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Lu sur : RISAL « En 1994, Oventic était à peine une communauté rurale peu peuplée proche de chefs lieux municipaux d’importance comme San Andrés. Dix ans plus tard, cette localité s’est transformée en un centre urbain doté d’une école secondaire, d’un hôpital orné de fresques et de coopératives. C’est aussi le siège de la « junta de buen gobierno Corazón Céntrico de los Zapatistas Delante del Mundo » [« conseils de bonne gouvernance »] [1].
Comme pour d’autres entités urbaines de différentes régions du Chiapas, l’explosion de l’infrastructure urbaine de la localité découle de son rôle politique central. Les municipalités autonomes de San Andrés Sakamchén de los Pobres, San Juan de la Libertad, San Pedro Polhó, Santa Catarina, Magdalena de la Paz, 16 de Febrero et San Juan Apóstol Cancuc en font partie.
Oventic est une des capitales de la rébellion indigène du sud-est mexicain. Une preuve que le zapatisme n’est pas seulement une référence politique et morale pour la gauche, mais aussi un laboratoire de transformation des relations sociales. Sa dynamique de résistance s’est convertie en une école de gouvernement et une politique alternative.
Depuis le début, les communautés en rébellion ont rompu avec les hiérarchies de pouvoir traditionnelles. Elles en ont fini avec le monopole de la représentation politique de lettrés et de caciques indiens, elles ont brisé les institutions fermées que les excluaient et ont réorganisé les circuits économiques et d’échange. En dix ans, elles ont nommé de nouvelles autorités, elles se sont dotées de leurs propres lois et ont rendu une justice conforme à celles-ci.
Le rapport de la première année d’activité des caracoles [2] et des juntas de buen gobierno -dont Oventic -, présenté dans le document du sous-commandant Marcos Leer un video, rend compte de la façon dont, sans demander d’autorisation et en revendiquant les accords de San Andrés [3], les peuples zapatistes construisent leur autonomie, c’est-à-dire, investissent les relations sociales. Dans les faits, ils se sont eux-mêmes dotés d’un organe de gouvernement propre pourvu de fonctions, de facultés, de compétences et de ressources. Ils ont repris le contrôle de leur société, ils sont en train de la réinventer.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du Chiapas que de grands soulèvements indigènes s’approprient les institutions, réforment les pratiques religieuses, fondent de nouveaux centres politiques, ouvrent des marchés, dominent les échanges communautaires et désignent de nouvelles autorités. Exprimées en termes religieux, des révoltes de longue haleine ont eu lieu en 1712 et 1869 dans la région de los Altos contre le pouvoir colonial en réponse à la surexploitation qui avait désorganisé leur société et provoqué l’instabilité et les pénuries.
A la différence de ce qui s’était passé lors de ces deux soulèvements, ce qui exprime les angoisses et les aspirations du groupe n’est pas un oracle, mais un réseau d’institutions politiques laïques : les peuples auto-organisés. Si à Cancuc et Chamula [municipalités du de l’Etat du Chiapas, Mexique. (ndlr)] c’étaient une apparition de la vierge ou trois pierres d’obsidienne [roche volcanique. (ndlr)] parlantes qui émettaient les messages définissant les buts collectifs et les moyens pour y parvenir, en 2004 ce sont les indigènes organisés eux-mêmes qui fixent leur mission et les étapes pour l’accomplir.
L’insurrection de 1994, qui a débouché sur la commune de la Lacandona, continue sur la lancée idéale des mouvements libertaires : l’abolition des gouvernants professionnels, la rotation des fonctionnaires publics, le rejet de l’idée que l’administration gouvernementale revient uniquement à des personnes spécifiques. La complexité inévitable de la vie moderne et la nécessité d’instances de médiation politique n’ont pas empêché le développement de ce laboratoire de nouvelles relations sociales.
L‘expérience autogestionnaire du Chiapas a rapidement dépassé les frontières nationales dans lesquelles une certaine gauche se réfugie pour situer son action dans une perspective globale. Selon les caracoles ont été visité en un an par des personnes provenant de 43 pays différents, beaucoup d’entre elles sont activement impliquées dans des travaux qui dépassent la solidarité traditionnelle. Elles s’y rendent non seulement pour aider mais aussi pour vivre - même temporairement - une autre vie. Leur participation ne vient pas uniquement de leur désir d’aider ceux que l’on considère comme démunis, mais de leur désir de faire partie d’un processus d’auto-émancipation. Les indigènes rebelles ne sont pas des victimes que l’on doit assister : ce sont les acteurs d’une épopée avec lesquels on veut collaborer.
Si, comme le souligne Eugenio del Río (Poder político y participación popular) "ce qu’a fait la gauche, c’est remettre à l’Etat la responsabilité de l’activité solidaire et exiger de lui qu’il l’assume de façon appropriée", la commune de la Lacandona, quant à elle, a récupéré la vieille prétention socialiste de transformer la société au travers de l’union des bases à l’échelle planétaire et a créé une solidarité horizontale novatrice et efficace.
Cet exercice d’autonomie a lieu sans autre couverture légale que celle qui se dégage des accords de San Andrés. L’autonomie ne naît pas, dans ce cas, d’un décret légal, elle naît de la volonté et de la décision de ceux qui exercent la désobéissance. Ce n’est pas un régime, c’est une pratique.
On ne peut pas passer sous silence le fait que ce laboratoire de nouvelles relations sociales existe en dépit d’une présence militaire hostile, de politiques sociales qui cherchent à réduire la base sociale rebelle et de l’existence d’institutions gouvernementales qui co-existent sur le même territoire sur lequel se déploient les juntas de buen gobierno et les municipalités autonomes.
La Commune de la Lacandona fait revivre les vieux désirs des mouvements pour l’auto-émancipation : la libération doit être l’œuvre de ses bénéficiaires, il ne doit pas exister d’autorités au-dessus du peuple, les sujets sociaux doivent avoir la pleine capacité de décision sur leur destin. Son existence n’est pas l’expression d’une nostalgie morale, mais l’expression vivante d’une nouvelle politique. »
Luis Hernández Navarro
NOTES:
[1] En août 2003, les Zapatistes ont lancé une nouvelle initiative : la création de cinq Caracoles dans les régions rebelles du Chiapas. Cette initiative était un nouveau pas dans l’affirmation de l’autonomie zapatiste, l’établissement des Caracoles (escargots, spirales) vise à mettre en pratique les accords de San Andres dans les territoires « rebelles » par la voie des faits. La bonne trentaine de communes autoproclamées « autonomes zapatistes » depuis décembre 1994 y ont leur gouvernement régional - les cinq « conseils de bonne gouvernance » - chargé de l’éducation, de la santé, de la justice et du développement. (ndlr)
[2] Les caracoles sont les centres de las juntas de buen gobierno. Il y a cinq centres de gouvernement qui regroupent chacun plusieurs communes autonomes : le conseil Hacia la esperanza, le conseil Corazón del arcoiris de la esperanza , le conseil El Camino del futuro, le conseil Nueva semilla que va a producir et le conseil Corazón céntrico de los zapatistas delante del mundo (N.d.T.)
[3] Accords e.a. sur l’autonomie indigène signés le 16 février 1996 entre l’EZLN et le gouvernement fédéral, que celui-ci n’a jamais voulu appliquer. (ndlr)
Source : La Jordana, México, 7 septembre 2004.
Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL (http://risal.collectifs.net)
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