Bolivie : tentative d'analyse
Que se cache t'il derrière le fait que les deux régions les plus riches de Bolivie veulent se déclarer autonomes du pouvoir central de La Paz ? Il est nécessaire de passer en revue les principaux évènements depuis les émeutes d'octobre 2003 pour le comprendre.
La Bolivie est le cadre depuis plusieurs années de ce que l'on appelle la "guerre du gaz (et du Pétrole)".
En
effet ces ressources naturelles, les seules richesses de la Bolivie
désindustrialisée, sont aux mains des compagnies pétrolières étrangères
(nord-américaines, brésiliennes, espagnols, franncaises...) et une faible partie
des revenus d'exportation revienne à l'Etat bolivien. En raison de la misère
généralisée (surtout pour les 70 % d'indigènes) et conscients du pillage de ces
richesses au profit des multinationales (après celui de l'argent de Potosi par
les espagnols), plusieurs secteurs sociaux, syndicaux, paysans, etc., exigent la
nationalisation du gaz et du pétrole, avec plus de force depuis octobre
2003.
En octobre 2003, un indigène Aymara est emprisonné, accusé d'être
le responsable de l'assassinat d'un membre d'une communauté (la loi
communautaire qui régit un certain nombre de communautés aymaras condamne à mort
les voleurs récidiviste). Cette arrestation entraine des mobilisations indigènes
menées par le Mouvement Pachakuti de Felipe Quispe, avec des coupûres de routes.
Le gouvernement de Sanchez de Lozada décide de réprimer, avec les premiers
morts, tout le pays se mobilise et exprime son ras le bol de toutes les
injustices, et réclament la nationalisation des hydrocarbures. A El Alto et La
Paz, ce sont de véritables combats de rues qui se livrent, contre l'armée et les
chars. Des bâtiments gouvernementaux sont pillés et incendiés et malgré la
férocité de la répression, la mobilisation ne faiblit pas. Face à cette
situation à caractère révolutionnaire, le président Gonzalo Sanchez de Lozada
(Goni) décide de démissioner et s'enfuit en hélicoptère à Miami. On comptera 80
morts et des centaines de blessés.
Goni a été remplacé par son
vice-président, Carlos Mesa, qui avait prit ses distances avec sa politique.
Carlos Mesa est accépté par la majorité de la population en raison de son
indépendance, en effet c'est un journaliste et écrivain non membre de parti
politique. Néanmoins, il lui a été donné un délai de 90 jours pour changer de
politique économique et engager un processus de nationalisation des
hydrocarbures (approuvée par 80 % de la population). Pour obtenir le soutien
populaire, Mesa a engagé un bras de fer avec le Chili voisin en refusant
d'exporter le gaz bolivien si Santiago ne concède pas à la Bolivie un accès à la
mer (revendication historique).
Finalement un référendum sur la nouvelle
loi des hydrocarbures promise par Goni est organisé en juillet 2004. Ce
référendum est refusé par les secteurs pro-nationalisation (en particulier la
Confédération Ouvrière Bolivienne (COB) et Felipe Quispe) parce qu'il ne
comporte pas la question fondamentale "pour ou contre la nationalisation" et
ceux appelent au boycot. Le MAS (Mouvemnet vers le Socialisme) de Evo Morales
décide de faire confiance à Mesa et appelle se prononcer sur les 5 questions
élaborées par Mesa et les multinationales pétrolières (qui financèrent la
campagne de propagande). Le MAS s'est positionné publiquement contre la
nationalisation en exigeant uniquement une hausse des impôts à l'encontre des
multinationales. Le résultat prête à confusion puisque d'une part l'abstention
est importante (les médias boliviens n'en ont pas tenu compte) et l'ambiguité
des questions, en particulier celle se référant à la "récupération du gaz en
sortie de puit" était telle que pour de nombreux boliviens le "oui" ouvrait la
porte à la nationalisation.
Depuis, la nouvelle loi n'a toujours pas vue
le jour même si cela n'empêche pas Mesa, en bon VRP de Repsol, de signer des
accords d'exportation avec l'Argentine. Le MAS est divisé sur son soutien à Mesa
et sur la question de la nationalisation (il est difficile de suivre les
changements d'avis de Evo Morales par exemple).
Mais la capacité de
mobilisation des boliviens est toujours vive, en janvier 2005, les habitants de
El Alto (qui furent à la pointe des émeutes d'octobre 2003) ont imposé à Mesa de
rompre le contrat de la Lyonnaise des Eaux. Et la décision de Mesa (pressioné
par le FMI) d'augmenter les taxes sur les carburants a fait redescendre la
population dans la rue. C'est à ce moment que les secteurs patronaux des
provinces de Santa Cruz et de Tarifa (régions où se trouvent les principaux
gisements de gaz boliviens) ont saisi le prétexte du décret de Mesa pour se
proclamer autonomes du pouvoir de La Paz.
Dans un premier temps, Mesa a
déclaré qu'il ne tolèrera pas d'autonomies inconstitutionnelles et récolta le
soutien d'une grande partie des secteurs populaires. Felipe Quispe a déclaré que
si ces provinces devenaient autonomes, il serait constituer une nation indigène.
Finalement, après négociations, Mesa a accepté que la province de Santa Cruz
désigne un pouvoir transitoire, laissant la porte ouverte à l'autonomie, qui
sera soumise à référendum national en avril (décidément son arme
favorite).
Les secteurs patronaux de Santa Cruz et de Tarija sont liés
aux multinationales pétrolières, l'autonomie de ces provinces mettrait fin à la
possibilité de nationaliser le gaz et la pétrole. De plus des rumeurs ont fait
état de la présence à Santa Cruz de l'ancien président Sanchez de Lozada. Il
semble donc que l'on assiste à une reprise en main du régime par la droite
classique bolivienne, patronée par les multinationales. Face à cette menace, des
affrontements ont déjà eu lieu à Santa Cruz entre des paysans et les
"autonomistes". Evo Morales, à la recherche d'une relégitimation populaire, a
affirmé que "l'oligarchie de Santa Cruz est financée par les
Etats-Unis".
Une des prochaines batailles prévues aura lieu dans le cadre
de l'Assemblée Constituante qui aura lieu dans le deuxième semestre de cette
année. Mais il est presque évident que d'ici là les boliviens redescendront dans
la rue, seule manière d'en finir avec la misère et l'exploitation.