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Lu sur : Gwadaoka "Ou l’histoire banale d’un petit immigré asiatique égaré dans Babylone au temps de la « guerre contre le terrorisme » : La paranoïa consécutive au 11 septembre a mis brutalement fin au « rêve américain » de Purna Raj Bajracharya, un Népalais émigré à New York. Le New York Times raconte cette histoire si typique et malheureusement si banale. « Un détenu innocent trouve dans le FBI un allié improbable par Nina Bernstein, The New York Times, 30 juin 2004. Traduit de l‘anglais par MC pour Quibla."
James P. Wynne, enquêteur chevronné du FBI, a mis moins d’une petite semaines à confirmer une vérité inoffensive, dont il est aujourd’hui beaucoup plus enclin à parler qu’il ne l’était voici deux ans de cela : le petit homme étranger qu’il avait contribué à arrêter, tandis qu’il filmait l’extérieur d’un bâtiment officiel, dans le quartier de Queens, le 25 octobre 2001, n’était pas un terroriste.
Non. C’était un bouddhiste venu du Népal, et qui envisageait d’y retourner après avoir passé cinq années à faire des boulots improbables, passant d’une pizzeria de Queens à un magasin de fleurs de Manhattan. Il tournait en vidéo des scènes de rue, à New York, pour les montrer à sa femme et à ses enfants, une fois rentré à Katmandou. Et il n’aurait jamais pu deviner que le haut bâtiment qui s’était retrouvé dans son viseur se trouvait comporter un bureau du Federal Bureau of Investigation [FBI - Agence fédérale (américaine) d’enquêtes].
Néanmoins, à l’heure où M. Wynne terminait son rapport au FBI, quelques jours plus tard, le Népalais, qui ne parlait pratiquement pas un mot d’anglais, se retrouvait déjà en confinement solitaire dans un centre de détention de Brooklyn, au seul motif qu’il avait filmé. Il avait été digéré par le nouveau système de sécurité maximale du gouvernement, à base d’arrestations et d’interrogatoires secrets, et son seul secours était l’agent même du FBI, qui avait contribué à prendre, avec d’autres, la décision de l’y placer.
Bande video exceptée - « le genre de truc que filmera un touriste », pour reprendre l’estimation de M. Wynne - aucune ombre de suspicion ne frappait cet homme, Purna Raj Bajracharya, 47 ans, venu du Népal aux Etats-Unis en 1996. Son unique infraction - à savoir continuer à travailler en dépit d’un visa touristique périmé depuis bien longtemps - était de l’ordre d’une violation du code de l’immigration, passible du renvoi à la frontière, et en aucun cas de prison. Mais il dût passer trois semaine en isolement total avant son expulsion vers Katmandou, en janvier 2002, et M. Wynne lui-même avait besoin d’être secondé afin de pouvoir le libérer de ses menottes.
Le processus de libération était devenu tellement byzantin que l’officier qui avait lancé la procédure ne pouvait plus l’accélérer. Incapable d’obtenir une libération qui exigeait désormais officiellement la signature des responsables de la lutte anti-terroriste de Wahington, M. Wynne prit une décision totalement inédite, pour un agent du FBI : il contacta l’Association de l’Assistance Juridique, afin d’obtenir qu’un avocat assiste l’homme emprisonné.
Aujourd’hui, pour la première fois, l’agent du FBI et une avocate de l’Association de l’Assistance juridique, Olivia Cassin, sont tombés d’accord pour plaider ce cas, ainsi que leur alliance improbable. Leurs récits étayés offrent une rare échappée, de première main, sur le fonctionnement d’un monde secret.
Dix jours avant les attentats du 11 septembre, le ministère de la Justice a donné des instructions aux juges de l’immigration, selon lesquelles tous les cas qualifiés « d’un intérêt tout particulier » devraient être traités par des tribunaux séparés et à huis clos, sans visiteurs, sans visites de membres de la famille ni de journalistes, et sans confirmer ou non si l’affaire était inscrite à l’ordre du jour d’un tribunal. Le règne du secret rendait difficile l’accès des détenus à des avocats.
Les gens non en règle en matière de visa seraient emprisonnés pour une durée indéterminée, jusqu’à ce que le FBI ait été certain que la personne n’était pas impliquée dans le terrorisme. Non en règle en matière de visa, M. Bajracharya se retrouva parmi les centaines de personnes classées dans la catégorie « d’un intérêt particulier », et son cas fut effacé des registres publics.
Mark Corallo, un porte-parole du ministère de la Justice, a indiqué que bien qu’il n’eût pas connaissance de cette affaire, le système du secret auquel M. Bajracharya a été confronté était légal et absolument nécessaire. « L’idée, c’est que quelqu’un qui aurait violé nos lois en matière d’immigration est susceptible de présenter tout aussi bien un intérêt particulier sur le plan de la sécurité nationale, et cela est une conséquence malheureuse de l’après-11 septembre », a-t-il indiqué. Les interrogatoires menés au secret sont légaux, dès lors qu’un procès en bonne et due forme est garanti au suspect, a-t-il précisé, ajoutant que tous les abus en la matière seraient examinés et dûment sanctionnés.
Mais Mme Cassin, de l’Assistance juridique, argue que sous l’empire de ces mesures discrétionnaires, il n’y a aucun moyen de savoir si d’autres non-citoyens (= étrangers) sont, y compris aujourd’hui, détenus ou non de manière irrégulière. « Par définition », a-t-elle dit, « le cas peut se représenter, sans même que nous le sachions. »
M. Bajracharya finit par regagner le Népal, le 13 janvier 2002. A cette date, il avait passé près de trois mois dans une cellule de deux mètre sur trois, éclairée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’unité du Centre Métropolitain de Détention de Brooklyn où il fut gardé est désormais célèbre pour les abus reconnus en ces lieux par l’inspecteur général du ministère de la Justice en personne, qui a constaté une tendance à la répétition de mauvais traitements physiques et psychologiques de certains détenus, dans la période consécutive aux attentats du 11 septembre 2001. Des bandes vidéos montraient des gardiens frappant des détenus contre les murs, se moquant d’ eux au cours de fouilles superfétatoires, au cours desquelles on exigeait des détenus qu’ils se déshabillent totalement, et des enregistrements de leurs conversations avec leurs avocats, à leur insu.
M. Wynne s’est refusé à tout commentaire sur les politiques suivies en matière de détention préventive, et il a dit qu’il ne devait « en aucun cas être considéré comme le seul à avoir agi correctement. » Toutefois, au cours d’une interview autorisée par ses supérieurs hiérarchiques du FBI, il a lu à haute voix des écoutes téléphoniques faisant état de messages désespérés émanant de la famille de l’homme, à Katmandou, de ses propres efforts afin de réassurer le détenu désespéré et en larmes, et son propre début de reconnaissance qu’aucune solution ne se profilait à l’horizon.
« J’ai dit à Purna que je m’efforcerais de l’aider, que je ne laisserais pas tomber », a expliqué M. Wynne. « Je ressentais - non, pas de la responsabilité. Ce que je ressentais, c’est qu’il n’y avait absolument personne d’autre susceptible de l’aider. »
Au téléphone, depuis Katmandou, M. Bajracharya a évoqué à nouveau la peur, l’humiliation et le désespoir qu’il a ressentis en prison. « Je pleurais tout le temps », dit-il, ses propos étant traduits par un interprète. « La seule chose que je savais, c’était que j’étais innocent. Mais je n’avais absolument aucune idée de ce qui allait m’arriver. »
Il a indiqué qu’on l’avait fait mettre à poil, dans la prison fédérale. « J’ai été malmené, et même maltraité », a-t-il ajouté, en commençant à s’agiter à ces mauvais souvenirs. « J’étais très très embarrassé, et je ne pouvais même pas relever la tête, quand je me suis retrouvé tout nu. »
Le calvaire commença après que son enregistrement vidéo eut suscité les soupçons de deux détectives du bureau de l’avocat général du district judiciaire de Queens, qui est sis dans le même immeuble de douze étages dont le FBI occupe trois des étages. Après l’avoir entraîné chez eux à des fins d’interrogatoire, ils ont appelé le FBI, au-dessus d’eux, et M. Wynne fut chargé par celui-ci de descendre se charger de l’interrogatoire du suspect.
Sans interprète, M. Bajracharya tenta de s’expliquer devant une dizaine d’officiers de la police judiciaire, dont deux agents fédéraux des services d’immigration et de naturalisation, qui constatèrent qu’il n’était pas en règle.
Ce fut M. Wynne, en sa qualité d’agent du FBI, décisionnaire dans cette configuration, qui l’envoya au centre de détention de Brooklyn dans l’attente d’une enquête approfondie. L’agent du FBI, qui a aujourd’hui 50 ans, se présente lui-même comme un New Yorkais de naissance, qui ne prend pas à la légère le problème de l’immigration illégale. Il est spécialisé non pas dans le terrorisme, mais dans les fraudes internationales en matière d’art.
Mais, en des temps d’anxiété extrême au sujet d’une possible attaque terroriste supplémentaire, a-t-il plaidé, il était raisonnable de suspecter le pire, jusqu’à ce que l’on ait pu vérifier l’histoire de cet homme, ses éventuelles contradictions et ses documents d’identité, ainsi que l’origine de certaines sommes d’argent qu’il avait envoyées au Népal.
Il n’avait fallu que quelques jours pour éclaircir ces différents points. Le Népalais ne figurait dans aucune banque de données de terroristes potentiels, et M. Wynne confirma rapidement l’explication qu’il avait fournie au sujet du transfert d’une somme de 37 000 dollars par virement télégraphique au Népal. Cet argent provenait d’un règlement légal récent de blessures résultant d’un accident : en 1999, M. Bajracharya avait en effet été renversé par une voiture. Son dossier, ses co-pensionnaires ainsi que ses anciens employés : tout plaidait en faveur de l’honnêteté du détenu.
Le 1er novembre 2001, M. Wynne rédigea son rapport, innocentant M. Bajracharya. Il lui indiqua alors, aidé d’un interprète, qu’il faudrait environ une semaine pour que l’affaire soit résolue et sa situation régularisée.
Durant le week-end, des messages suppliants arrivèrent, émanant des enfants du détenu, depuis Katmandou : « S’il vous plaît, aidez notre père ; ce n’est pas le genre de personnes. » « j’imagine qu’ils voulaient parler de « terroriste » », a indiqué l’agent du FBI. Le 5 novembre, il a parlé de ce cas avec le chef du service du contre-terrorisme dans le bureau de l’avocat général des États-Unis. Et, les 7 et 8 novembre, avec un avocat, à l’agence de l’immigration.
« Étant donné qu’il voulait partir - il avait l’intention de quitter les États-Unis - il ne me semblait pas qu’il serait aussi difficile de le sortir de cette situation », a expliqué M. Wynne.
Mais les semaines passèrent. En apprenant qu’un interrogatoire secret par un responsable de l’immigration était programmé pour le 19 novembre, M. Wynne pensa qu’une solution était en vue. Loin de là : au cours d’une seconde rencontre avec le détenu, après cet interrogatoire, il le trouva confus et désemparé. Il s’avéra que la décision du FBI de le relâcher, attendue de Washington, n’était pas encore arrivée, et que la question avait été à nouveau ajournée à un autre interrogatoire secret, prévu pour le 6 décembre.
Là, a expliqué l’agent, il s’est rendu compte qu’il avait été trop optimiste. « Vous devez comprendre une chose : moi j’étais au bureau du quartier de Queens, et c’était à Manhattan qu’ils prenaient toutes les initiatives, et il y avait toute une procédure déjà déterminée, avant d’aboutir aux non-lieux » a-t-il expliqué. « Très sincèrement, je n’avais aucune idée, au début, quand j’ai remis mon rapport, sur le fait qu’il y avait un si grand nombre de niveaux différents qui devaient apposer leur visa à ce genre de décision. »
Le lundi suivant la fête de Thanksgiving, l’agent du FBI appela l’association d’Assistance juridique. « Ce bonhomme avait besoin d’aide - c’est aussi simple que ça », a dit M. Wynne, insistant sur le fait que n’importe qui d’autre que lui aurait fait la même chose. Mme Cassin, en revanche, dit qu’elle ne connaît aucun autre agent du FBI qui en ait fait autant.
Quand elle pu parler au détenu, au travers d’une épaisse vitre de plexiglas et sous la surveillance constante d’une caméra vidéo de la prison, dit-elle, il n’a pu retenir une seule minute ses larmes.
Le 6 décembre, dans une cellule pour les auditions secrètes, dans la même prison, a-t-elle indiqué, elle a pu l’observer tandis qu’il était malmené par trois officiers bourrus du bureau fédéral des prisons. Il était tellement ligoté qu’il ne pouvait plus bouger. « Il est fluet », a-t-elle précisé. « Ses pieds ne touchaient même pas par terre. »
Elle a ajouté que les avocats des services de l’immigration ont admis qu’étant donné que son client a été innocenté par le FBI, il pourrait « partir volontairement ». On lui donna l’instruction de lui acheter un billet d’avion pour Katmandou, par l’intermédiaire d’un officier chargé des reconduites à la frontière. Elle s’exécuta, mais la première date pour son départ éventuel fut supprimée, sans aucune explication.
Sur ces entrefaites, à l’instar d’autres détenus « d’importance particulière », M. Bajracharya était toujours détenu en isolement, vingt-trois heures par jour. « Au bout d’un mois ou deux, j’ai commencé à hurler que j’allais mourir si je ne pouvais pas adresser la parole à quelqu’un », s’est-il souvenu par la suite.
Mme Cassin a indiqué qu’elle a plaidé auprès du directeur de la prison afin qu’on le remît dans la population générale de la prison, mais le médecin l’a informée qu’il pleurait tellement que cela causerait une émeute. Solution de rechange : le 11 décembre, c’est un détenu musulman qui fut envoyé auprès de lui : ils durent se partager sa cellule minuscule.
Espérant dans sa libération imminente, Mme Cassin et M. Wynne ont tenté de satisfaire à la requête la plus insistante du détenu : rentrer chez lui, dans son pays, comme une personne respectable, et non comme un criminel. Un aide gardien accepta de laisser entrer une boîte portant l’indication « vêtements de libération », renfermant un costume de bonne coupe qu’il portait à son arrivée en Amérique. Peu après Noël, M. Wynne fit spécialement le voyage pour venir le lui remettre.
Mais quand M. Bajracharya fut, finalement, mis à bord d’un avion, le 13 janvier, il était menotté et portait un survêtement de prisonnier, de couleur orange. « Je voulais attendre mes vêtements, au moins mes chaussures et ma veste », a-t-il expliqué. « Mais ils m’ont emmené de force. »
Le récit fait par M. Bajracharya des mauvais traitements qu’il a subis correspond au rapport de l’avocat général. Un porte-parole du bureau de l’avocat général de l’Etat, à Brooklyn, Robert Nardoza, a indiqué que cet office a refusé récemment de poursuivre les abus décrits dans les divers rapports « essentiellement parce que tous les témoins avaient été expulsés et qu’ils n’étaient pas disponibles pour des interviews éventuelles. »
De retour au Népal, ravagé par la guerre civile, M. Bajracharya a dit qu’il aimerait témoigner contre ceux qui l’ont maltraité si on le lui demandait, bien qu’il redoute ce que le gouvernement américain ferait de lui, s’il le faisait. Néanmoins, il est heureux d’avoir pu vivre en Amérique.
« Ce qui m’est arrivé a pu être un incident isolé », a-t-il dit. « Je persiste à être persuadé que le gouvernement américain est le meilleur qui existe, dans le monde entier. »
Plusieurs semaines après son retour au Népal, M. Wynne et Mme Cassin ont réussi à obtenir que ses effets lui soient envoyés par la poste, dont sa caméra vidéo. Mais lorsqu’il a voulu montrer à son épouse son reportage amateur sur sa visite de New York, les vues de la pizzeria et du magasin de fleurs où il avait travaillé représentaient tout ce qui restait de ce qu’il avait enregistré.
M. Wynne a reconnu, d’un air un peu penaud, qu’il avait « sans doute effacé » le reste, pensant que cela aurait pu tomber entre de mauvaises mains. « Juste un zèle de précaution. » a-t-il avoué, dans un murmure à peine audible. »