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Mytilène : "Le cannabis, un outil thérapeutique ? Cela semble une piste prometteuse.
Mais la mari ne sera pas en vente libre pour autant ! Ce n'est pas demain qu'un médecin prescrira de la marijuana à un patient atteint de la sclérose en plaques ou du cancer. Pourtant, même si des preuves manquent encore au dossier, son potentiel thérapeutique semble de plus en plus évident.On sait maintenant que la principale molécule active de la marijuana, le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), peut diminuer les nausées causées par la chimiothérapie et stimuler l'appétit des sidéens. Deux médicaments contenant du THC synthétique ont d'ailleurs été mis au point pour traiter ces affections — le nabilone et le dronabinol. Commercialisés sous les noms respectifs de Cesamet et de Marinol, ils existent depuis une quinzaine d'années et sont disponibles au Canada.
C'est l'une des raisons pourquoi bien des malades réclament maintenant le droit de prendre leur THC autrement qu'en pilule, c'est-à-dire en fumant leur joint tranquillement... Il est vrai que les médicaments pris oralement agissent lentement : ils doivent traverser l'estomac puis le petit intestin avant de circuler dans le sang et d'atteindre finalement le cerveau. Inhalé, le THC agit plus rapidement puisque les alvéoles des poumons lui permettent d'avoir un contact direct avec le sang. De plus, les patients qui souffrent de nausées sont parfois incapables d'ingérer les pilules. Certains malades affirment même que le THC synthétique n'est pas aussi efficace que la bonne vieille marijuana.
Pourtant, le tiers des patients qui prennent du Marinol ou du Cesamet à fortes doses disent ressentir à peu près les mêmes effets qu'avec du véritable cannabis ! Des études américaines comparatives entre le THC et d'autres médicaments ont également révélé que certains patients n'appréciaient pas ces effets secondaires peu banals. Il faut dire que, dans certains cas, les malades ont souffert d'hallucinations et de confusion mentale.
En fait, le THC synthétisé en laboratoire ne reproduit pas parfaitement les effets du cannabis, qui compte au moins 480 produits actifs, dont certains sont probablement eux aussi bénéfiques. Marc Desgagné, professeur de pharmacologie à l'Université Laval, à Québec, ajoute, à la défense du cannabis, que fumer lentement une cigarette peut procurer un bien-être plus grand qu'avaler une pilule. « La prise de n'importe quel médicament a un petit effet placebo, rappelle-t-il. Et ceux qui réclament le droit de fumer de la marijuana pour se soigner en fumaient souvent avant d'être malades pour le plaisir. »
Malgré ses vertus, le cannabis demeure une drogue illégale. Une drogue douce, certes, mais une drogue quand même. Fumer les feuilles ou la résine (haschisch) du chanvre indien provoque une modification des perceptions sensorielles et de la pensée : sensibilité tactile et auditive accrue, modification des perceptions cognitives, diminution des réflexes, légers troubles psychomoteurs, etc. Selon les individus, une légère sensation de bien-être — ou de malaise — s'installe pendant environ deux heures.
Le cannabis a aussi plusieurs effets pervers. Il peut notamment causer des dommages aux poumons, souligne Chantal Trépanier, responsable de projet à Santé Canada, qui rappelle qu'aucun médicament n'est pris sous forme de cigarette. Donald Tashkin, un chercheur de l'université de Californie à Los Angeles a suivi durant 15 ans un groupe de 130 fumeurs de marijuana. En comparant ses résultats avec ceux obtenus avec un groupe de fumeurs de cigarettes et un groupe de non-fumeurs, il a conclu que les fumeurs de marijuana présentaient autant de problèmes pulmonaires que les fumeurs, comme la toux et de fréquentes bronchites.
Sur le plan cellulaire, les dommages étaient comparables dans les deux groupes de fumeurs : noyaux des cellules anormaux et mutations génétiques susceptibles de causer le cancer. Pourtant, les fumeurs de marijuana ne consommaient que trois ou quatre joints par jour, alors que les fumeurs grillaient une vingtaine de cigarettes. La raison : la fumée de cannabis est inspirée plus profondément et plus longtemps que celle de la cigarette. Or, le cannabis contient lui aussi sa part de goudron.
« Pour contrôler la douleur, nous avons déjà des médicaments efficaces et plus faciles à doser », indique le docteur Joseph Ayoub, oncologue à l'hôpital Notre-Dame, à Montréal. La morphine, l'hydromorphone ou le fentanyl, par exemple, permettent, la plupart du temps, de traiter même les cas les plus récalcitrants alors que la concentration en THC varie tellement d'un plant de cannabis à un autre qu'un dosage précis est très difficile.
En inhalant la fumée de marijuana, on s'expose également à une panoplie de substances actives et inconnues. On a d'ailleurs rapporté des cas d'infections pulmonaires causées par des bactéries ou des champignons qui se trouvaient sur la plante.
« Il faut appliquer au cannabis les mêmes règles qu'aux autres médicaments, dit Marc Desgagné. Avant d'être approuvés, les médicaments doivent démontrer que leurs bénéfices surpassent les risques qu'ils présentent. »
Dans cet esprit, Unimed, la compagnie américaine qui fabrique le Marinol, veut éventuellement offrir son médicament sous forme de vaporisateur nasal ou encore d'inhalateur afin d'accélérer son effet sans qu'il présente les dangers du véritable cannabis. On songe également à un gel nasal et à une préparation sublinguale.
Sauf que synthétiser un produit aussi complexe que le THC n'est pas une mince affaire.
On sait depuis longtemps que les effets psychotropes et physiologiques du cannabis se font sentir dès que le THC atteint le cerveau. Les molécules se fixent alors sur des récepteurs situés sur les neurones. La protéine G, qui se trouve à l'intérieur du neurone, est activée et inhibe l'adénylate cyclase, une protéine responsable de la production de messagers cellulaires, entraînant une perturbation de la communication entre neurones. C'est ce qui est à l'origine des différentes sensations que l'on éprouve en fumant du cannabis.
On a jusqu'ici découvert deux types de récepteurs du THC : les CB1, situés dans différentes parties du cerveau, et les CB2, présents dans certains organes du corps, comme la rate, et sur les cellules du système immunitaire. Les récepteurs CB1 sont très abondants dans le cerveau, 10 fois plus nombreux en fait que les récepteurs mu, responsables des effets de la morphine. De plus, les CB1 et CB2 ne sont pas uniquement sensibles au THC, mais à tous les cannabinoïdes, c'est-à-dire toutes les substances qui entraînent des effets similaires à ceux du THC.
Puisque tous les mammifères, de même que certains invertébrés, possèdent ces récepteurs, cela signifie que l'organisme produit lui-même des cannabinoïdes.
En 1992, une équipe israélienne dirigée par Raphaël Mechoulam, celui qui avait isolé le THC une trentaine d'années auparavant, a d'ailleurs découvert que l'anandamide (du mot sanscrit ananda, qui signifie « félicité »), un neurotransmetteur produit à très petites doses dans le cerveau, a les mêmes effets que le THC, même si sa structure chimique est fort différente. Par contre, sa durée d'action est beaucoup plus courte : comme tous les neurotransmetteurs, elle se dégrade rapidement, ce qui permet au cerveau d'exercer un contrôle serré sur les messages. Quel est son véritable rôle dans l'organisme ? On l'ignore toujours.
Des recherches sur les cannabinoïdes naturels pourraient un jour permettre la production d'un THC synthétique efficace sur le plan thérapeutique, mais sans ses effets euphorisants. Le problème, c'est que les deux fonctions du THC, psychologique et physiologique, semblent passer par l'activation des mêmes récepteurs. Elles sont probablement indissociables l'une de l'autre.
La localisation des récepteurs CB1 nous éclaire cependant sur l'action des cannabinoïdes. La plus forte densité de récepteurs se trouve dans les ganglions de la base, responsables en grande partie de la maîtrise des mouvements. L'hypothalamus, qui contrôle les sensations de faim et de soif, en contient lui aussi. On en retrouve également dans l'hippocampe, une des régions associées à l'apprentissage, à la mémoire et au stress, ce qui expliquerait la diminution de la mémoire à court terme causée par le cannabis. Les conversations décousues que tiennent parfois les consommateurs de marijuana découleraient du fait qu'ils ne se souviennent pas des phrases qui ont été prononcées quelques instants auparavant...
Mais qu'en est-il de la valeur médicale réelle de la marijuana ?
Les études sur cette question sont peu nombreuses. Jusqu'à maintenant, on a surtout tenté de démontrer les dommages qu'elle peut causer, pas le contraire !
Dans un volumineux rapport publié en mars dernier, la National Academy of Sciences a passé en revue 15 ans de littérature médicale et a mené une vaste consultation auprès des scientifiques américains. Ses conclusions : sans recommander l'usage médical de la marijuana, on estime que le THC présente un fort potentiel et que la recherche doit se poursuivre. Des conclusions similaires à celles de quatre autres rapports sur le même sujet, rendus publics au cours des dernières années aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Si, dans le passé, on a fait la preuve que les cannabinoïdes diminuent la douleur chez les animaux, les études sont encore trop rares pour tirer les mêmes conclusions pour l'humain. Cependant, on est de plus en plus convaincu que les cannabinoïdes naturels sont impliqués dans le contrôle de la douleur, régulé par le système nerveux central.
Pour le prouver, on a utilisé le SR141617A mis au point par les laboratoires Sanofi, une substance que l'on dit antagoniste, car elle se fixe aux récepteurs voulus mais sans activer de réponse (les récepteurs ne sont donc plus disponibles pour les substances qui les auraient normalement activés). Des expériences menées sur des animaux ont montré que, lorsqu'on bloque l'action des cannabinoïdes naturellement produits dans le cerveau en administrant un antagoniste, la sensibilité à la douleur augmente. Ce qui signifierait que l'anandamide est un analgésique.
Les cannabinoïdes en général, et la marijuana en particulier, pourraient donc aider les patients tolérants aux opioïdes, comme la morphine, ou trop sensibles à leurs effets secondaires, comme les nausées. Ils pourraient également être utiles pour calmer les nausées des personnes qui subissent des traitements de chimiothérapie et stimuler l'appétit des personnes atteintes du sida. Donald Abrams, de l'Université de Californie à San Francisco, mène d'ailleurs une étude clinique pour vérifier l'efficacité de la marijuana fumée sur la douleur, les nausées et l'anxiété chez les sidéens. L'utilisation de la marijuana par les sidéens soulève toutefois quelques réticences, car on connaît peu ses effets sur le système immunitaire. Selon les doses et le type de cellules immunitaires observées, on sait que le THC induit un accroissement ou une diminution de la réponse immunitaire, mais on ne sait rien des conséquences à long terme.
Il faut aussi reconnaître que le cannabis a encore à faire ses preuves en ce qui concerne le traitement des désordres neurologiques tels que la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson et l'épilepsie. Même si les récepteurs de cannabinoïdes sont nombreux dans les régions du cerveau associées à la maîtrise des mouvements, les études ne sont pas concluantes quant à ses bienfaits pour ces maladies. Toutefois, les quelques rapports — anecdotiques — à ce sujet ne ferment pas complètement la porte : comme les désordres de ce type sont souvent amplifiés par l'anxiété et le stress, la marijuana serait utile pour procurer une certaine forme de détente.
Le cannabis n'est pas plus intéressant pour soulager le glaucome : la pression intraoculaire diminue seulement si le patient est presque constamment sous l'effet du THC !
En fait, les Américains semblent disposés à autoriser l'utilisation de la marijuana pour un nombre très restreint de cas : pour soulager les malades en phase terminale ou ceux chez qui les autres solutions ne font pas effet.
« Pour des patients sidéens très malades, la préoccupation des effets nocifs à long terme ne pèse pas lourd dans la balance, indique le docteur Réjean Thomas, de la clinique L'Actuel, à Montréal. Beaucoup de mes patients prenaient déjà de la marijuana ou d'autres drogues dures avant d'être malades. Lorsqu'ils me disent que la mari leur fait du bien, je ne leur interdis pas d'en prendre. » Le docteur Thomas refuse cependant de se faire l'apôtre de la légalisation de la marijuana. Selon lui, l'usage thérapeutique du cannabis sert trop souvent d'argument à ceux qui voudraient simplement lever l'interdit sur le cannabis.
Aux États-Unis, plusieurs États, dont la Californie, ont reconnu par référendum l'usage thérapeutique de la marijuana. Au Canada, les demandes insistantes de malades, soutenus par des députés et des groupes de pression, ont fait céder le ministre fédéral de la santé, Allan Rock, qui a promis des essais cliniques sous peu. En attendant, il aurait le pouvoir de permettre l'usage de la marijuana « par compassion » aux malades qui lui ont présenté des demandes il y a quelques mois et qui attendent toujours sa réponse.
On pourrait aussi découvrir d'autres vertus à la marijuana puisqu'on soupçonne le THC et le cannabidiol, une autre substance du cannabis, d'être en mesure de limiter les dommages causés au cerveau lors d'une attaque cérébrale : ils fourniraient des électrons aux radicaux libres produits massivement à cette occasion. Le THC pourrait même prévenir la migraine et soulager les gens qui souffrent de la maladie d'Alzheimer. L'herbe folle des années 70 sera-t-elle la panacée du prochain siècle ? Sûrement pas, mais elle deviendra peut-être un excellent traitement palliatif.
Catherine Dubé
source : CyberSciences ".