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Collectif première embûche-Nanterre : "On a en France l'habitude de classer hiérarchiquement les contrats. Le CDI serait ainsi meilleur - par nature - que le CDD. L'idée d'un contrat unique, qui est sous-jacente dans les CNE/CPE, est vendue comme celle d'un "juste milieu" qui permettrait de lutter contre le dualisme du marché du travail : puisque les uns cumulent tous les avantages et les autres toute la précarité, il suffirait de trouver une voie moyenne pour "égaliser" les situations.
Nous voudrions montrer ici que le CPE, malgré les références aux modèles
nordiques de flexi-sécurité, constitue un double recul par rapport au
CDD et par rapport au CDI pour le salarié. Il constitue inversement une
nouvelle arme pour l'employeur par rapport au CDI et par rapport au CDD.
Pourquoi ?
Avant de répondre à cette question il faut rappeler brièvement comment
le CNE/CPE est " vendu " par ses défenseurs.
Le CPE constitue un "deal" nouveau entre salarié et employeur : certes,
le salarié peut perdre son emploi à tout moment pendant les deux premières
années de consolidation. Cependant, la période de consolidation n'est
pas exactement une période d'essai dans la mesure où elle est assortie
de nouveaux droits. De plus, l'idée centrale est que ces droits augmentent
à mesure que le temps passe. L'employeur doit en effet payer 10% de la
somme des salaires bruts déjà versés lors de la rupture du contrat (8%
vont au salarié, 2% au service public de l'emploi). Si la rupture advient
au bout de 10 mois de période de consolidation, l'employeur doit par exemple
payer l'équivalent d'un salaire brut complet. A cela s'ajoute quelques
"avantages" assurés par l'Etat (450 euros pendant deux mois pour ceux
qui n'ont pas le droit aux ASSEDIC, le locapass…)
Comment interpréter ce nouveau contrat ? En quoi diffère-t-il du
CDI et du CDD ?
Beaucoup ont insisté (à juste titre) sur l'enfer que constitue une
période d'essai de 24 mois. L'absence d'obligation de motivation de la
rupture du contrat est évidemment un élément majeur du débat. Nous voudrions
néanmoins ici analyser le CPE d'un point de vue un peu différent, en le
comparant aux avantages respectifs du CDD et du CDI.
Partons de la situation actuelle : Aujourd'hui (avant le CNE), un
employeur qui emploie un salarié en CDI paye le salaire du salarié et
les cotisations afférentes. Lorsque le salarié est licencié il peut avoir
le droit aux ASSEDICS en plus d'éventuelles primes de licenciement… Les
salariés en CDD touchent le même salaire plus une prime de précarité (de
10% du salaire brut). Au terme de leur contrat, les salariés en CDD peuvent
de la même manière avoir le droit à l'indemnisation chômage.
Certes le CDI apparait à beaucoup comme le contrat le plus avantageux
car le plus protecteur. Néanmoins, pour certains travailleurs (en particulier
parmi les jeunes), le CDD peut être préféré dans certaines conditions.
Ainsi, voit-on certains refuser des CDI, leur préférant la liberté de
changer d'employeurs, de métier, d'activité… A l'image des " sublimes
" du 19ème siècle, et dans un rapport "libertaire" et "intermittent" au
marché du travail, ils ne souhaitent pas dépendre d'un seul employeur
et préfèrent travailler six mois ici, trois mois là.
Encore une fois il ne s'agit pas de faire l'apologie du CDD mais de dire
qu'avec une prime de précarité de 10% et la possibilité de toucher des
indemnités chômage au terme du contrat, il présente des "avantages" pour
certains. Quant au CDI, son caractère protecteur suffit à expliquer son
attrait.
Liberté d'un coté, protection de l'autre : voilà les avantages respectifs
du CDD et du CDI. A chacun de ces avantages sont attachées des contraintes
particulières pour l'employeur (la prime de précarité ou le coût du licenciement).
Ce sont ces deux avantages que le CPE/ CNE fait perdre au salarié.
Ce n'est en effet, qu'a posteriori que l'employeur décide laquelle de
ces deux contraintes il choisit. Après un temps t qu'il aura lui-même
fixé, soit il décide de se séparer de son salarié et paye les 10% qu'il
aurait de toute manière payé s'il l'avait embauché en CDD ; soit il poursuit
plus longtemps sans rien payer (comme si le salarié était en CDI).
Tout se passe dans le CPE comme si le salarié avait signé un contrat sans
savoir s'il s'agit d'un CDI ou d'un CDD (ni le terme de celui-ci). Le
point fondamental du CPE est la capacité de rétroactivité qu'il offre
à l'employeur : quand il le désire, l'employeur choisit s'il préfère les
contraintes du CDD ou les contraintes du CDI.
De son coté, le salarié perd tout : les avantages qu'il aurait tiré
d'un CDI et les avantages qu'il aurait tiré d'un CDD. De fait, il
ne sait pas vraiment quel type de contrat il a signé. Il ne connait pas
son terme, ni même s'il a un terme. C'est donc une double perte. Par rapport
au CDI, le salarié perd toute protection. Du jour au lendemain il peut
faire l'objet d'une rupture de contrat. Il est ainsi à la merci de son
employeur. Mais la situation n'est guère plus favorable par rapport au
CDD. Certes, il peut toujours compter sur la philanthropie de son patron,
mais le salarié perd d'une part la certitude d'un revenu pendant une période
donnée (peut-être vaut-il mieux pour lui savoir préalablement qu'il en
a pour trois mois, plutôt que de se faire mettre à la porte sans s'y attendre
au bout de trois mois) ; mais il perd d'autre part sa liberté.
Avec le CPE, le rapport "intermittent" ou "libertaire" au marché du travail
s'évapore. Plus prosaïquement, le salarié qui ne compte pas moisir toute
sa vie dans un boulot pourri se trouve dans une situation délicate. La
solution pour quitter l'employeur sera de déposer sa démission (et non
d'attendre sagement la fin du CDD). Et une démission équivaut à l'absence
de tout droit aux allocations chômage. Se faire virer sera ainsi un service
que l'on demandera à l'employeur que l'on veut quitter. Il faudra donc
bien que l'employeur accepte de rendre ce service (qui lui coute 10% des
salaires bruts versés).
La relation salariale s'inverse donc totalement au profit de l'employeur
qui a le pouvoir permanent de requalifier le contrat (de choisir s'il
préfère les contraintes du CDI ou du CDD). Cela a pour effet de mettre
le salarié sous un double feu : potentiellement en CDI, potentiellement
en CDD (selon le bon vouloir de son employeur), il n'est à l'abri ni des
contraintes de l'un, ni des contraintes de l'autre. Il ne lui reste ni
protection, ni liberté, mais seulement ses larmes pour pleurer.
Mathieu Grégoire
Chargé de TD en sociologie
Doctorant IDHE Paris X Nanterre
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