--> Comme prévu, la « révolution écologique » a accouché d'une souris.
NUCLÉAIRE, OGM, AUTOROUTES... rien n'altérera l'essentiel, la défense des nantis. Avec l'abdication et la lâcheté habituelles de nombreux scientifiques, journalistes et associatifs, avec l'harmonieuse médiocrité de la classe politique dans son ensemble. Programmes de rénovation thermique des bâtiments, promotion des modes de transport propres, progression du tri et du recyclage des déchets... voilà sur quoi débouche un processus qui aura mobilisé pendant trois mois des centaines de représentants d'associations, de l'État, du patronat, des syndicats et des collectivités locales, et qui n'aura négligé aucun détail dans l'intensité démocratique: participants sélectionnés, travail précipité, propositions ambiguës, calendriers imprécis, aucun engagement chiffré...
Un bilan scandaleux mais prévisible. De l'authentique foutage de gueule: le gel de cultures OGM durant l'hiver ou l'extinction pendant cinq minutes des ampoules électriques. Une fiscalité verte qui pénalisera douloureusement les pauvres. Des voeux pieux, d'hypothétiques avancées qui se figeront dans des reculs certains. La réhabilitation de 800 000 logements HLM qui relancera le marché pour le plus grand plaisir du Medef, et dont les coûts seront répercutés sur les loyers, c'est-à-dire sur les locataires. Green is business !
Et pendant ce temps, la Commission Attali (dont la moitié est constituée de PDG ou de représentants des milieux d'affaires) préconise une dynamisation de la consommation, la concentration et le renforcement du pouvoir des grands acteurs économiques. Produire plus, consommer plus... pour sauver le capitalisme. Plus la supercherie est grossière, mieux elle fonctionne!
Après la farce, la tragédie
Comme prévu aussi, le pétrole se met à flamber. Le prix du baril flirte désormais avec les 100 dollars. Le consensus reste de mise pour rassurer: c'est la faute à l'ouragan Katrina, aux tensions géopolitiques, aux spéculateurs, à la baisse continue du dollar, à la forte demande asiatique. « Dormez tranquilles, aucun risque de pénurie à craindre, les stocks de brut et de produits distillés sont confortables ». Les dirigeants s'efforcent de dissimuler la panique qui les assaille: on s'acharne à obtenir un engagement de modération des prix, on tente d'apaiser la colère des marins pêcheurs, on envisage la création d'un « Observatoire des prix et des coûts », on évoque une « prime à la casse » pour inciter les Français à se défaire de leurs voitures vieillissantes, trop polluantes et trop gourmandes. On accorde une aide aux ménages modestes pour garnir leur cuve de fioul. Bref, on remplit des dés à coudre pour éteindre l'incendie qui fait rage!
Autant de gesticulations pitoyables parce qu'aucun gouvernement n'est capable de prendre la vraie mesure des périls écologiques, et que leur marge de manoeuvre est dérisoire. Parce que le capitalisme exige une croissance illimitée... qui constitue la cause même de la crise, nous avons d'ores et déjà dépassé les limites physiques de la planète. L'ère du pétrole bon marché touche à sa fin; le déclin inexorable de la production entraînera une dépression économique majeure. Selon un groupe de chercheurs et d'experts allemands, la production mondiale de pétrole devrait être divisée par deux entre 2007 et 2030, c'est-à-dire un déclin moyen de 3 % par an. Insupportable pour une société shootée à l'or noir! Nous risquons de passer assez vite de l'abondance (pour une partie de l'humanité) à la pénurie et à la survie pour le plus grand nombre. Avec un baril à 150, puis 200, peut-être 300 dollars. Un défi à l'imagination. Une bombe à retardement.
Alors qu'il est déjà de plus en plus difficile de vivre décemment (nourriture, loyer, déplacements, soins, études...), la flambée du pétrole va engendrer (et pour longtemps) une inflation sur les autres sources d'énergie, les matières premières, les produits manufacturés, les denrées alimentaires. En un an, le blé a augmenté de 45 à 50 %, mais aussi le maïs, l'orge, l'avoine, le sorgho, le riz, bases de l'alimentation dans de nombreuses sociétés. Dans le même temps, le beurre est passé de 2,50 euros le kilo à plus de 4,20 euros (fort heureusement, le caviar reste très abordable pour certains). Il ne s'agit pas de perturbations passagères, mais durables. Les conséquences seront considérables. Le coût des trajets domicile travail et les factures de chauffage s'alourdissent déjà, annonçant les souffrances à venir. Les inégalités sociales vont s'accroître à un rythme encore plus rapide. De nombreuses professions sont touchées par la hausse du prix des hydrocarbures (marins pêcheurs, mais aussi chauffeurs de taxi, transporteurs routiers, ambulanciers...). Des pans entiers de l'industrie vont s'effondrer parce qu'aucune réponse adaptée ne peut exister dans le cadre du système capitaliste. Et les déficits budgétaires des États ne permettront pas longtemps de satisfaire les revendications de financements publics, de maintenir sous perfusion financière les différentes catégories socioprofessionnelles.
Encore une fois, ce sont les populations des pays les plus pauvres qui vont pâtir le plus. Par les effets conjugués de la flambée des prix agricoles et de celle du fret (liée à la hausse des cours du pétrole), des famines sont d'ores et déjà programmées dans plusieurs régions du globe. Les stocks mondiaux de céréales n'ont jamais été aussi bas depuis les années soixante dix: c'est la sécurité alimentaire elle-même qui est en cause. La montée en puissance de la consommation asiatique en constitue une cause essentielle, mais aussi la demande accrue en agrocarburants: le remède s'avère pis que le mal. Ceux que la naïveté aveugle doivent l'entendre: les dirigeants de l'économie mondiale préféreront alimenter en essence le parc automobile mondial plutôt que de nourrir les peuples affamés du Sud.
Que faire?
Allons-nous encore longtemps supporter l'imprévoyance, les leçons de morale, le cynisme et le mépris de ceux qui ont organisé cette orgie qu'est la société de consommation pour des intérêts mercantiles, pour une rapacité sans limites, et en parfaite connaissance de cause? Allons-nous accepter longtemps que soit niée la responsabilité des riches dans la dégradation des écosystèmes? Allons-nous encore longtemps feindre de croire en l'efficacité de mesures techniques qui sont autant d'insultes à l'intelligence? Allons-nous encore longtemps succomber à la folie destructrice d'une boulimie matérielle abêtissante?
La tragédie prend toute sa dimension lorsque Sarkozy, le « Président du pouvoir d'achat », s'arc-boute sur un programme de sauvetage du système: abandon des 35 heures en échange de hausses de salaires, possibilité de transformer les RTT en argent, travail du dimanche payé double, heures supplémentaires des fonctionnaires alignées sur le privé... Incantation grotesque quand on sait que l'envolée de l'or noir va précisément provoquer l'effondrement du pouvoir d'achat. Remédier aux dégâts de la croissance par toujours plus de croissance! 206 % d'augmentation de traitement pour récompenser le talent qui consiste à expédier une société à la ruine, c'était bien le minimum!
Les crimes contre l'humanité qui se profilent dans un avenir proche justifient un sursaut immédiat. Poursuivre la mondialisation du capitalisme n'est pas inévitable. Si les multinationales, si ceux qui disposent de grandes réserves financières ont toutes les chances de mieux résister à la crise énergétique, l'économie capitaliste va nécessairement se trouver fragilisée. La responsabilité, notamment des anarchistes, est de montrer qu'aucun gouvernement, aucune institution ne peut surmonter cette crise. Résister ne suffit plus; il faut (re)prendre l'initiative. Il s'agit bien d'un choix de société, pas d'un replâtrage: partage des richesses, remise en cause radicale du capitalisme. Sans doute le dernier virage à négocier pour l'humanité.
La seule perspective réside dans la construction d'une société autogérée fondée sur l'autolimitation des besoins, la maîtrise de la production par les populations au niveau local, le fédéralisme coordonnateur. Le pétrole est mort. Les énergies renouvelables n'ont de sens que pour autant qu'on se souvienne que le soleil, l'eau et le vent appartiennent à tout le monde.
Jean-Pierre Tertrais
Groupe La Sociale - Rennes
Le Monde libertaire #1500 du 17 janvier 2008