Concurrence, solidarité, émulation
C'est l'heure ! De se réveiller, de réfléchir, de révolutionner. De toute évidence, le système dans lequel nous vivons ne satisfait personne. Aussi bien les fractions les plus marginalisées de la population, au niveau international aussi bien que national, que les classes moyennes. Chaque individu se trouve plus ou moins insatisfait à un niveau plus ou moins personnel. Même nos élites sont insatisfaites
du système qu'elles ont engendré, mais pas pour les mêmes raisons.
Cette insatisfaction générale tient, à mon sens, à une dichotomie
latente entre la "nature" de l'homme et son mode d'organisation
sociale. En effet, l'homme est un animal social : il n'a quasiment
aucune chance de survie en tant qu'individu isolé. D'où la nécessaire
instauration d'une "société" : de la tribu au "village mondial", en
passant par le féodalisme et les Etats-Nations. Cependant, cette
organisation sociale, engendrée sur un principe éminemment rationnel
("nous" est plus fort que "je") a vu, en s'étendant et en se
complexifiant, changer son principe fondateur par un glissement
idéologique trompeur et lourd de conséquences. Ainsi, toujours à mon
sens, le principe de base de toute société est la solidarité, qui
permet de combler les carences et de dépasser les contingences
individuelles. Dès lors, la société n'est pas une simple collection
d'individus, c'est une entité semi-autonome qui dépasse la simple somme
des individualités grâce à la solidarité. En langage
pseudo-mathématique, cela donnerait : 2+2=5. Où "2" représente
l'individu, "+" la solidarité, "5" la valeur de la société résultante.
Toutefois, aujourd'hui (je dis aujourd'hui mais cela ne date pas
d'hier) notre société capitaliste mondialisée se base sur un principe
différent : la compétition, sacralisée sous le terme de concurrence, à
tous niveaux, de l'individu aux Etats. L'équation de celle-ci donnerait
: 2+2=3. Où la solidarité est remplacée par la compétition. L'on
pourrait me rétorquer qu'il s'agit là d'une prise de position
arbitraire envers l'idée de compétition. En effet, les apôtres de la
compétition soutiennent que celle-ci génère l'innovation et par là-même
une amélioration des conditions de la vie sociale. Cependant, cette
contre argumentation souffre d'une faiblesse dans l'articulation entre
compétition et amélioration. La question qu'il faut se poser alors est
: D'où vient l'idée sous-jacente que la compétition est génératrice
d'amélioration ? Selon moi (ceci ne sont en effet que mes opinions
personnelles et non une vérité absolue), cette association est due à la
transposition des thèses évolutionnistes de Darwin au monde social
conçu largement, c'est-à-dire englobant les sphères économiques et
politiques. Le condensé philosophique de ce mouvement de pensée est que
c'est le plus adapté qui survit. Ainsi, la "compétition" entre de
nombreuses options évolutionnaires permet la survie du plus adapté, et
par là-même l'augmentation des chances de survie d'une espèce donnée
dans un environnement donné. Je ne me prononcerais pas sur la validité
de ces thèses ou non, je ne suis pas biologiste. Et c'est bien là que
le bas blesse : l'idée de compétition comme organe de sélection naturel
du meilleur choix vient de la biologie et est transposé tel quel au
monde social. Or, l'analogie entre monde biologique et social ne peut
être admise, tant ceux-ci n'ont rien à voir. En effet, l'un est
"naturel" tandis que l'autre est entièrement "culturel". L'homme n'est
ni un simple animal, ni même juste un animal social. L'homme, pour
saisir un minimum de sa complexité, doit au moins être considéré comme
un animal social doué de conscience réflexive. C'est-à-dire qu'il a un
passé et un futur, des souvenirs et des espoirs. L'environnement dans
lequel les êtres humains évoluent, au sens darwinien du terme, ne peut
être considéré sur un instant "t" de la réalité sociale. Celui-ci doit
être envisagé sur l'ensemble de l'histoire culturelle et sociale, aussi
bien consciente qu'inconsciente. Dès lors, les critères de sélection du
modèle d'organisation social le plus adapté ne peuvent pas être
envisagés dans l'optique d'un présent décontextualisé, cadre du
principe de compétition. En effet, la compétition entre modèle
d'organisation sociale, en recherchant la meilleure efficacité (selon
certains critères très discutables de plus) immédiate, détruit des
options sociales qui se sont révélées salutaires par le passé et qui
pourraient l'être à l'avenir. Le fait est que les critères de jugement
du "mieux adapté" socialement ne sont pas appréhendables à l'heure
actuelle. Rejeter globalement des modes d'organisations sur des
critères partiels est un suicide de l'espèce humaine. Plus
prosaïquement, on appelle ça jeter le bébé avec l'eau du bain (et si
vous voulez un exemple de ce mouvement, regardez l'opinion dominantes
concernant le communisme...).
Le problème qui se pose alors est de savoir comment assurer l'évolution
de l'organisation sociale sans passer par le principe de compétition
qui est en contradiction totale avec le principe de solidarité à la
base de toute société. Cela revient dès lors à réussir la délicate
alchimie entre évolution, sociale j'entends, et non-destruction des
alternatives plus ou moins réussies. Il s'agit en fait de
"démilitariser" la compétition interindividuelle. De fait, celle-ci ne
doit plus être envisagée comme un simple moyen d'améliorer ses
conditions d'existence au niveau personnel. Elle ne doit être envisagée
que comme un moyen susceptible d'améliorer le conditions d'existence au
niveau collectif, le plus élevé possible. NOUS DEVONS VIVRE ENSEMBLE !
Ceci n'est pas une injonction, encore moins une position philosophique,
c'est un état de fait, un constat. La compétition doit laisser place à
l'émulation. Chacun cherchant à faire mieux que les autres. Non pour
soi, mais pour tous et chacun. Non coupés des autres, mais en se
nourrissant de leurs réussites et de leurs erreurs. Le travail,
l'innovation doivent être considérés des instruments de l'ingénierie
sociale, des vecteurs de solidarité, ils ne peuvent avoir de sens hors
du social, dans l'individualisme forcené et destructeur.
lanarko