--> concert de soutien (Le blues du citoyen) aura lieu à Paris, le mardi 23 mai : 20h, Studio de l’Ermitage, 8 rue de l’Ermitage, XXè
Si tout se passe comme l’espèrent les promoteurs de la société de l’information, dans deux, trois, quatre ans, la biométrie sera très largement répandue autour de nous. Depuis quelques mois, les installations de bornes biométriques se multiplient, en premier lieu dans les établissements scolaires, mais aussi à l’entrée d’immeubles, d’entreprises, de boîtes de nuit : ce n’est plus une carte qu’on doit présenter pour franchir portes et tourniquets, mais le contour de sa propre main ou ses empreintes digitales. Le projet INES[1], qui vise à doter les citoyens d’une carte d’identité à puce munie de données biométriques (comme l’iris de l’oeil), a été ajourné et promis à des modifications, suite à une pseudo-consultation sur Internet au printemps 2005. Mais, initié par la gauche en 2001 et porté depuis par Sarkozy, il reste à l’horizon de la « sécurisation » de notre pays. D’ailleurs dans certains départements de la République, on peut déjà obtenir un passeport biométrique.
Force est de constater que jusqu’ici, la diffusion de cette nouvelle technologie n’a rencontré ni difficulté pratique majeure, ni opposition organisée d’ampleur. Les premières bornes ont trouvé des acheteurs empressés (proviseurs, syndics…), encouragés par les pouvoirs publics et leurs subventions. Ne nous voilons pas la face : il existe une demande sociale en faveur de ce type de contrôle, réputé infaillible ; comme pour les digicodes ou les caméras de surveillance, cette demande n’émane malheureusement pas que « des flics et des patrons ».
En même temps, une partie sans doute importante de la population frémit devant la perspective d’un grand fichier informatique central des citoyens aux mains de l’État et à disposition des entreprises. Le principe de la biométrie est l’enregistrement de données corporelles dans des ordinateurs, ce qui en soi fait froid dans le dos. Et le projet INES va clairement dans le sens d’un recoupement des différentes bases de données (physiques et administratives) disponibles sur les individus. Comme en Estonie, où « sept adultes sur dix ont déjà opté pour une carte d’identité à puce. Celle-ci leur sert bien sûr de document d’état civil, mais elle leur permet aussi d’acquitter sans formalité impôts, frais de transports et même de décrocher un prêt bancaire sur Internet. »[2]
La surveillance des déplacements et fréquentations de chacun en devient automatique. La biométrie substitue techniquement la loi du soupçon au principe de la bonne foi présumée. Elle nous fait basculer dans un monde où il est criminel de ne pas être fiché.
Mais une fois constaté que les principes les plus élémentaires du libéralisme politique du xviiie siècle sont liquidés, qu’avons-nous à opposer à ce énième coup de force ? La biométrie est-elle plus qu’une synthèse des multiples atteintes portées depuis des années à notre liberté, par la quincaillerie technologique qui fait l’orgueil des sociétés « développées » ?
Nous sommes partout rivés à nos portables, ce qui permet à la police de toujours nous localiser. On peut aussi retracer la journée du citadin moderne grâce à sa carte bleue, son pass Navigo, la consultation de son courrier électronique. La dure réalité est que nous avons déjà accepté dans ses grandes lignes une société de contrôle. Du coup, l’arrivée de la biométrie constitue moins une rupture qu’un révélateur : révélateur des empiètements déjà opérés par l’État et le marché sur les existences individuelles, avec notre consentement voire notre contentement ; révélateur d’un projet politique, qui est de faire de l’humain un produit industriel comme un autre. Comme n’importe quelle marchandise dont il faut assurer la traçabilité, il sera géré par ordinateur grâce à des puces, des capteurs et des bases de données en réseaux.
Aboutissement logique d’une trajectoire technique qui a vu l’informatique prendre une place gigantesque dans l’infrastructure capitaliste de production et d’échange, et dans nos vies. Sommes-nous disposés à interrompre cette trajectoire, à refuser la numérisation de la société, à rejeter au nom de la liberté une innovation cruciale pour la poursuite de la modernisation économique ? Et si oui, comment faire ?
Il n’existe à ce jour, à notre connaissance, qu’un acte de résistance publique à l’avancée de la biométrie : l’intrusion d’une vingtaine de manifestants dans la cantine du lycée de la Vallée de Chevreuse, le 17 novembre 2005, au cours de laquelle deux bornes biométriques installées par le proviseur pour contrôler l’entrée des élèves le midi ont été mises hors d’usage. Trois manifestants ont été retenus de force par le personnel, remis à la gendarmerie et accusés des destructions. Ils ont été condamnés en première instance à 3 mois de sursis, 1500 euros d’amende pour l’intrusion et 9000 euros pour le bris de machine.
Ces personnes, qui ont fait appel du verdict, ne doivent pas rester isolées. L’opposition à la biométrie et au projet INES doit désormais dépasser la préoccupation de quelques cercles d’amis, personnalités et associations. Nous appelons en conséquence à un large soutien des trois inculpés de Gif, y compris sous la forme la plus triviale, à savoir donner de l’argent pour les aider à faire face à leurs frais d’avocat[3]. Que toutes les personnes qui expriment ainsi leur solidarité s’approprient cette question.
Des ami-e-s des inculpé-e-s
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[1] Identification Nationale Electronique Sécurisée
[2] « Des pays moins avancés et pourtant si innovants », Catherine Bernard, in Enjeux Les Echos, décembre 2005, p. 76.
[3] Les chèques sont à adresser à l’ordre de la Compagnie du Cheval Noir, au 45 rue Eugène Lumeau, 93400 St Ouen. Par ailleurs, un concert de soutien (Le blues du citoyen) aura lieu à Paris, le mardi 23 mai : 20h, Studio de l’Ermitage, 8 rue de l’Ermitage, XXè ; entrée au prix plancher de 5 euros.