Lors d'une visite en Allemagne, son pays natal, le pape Benoît XVI fit un discours à l'université de Regensburg (Ratisbonne), où il avait enseigné entre 1969 et 1977, dans lequel il soulevait le problème de la violence et de la religion. Au lieu d'évoquer les innombrables actes de violence la plus inouïe auxquels la chrétienté s'était adonnée pendant des siècles, il a cru bonde laisser entendre que l'islam justifiait la violence.Pendant son discours de quarante-cinq minutes, au cours duquel il évoqua les différences entre christianisme et islam, il se référa aux travaux d'un chercheur allemand d'origine libanaise, Théodore Khoury, qui site un empereur médiéval du XIVe siècle, Manuel II Paléologue de Byzance, qui était engagé dans une controverse avec un musulman. L'empereur déclare ainsi:
« Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau. Tu ne trouveras que des choses mauvaises et inhumaines, comme le droit de défendre par l'épée la foi qu'il prêchait. »
Propos particulièrement mal venu de la part de cet empereur, citation particulièrement mal venue de la part de Benoît XVI, qui semble oublier l'Évangile de Matthieu, qui fait dire à Jésus: « je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre; je n'apporte pas la paix, mais l'épée. » (Matthieu, X, 34.)
Souvenons-nous aussi des massacres commis par les chrétiens lors des croisades. Cependant, il est difficile de croire que le choix des références du pape soit fortuit: le journal turc Milliyet a parfaitement raison de dire que « le pape s'est servi de l'empereur byzantin comme d'un « bouclier », pour cacher en fait une pensée hostile à l'islam. » Par ailleurs, en Allemagne, le secrétaire général du Conseil central des musulmans, Aiman Mazyek, fait observer que « l'Église catholique est mal placée, en raison de son histoire, pour critiquer les,dérives extrémistes de l'islam » (« Critiques et colère des musulmans contre Benoît XVI », Henri Tincq, Le Monde, 16 septembre 2006).
Christianisme et non-violenceIl est vrai que notre cher Saint-Père le pape est un peu amnésique. Il oublie que le bon Dieu qui nous est présenté dans la Bible est un dieu particulièrement sanguinaire qui commande à Moïse d'exterminer les Midianites, descendants de Midian, fils d'Abraham (Gen, 25,2), qui étaient apparentés aux Israélites. Dieu commande donc à Moïse de tuer tous les hommes et les femmes, à l'exception des jeunes filles que les Israélites garderont pour leur usage, personnel (Nombres, XXXI, 1-18). Pourtant, ces gens avaient accordé l'hospitalité à Moïse pendant 40 ans (Ex. II, 15). Quelle ingratitude!
La Bible est remplie de ces passages où Dieu demande aux israélites d'exterminer telle ou telle population. Par. exemple dans Samuel (I, 15, verset 3), Dieu demande à Samuel d'exterminer les Amalécites, « hommes et femmes, enfants et nourrissons », pour une' offense datant de quatre cents ans...
Un passage de Samuel raconte l'extermination de 50 000 personnes (Sam I, 6, 19).
Dans le Deutéronome. (n, 13), ce n'est que la population mâle qui doit être passée au fil de l'épée.
Dans Josué (6, 21), la population de Jéricho est exterminée à la demande expresse du bon Dieu, encore une fois: « Et ils passèrent au fil de l'épée tout ce qui se trouvait dans la ville, à la fois hommes et femmes, jeunes et vieux, et les boeufs, et les moutons; et les ânes. » Dans Josué encore (8, 24-25), les Israélites tuent la population mâle de la ville de Ai (verset 21). Au verset 24, ce sont les hommes et les femmes (12000 au total) qui sont exterminés. Mais cette-fois-ci, ils ne tuèrent pas les bêtes, ils les emmenèrent.
Mais, dira-t-on, toutes ces citations viennent de la Bible, elles concernent les juifs, pas. les chrétiens. La Bible est quand même un ouvrage de référence pour les chrétiens, qui ne sont pas innocents d'innombrables actes de violence. C'est oublier que l'Évangile lui-même n'est pas particulièrement tolérant envers ceux qui n'en partagent pas les vues. Religion de paix et de l'amour, le christianisme? On oublie que Jésus a dit: « Si un homme vient à moi et ne hait point son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et soeurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » (Luc, XIV).
La croisade contre l'hérésie cathare, pour ne mentionner qu'elle, donna lieu à des massacres impitoyables: c'est de cette époque que date l'expression «Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens», signifiant par là qu'on pouvait tuer tous les habitants d'une ville assiégée, et que Dieu reconnaîtra les bons chrétiens des hérétiques.
Par malheur, ce qui est peut-être le tout premier document de la littérature française montre comment les chrétiens traitaient les fidèles d'autres religions du temps de Charlemagne
« L'empereur a pris Saragosse: à mille Français on fait fouiller la ville, les synagogues, les mosquées; avec, en,mains, des maillets de fer et des cognées, ils brisent les statues et toutes les idoles, il n'y restera ni sortilèges ni fausse croyance. Le roi croit en Dieu, il veut faire son service et ses évêques bénissent les eaux: ils mènent les païens jusqu'au baptistère. S'il y en a un qui veut résister à Charles, il le fait pendre, ou brûler ou tuer. Beaucoup plus de cent mille sont baptisés en vrais chrétiens, hormis seulement la reine. En douce France elle sera menée captive: le roi veut qu'elle se convertisse par amour. »
Ce Charlemagne était un sentimental ....
L'histoire du christianisme est littéralement emplie de la violence la plus inouïe à l'encontre non seulement des -non-chrétiens; mais aussi des chrétiens qui n'étaient pas dans la ligne. On estime les victimes de l'Inquisition à plusieurs millions. Innocent VIII, un collègue de Benoît XVI, édicta en 1484 la bulle Summis desirantes affectibus qui amplifiait la chasse aux sorcières en donnant une base « légale » à l'Inquisition en lui permettant de déclarer les sorcières « créatures du démon », assimilables aux hérétiques, aux juifs, aux mahométans et autres. Nous sommes en pleine renaissance italienne, c'est l'époque de Dante, de Pétrarque, de Giotto, de Boccace...
Un point « plutôt marginal »La controverse de l'empereur Manuel II Paléologue porte, comme le dit justement le pape dans son discours, sur « le concept de la foi décrit dans la Bible et le Coran et porte en particulier sur les images de Dieu et de l'homme, tout en revenant nécessairement sans cesse sur le rapport entre ce qu'on appelle les « trois lois . » : l'Ancien Testament, le Nouveau Testament et le Coran ».
Il y avait matière à débattre. Curieusement, le point que Benoît XVI soulève est, dit-il, « un point - plutôt marginal dans le dialogue -qui m'a captivé, en rapport avec le thème de la foi et de la raison, et qui me sert de point dé départ pour mes réflexions sur ce thème ». Ce point « plutôt marginal » est le thème du djihad. Comme par hasard.
Donc, dans une réunion publique à laquelle sont conviés les journalistes du monde entier, le pape évoque un texte datant de 1391 que personne ne devait connaître, et de ce texte il tire des réflexions sur un « point plutôt marginal.», le djihad. Tout cela dans le contexte international que l'on sait.
Disons quelques mots sur cette fameuse « controverse ». Nous sommes dans la période pendant laquelle les Turcs, musulmans, sont en train de conquérir l'empire byzantin, avec ses hauts 'et ses bas, et qui culminera avec la prise définitive de Constantinople en 1492. Au moment de l'affaire, l'empereur du moment s'est avoué vassal du sultan. Son fils Manuel est avec le ,corps expéditionnaire byzantin et loge chez un musulman lettré qui s'enquiert de la foi chrétienne. Commence alors des discussions que Manuel, devenu empereur, consigna plus tard par écrit. Manuel déclare en particulier que le Jihad, selon lequel les hommes ont le choix entre la conversion, la mort ou l'esclavage est contraire à la volonté de Dieu, qui n'aime pas le sang et veut amener les hommes à la foi par la persuasion.
Le musulman répond que le christianisme, c'est très bien, mais qu'il pêche par excès, que sa loi est trop dure, trop élevée et impraticable par les hommes: aimer ses ennemis, rechercher la pauvreté, supporter la virginité, tout cela est contraire à la raison et à la nature corporelle des êtres humains. Dieu ne peut pas avoir créé l'homme et la femme, leur avoir prescrit de se multiplier, et promulguer par ailleurs une loi qui va tout à fait à l'opposé. En réponse, l'interlocuteur de Manuel II développe l'idée que la loi de Mahomet est une voie moyenne entre les déficiences de là loi de Moise et les excès de celle du Christ.
Il est significatif que notre bon Saint-Père n'ait pas fait référence à cette partie-là de la controverse...
Manuel II pensait facilement convertir le lettré musulman mais il s'est en fait engagé dans une voie sans issue, un dialogue de sourds. La controverse ne fait que montrer l'absolue impossibilité d'un dialogue entre christianisme et islam.
Les réactions au discours du pape Benoît XVI a fait plusieurs mises au point concernant son intervention de Ratisbonne, sans jamais présenter les excuses que les musulmans lui demandaient. Il affirma que son intention avait été d'expliquer que la religion et la violence ne vont pas ensemble, alors que c'est le cas de la religion et de la raison.
Dans l'entourage du locataire du siège pontifical, on cherche à justifier son intervention: « Les violentes réactions dans de nombreuses parties du monde musulman justifièrent l'une des préoccupations du pape Benoît », déclara le cardinal australien George Pell., « Elles montrent le lien, chez de nombreux musulmans, entre la religion et la violence, leur refus de répondre à la critique avec des arguments rationnels mais seulement par des manifestations, des menaces et la violence. »
En gros, je te colle un pain dans la gueule, et si tu répliques, ça prouve que. tu es un adepte de la violence.
Les réactions au discours, du pape. dans le monde musulman furent très violentes mais, curieusement, Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, contribua à désamorcer la crise en disant que les paroles du pape avaient été interprétées en dehors de leur contexte. Le président iranien montre ainsi son intelligence politique car il semble bien avoir compris, lui, que l'Église catholique s'est opposée à la guerre menée par les Étatsuniens en Irak et qu'elle s'est globalement opposée à la présence israélienne dans les territoires occupés. Il est donc plus intelligent que-ceux qui ont brûlé des églises dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Les musulmans, auraient pu se rappeler que, sur deux des questions les plus explosives de notre époque, l'Église catholique est de leur côté.
On peut exprimer la chose autrement: l'Église catholique avait un certain prestige dans le monde musulman précisément pour ces deux raisons-là, qu'elle a perdu à cause de la bévue du pape. Un article du Figaro expose ainsi la situation: « Le Pape laisse en tout cas à ses diplomates un champ de ruines quant au dialogue avec l'Islam. » (« Les musulmans choqués par les propos du Pape », Hervé Yannou, Le Figaro du 15 septembre 2006.)
On pourrait donc suggérer aux catholiques de virer Benoît XVI et de mettre le président iranien à sa place.
Raoul Boulard
Le Monde libertaire #1448 du 28 septembre au 4 octobre 2006