il s'agit avant tout de ne pas occulter ou nier l'importance des choix individuels. On peut ensuite également invalider cette opposition puisque comment pourrait-on combattre la prostitution dans les pays pauvres du Sud alors que l'on passe son temps à la justifier dans les pays plutôt riches du Nord ! Une fois de plus, nous voyons là une juxtaposition d'une pensée coloniale avec une pensée ultralibérale. A n'y prendre garde, c'est encore l'Occident qui va piller - violer - le Sud, mais cette fois avec la forte complicité du tourisme international.
- 2ème opposition : ne pas confondre prostitution enfantine et prostitution adulte. Cette distinction apparaît évidente, mais à force de la mettre en avant, elle devient suspecte : effectivement, plus le consensus s'établit pour condamner l'abus sexuel sur des enfants, plus facilement l'abus des femmes (et dans une moindre mesure des hommes), semble entrer dans une certaine norme présumée incontournable du monde capitaliste dans lequel nous vivons. La prostitution enfantine révulse tout le monde tandis que tout le monde s'accommode fort bien de la prostitution " classique ". Dans ce contexte pour le moins ambivalent, lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants est en quelque sorte une manière de mieux légaliser ou tout au moins légitimer la prostitution des adultes, trop rapidement considérée comme librement choisie. Mais le consentement est une affaire complexe et il est très difficile d'en fixer les limites.
- 3ème opposition : ne pas confondre prostitution normale et prostitution touristique. Cette distinction établit un clivage très discutable entre prostitution " normale " (qu'est-ce que la normalité dans ce sens ?) et prostitution à destination des touristes. En effet, soyons un peu caricatural afin d'être mieux compris : on peut avec cette distinction penser que ces deux prostitutions, si elles restent confinées l'une au Nord l'autre au Sud, seraient bénéfiques pour tous ! La prostitution " normale " pourrait selon ce jugement être considérée comme positive puisqu'au Nord, les hommes vivent " mal " leur virilité blessée (célibataires, mode du porno, féminisation des mœurs, etc.) tandis que les femmes qui se livrent à la prostitution, non seulement quittent l'oppression du carcan traditionnel familial, mais vivent " bien " leur corps retrouvé et leur esprit libéré, d'autant plus qu'elles s'enrichissent en rendant moins malheureux les hommes esseulés… La prostitution " touristique ", elle, affecterait les pays du Sud et la situation est à peu près inverse : les filles sont jeunes et jolies, mais pauvres et peu éduquées, donc facilement exploitables. Elles arrivent de façon plus ou moins forcée dans la prostitution, " métier " qu'elles n'ont aucune envie d'exercer si ce n'est pour gagner vite un peu d'argent puis quitter le milieu dès que possible. Les touristes sexuels étrangers affluent en quête de cette chair fraîche, disponible et soumise, mais surtout ils vont trouver toutes les raisons du monde pour montrer qu'ils n'abusent pas du tiers-monde, ils ne font que l'aider, le soutenir, voire contribuer à son développement…
L'avenir morose risque de mettre en scène un monde encore plus inégal qu'à l'heure actuelle : des femmes du Sud exploitées sexuellement dans les pays du Nord par des hommes du Nord (l'exotisme chez soi ou le tourisme sexuel à domicile) et certains hommes du Sud (nostalgiques, fauchés ou frustrés), et des femmes du Sud exploitées dans les pays du Sud par des hommes du Sud (clientèle " habituelle ") et de plus en plus des hommes du Nord (les touristes sexuels). Pour une " femme " du " Sud ", c'est en quelque sorte l'application de la double peine… Incontestablement, le tourisme sexuel s'appuie fortement sur les industries " classiques " du sexe : pornographie et prostitution.
L'industrie pornographique brasse un chiffre d'affaires gigantesque, finançant au passage de nombreuses organisations criminelles. La prostitution est la traduction pratique de ce que la pornographie propose4. Les deux univers sont tellement liés qu'ils n'en font plus qu'un. Ils s'accordent pour instrumentaliser les êtres humains et industrialiser les corps. Après le secteur économique, l'appareil médiatique et publicitaire occupe également le terrain pour renforcer la reconnaissance officielle de l'industrie du sexe. La violence sexuelle est célébrée en même temps qu'elle s'affiche partout dans les médias, y compris pour être dénoncée, une confusion tout à l'image de notre culture du porno chic et soft qui, elle, célèbre la domination du mâle à l'heure où sa virilité paraît de moins en moins assumée…
L'essor de la prostitution cache - avec la collaboration de beaucoup de monde - la " croissance " de la misère, qu'elle soit sexuelle (surtout dans le Nord) ou économique (surtout dans le Sud). Certains gouvernements libéraux croient hypocritement que la prostitution peut " réguler les mœurs " et servir de soupape à la société de plus en plus violente, tout en permettant de lutter contre le chômage et d'enrichir les nouveaux " entrepreneurs " du sexe, autrefois jugés pour proxénétisme. Cette banalisation de la prostitution et de la pornographie conduit trop souvent à la négation de la sexualité. Le sexe a ainsi au moins un point commun avec la politique : à croire que plus on en parle (ou on en entend parler) et moins on le/la pratique ! Le viol de l'intimité, de plus en plus fréquent " grâce " aux reality-shows d'une télé-poubelle, dévoile crûment une société en panne de repères qui ne s'envoie en l'air que pour espérer mieux retomber sur ses bases. Mais pourquoi s'envoyer en l'air si ce n'est pas pour prendre son pied ? C'est seulement de la sorte, en reprenant goût au plaisir partagé, que la société, et les individus qui la composent, pourront reprendre pied.
Pourquoi tant de prostitution dans notre société apparemment libérée sur le plan sexuel ? Nul doute que la demande est encouragée et stimulée par une offre de plus en plus alléchante ! En effet, le marché s'étend et se diversifie : une internationalisation de l'offre prostitutionnelle, avec des filles de plus en plus jeunes et jolies, en provenance des quatre coins du globe, attire irrésistiblement de nouveaux clients. Surtout qu'avec cet afflux de migrants du sexe, alimenté par la soif de consommation, la rotation des filles est assurée, et les corps trafiqués sont entièrement disponibles et serviables, le tout à des tarifs de plus en plus bas, concurrence oblige… Cela dit, cette évolution serait-elle aussi fatale ? Faut-il désespérer à ce point de l'Homme ? Et le mâle ne serait-il donc rien d'autre que l'incarnation du mal ? Déjà, le succès croissant du tourisme sexuel féminin et l'auto-dégradation de l'image de la femme montrent que, sur ces points, la femme marche bien dans les pas de l'homme, réitérant les mêmes représentations sur le pouvoir, la domination et l'exploitation. Bref, à force d'imiter l'homme - dans le couple, au travail, en voyage, etc. - la femme perd en sagesse et en dignité ce qu'elle gagne douloureusement, et somme toute relativement, en efficacité économique et politique. La prostitution n'est donc pas uniquement une solution à un besoin physique urgent imputable à l'homme (toujours pressé comme on sait !), mais peut-être davantage l'effet d'une détérioration des relations hommes-femmes au sein de nos sociétés.
La prostitution est par exemple un pratique échappatoire pour certains hommes incapables d'affronter les exigences des membres - fermes et rigides - appartenant au sexe qu'on n'ose plus vraiment appeler " faible ". La " faute " - mais il n'y a pas lieu de parler de faute, le péché n'ayant pas sa place dans le champ de la sexualité ! - n'en revient pas pour autant aux dames, et les combats en faveur de l'émancipation des femmes sont loin d'être terminés. Dommage seulement qu'une majorité d'hommes ne s'associent pas à ces luttes pourtant communes aux deux sexes. En bonne stratégie occidentale, c'est-à-dire celle qui nourrit le conflit, les hommes affrontent les femmes plutôt que de s'en faire des partenaires (l'inverse est également vrai), ils s'opposent avec intransigeance au sexe opposé, comme si l'harmonie dans la vie et des sexes n'était qu'un vieux rêve passé d'époque… Dans ce contexte autiste, la prostitution classique permet à l'homme, dépassé par les femmes et dépossédé de sa virilité, de se venger de la Femme, en entretenant des relations commercialo-sexuelles avec des femmes. Une revanche plutôt minable qui lui procure l'illusion d'exister à nouveau, tel qu'il voudrait être et non pas tel qu'il est. Mais on ne vit ni éternellement ni impunément de la subordination et de l'exploitation des femmes. Au demeurant, le touriste sexuel qui abuse des enfants du tiers-monde, même si l'exemple est plus extrême, n'agit pas autrement. Enfin, hommes et femmes trouvent aussi dans de nouvelles représentations du sexe et du genre - homosexuels, bisexuels, transsexuels, travestis… - une voie alternative permettant d'éviter de s'interroger en permanence sur les thèmes qui fâchent, dérangent ou démangent : domination masculine et hiérarchie sexuelle…
Osons ici un rapprochement - essentiellement symbolique - à ne pas confondre avec un amalgame entre d'un côté le " touriste organisé " et de l'autre le " touriste sexuel " :
- Le touriste organisé se dégage, parfois, de toute responsabilité dès le moment qu'il foule la terre de sa destination exotique et vacancière. Je me souviens ainsi d'un voyageur fraîchement débarqué à l'aéroport de Hanoi au Vietnam, et me disant : " Voilà, je viens d'atterrir, et désormais je confie mon destin des prochaines semaines à mon guide, car je suis trop éreinté par mon boulot, et le temps des vacances je ne veux plus penser mais seulement me laisser porter ! ". Il n'y avait là certes aucune arrière-pensée sexuelle, mais d'autres touristes feront aisément le lien avant de franchir le pas… En effet, chez eux, à la maison, beaucoup se sentent enfermés - syndrome des peuples enrichis matériellement - tandis qu'ici au bout du monde, tout redevient possible, notamment le fait de manifester le courage de braver toute une série d'interdits. Autre exemple : un touriste perdu au milieu de son groupe confiera peut-être son destin au guide ou à l'agence de voyage mais, en même temps, il s'autorisera des pratiques qu'il s'interdit d'habitude chez lui, comme se baigner nu sur une plage en Malaisie entouré de pêcheurs musulmans offusqués, ou encore flirter avec une gamine venue s'attabler avec lui afin de lui vendre des cigarettes ou des bibelots dans un restaurant au Vietnam. C'est souvent de la sorte que commence pour le touriste lambda loin de chez lui ce qui serait totalement impensable sur ses propres terres. Cette aspiration à la transformation de soi est d'autant plus aisée pour les touristes - organisés ou non - que la déresponsabilisation en voyage s'est installée dans leur esprit que dirige déjà un corps souvent frustré et malmené… Pour le touriste organisé, l'autre est le serviteur touristique, il est exploité avec ménagement.
- Le touriste sexuel se débarrasse aussi souvent, sinon toujours, de toute responsabilité humaine puisque, par l'intermédiaire d'une transaction financière, il se sent libéré de tout besoin de s'occuper de l'autre : il ne ressent plus ni la contrainte de le respecter ni celle de lui procurer du plaisir. En payant pour un service, sexuel en l'occurrence, il achète la liberté d'une personne sur laquelle, un temps compté, c'est-à-dire celui pour lequel il a payé, il a - du moins psychologiquement - tous les droits. Y compris celui de réduire une personne à l'état de " bien " marchand. Il n'a en effet pas besoin de ménager sa proie, contrainte à la soumission, puisqu'elle a été achetée comme une simple marchandise dont il peut disposer à sa guise, sans la crainte de se faire renvoyer ou de se voir puni par un chef ! Le client est roi dit l'adage. En vacances tout particulièrement. Ici, le client-touriste est seul maître à bord, l'autre en est réduit à la condition d'esclave sexuel, qu'il soit d'ailleurs bien ou maltraité par son maître du moment… Pour le touriste sexuel, l'autre est l'esclave sexuel, il est abusé sans ménagement.
On le voit, entre le touriste organisé et le touriste sexuel, les différences sont énormes, mais le passage de l'un à l'autre est parfois étonnamment facile. Rien ne sert de se voiler la face : " En général, le sexe payant est devenu une composante plus ou moins visible du tourisme de masse "5. Pourtant, la plupart des touristes sexuels opèrent leur travail de sape en solo, cela essentiellement pour deux raisons : la peur de se faire repérer puis dénoncer, le caractère individuel de leur démarche et l'égocentrisme évident de l'abuseur. Le danger qui consiste à voir le touriste organisé muer en touriste sexuel réside ailleurs : s'accommoder d'une tendance actuelle, rester dans le coup entre culte du corps et jeunisme, sur fond d'appétence sexuelle et de malaise civilisationnel pour tous6. On retrouve par exemple l'archétype de ce type de vacancier minable dans le personnage central du roman Plateforme de Houellebecq, où le plongeon dans le sexe et le voyage permet au touriste vulgaire d'avoir l'impression d'être quelqu'un d'autre que l'employé soumis et l'homme sans qualités qu'il est dans sa morne vie quotidienne. En Occident, le tourisme sexuel reste représenté de deux manières beaucoup trop simplistes et incomplètes, d'un côté le misérabilisme et de l'autre l'angélisme.
Nous vivons dans une société pleine de paradoxes, ce qui entrave considérablement la lutte contre le tourisme sexuel. De nos jours, on légitime l'industrie du sexe en ne s'opposant qu'à l'exploitation sexuelle des enfants (ce qui ne signifie pas nécessairement des actions très efficaces pour sauver les enfants de l'esclavage sexuel)... Facile consensus dans notre univers libéral, mais c'est oublier un peu vite que la seconde ne va pas sans la première. Autre paradoxe qui ne facilite pas la lutte contre le tourisme sexuel et ses avatars : ceux qui combattent la libéralisation excessive du marché et les dérives de la mondialisation sont aussi ceux qui sont favorables à la libéralisation des industries du sexe. Notre société occidentale - et mondiale occidentalisée - est confrontée à l'hypersexualité des jeunes. C'est ainsi, par exemple, que nos contemporains ne s'attaquent pas à la pornographie car celle-ci est légitimée par la pensée dominante puisqu'elle est perçue comme une liberté d'expression.
En forte augmentation, le trafic sexuel à l'échelle de la mondialisation se caractérise aujourd'hui par une forte féminisation des migrations. Avec l'ouverture économique des marchés internationaux de la prostitution, les flux de femmes et d'enfants livrés à la traite et les dérives de la prostitution s'amplifient en toute impunité étant donné que plus on réglemente la prostitution plus on encourage l'exploitation sexuelle. Entre autres, l'expansion mondiale du tourisme sexuel renvoie à deux processus qui caractérisent nos sociétés actuelles : premièrement, la 'démocratisation' des flux migratoires et voyageurs (touristes et personnes prostituées circulent désormais dans tous les sens) ; deuxièmement, l'hypersexualité des jeunes entretenue par des médias obsédés par la violence sexuelle mais également par les nouvelles réglementations des industries du sexe qui banalisent l'exploitation des femmes et des enfants.
La prostitution dite " libre " relève du libéralisme et non de la liberté. Une fois que cette idée aura fait son chemin, il sera peut-être envisageable de changer les mentalités qui emprisonnent nos contemporains dans une société de consommation privée d'humanité7. Le tourisme sexuel se nourrit de la rencontre entre la misère et la beauté du monde. Deux misères et deux beautés qui attestent de la coupure économique qui régit l'ordre inégal de la planète. Misère affective au Nord, misère économique au Sud et à l'Est ; beauté de la consommation et des biens matériels au Nord, beauté des personnes, mais aussi de la spiritualité, du mode de vie et des " traditions " au Sud et à l'Est.
Le tourisme sexuel naît aussi de la rencontre de deux chocs, économique et culturel, le premier s'avérant au final plus redoutable que le second. Dix raisons principales sont actuellement à l'origine, selon nous, de l'essor sans précédent de la prostitution à des fins touristiques dans le monde :
- La pauvreté endémique, encore aggravée par une paupérisation croissante.
- La mondialisation économique et libérale, favorisant la libéralisation des marchés sexuels et encourageant plus ou moins directement la traite aux fins de prostitution.
- La persistance et parfois la résurgence des sociétés patriarcales et sexistes, sans nier la résurgence des traditions sur fond de nationalisme ou de communautarisme.
- La dégradation de l'image de la femme, par les hommes mais aussi par les femmes elles-mêmes, sur fond de violence sexuelle à la fois généralisée et banalisée.
- L'explosion du tourisme international, mais aussi des flux de migrants en tout genre.
- La féminisation des migrations et l'augmentation de l'immigration clandestine.
- L'hypersexualité des jeunes et des populations du Nord en général.
- L'engouement sans limites pour les paillettes d'une société de consommation impérialiste fondée sur le culte de l'argent.
- Le clivage Nord-Sud qui, s'il devient complexe et divers, ne cesse pas moins de se creuser, et donc de précariser davantage les populations déjà démunies.
- L'essor du secteur des industries du sexe, qui connaît une importante hausse et diversification, il tend à fortement se banaliser dans toutes les couches sociales.
A la suite de la " Déclaration de l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) sur la prévention du tourisme sexuel organisé ", adoptée au Caire en octobre 1995, qui en quelque sorte est venue sensibiliser les acteurs du tourisme et les potentiels clients-voyageurs à ce fléau global (et pas seulement impliquant les enfants)8, il est aujourd'hui urgent d'agir et d'abord de réfléchir à toutes les formes que peut et doit prendre la lutte contre " le tourisme sexuel de masse " qui commence à se répandre comme une traînée de sperme sur la planète. Mais il s'agit aussi de comprendre une bonne fois pour toutes qu'il est absolument vain de critiquer le fléau du tourisme sexuel et même de se battre contre les réseaux organisés de prostitution dans les pays du Sud et de l'Est si, dans le même temps, on justifie le commerce de la prostitution dans les pays du Nord. Cette impuissance de nos sociétés, de la part de ses dirigeants ainsi que de ses habitants, à combattre le tourisme sexuel dans le monde ne doit pas masquer l'hypocrisie qui semble bien couronner l'ensemble !
En mêlant philosophie hédoniste et respect d'autrui qui devraient tous deux être chers au plus grand nombre, on peut encore espérer l'impossible : lutter contre tous les abus sexuels tout en promouvant toutes les formes partagées de plaisir sexuel ; enrayer une marche de l'humanité de l'Homme menacée de disparition sous les coups de butoir de l'industrialisation des corps et du commerce des êtres humains. Ce combat de longue haleine a besoin de tout le monde et d'abord des femmes. Car la femme n'est pas seulement l'avenir de l'homme, elle est plus encore l'espoir et l'avenir de l'humanité.
Notes
1. Cet article reprend des extraits de mes livres Planète Sexe (Paris, Homnisphères, 2006) et Voyage au bout du sexe (Québec, PUL, 2006). Une version plus courte de ce texte a été publiée, sous le titre " Vers un tourisme sexuel de masse ? ", dans Le Monde diplomatique d'août 2006.
2. Sur la tragédie de l'exploitation sexuelle des enfants à des fins touristiques, lire J. Seabrook, En finir avec le tourisme sexuel impliquant les enfants. L'application des lois extraterritoriales, Paris, L'Harmattan, 2002.
3. C. Fabre, E. Fassin, Liberté, égalité, sexualités, Paris, Ed. 10/18, 2003, p. 187.
4. Lire M. Marzano, Malaise dans la sexualité, Paris, J.-C. Lattès, 2006.
5. P. Monzini, Sex Traffic. Prostitution, Crime and Exploitation, Londres, Zed Books, 2005, p. 32.
6. Lire notamment le dossier de la revue Téoros, " Tourisme et sexualité ", Montréal, Vol. 22, n°1, printemps 2003.
7. A ce sujet, et concernant la marchandisation sexuelle des corps, lire R. Poulin, La mondialisation des industries du sexe, Paris, Imago, 2005. A consulter également, les divers dossiers de la revue trimestrielle Prostitution & Société.
8. Cf. www.world-tourism.org/protect_children/fr/statements/WTO-EHTM
Commentaires :
Yvan Soncor |
Féminisation sur toile de fond patriarcale et marchande"Dans ce contexte autiste, la prostitution classique permet à l'homme, dépassé par les femmes et dépossédé de sa virilité, de se venger de la Femme, en entretenant des relations commercialo-sexuelles avec des femmes. Une revanche plutôt minable qui lui procure l'illusion d'exister à nouveau, tel qu'il voudrait être et non pas tel qu'il est." Plus qu'une vengeance, il s'agit d'une protection (illusoire) de repli, de réaction. Les logiques normalisées de la séduction se sont féminisées (selon une conception patriarcale et bourgeoise du Féminin) considérablement depuis quelques décennies, en cohérence avec l'évolution globale de notre société dont la modernité arrive à bout de souffle: marchandisation, modélisation du corps comme objet esthétique décoratif, drague très verbalisée, mode masculine et généralisation du paraître vestimentaire, épilation masculine, développement du secteur tertiaire, néo-paternité plagiant la maternité, sentimentalisme humanitaire prenant le pas sur la Raison politique, particularismes victimaires, infantilisation du Citoyen, prédominances du privé sur le public, du nombril sur le phallus, du concave sur le convexe, du courbe et du fourbe sur le droit et le franc. Dans ce contexte faussement féministe, le mâle se trouve contraint de coller à une caricature bourgeoise du Féminin séduisant et décoratif, elle-même caricaturant le modèle aristocratique de la courtisane et du parasite esthétisé. Ainsi, le mâle, contraint de se fondre dans cette image de la femelle bourgeoise, peut avoir recours à l'illusion d'une protection contre cette féminisation bourgeoise forcée en s'amputant des logiques de séduction actuelles pour se limiter à celle de la marchandisation sexuelle. Mais cette stratégie conduit in fine à l'impasse, le rapport de prostitution étant lui aussi éminemment bourgeois (capital sexuel, capital de séduction) et patriarcalement féminisé (femme-offre-marchande et homme-demande-client, autrement dit client roi et souvent mâle face à la commerçante esthétisée et le plus souvent femme). Répondre à ce commentaire
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Rakshasa 26-03-07
à 20:58 |
J'ai trouvé particulièrement intéressant le questionnement sur le colonialisme sexuel et la distinction entre le "corps-capital" des prostituéEs occidentales et le "corps-marchandise" des prostituéEs du sud et d'orient.
Ce texte, en outre, décrit deux sortes de prostitutions, celle dite "libre" qui est libérale et l'autre de soumission, véritable esclavage. Cela pose, il me semble pour rejoindre "lièvre" sur un autre fil, la nécessité de réinventer cette tâche, par l'autogestion par exemple, ou créer et développer d'autres sexualités non-marchandes en accord avec une vision hédoniste du corps. Répondre à ce commentaire
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Yvan Soncor 01-04-07
à 20:00 |
Re:"la nécessité de réinventer cette tâche, par l'autogestion par exemple, ou créer et développer d'autres sexualités non-marchandes en accord avec une vision hédoniste du corps." Ca s'appelle l'amour et ça peut prendre des formes très diverses... Répondre à ce commentaire
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Rakshasa 23-04-07
à 06:28 |
Re:Dans l'amour n'est-il pas plutôt question de sentiments ? l'amour n'est-il pas seulement une de ces formes de sexualité , qui plus est pas nécessairement hédoniste ?
Répondre à ce commentaire
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Yvan Soncor 23-04-07
à 09:03 |
Plus complexe que ça, je penseSans corps, il n'est pas de sentiment possible. Sans matière, point d'esprit. L'amour dépasse la sexualité mécanique, parfois même il s'y oppose (amour filial...). Enfin, toute sexualité n'est pas hédoniste: il y a des sexualités morbides, des sexualités destructrices...
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à 16:04