La chambre des recours de l'Office européen des brevets (OEB) à Munich, a révoqué dans son intégralité un brevet portant sur un fongicide produit à partir de graines de margousier, l'arbre de Neem. Cette victoire met ainsi un terme judiciaire à dix ans de bataille contre un brevet de piraterie biologique.
Le margousier, arbre de Neem ou arbre libre en persan, est très utilisé en Inde depuis au moins 4000 ans, les propriétés des diverses parties de cet arbre (graines, feuilles...) sont connues en agriculture, médecine humaine et vétérinaire, et cosmétique. L'Inde a "partagé" son arbre libre et ses utilisations avec la communauté internationale, mais cette ressource importante devient aujourd'hui, par le truchement du système des brevets, la propriété privée d'un petit nombre d'entreprises.
Cette injustice a fini par exaspérer les paysans d'Inde, bientôt soutenue par Vandana, Shiva, présidente de la Fondation de la recherche pour la science, la technologie et les ressources naturelles le riz basmati; l'indian mustard, la garden balsamina et bien d'autres plantes originaires du continent indien, soigneusement cadenassés par une série de brevets, quittent la sphère du bien commun pour passer sous le contrôle monopolistique de firmes privées.
Cette opposition légale à la privatisation du Neem a été soutenue par l'IFOAM (1) et Magda Aelvoet, ministre belge de la santé et de l'environnement, au nom des Verts du Parlement européen. Les opposants argumentaient que la propriété fongicide de l'arbre de Neem, et les méthodes d'application étaient connus de tous en Inde depuis des siècles, et que ceux qui prétendent avoir découvert cette propriété étaient engagés dans une forme de vol, appelé biopiraterie. Leurs adversaires, soit disant propriétaires du Neem, étaient les Etats-Unis d'Amérique, représentés par son secrétaire de l'agriculture, et le géant US de la chimie WR Grace.
Il y a cinq ans, une première bataille était gagnée quand l'OEB avait révoqué le brevet du Neem, après un procès de deux jours démontrant que cé produit fongicide n'était ni nouveau, ni inventif. Les témoignages provenaient d'Inde ; une délégation de paysans indiens et sri lankais avec 100 000 signatures est venue plaider la libération de l'arbre de Neem face aux brevets posés sur ses produits dérivés. Il a été plaidé qu'aucune marque ou brevet ne devrait être déposée sur quelque chose de déjà connu. Les poseurs de brevets firent appel de ce premier jugement; dans le même temps, WR Grace a vendu son prétendu droit sur l'arbre de Neem à une firme japonaise, Certis, sous le contrôle de la compagnie Mitsui, l'un des plus gros fournisseurs de technologies alimentaires.
Cette rébellion pour sauver l'arbre de Neem a été mise en place pour informer le grand public sur les plaintes déposées contre un grand nombre de brevets sur les sous-produits du Neem et bien d'autres ressources naturelles du Sud. A ce jour, pas moins de 65 brevets portant sur des produits dérivés du margousier ont été enregistrés auprès de l'OEB, dont 22 ont été accordés, 28 sont abandonnés pour de multiples raisons, et neuf en cours d'examen.
Ces produits sont des insecticides, fongicides, des propriétés contraceptives, et usages médicaux, tous d'origine naturelle. Pourtant cela ne gêne pas les firmes occidentales qui déposent des brevets sur, ces produits, espérant des gains énormes pour leurs prétendus propriétaires: De leur côté, les communautés qui ont les premières compris et développé l'usage de ces ressources naturelles, et ont partagé leurs connaissances avec le reste du monde, n'ont évidemment aucune compensation.
IFOAM s'est investi dans cette lutte, considérant que la lutte contre la biopiraterie fait partie de ses missions premières, comme reconnaître l'importance, protéger et faire connaître les savoirs indigènes, notamment en matière d'agriculture. La décision de l'OEB est irrévocable, et fait aujourd'hui jurisprudence. Cela aura évidemment un impact positif pour l'ensemble des cas de biopiraterie. Reste maintenant à faire de cette décision européenne une jurisprudence internationale...
Linda Bullard
(1)IFOAM, International federation of organic agriculture movements, Fédération internationale des mouvements d'agriculture biologique. L'auteur de l'article en est l'ancienne présidente. www.ifoam.org
Silence! #331 janvier 2006
à 17:49