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Chiapas : guerre et impunité
Lu sur Risal : "Le témoignage d’un ex-commandant du groupe paramilitaire Paz y Justicia confirme que l’armée mexicaine a planifié et appuyé, depuis l’offensive contre l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) du 9 février 1995, des groupes paramilitaires dans trois régions du Chiapas. Son objectif, selon le témoignage, était de briser les relations qui existaient entre la population et les zapatistes.


Le témoignage enregistré par le Centre des droits de l’Homme Fray Bartolomé de las Casas (CDHFBC) confirme la participation directe de soutien aux paramilitaires du commandant de l’époque de la “septième Région militaire”, le général Mario Renán Castillo. Le repenti et ex-paramilitaire raconte ainsi certains assassinats commis contre des sympathisants zapatistes, il fait allusion à certaines réunions entre Paz y Justicia et des fonctionnaires de l’administration de l’état du Chiapas, à l’époque du gouverneur Julio César Ruiz Ferro.
Selon le CDHFB, les groupes paramilitaires au Chiapas sont responsables du déplacement forcé de quelques 12.000 personnes - en majorité indigènes - et de l’assassinat ou de la disparition de 122 autres.

A l’occasion de la publication du rapport du CDHFB, nous publions un article d’opinion du collaborateur de l’hebdomadaire mexicain de gauche La Jornada, Carlos Fazio, ainsi que le résumé officiel du rapport en question.

Chiapas : la guerre invisible
par Carlos Fazio

Le rapport du Centre des droits de l’Homme Fray Bartolomé de las Casas [1], qui démontre la responsabilité de l’armée [fédérale mexicaine, ndlr] dans la création de groupes paramilitaires sur le territoire du Chiapas et accuse de génocide l’ex-président Ernesto Zedillo [1994-2000, ndlr], repose, également, la persistance du conflit dans le cadre d’une guerre contre-insurrectionnelle contenue dans le Plan de campagne Chiapas 94 du Secrétariat de la Défense nationale, qui adopte la forme irrégulière d’une guerre de basse intensité, comme stratégie prolongée d’usure contre "un ennemi interne", identifié comme l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN).

Dans une tentative propagandiste pour minimiser, rendre invisible et/ou nier l’actualité du conflit, le gouvernement de Vicente Fox soutient qu’au Chiapas il ne se passe rien et que tout est résolu. Mais bien que les confrontations soient plus rares, et de moindre gravité, le cercle de harcèlement et d’anéantissement monté par l’armée est encore en vigueur dans la région de los Altos, la forêt et la zone nord de l’état [du Chiapas, ndlr].

Les forces fédérales agissent comme une armée d’occupation dans tout le territoire indigène, en combinant des opérations régulières et d’autres irrégulières (tâches de renseignement, guerre psychologique, contrôle de population, harcèlement et menaces). Ce qui explique à la fois la présence organisée et l’impunité de bandes paramilitaires, ainsi que la réarticulation des groupes de pouvoir politique et économique traditionnels, qui dans le passé ont servi de forces de choc anti-zapatistes, parmi lesquels « los autenticos coletos » [2] de San Cristóbal, la famille Kanter à Comitán et le groupe [paramilitaire, ndlr] Paz y Justicia dans la zone nord.

L’absence de tirs ne se montre pas telle qu’elle est : une trêve armée, à laquelle l’État a été contraint pour des raisons conjoncturelles. Cependant, depuis l’offensive militaire du 9 février 1995, l’équipe de Sécurité nationale chargée de planifier et d’exécuter les politiques pour le Chiapas a appliqué des directives de base de la guerre appelée de basse intensité (GBI). Cette doctrine change la nature de la guerre, la rend irrégulière, la prolonge et la transforme en un conflit politico-idéologique. Le manuel d’opérations psychologiques de la CIA au Nicaragua (Omang, 1985) définit que la guerre psychologique est un type d’opération militaire qui est utilisé de préférence pour contrôler de grandes masses ou des territoires.

La dissimulation systématique de la réalité est une des caractéristiques de la guerre psychologique. Toutefois, puisque la GBI se livre de manière non conventionnelle, outre l’utilisation manichéenne de la propagande (ami - ennemi / blanc - noir), elle utilise d’autres méthodes visant à incider sur les comportements collectifs, les conduites et opinions.

Les deux principaux outils complémentaires de la propagande sont l’action civique et le contrôle de populations. L’action civique a comme objectifs d’améliorer l’image des forces armées, de construire un appui populaire à l’effort de guerre et de récolter des renseignements. De manière factieuse, l’"aide humanitaire" est utilisée comme catégorie politiquement neutre et surtout non militaire. Cependant, elle fait partie d’une stratégie globale et contribue à la construction d’un consentement actif. Pour sa part, le contrôle de la population, qui consiste au déplacement de communautés ainsi déracinées de leurs lieux d’origine, a principalement un objectif simple : désarticuler les bases de soutien des insurgés.

La GBI cherche à générer un consensus mais, si elle ne l’obtient pas, elle recourt à la terreur. Le dilemme est de gagner la masse ou de la détruire par un schéma de guerre psychologique (guerre sale) orientée en gros, contre tous ceux qui constituent la base sociale d’appui, matériel ou intellectuel, réel ou potentiel, des insurgés. À défaut d’une justification légale ou politique pour confier à l’armée l’attaque contre la société civile, la tâche est confiée à des appareils clandestins connus comme autodéfenses ou paramilitaires, comme le recommande le Plan de campagne Chiapas 94 de la Sedena (Secrétariat de la Défense nationale). Le paramilitarisme n’est pas, comme on le prétend, une "troisième force" qui agit avec une autonomie propre. Il répond à une stratégie basée sur la doctrine contre-insurrectionnelle classique, qui cherche à confondre, à dissimuler et à cacher les responsabilités de l’État dans les massacres, infractions/crimes/assassinats (delitos de lesa humanidad !) et meurtres sélectifs exécutés par des bandes armées patronnées et contrôlées par l’armée. Reconnaître au paramilitarisme le caractère d’ « acteur politique indépendant » implique de retirer sa responsabilité à l’Etat, et de laisser dans l’impunité laisser libre de responsabilité l’État et dans l’impunité ceux qui le financent, le soutiennent, le conseillent, le justifient. C’est aussi laisser la porte ouverte pour qu’ils continuent à utiliser la terreur.

La preuve que l’absence de tirs n’est pas une indication que le conflit armé a été dépassé, est l’existence de 114 positions permanentes de l’armée dans la zone de conflit. Une trêve armée persiste parce que les deux adversaires sont forts, chacun à sa manière : l’armée fédérale a augmenté son pouvoir territorial et offensif, mais l’EZLN a démontré de l’habilité pour continuer à être forte à la défensive. Dans le cadre de cette guerre irrégulière d’usure, le pouvoir des armes fédérales n’a pas pu mettre en échec, jusqu’à présent, le pouvoir des corps zapatistes avec leurs « juntas de buen gobierno » et leurs « caracoles » [organes d’auto-gouvernement des communautés zapatistes, ndlr]. Mais il ne faut pas perdre de vue le moment des élections. Il existe des forces pouvant souhaiter relancer une nouvelle escalade de violence au Mexique afin de recréer une atmosphère propice pour le « vote de la peur », dans lequel cas le Chiapas et l’EZLN apparaissent comme l’un des scénarios et objectifs possibles pour monter une grande provocation.

Source : La Jornada (http://www.jornada.unam.mx), México, 14 février 2005.

Traduction : Diane Quitelier, pour RISAL (http://risal.collectifs.net).


Mexique. La politique génocidaire dans le conflit armé au Chiapas. Reconstitution des faits, preuves, délits, témoignages
par le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas

Il y a 7 ans le massacre de 49 indigènes tsotsiles du village d’Acteal était perpétré par des paramilitaires au Chiapas. Cet événement d’une particulière sauvagerie eut un énorme retentissement. Malgré les pressions considérables d’organismes défenseurs des droits humains, la justice n’a toujours pas fait son travail de façon satisfaisante. Aujourd’hui, le Chiapas est toujours militarisé et la présence des groupes paramilitaires est toujours effective. Le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas, domicilié à San Cristobal de Las Casas, Chiapas, vient de publier un rapport : La politique génocidaire dans le conflit armé au Chiapas, dont nous publions ci-dessous le résumé officiel. Le texte du rapport peut être consulté sur le site : www.laneta.apc.org/cdhbcasas/

Le 22 décembre 1997, il y a 7 ans, au village d’Acteal, proche de San Pedro Chenalho, furent massacrés 49 indigènes tsotsiles qui s’étaient rassemblés dans une chapelle, après 3 jours de jeûne et de prières pour la paix. 19 femmes, 8 hommes, 14 fillettes, 4 garçons et 4 bébés dans le ventre de leurs mères furent brutalement assassinés, ainsi que 25 personnes blessées par un groupe d’hommes portant des armes de gros calibres à balles "explosives" utilisées exclusivement par l’armée mexicaine.

L’attaque a duré plus de 7 heures, sans que les policiers de la sécurité publique en poste à 200 mètres à peine ne leur viennent en aide, bien que le Centre de droits humains Fray Bartolomé de Las Casas ait averti le Secrétariat du gouvernement de l’Etat du Chiapas sur ce qui se passait en ce jour du 22 décembre.

Le Centre des droits humains a fait un suivi depuis février 1994 de la situation de violence. Le solde des actions paramilitaires à Chenalho ce 22 décembre 1997 fut de 6 332 personnes déplacées, avec perte de leurs biens et incendie de leurs maisons, 62 morts de manière violente et 42 blessés, sans compter les personnes détenues et torturées par ce même groupe. Le groupe responsable de toutes ces actions était affilié au PRI [Parti révolutionnaire institutionnel], agissait avec un armement utilisé exclusivement par l’armée, des uniformes en provenance de l’armée ou de la sécurité publique, sous leur protection, et soutenu par la présidence municipale de San Pedro Chenalho. De manière similaire dans la région Ch’ol, Zone Nord de l’Etat, entre 1995 et 2000 le groupe paramilitaire Paix et Justice a harcelé la population avec l’appui de l’armée et de la sécurité publique. Le bilan plus de 3 000 personnes déplacées et des dizaines de personnes disparues et exécutées parmi lesquelles 122 ont été identifiées (85 personnes exécutées et 37 disparues) par le Centre de droits humains.

Cette brutale offensive contre la population civile, en totalité indigène, s’est inscrite dans un contexte de guerre irrégulière préparée par le Secrétaire de la défense nationale, conçue par le général de division Miguel Angel Godinez Bravo, ordonnée par le président d’alors, Ernesto Zedillo, le 9 février 1995 et exécutée par le général de division Mario Renan Castillo. Dans ce contexte les actions paramilitaires furent et ont continué d’être, de manière latente, la stratégie clé du plan de campagne de l’armée au Chiapas, pour "priver d’eau le poisson" [3].

Les preuves nous ont démontré de manière claire et accablante la stratégie de harcèlement de la population civile, où divers groupes paramilitaires liés aux autorités municipales, étatiques et fédérales en incluant l’armée mexicaine, ont été l’instrument avec lequel on a essayé d’en finir avec ce que l’armée appelait dans son plan de campagne "l’organisation de masse" [4].

Une lecture des événements de ces deux zones, faite à partir des documents de la SEDENA [Secrétariat de la défense nationale] et, de manière récente, à partir des témoignages d’un commandant de Paix et Justice [5], qui confirme les liens entre ces différents groupes, avec l’armée et les gouvernements fédéral et local, sont des preuves évidentes de la mise en oeuvre d’une politique d’Etat génocidaire et de lèse-humanité.

En accord avec la définition de délits de lèse-humanité du tribunal de Nuremberg, le président Ernesto Zedillo (1994-2000), le général Enrique Cervantes Aguirre (secrétaire de la défense nationale de 1994 à 2000) et le général Mario Renan Castillo (commandant de la VII° région militaire de 1995 à 1997) sont au premier chef responsables d’avoir commis des attaques généralisées et systématiques contre la population civile . Celles-ci consistent en des assassinats, des déplacements forcés de population (dans la zone haute et nord ont été déplacées approximativement 10 000 personnes sur un total de 12 000 dans l’Etat du Chiapas), des privations graves de liberté physique, des actes de torture, la persécution d’une col

 

NOTES:

[1] Voir : http://www.laneta.apc.org/cdhbcasas.

[2] Les blancs, descendants des colonisateurs. Terme qui signifie ceux qui s’identifient comme non- indigènes voire même anti-indigènes. (ndlr)

[3] Voir "Plan de campagne du Chiapas 94", reproduit dans la revue Proceso n°1105, 4 janvier 1998. Article de Carlos Marin "[Plan de l’armée au Chiapas, depuis 1994 : créer des bandes paramilitaires, déplacer la population, détruire les bases d’appui de I’EZLN..."

[4] "Plan de campagne Chiapas 94". "L’ organisation de masse" au nombre de 200 000 personnes, le quart de la population indigène de l’Etat du Chiapas.

[5] Récemment nous avons obtenu des informations d’un commandant de Paz y Justicia qui corroborent les témoignages des victimes et des témoins et la documentation de notre Centre de droits humains.


Ecrit par libertad, à 21:58 dans la rubrique "International".



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