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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Benoit Broutchoux
Lu sur BENOIT BROUTCHOUX : "A l'aube d'un jour de février 1902, un petit homme débarque à la gare d'Auchel, une ville du Pas-de-Calais. Cette nuit il a brûlé le dur.Pour échapper au contrôleur, il s'est caché sous une banquette de bois des 3e classes. Maintenant il se dirige vers un estaminet tout en soufflant dans ses doigts.C'est que ça pince salement ce matin. Vêtu d'un costume de velours élimé, le petit homme a plutôt l'allure d'un peintre bohème que celle d'un prolétaire. Sous sa casquette brillent des yeux clairs, malins et perçants. Il est jeune - une vingtaine d'années -, la moustache clairsemée sous un nez busqué. Court mais ramassé, costaud, énergique.À Montceau-les-Mines, là d'où il vient il possède déjà une réputation méritée d'agitateur anarchiste. Tout en marchant sur les pavés bosselés, le petit homme rumine des souvenirs. Il sait qu'il vient de tourner une page : une interdiction de séjour l'a exilé ici, dans cette région couleur de suie. Il redresse la tête, considère les tristes corons de briques sales, se marre dans sa moustache

Ah dis donc, quand il a cassé la binette au commissaire spécial de Chalon-sur-Saône... il n'en menait pas large, le quart-d'œil !

Ici aussi, il va leur en faire voir, et comment! aux pandores, aux juges et aux directeurs des Compagnies minières. Demain, son nom - un nom plutôt cocasse, qui fleure le terroir de son Charolais natal - retentira dans tout le pays minier.

Le petit homme résolu s'appelle Broutchoux. Benoît Broutchoux.

Une trentaine d'années plus tard, un jour de juin 1934, le même petit homme descend en gare de Lens, une méchante valise en carton à la main. Seul, mélancolique et fatigué, il revient faire un tour sur les traces de sa jeunesse turbulente. Un journaliste remarque le petit homme, le reconnaît, l'aborde. Le lendemain, un article fait la Une du Grand Écho du Nord: " Une figure oubliée : Un quart d'heure avec Benoît Broutchoux, une ancienne "vedette" du pays minier. "Une décennie passe encore, et le petit homme, malade, usé, meurt anonymement dans une bourgade du sud de la France, tandis que la guerre ravage la planète.En décembre 1976, dans un insolent petit journal lillois, Le Clampin Libéré, débute la parution en feuilleton des aventures en bande dessinée de Benoît Broutchoux.Interrompues à la mort du Clampin, en décembre 1975, Les Aventures épatantes et véridiques de Benoît Broutchoux, seront recueillies et publiées en album fin 1979, aux éditions Le Dernier Terrain Vague.Avant que ne paraisse la première édition de cette peu conformiste biographie, le nom de Broutchoux avait depuis longtemps sombré dans l'oubli. Seuls quelques vieux mineurs du Nord se rappelaient encore ce drôle de syndicaliste qui tenait des meetings juché sur un bec-de-gaz, tandis que les flics le tiraient par les pieds.

Dans la préface, nous écrivions alors : " Oui, un sacré zigue, Benoît Broutchoux. Un anarcho-syndicaliste, militant de la CGT d'avant 14. Mais ni la CGT, ni les anars ne se souviennent de lui. "

Aujourd'hui, Benoît Broutchoux a retrouvé sa place dans l'histoire de la Mine et du mouvement ouvrier. Oh, bien modestement encore, et pas toujours sous un jour flatteur, ainsi dans Mineur de Fond d'Augustin Visieux (Plon, collection Terre humaine, 1991), où l'auteur note : " Mon père n'avait aucune confiance en Broutechoux (sic), orateur anarchiste insatiable et outrancier. "

André Lebon, petit-fils de mineur, dans un livre consacré à son grand-père, Martin du Tiss, mineur en 1900, paru la même année que la première édition de Benoît Broutchoux, évoquait aussi au passage l'agitateur anarcho-syndicaliste.

Des étudiants, des universitaires, lui ont consacré des travaux. En 1986,une brochure de Force Ouvrière, à l'occasion de l'anniversaire de la Charte d'Amiens , a reproduit un extrait de cette bande dessinée. Même un ouvrage publié par la Fédération CGT des travailleurs du sous-sol, Nous les mineurs de Jean-Claude Poitou, s'est fendu de quelques lignes et d'une photo pour évoquer Broutchoux. Et des anars lillois ont fondé le Cercle libertaire Benoît Broutchoux. Il serait même question, paraît-il, de donner son nom à une rue d'une ville de l'ancien bassin minier.

Broutchoux incarnait un personnage populaire et sympathique, un "moment" de l'histoire syndicale des mineurs. Pierre Monatte, syndicaliste révolutionnaire de la CGT d'avant 14, puis rédacteur de La Révolution prolétarienne, a bien défini "l'esprit" de Broutchoux : " Son anarchisme n'était pas doctrinaire. Il était fait de syndicalisme, d'anti-parlementarisme, de libre-pensée, d'amour-libre, de néomalthusianisme, et de beaucoup de gouaille. Pour tous, amis et adversaires, il était Benoît, Benoît tout court. ". Pourtant Monatte et Broutchoux s'opposèrent souvent et Monatte, en dépit de sa sympathie pour Benoît, lui préféra toujours son collaborateur Dumoulin. Georges Dumoulin, trop sérieux, guindé, besogneux, était aux antipodes d'un Broutchoux. Il grimpa peu à peu dans la hiérarchie syndicale, tandis que Benoît ne dépassa jamais le stade des responsabilités à l'échelon local et départemental. Sincère sans doute, mais aussi intriguant et un tantinet borné, Dumoulin finira par considérer le syndicat comme une fin en soi.

"je ne pense pas le calomnier, écrivait Louis Lecoin, en affirmant qu'il ressembla trop à ces fonctionnaires syndicaux qui ne purent retourner au travail et abandonnèrent petit à petit sans même s'en apercevoir, toute aspiration profonde en faveur d'une véritable émancipation ouvrière. " L'attachement aveugle de Georges Dumoulin au principe d'un syndicalisme neutre et hypocritement apolitique le conduira à se compromettre avec la Charte du travail du gouvernement de Vichy.

Benoît Broutchoux, lui, se montra toujours tolérant, ouvert, peu sectaire. Dans son journal, L'Action Syndicale, il permettait à tous les courants du syndicalisme et de l'anarchisme de s'exprimer, ouvrant même ses colonnes aux partisans de Libertad, les anars individualistes de la rue du Chevalier de la Barm qu'il invita à Lens. Il les laissa cracher abondamment dans la soupe, c'est à dire démolir le syndicalisme dans un organe syndical, ce qui, de la part de Benoît, était faire preuve d'une remarquable largesse d'esprit. Ainsi l'ineffable Lorulot pouvait-il se fendre dans L'Action Syndicale d'un éditorial péremptoire contre "La Lâcheté ouvrière", signé Lord Hulot :

" La classe ouvrière, matée à coup de fusil par les despotes qu'elle accepte, n'a que ce qu'elle mérite. ( ... ) Par son silence, son inconscience, sa peur, sa lâcheté, elle s'est rendue complice des dirigeants et des capitalistes. " (le 18 août 1907. Cité par Jacques Julliard et vieux syndicat chez les mineurs du Pas-de-Calais).

Mais à force de se défier des chapelles, de refuser tout sectarisme, Broutchoux se retrouva isolé. D'un côté, les pontes de la CGT lui reprochaient de refuser la neutralité syndicale, de l'autre les "savantasses" individualistes, scientistes et illégalistes lui avaient fait mesurer le gouffre qui séparait leurs théories de la pratique. Benoît durcit alors sa position, se proclamant communiste révolutionnaire -pas au sens marxiste, mais plutôt dans l'esprit de Bakounine -partisan d'une avant-garde prolétarienne. Ce fut l'occasion d'un bref rapprochement avec les socialistes révolutionnaires, partisans de Gustave Hervé.

Après la Révolution russe, faisant toujours preuve d'optimisme et d'ouverture, Broutchoux voulut concilier libertaires et bolchéviques, en les déclarant "cousins". La déception fut brutale. Trop bonne pâte, Broutchoux encaissa beigne sur beigne. Ceci, ajouté à une série de drames personnels, devait finir par le démolir complètement.

Broutchoux était un curieux mélange de rigorisme et de gouaille populaire. S'il ne cultivait pas la sévérité de certains militants de la CGT, tel Dumoulin, Benoît était tout de même empreint d'une certaine rigueur. Autodidacte, il croyait aux vertus de l'éducation pour le peuple. Anti-alcoolique, il ne buvait que du thé et un peu de bière pour lutter contre la "dégénérescence de la race ". Néo-malthusien, il se bagarrait pour la limitation des naissances " au nom de l'hygiène, de la vraie morale, du mieux-être et de la liberté. ". Ce qui ne l'empêchait pas de conserver son côté fantaisiste et de composer son canard à la dernière minute, de louper tous ses trains, de rimailler des poèmes un peu fleur-bleue et de signer ses papiers de pseudonymes croquignolets, tels "A. Serbe", Adultérine" ou "C. Lexion".

Son logis, rue Emile Zola à Lens, était chichement meublé de caisses de crétonne et de planches où s'entassaient une vaisselle hétéroclite et une pagaille de bouquins en piles. On entrait là comme dans un moulin : un permanent remue-ménage ! Benoît, toujours accueillant et généreux, tenait table ouverte pour les camarades de passage, dans la grande tradition de l'entraide anar.

Fort et bagarreur, mais pas gratuitement violent, un rien soupe-au-lait le mettait facilement en rogne quand on l'agressait. Mais, incapable de rancune, il ne parvenait pas à en vouloir même à ses propres adversaires. Monatte lui reprochait sa bonhomie, et rapportait cette anecdote:

Comme nous revenions de Liévin, où j'avais été dire adieu aux camarades avec Broutchoux et Dehay, nous croisons sur la route un groupe dans lequel se trouvait Vermeersch, le correspondant du Réveil.

- Bonjour Benoît, lui cria Vermeersch, et Broutchoux de répondre:

- Bonjour Vermeersch.

Suffoqué, je ne pus m'empêcher de dire :

Comment, tu réponds au salut de cet individu qui te traite de mouchard dans son canard ?

Philosophe et trop bon enfant, Benoît me réplique :

- Bah! si ce n'était pas lui, ce serait quelqu'un d'autre.

Et Vermeersch de grogner dans le lointain contre les Parisiens qui se mêlent des histoires du Pas-de-Calais. "

Une autre fois, Broutchoux, sortant de la prison de Douai, rentre à pied et sans argent à Lens. Chemin faisant, il tombe sur le lieutenant de gendarmerie Coine, celui-là même qui est venu l'arrêter à son domicile quelques mois plus tôt.

- Et alors, Broutchoux ? " s'enquiert le lieutenant.

- Je sors de la taule de Douai et je suis pressé de casser la croûte... " répond paisiblement Benoît.

- Éh bien! Viens la casser chez moi. ". Et Broutchoux s'en alla déjeuner chez son emprisonneur.

Il ne faut voir là nul accommodement. Simplement, Broutchoux était exempt de fanatisme, et savait voir la personne humaine derrière le rôle assigné par la société. En cas de coup dur, Benoît était toujours prêt à payer de sa personne, assumait tous ses actes et ne cherchait à bénéficier d'aucune indulgence. Il fut un habitué des prisons et maisons d'arrêt du Nord.

Le bassin minier du Pas-de-Calais au début de ce siècle, tel que le découvre Benoît Broutchoux à son arrivée à Auchel, est une région où règne l'ordre des Compagnies minières omnipotentes.

Aux alentours de 1850, dans cette contrée encore rurale, on avait foré les premiers puits dans la grande fébrilité de l'aube de la civilisation industrielle. On assistait alors à une sorte de ruée vers le charbon, et pour accentuer l'aspect Far-West de la chose, les premiers mineurs, accourus pour la plupart du département du Nord, vivaient dans des campements rudimentaires. Le peuple de la mine était encore très vagabond, les gars -trimardeurs, ouvriers agricoles - changeaient souvent de lieu de travail. Cela ne faisait guère l'affaire des Compagnies, qui voyaient dans cette situation des ferments d'indiscipline, de laisser aller et de révolte. Il s'agissait de réglementer, d'ordonner et de policer tout ça.

Les Compagnies allaient s'atteler à bâtir de nombreuses institutions - logements, jardins ouvriers, caisses de secours et de retraite, écoles -pour fixer les mineurs et exercer sur eux leur emprise paternaliste du berceau au tombeau.

Au caporalisme qui régnait au fond s'ajoutait au jour un encadrement permanent. On cernait de grilles les cités minières, comme le décrivait Le Réveil du Nord, journal socialiste:

" Sur la route de Bully sont les corons des Brebis, ici vivent les emmurés... À perte de vue les maisons ouvrières dans un immense enclos et tout autour de hautes murailles ; de çà, de là, des grilles résistantes et puis des piliers de fonte où s'accrochent des chaînes, où se glissent des barres de fer et qui ferment les routes. On sent la terreur qui pèse sur tout le pays... Ses bâtiments [ceux de la Compagnie de Béthune] dont l'une des faces borde tout un côté de la Grand' place marquent bien la puissance insolente des Charbonnages. "

On entretenait entre les mineurs le mouchardage, l'esprit de concurrence. On les poussait à s'épier mutuellement, à surveiller la bonne tenue de la maison du voisin, de son jardin, la propreté de ses enfants. Le mauvais sujet qui s'écartait du code de conduite commun s'exposait à la réprobation de tous. Les Houillères invitaient aussi les ménagères à participer à des prix de tenue des logements. Le jour venu, un jury venait fureter dans la maison, inspectant meubles, placards, vaisselle et lessive.

Ces perquisitions au nom de la salubrité s'accompagnaient d'une inquisition morale, comme en témoignait un mineur de la Compagnie de Béthune à Bully-Grenay:

" Le gardien, à propos de bottes, pénètre chez vous, il faut qu'il sache s'il y a un bon dieu accroché au mur et si Saint Joseph occupe la place d'honneur. Il doit voir le journal qu'on lit; à tout propos il trouve une "avarie" et la fait réparer sur le dos de la quinzaine ; à la moindre rouspétance ce sont des gros mots et la menace d'être mis dehors. "

La Compagnie de Courrières réclamait un certificat de mariage religieux aux couples qui voulaient un logement ouvrier. Les Compagnies d'Anzin et de Noeux exigeaient des galibots qu'ils aient fait leur première communion pour les embaucher.

Au début de ce siècle, ces méthodes étaient à leur apogée, et mieux valait ne pas se frotter à la toute-puissance des Compagnies.

Pourtant la concentration exceptionnelle d'ouvriers dans le bassin minier avait entraîné la naissance - précoce par rapport à d'autres corps de métier - d'un syndicalisme de masse. Un syndicalisme bien particulier, cependant, coiffé bientôt d'une direction tout aussi paternaliste que celle des Compagnies.

En 1884, la fameuse grève d'Anzin avait été menée par le jeune Érnile Basly. Zola s'en inspira pour créer le personnage principal de Germinal, Etienne Lantier. Archétype parfait du militant mineur, Basly se vit propulser à la Chambre des Députés, puis, en 1891, à la tête du Syndicat des mineurs et de la mairie de Lens.

L'ex-"mineur indomptable" de la chanson (Le Métingue du Métropolitain : Paroles de Mac Nab) devenu notable, se mua en champion de l'arbitrage et de la conciliation. Selon lui, le syndicat devait permettre désormais d'éviter les heurts, c'est-à-dire les grèves. Les membres du comité directeur du Vieux Syndicat de Basly, convertis en cabaretiers, rabattaient les mineurs ravalés au rang de bétail électoral des députés socialistes Basly et Lamendin.

Au martyrologue de la classe ouvrière, le mineur occupait la place d'honneur : ilote, grattant la terre pour un salaire de misère, voué à toutes les catastrophes, rongé par la silicose; déchiqueté par les coups de grisou, broyé sous les éboulements. Le crayon de Grandjouan, Delanoy ou Steinlein le montrait hâve, tatoué de poussier, les poings serrés dans des gestes de révolte.

Le mineur était, comme l'écrit Jacques Julliard, (dans jeune et vieux syndicat chez les mineurs du Pas-de-Calais) " l'Ouvrier par excellence, le symbole du monde du travail luttant pour son émancipation. Il reste jusqu'au tournant du siècle cette avant-garde du prolétariat que sera le terrassier quelques années plus tard ou le "métallo" en 1936. " Mais, poursuit Julhard, " rien de plus particulier - et de plus particulariste - que le syndicalisme des mineurs : en dépit de ce qui vient d'être dit, aucun sentiment de solidarité avec le reste du prolétariat ; ( ... ) Chez eux, aucune perspective globale, aucun projet d'ensemble de transformation de la société, qui est le propre des organisations révolutionnaires. Au contraire, des querelles et des rivalités innombrables, interminables, entre générations de militants, entre bassins miniers, entre organisations rivales. Le processus est invariable: arrivé à l'exercice de la responsabilité syndicale la plus élevée, le boutefeu de la veille s'empresse d'abandonner ses idées révolutionnaires au profit d'un futur rival : c'est ainsi qu'on voit se succéder les Basly, les Rodet, les, Cotte, les Merzet, les Cordier, les Bartuel. "

Venu du bassin minier de Montceau aux solides traditions de luttes, Broutchoux allait se dresser violemment contre cet état de fait.

Anarcho-syndicaliste, partisan de l'action directe, de la grève générale et du sabotage, il devait aider la CGT à s'implanter dans le bassin du Pas-de-Calais pour combattre le socialisme bien pâlot de Basly.

La CGT d'alors se voulait antiparlementaire, indépendante des partis, vouée à la destruction du patronat et de l'État. Face au syndicalisme minier, elle était toute jeune, fondée en 1895, et bien que renforcée par sa fusion en 1902 avec la Fédération des Bourses, elle ne pouvait pas prétendre être un syndicat de masse ; elle regroupait plutôt les ouvriers travaillant sur de petits chantiers.

Fortement influencée par les anarchistes, la CGT n'était pas marxiste. D'ailleurs, avant 14, le mouvement ouvrier français n'était que peu marqué par le marxisme. Les guesdistes, qui s'en réclamaient, ne formaient qu'une minorité et les anarcho-syndicalistes ne donnaient pas cher de leur avenir. Les cégétistes partageaient avec Proudhon cette idée que la révolution est une exigence morale, tout en s'inspirant de l'anti-étatisme et du fédéralisme de Bakounine. la "Sociale" tant rêvée, on n'y parviendrait qu'en tirant le syndicalisme de ses limites étriquées, comme le disait Broutchoux : " Le syndicalisme ne peut pas être seulement une affaire de ventre, il est aussi un besoin du cerveau et du coeur. Il ne peut rester dans le cadre étroit du corporatisme, il embrasse, doit embrasser et embrassera tout l'horizon social. "

Broutchoux, syndicaliste, ne renia jamais ses convictions anarchistes ; quand il adopta les idées libertaires, la dynamite était passée de mode. Les thèmes qu'on discutait dans les milieux anars, et qui prédomineraient jusqu'à la Grande Guerre, étaient l'amour libre, l'anti-militarisme, la reprise individuelle, la limitation des naissances, le végétarisme, le naturisme, etc.

Sa fréquentation des libertaires de tout poil fournit à Broutchoux le brin d'illégalisme nécessaire pour jouer des tours pendables aux agents de l'Autorité et aux sbires des Compagnies, et échapper à leur vigilance.

Broutchoux mettait un point d'honneur à toujours prendre le train sans billet, il ne crachait pas sur la fausse-monnaie que fondaient d'ingénieux, compagnons dans des moules en plâtre, et ne dédaignait pas pratiquer modestement la "reprise individuelle". Ceci dit il considérait que l'illégalisme ne pouvait être qu'un" pis aller provisoire " et ne devait en aucun cas devenir un système (voir sa nouvelle Le Retour à l'improviste).

Sa personnalité et sa façon de vivre en firent une "affiche vivante" qui rassemblait plus facilement qu'un article ou une diatribe. Témoin la personnification du conflit entre ses partisans et ceux de Basly : dans le pays minier, on parlait des broutchoutards (ou broutchouteux, en patois) contre les baslicots.

Ce vrai héros populaire, avec sa gouaille et ses pieds-de-nez à l'autorité, n'est pas sans rappeler ses célèbres contemporains de papier, le trio des Pieds-Nickelés, dont les jeunes galibots dévoraient alors les aventures dans L'Épatant. Déjà rien que ce nom : Broutchoux, qui sonne comme Croquignol, Ribouldingue et Filochard.

C'est donc en pastichant le dessin de Forton que nous avions entrepris de narrer dans Le Clampin l'épopée de ce Pied-nickelé au service de la Sociale, tout en nous inspirant aussi du ton des feuilles anarchistes de l'époque - Le Père Peinard de Pouget en particulier, et leur imagerie - les illustrations de Jossot et Valloton, notamment.

Cette bédé (Pour l'obtenir - et on vous la conseille - : Edtions Humeurs Noires / Centre Culturel Libertaire de Lille) n'a jamais prétendu être la biographie complète, rigoureuse et définitive de Benoît Broutchoux. Celle-ci pourrait peut-être s'écrire si l'on retrouvait ses Mémoires et son journal, perdus en Vendée, à La Châtaigneraie, là où Broutchoux abandonna sa malle de bouquins pendant la débâcle de 1940.

Phil Casoar et Stéphane Callens







PREMIERE BAGARRE

C'est à Essertenne, un hameau de Saône-et-Loire, près de Montceau-les-Mines, que naquit Benoît Broutchoux, le 7 novembre 1879. Son père, Sébastien Broutchoux, était métallo. Quant à sa mère, Claire Lazareth, elle n'avait sans doute jamais entendu parler du néo-malthusianisme, car elle pondit huit moutards, dont Benoit était l'aîné. Tout môme, il commença à travailler comme charretier dans une ferme. Puis il se retrouva galibot au fond des mines de la Compagnie de Blanzy, à Montceau. Boulot bougrement pénible, et dangereux avec ça : à 14 ans, Benoît s'esquinta une jambe. Ce qui lui valut une indemnité de 15%, et de ne plus jamais remettre les pieds au fond. Deux années plus tard, il quitta ses vieux pour s'en aller sur le trimard. Un jour de 1898, il échoua sur le pavé de Paris. Là, il s'embaucha comme terrassier sur le chantier du métropolitain. C'est vers cette époque qu'il se mit à fréquenter les milieux anars et syndicalistes. Le raffut des bombes des adeptes du "manuel du parfait petit dynamiteur" s'était tu depuis quelques années, et les compagnons anarchistes se tournaient vers un autre moyen de chambardement : la grève générale. Pour se bagarrer contre les bouffe-galette, patrons et autres vampires capitalistes avides du sang des pue-la-sueur, les prolos se groupaient en syndicats. La Fédération des Bourses s'était formée en 1892, suivie trois années plus tard par la Confédération Générale du Travail. Les anarchistes, sous l'impulsion de zigues comme Fernand Pelloutier, étaient venus y mettre leur grain de sel : pas question de laisser les socialos réformistes s'emparer du mouvement syndical ! Les bons bougres prirent beaucoup d'influence dans les bourses du travail. En 1897, au congrès de la C.G.T. à Toulouse, Émile Pouget, le "gniaff journaleux" du célèbre Père Peinard, fit adopter le sabotage et le boycottage comme arme contre les patrons. Dans les bistrots, après le turbin, ça jactait ferme et les idées faisaient leur chemin. Broutchoux, tout frais débarqué de son Charolais natal, ouvrait grand les esgourdes, et bouquinait toutes brochures libertaires qui lui tombaient sous la main. Il ne tarda pas à en pincer pour l'anarcho-syndicalisme. Pendant son séjour à Paris, il milita au syndicat des terrassiers-puisatiers-rnineurs, et pondit déjà quelques articles pas piqués des hannetons pour une feuille anar, Le Chemineau. Le 28 avril 1898, il écopa d'une condamnation, la première d'une interminable série : 50 F d'amende pour "infraction au règlement des chemins de fer". Notre aminche avait en effet coutume de brûler le dur à la barbe des contrôleurs. Six mois plus tard, il fut conduit au violon pour "cris séditieux"... Ça aussi, cela allait devenir une habitude ! Au printemps 1900, Broutchoux revint traîner ses galoches à Montceau-les-Mines. Manque de pot, son numéro était sorti au tirage au sort de la conscription, et il devait passer devant le conseil de révision. En attendant de partir au régiment, Benoît décida de rester dans le coinceteau pour faire de la propagande anarchiste. Le 19 mai, il se fit remarquer dans une réunion publique organisée par la Jeunesse socialiste de Montceau. Benoît prit le crachoir, et ne le lâcha plus : exposant ses idées libertaires, il soutint que les parlementaires socialistes n'étaient que des jean-foutre ; ils promettaient la lune au populo pour mieux se goberger sur son dos, kif-kif les patrons. On s'en doute, les socialos présents n'apprécièrent pas bézef et ils se mirent à faire un chambard du diable. Mais Broutchoux s'était mis dans la poche une partie de l'auditoire, et quelques bons bougres couvrirent les voix des socialistes en gueulant à pleins poumons : " Vive l'Anarchie ! Vive les libertaires ! ". Notre aminche faisait du chouette travail, et bientôt naquit à Montceau une Bibliothèque d'éducation libertaire et sociale. Toute cette activité avait mis les flics sur le qui-vive. Müller, le commissaire spécial de Chalon-sur-Saône, rédigea une flopée de rapports sur le mouvement anarchiste dans lesquels il notait " Broutchoux est en train de fonder à Monteeau un groupe anarchiste qui compte déjà d'assez nombreux adeptes, des jeunes voyous braillards, des imbéciles et des hommes mauvais sujets, repris de justice bons à tout faire, la lie de Montceau ( ... ). Broutchoux est très intelligent, paraît-il. Il a bonne langue, la réplique aisée et ne se laisse pas facilement démonter. " Benoît, qui n'avait plus de boulot, se mit à composer des chansons anars antimilitaristes. En compagnie de deux poteaux, il les chantait et les vendait deux sous sur les marchés. Cependant, au Creusot, les métallos avaient lâché le turbin depuis la fin avril. René Viviani, socialo réformiste et futur ministre du Travail, était venu arbitrer le conflit et prônait la reprise du travail. Au cours d'un métingue, face à huit mille prolos, Broutchoux se paya la fiole de Viviani et fit décider la poursuite de la grève. Le 2 juin, les métallos vinrent manifester à Chalon-sur-Saône. De Joly, le préfet de police, fit tirer sur la foule. Le gréviste Brouillard resta sur le carreau. Lors des obsèques, Broutchoux prononça un violent discours. Les sergots l'empoignèrent au colbac, et une information judiciaire fut ouverte contre cézigue pour "excitation au meurtre et au pillage, injures à l'armée, paroles outrageantes au gouvernement parlementaire", rien que ça ! Broutchoux se retrouva derrière les barreaux de maison d'arrêt de Chalon. À sa sortie de taule, au mois de juillet, les bons bougres de la Bibliothèque d'éducation libertaire lui organisèrent une bath ribouldingue.

Peu de temps après, Benoît cassa la margoulette au commissaire Müller, qui commençait à lui courir sur le haricot avec sa manie de lui filer prtout le train. Le tribunal de Chalon condamna Broutchoux à six mois de prison et deux ans d'interdiction de séjour par défaut, car notre aminche s'était esbigné sans demander son reste. Il se fit tout de même pincer par la maréchaussée en octobre, à Montceau. Mais ce mariolle de Benoît faussa compagnie aux pandores à la première occase, et se réfugia en Suisse. Broutchoux avait besoin d'un faux blaze et il se souvient du Préfet de police de Saône et Loire, le triste De Joly. Va pour De Joly. Va pour Dejoly, en un seul mot ! Benoît ne resta pas longtemps en Helvétie. L'annonce d'une amnistie lui fit repasser imprudemment la frontière, tel le lapin qui met le nez hors du terrier, croyant les chasseurs partis. Mal lui en prit. A peine rentré au pays, les gendarmes lui passèrent les cadènes : l'amnistie ne s'appliquait pas à son cas. En décembre, il écopa pour "outrage à la gendarmerie", et début 1901, il comparut devant les jugeurs pour répondre du gnon flanqué au comissaire spécial. Le flic donna à la barre sa version de la bigorne : "Broutchoux me tenait par les bras", déclara-t-il. "Ce n'est pas vrai, gouailla Benoît, je le tenais par les oreilles... "Or, Broutchoux était de petite taille, tandis que le commissaire, une grande brute, mesurait près de deux mètres ! "N'aggravez pas votre cas en vous moquant du tribunal", gronda le Président. Et Benoît, pas désarçonné pour si peu, d'insister, à la grande joie de l'assistance : "Pardon, c'est la stricte vérité !" Défendu par Aristide Briand, ses deux condamnations furent confondues en quatre mois de cabane. Broutchoux était donc à l'ombre quand éclata la grande grève des mineurs de Montceau, qui allait durer 107 jours. Lorsqu'il fut libéré, ce fut pour être illico incorporé à l'armée, passant directement des griffes des chats-fourrés et des matons dans les pognes des traîneurs de sabre. Il en aurait fallu davantage pour refroidir son ardeur révolutionnaire, et Benoît risqua plus d'une fois Biribi. Un matin, son régiment partit pour Reims défiler devant le Czar Nicolas Il venu serrer la louche au président Loubet. Devant Reims, Benoît quitta les rangs et refusa d'avancer. C'est pour le coup que les gradés tirèrent une drole de bobine !

- Vous savez ce que vous risquez ! ", menacèrent-ils.

- Je ne risque rien " se bidonna Broutchoux et posément, il tira de sa tunique un arrêté d'interdiction de séjour.

- Je n'ai pas le droit de rentrer dans Reims !"

- Mais vous n'êtes plus civil, vous êtes militaire !"

- J'm'en fiche, je ne veux pas coucher en taule. " Il y coucha quand même, mais au gnouf militaire. Après la quille, en novembre 1901, Benoît décide de pousser jusqu'au Pas-de-Calais, le seul bassin minier qui ne lui fût pas interdit. Avec une poignée de copains, il arriva donc à Auchel en février 1902. Ils se joignirent à un groupe de révoqués de la Compagnie de Blanzy, qui turbinaient aux mines de Marles. Broutchoux s'établit d'abord à Noeux-les-mines au café Veuve Régnier. Cet estaminet était le siège d'une Société de longues pipes pour laquelle Benoît s'amusa à rédiger et dessiner un règlement. Mais il lui fallait travailler. Comme son nom figurait sur une liste noire, il emprunta ses fafiots à un poteau, Benoît Delorme. Sous ce blaze, Benoît s'embaucha comme terrassier aux chemins de fer de Béthune. Il vivait désormais avec une compagne, Fernande Richir, une anar originaire de l'Oise. Le couple s'installa à Lens, où Benoît trouva du travail aux fours à coke de la fosse 8. C'est dans ce décor de suie et de crachin, parmi les terrils et les puits de ventilation pareils à des Moloch de fer forgé qu'allait véritablement débuter son épopée.







BASLY-LA-JAUNISSE

En 1902, rue Gambetta à Lens, se trouvait un café dont le taulier se nommait Florange. Ce zigue là était le leader local du Parti Ouvrier Français de Jules Guesde. Dans son estaminet, entre force bocks de bière et canons de rouge, les bons bougres jactaient de la sociale, et collectivistes d'un côté, anarchos de l'autre, s'engueulaient comme du poisson pas frais. Parmi les habitués figurait bien entendu notre aminche Broutchoux, qui était alors délégué à la fosse 8, où il travaillait toujours aux fours à coke. Benoît et ses poteaux venus de Montceau-les-Mines possédaient une réputation des plus épastrouillantes, vu que là-bas les mineurs s'étaient appuyés de sacrées grèves mais sans jamais se dégonfler quand les cognes rappliquaient. Dans le Pas-de-Calais, il n'y avait plus eu bézef de bagarre depuis un bout de temps. Les gros coups remontaient à 1893 et 1884, date de la grève dont Émile Zola s'était inspiré pour son livre Germinal. Les plus combatifs des mineurs se rongeaient d'inaction. Il faut dire qu'Émile Basly, le président du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais et député-maire de Lens, qui avait dirigé autrefois la grève d'Anzin, et que Zola avait pris comme modèle de son héros Lantier, s'était fameusement ramolli depuis ces temps illustres. Basly était d'ailleurs cul et chemise avec Millerand, ministre du bloc républicain dont le socialisme se barrait en eau de boudin. C'est dire si les bons bougres de Lens étaient gâtés avec un veau pareil.

Mais il serait temps d'éclairer la lanterne du lecteur sur le sacré fourbi de Politicaillerie qui régnait alors l'époque, les socialos étaient divisés en une tripotée de cliques qui se chamaillaient et se bouffaient le nez tant qu'elles pouvaient. L'un de ces groupes était le P.O.F. de Jules Guesde pisse-froid à lorgnon, partisan du collectivisme étatique de Karl Marx, autre joyeux drille comme chacun sait. Fortement implanté dans le Nord, à Lille et Roubaix, le P.O.F. guignait du coin de l'œil le Pas-de-Calais où sévissaient les socialos réformistes de la clique à Basly. Les guesdistes se démenaient donc pour flanquer des bâtons dans les roues du syndicat des mineurs contrôlé par Basly. Voilà où en était la situation à l'automne 1902. C'est alors qu'une grève, visant à arracher la journée de huit heures, éclata dans le bassin minier, malgré toutes les tentatives de Basly pour la faire foirer. La grève débuta le 9 octobre et, en dix jours, toucha soixante dix-sept Compagnies. Cent mille mineurs lâchèrent le turbin. Benoît Broutchoux ne resta pas à se tourner les pouces. Et comme ce lavedu de Basly s'ingéniait à arrondir les angles avec les singes des Compagnies, Broutchoux alla porter la contradiction dans une de ses conférences, à Carvin. Mais il n'eut guère le temps de se payer la tête de "Basly-la-Jaunisse", car les Baslicots (c'est ainsi qu'on appelait les partisans du maire) lui tombèrent dessus à bras raccourcis, sortirent en lui bottant l'arrière-train. Ces cochons là auraient même fait un mauvais parti à notre aminche, si les sergots n'étaient pas intervenus. Pour le coup, c'était bien la première fois que Broutchoux se tirait d'un mauvais pas grâce aux flics ! Ces derniers ne tardèrent pas à revenir sur leurs bons sentiments... Quelques jours plus tard, Benoît, alors qu'il haranguait le populo du haut d'un bec-de-gaz, se fit cravater par les cognes pour "atteinte à la liberté du travail". "Liberté du travail", mon derche, renaudait Benoît, liberté de se faire exploiter, ouiche ! Un qui fut bien épaté, ce fut le procureur de Béthune, qui écrivait au Préfet, le 18 novembre 1902 : " L'individu condamné sous le nom de Delorme est réellement le nommé Broutchoux, anarchiste connu, celui-ci vient de l'avouer lui-même à l'instant... " Le vrai Delorme vint dire au tribunal qu'il avait prêté ses fafiots à Broutchoux, mais ce dernier, pour éviter une condamnation à son ami, protesta : - Je les lui ai volés. " Benoît se ramassa donc, en plus de quarante jours de trou pour les faits reprochés, trois mois pour usurpation d'identité. On le colla à la prison de Béthune, qui allait quasiment devenir sa résidence secondaire au cours des années suivantes. Pendant ce temps, la grève avait avorté, sabotée par Basly qui négociait avec les patrons. Certains mineurs en avaient gros sur la patate, témoin ce placard épinglé sur la porte d'un délégué baslicot, à Harnes : " Tu es encore plus rouffion que nous, Virel, tu vas gagner 7 francs à la fosse pendant que nous mourrons de faim. On te cassera la gueule. Tu peux le dire à ton fainéant de Basly. " Ou encore cette affiche : " Les Compes ont donné 20.000 francs au syndicat et à Basly pour nous trahir. À bas les vendus ! " La C.G.T. d'alors renforcée par sa fusion avec la Fédération des Bourses, était un puissant syndicat révolutionnaire qui se méfiait autant des partis politiques et des socialos réformisies, que de l'État et du Capital. C'est forte de cet esprit qu'elle entama sa propagande dans le pays minier. Au même moment, les guesdistes décidèrent de fonder une Fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais, qui rallierait tous ceux à qui Basly puait au nez. Ce "Jeune Syndicat", comme on le surnomma, ce par opposition au "Vieux Syndicat de Basly, tint son premier congrès le 25 janvier 1903. Au départ, c'était Jeune surtout une combine du P.O.F. qui, suite à une veste aux élections de 1902 dans le Pas-de-calais comptait désormais se bagarrer sur le plan syndical pour mieux s'implanter dans le bassin. Mais ce que le P.O.F. n'avait pas prévu, c'est que Broutchoux et les anars allaient rafler la direction du jeune syndicat, et paf ! couillonner guesdistes et baslicots... L'année 1903 pointait le bout de sa tronche. Les mineurs en tiraient plutôt une sale. Après la grande débandade de la grève générale de 1902, il n'y avait pas de quoi pavoiser. Le Jeune Syndicat qui venait de se créer pour faire la nique au "Vieux" ne grappillait guère d'adhésions. Si pas mal de mineurs écœurés avaient quitté le Vieux Syndicat, ils n'avaient pas pour autant rappliqué dare-dare dans les rangs du "Jeune". Cependant ce dernier n'était pas maqué par les notables comme le Vieux Syndicat, qui faisait la retape pour les deux députés de Lens et de Liévin, Basly-la-Jaunisse et le gros Lamendin. Le premier secrétaire du Jeune Syndicat, Goudemetz, guesdiste déclaré, avait défini ainsi son organisation : " Un nouveau syndicat dont les élus seraient écartés ", ajoutant, histoire de se dorer la pilule : " Nous avons la prétention d'être plus nombreux qu'à la vieille baraque. " Ce ne fut toutefois pas un raz-de-marée, mais il y eut quand même 840 adhésions, et par la suite 350 à 400 zigues cotisèrent régulièrement, répartis en treize sections. Ca ne faisait pas lourd, mais de son côté le Vieux syndicat était tout aussi maigriot. Pourtant, il avait les moyens de se payer deux permanents, avec le reliquat de la galette amassée lors des grèves précédentes. Les deux pochetées en question avaient pour blaze Florent Evrard, le secrétaire, "un bœuf au travail", selon Monatte, et Casimir Beugnet, "chargé d'intervenir dans toutes les réunions difficiles ". Il faut dire que Basly, quand il tenait un métingue, ne cassait pas la baraque. Il se prenait même de tels bides qu'il devait racoler, pour faire la salle, les employés de la ville de Lens.

Au Jeune Syndicat, par contre, la caisse était aussi vide que le crâne d'un adjudant de gendarmerie, et il était hors de question de payer des permanents. Les dirigeants, qui tous avaient été virés de la mine par les Compagnies, se débattaient dans une dèche noire. Ils vivotaient tant bien que mal, réduits à faire trente-six métiers. Pierre Monatte, alors militant de la C.G.T., en cause dans ses souvenirs : " Le secrétaire Phalempin, de Fouquières-les-Lens, un renvoyé de 1902, gagnait sa vie en vendant du poisson par tous les temps de coron en coron. Quand il avait remisé sa baladeuse, il enfourchait sa bicyclette et venait à Lens s'occuper du syndicat. Le trésorier, Augustun Dehay, un autre renvoyé, avait trouvé du travail comme revendeur de journaux. A quelques uns, ils avaient été embauchés par le quotidien d'information de Lille, Le Grand Écho du Nord, dont la vente dépassait très sensiblement dans le bassin celle du Réveil du Nord, le quotidien lillois auquel collaborait Basly.

La dèche s'aggravant, les principaux guesdistes du Pas-de-Calais, Goudemetz en tête, déclarèrent forfait et s'embarquèrent pour l'Amérique, au début de l'année suivante. Et Benoît Broutchoux, qu'est-ce qu'il goupillait, pendant ce temps là ? Sorti de prison à l'aube de 1903, il était un peu plus verni que ses camaros. En effet, le Jeune Syndicat n'avait eu jusqu'alors que les colonnes de La Voix du Peuple, organe de la C.G.T., ou celles du Travailleur, feuille de choux du P.O.F., pour y caser sa prose. Mais une équipe de guesdistes, de syndicalistes révolutionnaires et d'anarchos venait de lancer à Lens un hebdomadaire, Le Réveil Syndical. Benoît en était l'unique permanent, et bien souvent le principal rédacteur. Autant dire que c'est lui qui donnait le ton. Le premier numéro du Réveil parut le 27 avril 1903. Le canard portait en exergue cette devise : " Peuple, guéris-toi des individus, fais tes affaires toi-même ! " Il devait succomber le 10 janvier 1904, " sous une avalanche de papier timbré ", selon le mot de Broutchoux. Qu'à cela ne tienne, il fut illico remplacé une semaine plus tard par L'Action Syndicale. Ce brûlot se bombardait "anticlérical, antimilitariste, anticapitaliste, antifumiste et grève généraliste". "Antifumiste", ça visait les baslicots. L'Action comportait une rubrique époilant intitulée "La Journée des Bourreaux de Béthune", qui tenait à jour les condamnations distribuées à la diable en audience de flagrant délit. Justement, au printemp 1903, Benoît avait retâté de la taule pour "tapage nocturne et outrages au juge de paix", suite à un peu de raffut lors de l'anniversaire de la Commune de Paris que Basly, soucieux de ménager ses chers administrés, avait interdit de fêter à Lens. Notre aminche allait encore se taper de la prison l'année suivante suite à une affaire plutôt croquignolette. Il faut tout d'abord rappeler qu'en ce temps-là, les anars étaient déjà de fervents prosélytes de l'amour libre et de l'éducation sexuelle. Emma Goldman, la légendaire anarchiste américaine, avait montré la voie. Et les bons bougres s'efforçaient de la suivre. Paul Paillette, caustique chansonnier anar, plaisantait sur le sujet : " En supposant qu'j'aurais une femme / Qui s'f rait s'couer par un autr'garçon, / s'ensuivrait, d'après leur programme, / Qu'faudrait pas qu'all' passe à chausson ? / Au lieu d'y filer un'mandale, / J'y dirais : "Ma fille, tu fais bien / Si ça te plait." En v'là d'la morale ! " Sur la fiche de police de Broutchoux, à la question : " Se livre-t-il à la débauche et au libertinage ? ", un flic avait répondu : " Un peu au libertinage... " Mais on peut se demander ce que le lardu entendait par "libertinage" ? Benoît, qui créchait alors 69 rue Émile Zola à Lens (il emménagera plus tard au numéro 1), vivait toujours avec Fernande, dont il ne se séparera jamais. Broutchoux en pinçait drôlement pour sa compagne, témoin les poèmes qu'il lui dédiait dans L'Action Svndicale, Benoît et Fernande se fendaient tous deux de chouettes papiers : " Ce devrait donc être très naturel de voir les filles et les garçons ayant atteint l'âge de la liberté se donner librement les uns aux autres. Eh bien non ! Pour être convenable aux yeux du monde, il est défendu de forniquer sans demander la permission à un curé qui a fait voeu de chasteté et à un maire qui prend ses électeurs pour des bêtes à cornes. "

Les anars faisaient aussi propagande pour l'avortement et les moyens contraceptifs rudimentaires d'alors, car ils étaient aussi partisans du néo-malthusianisme, c'est-à-dire de la réduction des naissances à la portion congrue : " Pour ne pas être trop sous la coupe patronale, il faut éviter d'avoir une famille nombreuse. "

Basly, qui ne perdait jamais une occasion de débiner Broutchoux, s'empressa de prendre la plume pour jouer les père-la-pudeur dans Le Réveil, et attaquer L'Action Syndicale et son rédacteur: " Un homme qui n'est ni un mineur, ni un citoyen, ni un honnête homme... Une feuille publiée par un repris de justice, où les représentants des ouvriers sont traités de charlatans, où les femmes sont traitées de filles publiques, où l'on fait des cours d'avortement et où les Compagnies seules sont respectées pour des raisons que l'on devine-" Un autre chieur d'encre du Réveil, un dénommé Vermeersch, lèche-cul attitré de Basly, traitait Benoît de "Broutchoux-le-mouchard" et de "policier Broutchoux". De quoi se tirebouchonner quand on sait que Basly était par ailleurs à tu et à toi avec le Préfet et toute la flicaille. Pour preuve, cette lettre qu'il envoya le 13 mars 1904 au Préfet, suite articles de L'Action Syndicale sur l'amour libre " Monsieur le Préfet ( ... ) c'est une honte publique comme premier magistrat d'une grande ville ouvrière en butte aux attaques sans nom de cette bande de malfaiteurs, j'ai le devoir et le droit de rechercher toutes les complicités et toutes les complaisances dans une affaire aussi honteuse et contraire à la morale publique. " À quoi le lardu en chef répondit : " L'article ne m'avait pas échappé. Je suis absolument résolu à empêcher ce journal de continuer. " Des poursuites furent engagées contre L'Action. Un juge lui colloqua d'abord une amende pour "article pornographique". Jugeant cette peine insuffisante, le Préfet interviendra derechef. Finalement, le tribunal de Béthune octroya vingt jours de ballon à Broutchoux pour "outrages aux bonnes mœurs". Ce n'est pas ça qui risquait de le calmer ! À peine hors du trou, Broutchoux s'empressa de récidiver. Ne laissant jamais passer une bonne occase de se fendre la poire, il organisa aussi sec une tournée de conférences sur le thème : " VOUS DEVEZ JOUIR DE LA VIE ET NON EN SOUFFRIR - Entrée OF 20 - Gratuite pour les femmes. Le Préfet et le procureur sont spécialement invités ! ".

L'année 1904 s'acheva sur un coup dur pour Benoit et Fernande. Ils perdirent leur premier fils, Germinal, âgé de trois mois. En ce début de siècle, les maladies ne pardonnaient pas et la Camarde fauchait les gosses par pleins tombereaux... Le 10 janvier 1905, c'est Louise Michel qui mourait, dans un miteux galetas de Marseille ; Louise Michel, la "Vierge rouge de Montmartre" qui avait fait le coup de feu sur les barricades de la Commune contre les charognards versaillais et qui, déportée en Nouvelle-Calédonie, puis amnistiée, continua à se bagarrer sans trêves pour la révolution sociale et l'Anarchie. Usée par son combat, elle venait de s'éteindre au cours d'une de ses tournées de conférences. Ramené à Paris, son corps fut, selon ses voeux, enterré au cimetière de Levallois-Perret auprès de celui de son compagnon Théophile Ferré fusillé en 1871 par les sbires du sanglant Gallifet.

Dans le cortège qui suivait le corbillard et s'étendait immense de la Gare de Lyon à la Bastille, Broutchoux jouait des coudes et fendait la foule. En effet, une lourde peine lui pendait au nez pour agitation et il cherchait un zigue à la coule pour s'occuper de L'Action Syndicale pendant sa prochaine villégiature forcée... Benoît avait en vue un gars, qu'il comptait dégotter dans le cortège funèbre : Pierre Monatte, un jeune correcteur d'imprimerie qui tâtait aussi du journalisme dans Le Libertaire et Les Temps Nouveaux. Voilà pourquoi Broutchoux se faufilait parmi le populo venu accompagner la pétroleuse au grand coeur à sa dernière cambuse.

" Broutchoux était venu de Lens pour l'occasion. ", relate Monatte, " Bien d'autres étaient venus de leur province. On a souvent rappelé qu'Aristide Briand, déjà député socialiste de la Loire, mais pas encore un renégat, fit tout le trajet, de la gare de Lyon au cimetière de Levallois, à côté d'Émile Pouget, le vieux Père Peinard, alors rédacteur de La Voix du Peuple, l'hebdomadaire de la C.G.T. "

Peu après, Monatte débarquait dans le Nord, qu'il connaissait déjà pour y avoir été pion dans un collège. Un mois plus tard, Broutchoux, déjà incarcéré à Béthune, repassa devant le tribunal pour une autre affaire, pas très grave, pour laquelle il escomptait un acquittement. Mais bernique, il se prit trois mois fermes de rabiot. Monatte, présent dans la salle et estomaqué par ce jugement, gueula un grand coup : " À bas le tribunal ! " Les pandores l'alpaguèrent sur le champ, et il écopa aussi sec de six mois. Mince de déveine ! Heureusement pour cézigue. Quelques jours plus tard, la Cour d'appel de Douai lui accorda le sursis.

Pierre Monatte était libre de s'atteler à la conduite de L'Action Syndicale. Entre ses mains, la ligne changea un tantinet. Il faut bien dire que Broutchoux ne s'embarrassait pas trop d'idéologie et de grandes tirades théoriques. Il affectionnait par contre les histoires croquignolettes qu'on lui rapportait sur le compte de ses ennemis. Ainsi dans les colonnes de L'Action Syndicale, Benoît et Fernande déballaient les aventures galantes du "Czar de Lens" Basly, se payaient la fiole de Casimir Beugnet, dont le penchant pour la boutanche était notoire, ou encore en racontaient des salées sur le compte des ratichons du coinceteau. Justement, l'un d'eux était descendu à Arras pour une retraite ecclésiastique et s'était installé bien peinard dans un hôtel près de la gare, en compagnie de deux gonzesses plutôt girondes qu'il faisait passer pour ses nièces. Tu parles ! en fait de nièces, il s'agissait d'une paire de tapineuses délurées avec lesquelles l'ensoutanné jouait à "viens voir le p'tit Jésus dans sa crèche". Une feuille de choux locale, L'Avenir d'Arras, s'était indignée devant " ces actes que la morale réprouve ". Fernande Richir, elle, avait trouvé l'histoire plutôt bath, estimant qu'il valait mieux que le corbeau " oublie son voeu de chasteté avec des femmes plutôt qu'avec des enfants confiés à son éducation. " Bref, grâce à deux filles de bordel, un enfant de choeur l'avait peut-être échappé belle ! Monatte, moins facétieux que Broutchoux, estima que ces anecdotes n'avaient rien à voir avec le syndicalisme ouvrier.

Et le temps qu'il s'occupa de L'Action, il se refusa à les passer, comme en témoigne cet incident qu'il rapporte : " Peu de temps après mon arrivée, je fus appelé dans un estaminet. Là, deux ou trois messieurs voulaient me mettre au courant d'une histoire survenue à Basly. Un de ses amis l'avait trouvé en compagnie risquée avec son épouse et l'avait flanqué à la porte. L'histoire était piquante, évidemment. Mais avait-elle sa place dans L'Action Syndicale ?

- Si Benoît était là, il la mettrait dans le journal, me dit-on.

- Possible. Mais je ne vois pas très bien le rapport qu'elle a avec le syndicalisme. Quand Benoît sera revenu, il fera comme il l'entendra. Excusez-moi, mais je crois pouvoir faire autrement. Assurément, un petit filet relatant cet exploit galant de Basly aurait amusé nos lecteurs.

Je doute qu'il eut porté atteinte à sa réputation. Au contraire peut-être. Etre un bon coq vous fait plutôt considérer en pays flamand.

Mais qui m'avait fait appeler ? Je racontais l'affaire à Dehay. C'était de bons bourgeois de Lens. Pour eux, du moment que nous menions la vie dure à Basly sur le terrain syndical, nous étions comme eux des antibaslicots. A Lens, on se classait entre baslicots et antibaslicots, plutôt qu'entre jaunes, réformistes et révolutionnaires."

En ce printemps 1905, la C.G.T. préparait le mouvement pour les huit heures de boulot maximum, orchestré par le fameux slogan "huit heures de travail, huit heures de loisirs, huit heures de repos". Mais, dans le Pas-de-Calais, depuis l'échec de la grève de 1902, les mineurs avaient le moral à zéro. Ils n'avaient plus goût à la bagarre sociale. Même ceux du Jeune Syndicat n'étaient pas très flambards. Pierre Monatte put s' en rendre compte au cours des réunions qu'il tenait. C'est à l'une de ces occasions qu'il fit la connaissance de Georges Dumoulin, un ancien guesdiste passé au syndicalisme révolutionnaire, mais qui, déçu par le peu de mordant des mineurs, versait alors un tantinet dans l'anarchisme individualiste. Pourtant les huit heures n'allaient pas tomber toutes cuites. Si les mineurs ne se remuaient pas pour secouer les puces aux singes des Compagnies, ils pourraient toujours attendre... Il faut avouer que les gueules noires du Pas-de-Calais n'étaient pas précisément ce qu'il est convenu d'appeler "la pointe du mouvement ouvrier". Le camaro Monatte le déplora lui-même : " Aucune solidarité au travail. Aucune solidarité entre les mineurs du Pas-de-Calais et ceux des autres bassins français ( ... ). Aucune solidarité entre les mineurs français et les mineurs des autres pays. Une grève en Allemagne ou en Angleterre était une occasion pour faire de longues coupes supplémentaires. Bonne occasion, aussi d'ailleurs, en cas de grève française pour les mineurs étrangers... " Cependant rayon politicaillerie, les socialos de tout poil, après s'être crêpé la barbiche et piétiné les lorgnons pendant des lustres, venaient enfin de se rabibocher, et, soudain copains comme cochons, fondaient la S.F.I.O. Le 27 juillet 1905, un congrès régional ratifia dans le Pas-de-Calais la décision nationale. Émile Basly et Jules Guesde jumelaient leurs barbes, et toute rivalité cessait entre guesdistes et baslicots. Mais le Jeune Syndicat était passé définitivement entre les mains des anarchos. En octobre 1905, Broutchoux fut libéré et Monatte, sa tâche accomplie, mit les bouts, s'imaginant qu'il ne remettrait pas les pieds de sitôt dans le pays minier. Ce en quoi il se gourait fameusement, car un formidable chambard allait l'y rappeler moins de six mois plus tard...







LE CRIME DE COURRIERES

Samedi 10 mars 1906. Une aube grisâtre grimpe au-dessus des corons et l'équipe de jour rempile au turbin. Par petits groupes, les mineurs se pointent aux fosses de la Compagnie de Courrières - la 3 de Méricourt, la 2 de Billy-Montigny, la 4 de Sallaumines. À six heures moins le quart, le chef porion Carrière et le délégué mineur Ricq discutent avec l'ingénieur. Tous deux s'opposent à la descente des gars du poste du matin. Depuis plusieurs jours, un incendie fait rage dans la veine Cécile, à trois cent trente mètres de profondeur. Les ingénieurs se sont contentés d'emprisonner le feu par des murs de briques et de ciment. Ricq, lui, estime qu'il faudrait inonder la veine. Seulement voilà, cela empêcherait l'extraction pendant au moins deux jours. Arrêter l'extraction : Impensable ! Les actions de la Compagnie cesseraient de grimper, les dividendes de tomber dans les morlingues des rentiers rapaces. Pourtant, ce matin là, ça sent le roussi. L'ingénieur téléphone à Billy Montigny, et le verdict de la direction tombe : Ordre de descendre ! " A six heures du matin, 1650 gueules noires s'enfoncent dans les trois puits. Une demi-heure plus tard, un boucan terrible secoue tous les patelins des environs. Une déflagration effroyable vient de ravager trente-trois bornes de galeries, et 1101 pauvres bougres ne reverront jamais le jour. Ce n'était pas un coup de grisou, mais une explosion, provoquée par l'incendie, des gaz délétères qui s'étaient accumulés dans les veines laissées en friche. La Compagnie ne se cassait pas le bonnet à les faire remblayer, préférant utiliser tous les bras à gratter le charbon. La nouvelle se répandit à toute berzingue. Les familles rappliquèrent des corons voisins ; le sauvetage s'organisa. Quelques mineurs réussirent à se tirer des puits 10 et 11, échappant à l'enfer. Ricq descendit avec quelques zigues courageux, et réussit à ramener dix-sept gars en piteux état. Les ingénieurs s'étaient opposés à cette incursion, et le directeur de la Compagnie, Lavaurs, avait boni à Ricq qu'il se lavait les mains de sa mort éventuelle... Le lendemain, dimanche, un populo monstre se tenait aux abords des fosses. Encore sous le choc du drame, la foule restait peinarde. Lundi 12, la descente s'effectua normalement, malgré les tracts distribués par le jeune syndicat : " Debout, et faisons respecter notre sang et notre classe ! ".

Le mardi eut lieu l'enterrement des premiers corps. Sous une tourmente de neige, les cercueils de macchabés non identifiés s'entassèrent dans la fosse commune. Lors de la cérémonie officielle, des petits morveux des Jeunesses Catholiques portaient les cercueils, ce qui fit dire aux mineurs : " Ch'est des fils d'actionnaires qui apportent l'ouvrache d'leurs pères ". A la tribune, au milieu des curetons, des représentants de la gouvernance et du Vieux Syndicat, se profilaient les vilaines bobèches du directeur Lavaurs et de l'ingénieur en chef Bar. Quand ce dernier voulut prendre la parole, le Populo, jusque là accablé et muet, se mit en pétard et l'empêcha de jacter :

" Qu'on l'enterre avec ! Jetez-le avec les cadavres ! Assassin ! À mort ! ". Et les bons bougres de s'époumoner: " Vive la révolution ! Vive la grève ! " Le lendemain, brutalement, les mineurs de Dourges, Ostricourt et Courrières refusèrent de descendre. Le 15 mars, la grève déferla sur tout le bassin. Des groupes de grévistes allaient de fosse en fosse propager le mouvement. Lens et Liévin lâchèrent le turbin à leur tour. Seul Bruay resta jaune. Le vieux syndicat, bousculé et dépassé par les événement réunit en toute hâte son bureau pour pondre une liste de revendications, sans demander d'ailleurs aux mineurs si ça leur chantait ou non.



Pendant ce temps, le Jeune Syndicat nomma un comité de la grève". Broutchoux en faisait partie, ainsi que Monatte, venu en hâte de Paris aussitôt connue la nouvelle de la catastrophe. Benoît lança un slogan qui allait connaître un sacré succès : huit heures - huit francs !" Deux jours plus tard, Clémenceau, qui venait d'être nommé ministre de l'Intérieur du cabinet Sarrien, se pointa à Lens. Un rapport du commissaire spécial de Lens l'avait rancardé sur Broutchoux, signalé comme un agitateur important. Clémenceau rencontra Basly en loucedé, puis tenta de dénicher Broutchoux. Faute de lui mettre la main dessus, le ministre dut se contenter d'une entrevue à la Maison du Peuple avec Monatte, Plouvier et Delacourt, tous du comité de grève. Celui qui ne tarderait pas à se surnommer lui-même "le premier flic de France", mais qui avait dit aussi " celui qui n'a pas été anarchiste à seize ans n'a pas de coeur... ", donna l'assurance de ne pas envoyer la troupe. Le comité, de son côté, assura que " son intention n'était pas de détruire les puits. " Le 18 mars eut lieu la première rencontre des syndicats avec les singes des Compagnies. Ceux-ci ne lâchèrent que quelques chiures de mouche. Le lendemain, la grève continua à l'unanimité. Le mardi 20, le Jeune Syndicat lança un appel à l'unité : " Nous rêvons à la formation d'un comité de grève avec Jeune et Vieux Syndicat ", déclara Broutchoux. La réponse des baslicots ne se fit pas attendre : Que la Fédération Syndicale se débarrasse d'abord des parasites, c'est-à-dire des étrangers au monde des mineurs, et des repris de justice, tel Broutchoux ce gibier de bagne, vautour de l'Anarchie. "

Ce même jour se tenait à l'hôtel de ville de Lens un congrès des délégués baslicots des trois bassins. De leur côté les broutchouteux accueillaient à la gare une anarchiste venue de Paris, la citoyenne Sorgues. Au nombre de deux mille, brandissant des drapeaux rouges, ils marchèrent sur la mairie gardée par un escadron de pandores à cheval.

En deux temps, trois mouvements, notre aminche se fit cravater par les bourres, avec la complicité des baslicots. Ses camaros se mirent à faire un raffut de tous les diables autour de l'hôtel de ville, désormais cerné par la troupe. À la sortie du congrès, il y eut du pétard. Casimir Beugnet et Évrard, du Vieux Syndicat, se firent proprement casser la margoulette, en dépit de la présence des cognes. A Béthune, le 23 mars, Broutchoux récolta deux mois fermes pour "violence à agent et rébellion, Décidément notre poteau collectionnait les condamnations comme d'autres les étiquettes de calendos. Une fois Benoît au trou, le Vieux Syndicat reprit du poil de la bête et récupéra la direction du mouvement. Mais le 30 mars, un fait nouveau se produisit : treize survivants, treize morts-vivants, plutôt, furent remontés à la surface, vingt jours après la catastrophe. La colère gronda : depuis le début des recherches, ces jean-foutre d'ingénieurs préféraient expédier les équipes de secours combattre le feu dans les veines riches, au lieu de les envoyer déterrer les pauvres diables encore en vie. Bien sûr, depuis le jour du drame, les pisse-copies des canards bourgeois levaient les bras au ciel en invoquant la fatalité. Ils tartinaient sur le prétendu dévouernent des ingénieurs, s'extasiaient devant les bidules perfectionnés utilisés par les sauveteurs. Parmi ces derniers, on comptait toute une cargaison d'Alboches dépêchés par le Kaiser pour épater la galerie. Pour rester dans les fouteries de même farine, il faut ajouter que la tragédie faisait vibrer la corde sensible chez les mijaurées emperlousées de la haute. Elles organisaient des ventes de charité et des gueuletons au profit des familles des victimes. Ça commençait à bien faire, foutredieu ! Depuis plusieurs jours, on sentait qu'il allait y avoir du vilain. Déjà plus d'un jaune s'était fait rosser par les grévistes. Euxzigues baladaient les rouffions avec des pancartes vachardes autour du cou, et les forçaient à chanter L'Internationale, histoire de leur passer l'envie de doubler les camaros. Et le 30 mars à Hénin, ça tourna au vinaigre : un jaune nommé Carron buta le gréviste Botel au cours d'une bagarre. Si les flics n'étaient pas intervenus, le rouffion aurait salement dégusté !

Dans tout le pays minier s'installa un climat de guerre civile. Les gendarmes juchés sur leur canassons patrouillaient sans relâche. Les estaminets étaient bouclés à neuf heures du soir. De leur côté, les grévistes flanquaient par terre les grilles installées autour des corons par les Compagnies. Ils dynamitaient les voies ferrées, tendaient des fils de fer dans les rues pour empêcher les charges de dragons. Et les négociations piétinaient toujours.

Le 5 avril, le dernier rescapé, Berthon, fut arraché à la mine. Des tas de macchabées pourrissaient encore dans les galeries. Les manifestations de femmes pour exiger la remontée des corps prirent une ampleur inouïe. Elles esquintèrent des ingénieurs et jetèrent des pierres sur deux biffins qui gardaient la fosse. L'état des cadavres de certains mineurs prouvait qu'ils avaient calenché bien après la catastrophe. Le 6, la grève était maintenue. Les délégués exigeaient 7F 18 par jour, sans prime, les Compagnies ne voulaient cracher que 4F 80, plus 1 F 92 de prime. Le 14 avril, une nouvelle entrevue Syndicats-Compagnies, au ministère des Travaux publics à Paris, aboutit à nibe. Deux jours plus tard, pourtant, une Compagnie, celle de Maries, lâcha le morceau et accorda 7F 24 par jour à ses ouvriers. Alors, le 17 avril, le couvercle de la marmite sauta… À Liévin, l'émeute éclata le matin. Une foultitude en furie lapida la caserne de la maréchaussée : on retira de la cour plus de trois brouettées de cailloux. Des renforts radinèrent dare-dare. Montés sur un moteur-à-crottin, les dragons et les gendarmes épinglèrent trois ou quatre grévistes. Le populo rudement échauffé, se mit à faire un chambard du tonnerre pour obtenir la libération des prisonniers. Sur ces entrefaites, Lamendin, le député-maire socialo de Liévin, se pointa pour arrondir les angles. Mais les manifestants ne s'en laissèrent pas conter, et braillèrent de plus belle " À bas les pandores ! Vive la grève ! Il nous faut les prisonniers ! Qu'on tire sur nous, nous ne bougerons pas ! " Ça bardait ! Le Préfet et un galonné vinrent voir de quoi il retournait. Finalement, les captifs furent relâchés, histoire de calmer la foule. Mais les gars de la mine, jusque là réputés pour leur docilité et leur fatalisme, avaient bouffé du fauve !

L'échauffourée continua, et on vit même les dragons et les cognes se débiner à bride abattue devant les grévistes déchaînés. Pendant que se déroulait tout ce schproum, des manifestants mettaient à sac la turne d'un jaune, réduisant son mobilier en cure- dents et lui barbotant sa vaisselle.

Le lendemain, 18 avril, Liévin s'éveilla en état de siège. Au cours de la nuit , des trouffions du 3e génie d'Arras, des cuirassiers et des dragons avaient investi le patelin.

A midi, après avoir cassé les carreaux des maisons des ingénieurs et chefs de service, les grévistes de Liévin sur Lens. Ça allait chauffer ! Au nombre de 12000, les émeutiers prirent d'assaut cambuse de Reumaux, le directeur général des mines de Lens. Les bons fieux défoncèrent la grille d'entrée du château, et le mirent à sac. Les fenêtres furent pulvérisées, les meubles transformés en sciure, et la vaisselle en verre pilé. Quand Broutchoux apprit le saccage, du fond de sa cellule, il eut ce mot épatant " On nettoie l'argenterie ! " Cinquante gendarmes vinrent délivrer la femme de Reumaux qui faisait sous ses jupons, barricadée dans sa cuisine pendant la razzia. Puis arriva un détachement de soldats du 73e d'infanterie. Ça cogna ferme, et sept zigues furent alpagués.

Cette jaunisse de Basly ramena sa fraise pour prêcher le calme, mais cela fit autant d'effet que s'il avait pissé dans son melon. Les mineurs dépavèrent les rues voisines, tendirent des fils de fer et des chaînes pour empêcher les chevaux de passer, bloquèrent la voie ferrée. A 3 heures de l'après-midi, une barricade s'éleva. Les grévistes balançaient des cailloux du haut d'un pont sur le trognon des argousins. A 4 heures, les rues étaient barrées par des haies de cuirassiers et de dragons. Un quart d'heure plus tard, les manifestants tentèrent de forcer le barrage de la rue Arthur Fauqueu. Brandissant leurs coupe-choux, les dragons chargèrent.

Et c'est alors que le lieutenant Lautour, du 5e dragon, se prit en pleine poire un énorme paveton et resta raide sur le carreau. Il devait calencher dans la nuit. Lautour ratatiné, le colonel ordonna à ses hommes de déloger les grévistes qui tenaient le pont. Les biffins mirent baïonnette au canon. Une sommation. Deux sommations. Les Lebels se pointèrent sur la foule... les trouffions commencèrent à avancer... pas à pas, les insurgés reculèrent. En fin de compte, le populo se dispersa, sans que le raisiné n'ait coulé à nouveau.

Clémenceau débarqua à Lens le soir même. La situation s'envenimait bigrement.

Le lendemain, le Vieux Syndicat colla les événements de la veille sur le dos des broutchoutards. Ça bardait toujours à Liévin, ainsi qu'à Anzin et Denain. Cependant, des troupes affluaient de toutes parts : le 21 avril, on comptait 22.000 soldats dans le bassin minier, soit un bidasse pour deux grévistes. La répression alla bon train. Pour commencer, on perquisitionna chez les anars, soi-disant pour dénicher la camelote fauchée chez Reumaux.

Puis, le 23 avril, le Parquet de Béthune inculpa plusieurs bons bougres, dont Monatte, de "menées anarchistes". Le plus croquignolet de l'affaire fut l'entourloupe faramineuse imaginée par Clémenceau : il prétendit avoir découvert un " complot" tramé entre des militants de la C.G.T. et les bonapartistes. Pierre Monatte aurait ainsi palpé 75.000 francs du Comte Durand de Beauregard pour mettre le Pas-de-Calais à feu et à sang. Plus fortiche que Fantômas et Arsène Lupin réunis !

Les broutchoutards mis à l'ombre, le mouvement s'effilocha. Les négociations reprirent, et après quelques nouvelles concessions des Compagnies, les mineurs retournèrent peu à peu au labeur, fosse après fosse. Le 6 mai, la reprise était générale. La lutte des mineurs se terminait en eau de boudin à l'heure même où les autres corporations, sous l'impulsion de la C.G.T., entraient dans la bataille pour les huit heures de travail. Le 1er mai devaient être le point culminant de la bagarre. Les bourgeois de Paris, qui croyaient dur comme fer que le grand chambardement aurait lieu ce jour là, en chiaient dans leur bénard. Les Parisiens se mirent à stocker des conserves. Dans le XVIe, on transforma les baignoires en viviers et les chambres des bonniches en poulaillers. Le 30 avril, Clémenceau, qu'on surnommait déjà "Césarion", et "le dictateur" fit coffrer les leaders de la C.G.T. dont Victor Griffuelhes.

Le lendemain, ce fut l'émeute dans Paris. 60.000 biffins, cuirassiers, chasseurs à cheval et dragons cognèrent et sabrèrent le populo. Il y eut des barricades dressées, des omnibus fichus par terre ; 800 grévistes deux morts. La grève toucha tout le pays, tous les corps de métier, à l'exception des mineurs du Pas-de-Calais qui sortaient d'en prendre.

Pendant ce temps-là, notre aminche Benoît moisissait toujours au ballon, comptant et recomptant les cancrelats au plafond de la cellule. Pour tuer le temps, il écrivait des bafouilles à ses copains, et aussi à ses ennemis, témoin cette "Première lettre d'un emprisonné à un emprisonneur" qu'il torcha pour Basly, et qui débutait ainsi : " Mon vieux roublard, si les poètes ont le droit de tutoyer les rois, à plus forte raison des gens du peuple souverain doivent avoir le droit de tutoyer leurs valets ", et il signait : " Benoît Broutchoux, villa des mille-barreaux, près Béthune. " Benoît publia également dans L'Action Syndicale du 13 mai 1906 une "journée d'un détenu politique" qui valait son pesant de nougat : " Dring ! Dring ! c'est le réveil... Je me lève, les pieds sur la descente de lit qui se trouve être en macadam. Dans les autres chambres, il parait que les tapis sont en vulgaire ciment, donc je suis favorisé. Je ne suis pas "détenu politique" pour rien. J'ouvre la fenêtre sans toucher les rideaux parce qu'il n'y en a pas. Jeudi dernier, d'aimables camarades sont venues me voir. Elles m'ont dit que j'engraissais comme une fiancée Arabe, ce qui m'a ennuyé car je ne pourrais plus courir si vite quand "Mimile" (Émile Basly) mettra ses argousins à mes trousses. " Couché, je compte comme le soldat, j'ai déjà fait quarante-sept jours. Il m'en reste encore treize. Je m'endors. Je rêve. Je suis sur une barricade, et je murmure :

Tombez, tombez vieilles barrières

Au jour sacré de la raison.

Tombez, préjugés et frontières

Avec la dernière prison.

Et j'ajoute : Pourvu que je ne sois pas dessous.... Signé : Benoît Broutchoux - Pension bourgeoise, chambre 29, sous le haut patronage du Gouvernement, 2, rue d'Aire, à Béthune.







LA VILLA DES MILLE BARREAUX

Broutchoux fut relâché à la fin du mois de mai 1906. De retour à Lens, il prit la gérance d'un estaminet, sans doute pour mettre un peu de beurre dans les épinards, vu que L'Action Syndicale ne rapportait pas gras. Le Jeune Syndicat se renforçait : son action pendant la grève lui avait rapporté un bon paquet d'adhésions, et la nécessité d'un secrétaire permanent commençait à se faire sentir. C'est alors que Georges Dumoulin fit sa réapparition sur la scène syndicale. Pendant les deux années précédentes, dégoûté par l'apathie des mineurs, il était resté un peu en rade. Ancien guesdiste, un moment anarcho, il penchait maintenant vers le syndicalisme révolutionnaire. En tant qu'ami de Monatte, il avait eu droit à la visite des flics lors de l'affaire du "complot". Arrêté, il se prit quatre mois avec sursis et fut viré par les Compagnies. C'est donc à Dumoulin qu'échut le poste de secrétaire du Jeune Syndicat, que Dehay, le trésorier et Broutchoux avaient refusé. Très vite il y eut de l'eau dans le gaz entre Broutchoux et Dumoulin au sujet de L'Action Syndicale. Dumoulin, comme Monatte, voulait donner au canard une ligne exclusivement syndicaliste, et un ton sérieux, sévère et tout le toutime.

À vrai dire, Dumoulin était un tantinet pisse-vinaigre et puritain, ce qui ne cadrait vraiment pas avec la gouaille provocatrice et l'humour caustique de Benoît, lequel ne s'encombrait pas de dogmatisme, même pour la bonne cause. Ça vira rapidement à l'aigre, chacun s'efforçant de fiche des bâtons dans les pattes de l'autre. Quand Benoît était en taule, ou lorsqu'il s'appuyait sur une période de réserve militaire, Dumoulin s'empressait de sucrer la prose des broutchoutards dans le journal. " Toi qui lit L'Action ", écrivait-il à Monatte le 6 septembre 1906, " tu dois comprendre que sa forme de rédaction doit être changée, c'était d'ailleurs ton idée ici. Donc à partir du n° prochain nous changeons et tu t'apercevras du changement opéré. Nous rasons la critique malsaine en profitant de l'absence de Benoît... "

Un autre sujet d'engueulade permanente entre Broutchoux et Dumoulin fut la question de l'unité entre jeune et Vieux Syndicat, qui allait revenir sans cesse sur le tapis durant la période 1906-1908. Le probloque se posait ainsi : si les deux syndicats rivaux s'unifiaient pour entrer à la Confédération Générale du travail, cela aurait plusieurs conséquences emmouscallantes : tout d'abord, les zigues du Jeune Syndicat (déjà confédéré à la C.G.T.) se retrouveraient minoritaires dans cette nouvelle Fédération de mineurs ; ensuite, les pochetées du Vieux Syndicat viendraient grossir la minorité réformiste qui s'opposait, au sein de la C.G.T. à ses leaders révolutionnaires - Griffuelhes, Pouget et autres bons bougres. On pige aisément que Broutchoux et les têtes de la C.G.T. regimbaient plutôt contre l'unité. Au contraire, Dumoulin, qui en avait sa claque de la bigorne entre baslicots et broutchoutards, en était un chaud partisan. Basly, de son côté, ne pouvait pas blairer ceux qu'il baptisait "les manitous" de la Confédération Générale du Travail. Il les débinait régulièrement dans Le Réveil du Nord, ainsi dans cet article du 7 septembre 1906, intitulé "Eux et nous", où il éructait : " La coupe déborde : chacun en a assez d'être constamment censuré par des tard-venus au syndicalisme ou excommunié par des individus qui, comme le sinistre farceur qui représente la Confédération dans le bassin, font l'apologie de la propagande par le fait, du vol, du cambriolage ( ... ) " Début octobre 1906 s'ouvrit à Amiens le Congrès de la C.G.T. où fut rédigée la fameuse "Charte d'Amiens", d'après les propositions de Griffuelhes et Pouget. En gros, cette Charte considérait que " le syndicalisme se suffit à lui-même " et qu'il devait être " indépendant des partis politiques et des sectes ". C'était un sacré bras d'honneur aux socialos parlementaires de tout poil. Broutchoux et Dumoulin assistaient au Congrès, de même que Monatte. Dans une série d'articles publiés dans Les Temps Nouveaux, ce dernier relata comment la minorité guesdiste s'était fait moucher par le reste du Congrès sur la question des rapports entre la C.G.T. et le parti socialiste : " Il n'est pas besoin de grands efforts pour enfoncer une porte ouverte. Aussi l'on peut dire qu'il n'y a pas eu grand peine à écraser ces pauvres guesdistes du Nord ( ... ) " Et plus loin : " Le Nord ( ... ) sort bien dédoré des discussions du Congrès d'Amiens. Si la politique socialiste y a fleuri, il devient éclatant, par contre, que les organisations syndicales, qui seules représentent exactement le degré de conscience et de puissance d'une population ouvrière, y sont à l'état inexistant, et cela parce qu'on les a subordonnées à l'action parlementaire socialiste. " Dans son compte-rendu, Monatte défendit bougrement le rôle des anarchos à l'intérieur des syndicats : " Les anarchistes n'ont certes pas créé le mouvement syndicaliste actuel qui fait la force de la classe ouvrière française, mais il y ont collaboré dans une part honorable. Et ce n'est pas d'eux que les syndicalistes purs ont à craindre une influence dévastatrice ( ... ) "

Après Amiens, les socialos réformistes, furibards de s'être fait éreinter, ne désarmèrent pas contre la Confédération. Basly, dans Le Réveil, accusa Broutchoux et le Jeune Syndicat d'avoir empoché le pognon d'une quête réalisée à Montceau-les-Mines au profit des veuves de Courrières. En fait, le Jeune Syndicat avait bien distribué l'argent, mais uniquement aux veuves qui crachaient sur les dommages et intérêts de la Compagnie et acceptaient de la traîner en justice pour palper plus. Cette répartition était somme toute honnête et logique, selon les vues du Jeune Syndicat. Mais les calomnies venimeuses de Basly faillirent débiner les broutchoutards. Aussi, au début de l'année 1907, le Jeune Syndicat attaqua Basly en diffamation. De son côté, la C.G.T. repoussa l'adhésion du Vieux Syndicat tant que ce dernier ne désavouerait pas les attaques crapulardes de son président contre le Jeune Syndicat et la Confédération. À part ça, L'Action Syndicale buvait la tasse. L'un après l'autre, les imprimeurs du coin refusaient de tirer le journal. Ça faisait le blot de Dumoulin, qui voulait forcer Broutchoux à imprimer le canal à Paris, où Monatte s'en occuperait.

De fait, pendant les premiers mois de 1907, L'Action sortit des bécanes de la C.G.T. à Paris. Dumoulin et Monatte en profitèrent pour tripatouiller les articles de Benoît comme l'indique cette lettre de Dumoulin à Monatte : " Ça y est, tu as eu gain de cause ( ... ) Broutchoux t'enverra la copie ( ... ). Maintenant une recommandation de moi : quand tu auras toute la copie, rase impitoyablement tout ce qui a un caractère dégoûtant et qui compromet notre cause ( ... ). ". Autant dire que ça ne gazait pas bézef entre Benoît et Dumoulin.

Un autre événement vint exaspérer leur querelle, l'arrivée à Lens, au printemps 1907, des anarchos libertadistes Lorulot, Henry Fortuné, Alzir Hella et Mallet, invités par Broutchoux. Ces zigues-là étaient disciples du fameux anar individualiste Albert Libertad, organisateur des Causeries populaires de la rue du Chevalier-de-la-Barre, à Montmartre, et fondateur du brûlot l'anarchie.

Drôle de bougre que ce Libertad : lardon naturel d'un préfet, infirme, il n'avait pas son pareil pour flanquer la pagaille dans les parlottes politiques, ou rosser les flics à l'aide de terrifiants moulinets de ses béquilles. Propagandiste de l'amour libre, il le pratiquait plutôt deux fois qu'une en vivant avec deux sœurs. Libertad devait calencher en 1908 des suites d'un passage à tabac.

Lourot lui de son vrai blaze André Roulot, avait été l'un des inspirateurs de la colonie de Saint Germain en Laye. Il élucubrerait des idées scientistes et naturistes quelque peu loufdingues : il prétendit un temps vivre à poil dans un arbre en ne bectant que des bananes ! Après la mort de Libertad, Lorulot reprendra l'anarchie, puis fondera La Calotte, un bulletin anticlérical. En 1912, il sera mêlé à l'équipée de la bande à Bonnot.

Lors de sa visite dans le Pas-de-Calais, en avril 1907, il n'eut guère le temps d'apprécier le coinceteau, car dès le 2 mai il était arrêté en compagnie d'anars locaux - Coupez, Berthet et sa compagne Clémentine Delmotte - sous l'inculpation de "provocation au meurtre". Pas moinsse ! Ces loisirs forcés à la prison de Valenciennes lui permirent d'accoucher d'une brochure antimilitariste, : L'Idole Patrie, dont Broutchoux rédigea la préface. Entre temps, Benoit avait acheté une petite imprimerie et l'avait installée chez lui, 69 rue Émile Zola à Lens, récupérant ainsi le contrôle de L'Action Syndicale. L'Imprimerie Communiste - c'est ainsi qu'il l'avait baptisée - publia le pamphlet de Lorulot en juillet 1907. Cependant, l'auteur de L'Idole Patrie et ses codétenus mettaient sens dessus dessous la prison de Valenciennes, si l'on en croit ce rapport du directeur daté du 18 juillet : " Le maintient de l'ordre ne paraît plus garanti : le jour du 14 juillet notamment, Lorulot et Coupez n'ont pas reçu moins de 15 étrangers dont quelques uns sont restés plusieurs heures auprès d'eux. Ils reçoivent également des personnes de sexe différent qui font, dans leurs chambres mêmes, à défaut d'une autre pièce et hors de la présence des gardiens, des séjours prolongés (…) Je dois ajouter pour indiquer l'état d'esprit des intéressés que Berthet émet la prétention d'aller retrouver sa concubine dans le quartier des femmes en insistant qu'on ne peut lui refuser ce qu'il appelle un "droit". "

Le 20 juillet, dans un estaminet de Denain eut lieu devant deux cents personnes un métingue pour protester contre la détention de Lorulot et consorts. Dumoulin et Dret, de la C.G.T., prirent le crachoir, puis Broutchoux grimpa à la tribune.

Il fut salué aux cris de "vive Broutchoux". D'un geste, notre aminche arrêta les bravos et, repérant dans la salle le commissaire qui faisait son boulot de mouchard , il déclara : " Je ne veux pas que l'on crie vive Broutchoux ou à bas Untel ... Le commissaire de police ne serait pas content que l'on crie : à bas Toto ! ".

Et Benoit continua sur ce ton à railler le quart-d'œil, ainsi que le maire de Denain. " Si les ouvriers connaissaient leur force ", poursuivit-il, " il n'y aurait plus de patrons ni de parasites, mais seulement des producteurs, et de ce fait il n'y aurait plus de commissaires de police qui, comme Toto, font un Métier vil et dégoûtant. Pourquoi lui et ses agents ont-ils accepté un pareil métier ? Mais tout simplement parce qu'ils ont des oeufs sous les bras ! Ce sont non seulement des êtres inutiles, mais nuisibles. Alors quand on en n'aura plus besoin, que feront-ils ? Car ils n'ont jamais travaillé, et quand ils nous demanderont du pain, comme ils ne savent rien faire, nous les mettrons aux travaux les plus durs - vidangeurs, par exemple ! " Quand la salle commença à se vider, Toto le quart d'oeil se posta à la sortie, espérant alpaguer Broutchoux pour "outrage à policier".

Mais pas si bête, l'orateur s'était carapaté par derrière, escaladant murs et clôtures des jardinets des bicoques voisines. Toto s'en retourna la queue basse. Au cours des semaines suivantes, Broutchoux se planqua pour échapper aux argousins. Cela ne l'empêcha pas de se pointer sans être inquiété au procès de Lorulot, le 9 août 1907. La séance fut parfois croquignolette. Lorulot, face à l'accusation de provocation au meurtre, se récria : " Je suis opposé au meurtre, car le meurtre c'est le militarisme même. La violence, pas plus que la loi, ne peut changer la société... Pour changer la société, il faut changer les hommes. " On l'interrogea sur la fameuse colonie de Saint Germain en Laye : " Vous n'avez jamais fait d'élevage " lança impitoyablement le procureur. " Pardon ", rétorqua Lorulot, " nous avons dix-huit poules... " À ces mots, le public se gondola, mais Lorulot continua, imperturbable : " dix-huit poules, douze pigeons, des lapins et deux chèvres. " Verdict : un an de cabane et 100 F d'amende. Fin août se déroula à Amsterdam le Congrès anarchiste international. On n'y vit pas lerche de délégués français ; parmi eux, on comptait Monatte et Broutchoux. Pendant une semaine, on jaspina ferme dans la grande salle du Plancius. Lors de la neuvième séance, consacrée à la question "Anarchisme et Syndicalisme", Pierre Monatte prit la parole : " Il faudrait être aveugle pour ne pas voir ce qu'il y a de commun entre l'anarchisme et le syndicalisme. Tous les deux poursuivent l'extirpation complète du capitalisme et du salariat par le moyen de la révolution sociale. " Et il souligna que les camaros de la C.G.T. faisaient du chouette turbin pour faire lâcher la rampe aux bouffe-galette. Selon lui, l'anarchisme, qui tendait à roupiller depuis l'époque de la dynamite avait rudement intérêt à marcher avec les syndicats pour donner corps à ses idées : " Que tous les anarchistes viennent donc au syndicalisme ; 1eur œuvre sera plus féconde, leurs coups contre le régime social plus décisifs. " Enrico Malatesta, vieux de la vieille de l'Anarchie, s'opposa à cette conception. Un sacré zigue, le compagnon Malatesta. Né en 1853 près de Naples, il avait connu Bakounine, Kropotkine, Louise Michel, roulé sa bosse sous toutes les latitudes et mit un chambard de tous les diables partout sur son passage. Entaulé aux quatre coins du globe, il s'était évadé plus d'une fois à la barbe des matons, que ce soit dans une caisse marquée "machine à coudre" ou à bord d'une coquille de noix en pleine tempête. Tricard dans dix pays, on ne l'avait pas moins vu en Belgique, en Suisse, en France ou en Italie, déguisé pour faire la pige aux roussins. Malatesta trouvait que Monatte en pinçait un peu trop pour le syndicalisme. Selon lui, le mouvement ouvrier ne devrait être qu'un moyen pour les anars, alors que les syndicalistes tendaient à en faire une fin : " Le syndicalisme n'est et ne sera jamais qu'un mouvement légalitaire et conservateur, sans autre but accessible et encore ! - que l'amélioration des conditions travail... " Et Malatesta conclut : " Le syndicalisme, moyen d'action excellent à raison des forces ouvrières qu'il met à notre disposition, ne peut être notre unique moyen. Encore moins doit-il faire perdre de vue le seul but qui vaille un effort : L''Anarchie ! " Du Congrès d'Amsterdam se dégagèrent donc ces deux tendances, l'une un poil réticent vis-à-vis du syndicalisme, l'autre plus pragmatique qui voyait dans celui-ci une voie nouvelle pour un anarchisme perdu dans des parlottes sans fin. Broutchoux regagna le Pas-de-Calais, où les lardus le recherchaient toujours en vain. Ils finirent par lui mettre la main au colbac à Lens, le samedi 28 septembre. Ce jour-là, Benoît, qui était bien peinard chez lui, imprimait le numéro de L'Action Syndicale à paraître le lendemain. Vers cinq heures du soir, le lieutenant Coine, accompagné d'une dizaine de pandores, se présenta au 69, rue Emile Zola. Le lieutenant fit garder toutes les issues, et colla même à tout hasard deux gendarmes sur le toit. Puis il procéda aux sommations d'usage. Pendant ces préparatifs, Fernande lançait par une fenêtre du premier étage des tracts au trèpe qui commençait à s'ameuter. Les tracts incitaient le populo à aller aubader "le renégat" Aristide Briant, socialo devenu ministre du cabinet Clémenceau, qui devait se pointer à Liévin la semaine suivante. Les sommations donnant aussi peu de résultat qu'un cataplasme sur une guibolle de bois, les gendarmes essayèrent d'enfoncer la lourde. Mais pas mèche de la faire bouger d'un poil ! - elle était bloquée par une lourde presse. Les cognes réussirent à entrer dans la turne par la porte de derrière. Et là, surprise ! il n'y avait pas plus de Broutchoux dans la baraque que de beurre sur la tartine d'un purotin. Nos limiers entreprirent d'arpenter la cambuse de la cave au grenier, sans y dénicher ne fût-ce qu'un poil de la moustache de notre poteau... Fronçant les sourcils et mettant sa cervelle à rude épreuve, un pandore émit l'idée de sonder les murs. Et c'est ainsi que Broutchoux fut découvert, planqué derrière une fausse cloison recouverte d'affiches. Benoît se laissa coffrer sans broncher, faisant simplement remarquer au lieutenant qu'il aurait pu au moins lui laisser terminer peinard l'impression de son journal. Fernande se mit alors à engueuler les pandores, qui lui passèrent illico les cadènes. Broutchoux, voyant sa compagne arrêtée à son tour, rouspéta violemment : " Vous n'avez pas le droit d'arrêter les deux chefs d'une même famille, mais vous avez déjà opéré tant d'arrestations arbitraires, qu'une de plus, vous vous en moquez. " Pour lui clore le bec, on lui colla sur-le-champ un procès verbal pour "outrage à la gendarmerie". Entre-temps, la nouvelle de son arrestation s'était répandue dans Lens, et désormais 1500 sympathisants ou simples badauds étaient massés devant la demeure de notre aminche. Quand la maréchaussée sortit avec ses prisonniers, un bon fieu insulta les cognes. Inutile de dire qu'il fut argougné aussi sec.

Une fois de plus, la mise à l'ombre de Broutchoux arrangeait bien Dumoulin : "L'arrestation de Benoît", écrivit-il à Monatte, laisse l'imprimerie dans une situation critique, non sans issue, mais il était temps (c'est malheureux à dire) que Broutchoux s'en aille. Nous avons maintenant sa femme et ses gosses sur les bras ainsi que la location du local. Par sa gestion malheureuse, le camarade n'arrivait pas à payer les frais d'impression de L'Action ici, et il doit deux numéros du journal comme il en doit quatre à Paris. Il a laissé envahir la boîte par des gens de la rue de la Barre qui ne se soucient guère de l'oeuvre que nous poursuivons... "

Dumoulin ne pouvait pas encadrer les libertadistes, dont l'individualisme bohème était aux antipodes de son syndicalisme rigide. Reprenant la direction de L'Action, il se hâta de déménager l'imprimerie du 69 rue Emile Zola. Le 3 octobre, Benoit encaissa six jours de prison pour "outrage à lieutenant de gendarmerie" : un amuse-gueule, au regard de ce qui lui pendait au nez pour le reste. Trois semaines plus tard, Broutchoux dut sûrement regretter de ne pas être en liberté pour assister à la déconfiture de son ennemi Basly dans l'épilogue de l'affaire des veuves de Courrières. En effet, le 23 octobre, le Jeu Syndicat gagna son procès en diffamation et Basly écopa de 120 F d'amende, et dut verser 212 F de dommages et intérêts à L'Action Syndicale. La machination du "vieux roublard" se retournait contre lui : à force de cracher en l'air, ça devait finir par lui retomber sur la bouillotte !

Broutchoux, lui, n'en finissait plus d'user son fond de culotte sur le banc des accusés. Le 14 novembre, rebelotte, les chats-fourrés de la cour d'assises de Douai lui rajoutèrent trois mois pour "complicité d'incitation de militaires à la désobéissance". Quant à Lorulot, il prit quinze mois pour L'Idole Patrie, mais cette peine fut confondue avec celle qu'il purgeait déjà.

" Nous étions au moins huit cents qui, aussitôt la condamnation prononcée, ont crié dans la salle de la cour d'assises : à bas la patrie, vive Broutchoux, et nous sommes descendus tous chantant l'Internationale et la Carmagnole ", écrivit Augustin Dehay à Monatte après le procès. Une semaine après Broutchoux, Lorulot et Cachet (un anar qui avait participé à la réunion de Denain, et qui avait été condamné sous le même chef d'accusation que Benoît) furent transférés de la prison cellulaire de Douai à la maison d'arrêt de Valenciennes. En chemin, Broutchoux et Cachet s'ingénièrent par tous les moyens à casser les pieds aux gendarmes à cheval qui les convoyaient.

Place de la gare à Douai, ils prétendirent déjeuner dans un caboulot ; comme les pandores s'y opposaient, les deux prisonniers refusèrent de porter leurs ballots de frusques. Puis, vu qu'on leur avait passé des chaînes qui n'avait rien de la gourmette, Broutchoux râla de plus belle : " On nous traite plus mal que des cochons, car les cochons, pour les engraisser, on les attache par les pieds de derrière, et nous c'est par les mains. " La patience des pandores étant des plus limitées, le brigadier rédigea, en s'appliquant pour ne pas faire de pâtés, un procès-verbal " constatant Outrages à la gendarmerie dans l'exercice de ses fonctions par MM. Broutchoux (Benoît) et Cachet (Henri)".

A la suite de quoi, le tribunal correctionnel de Valenciennes allongea vingt jours de taule à nos lascars, plus trois mois en sus pour Broutchoux, rapport à la vieille histoire de Toto le commissaire.







GOUVERNEMENT D'ASSASSINS

À la prison de Valenciennes, Broutchoux passait son temps à ergoter sur le règlement pour enquiquiner l'administration pénitentiaire. Comme on voulait lui sucrer le régime politique, il envoya une bafouille au sous-préfet pour protester : " Je vous ferai remarquer, M. le sous-préfet, que j'ai seulement été mis au régime politique le 18 octobre et que la préfecture n'a pas autorité pour faire cesser le dit régime. Il appartient seul au ministère de l'Intérieur d'en décider". La préfecture n'avait qu'à transmettre ma demande au ministère et non y répondre. Je vous prie donc de faire parvenir la présente au ministre de l'Intérieur- " Les représentants de l'autorité s'arrachaient les tifs devant ce prisonnier récalcitrant. Le sous-préfet, qui en avait class des embrouilles de Benoît, écrivit une lettre furibarde au Préfet du Nord, dans laquelle il notait : " Ce condamné a abusé de là patience de tous et je suis d'avis que si, juridiquement et, légalement, il y a possibilité, nonobstant l'appel, de lui faire perdre les avantages du régime des détenus politiques, il n'y a pas de ménagement à prendre. J'ajoute incidemment que la présence de cet individu à la maison d'arrêt de Valenciennes est une cause d'indiscipline permanente et qu'il y aurait intérêt à ce qu'il subisse ailleurs la peine qu'il lui reste à subir. " Broutchoux fut réexpédié dare-dare à la prison de Douai, vrai cul-de-basse-fosse à côté duquel la taule de Valenciennes, c'était kif-kif un palace. Broutchoux et Cachet eurent beau protester et tempêter, on les y laissa moisir jusqu'à la fin de leur peine. Pour prendre son mal en patience, Broutchoux, quand il avait du vague au trognon, rimaillait des poèmes qu'il envoyait à Fernande. Il faut dire que chez Benoit la gouaille n empêchait pas le sentiment, à preuve le feuilleton qu'il publiait dans L'Action Syndicale, une histoire d'amour intitulée Blanchette et Colas : Il la signait du pseudonyme d'Eg. Lantine, qui était aussi le prénom de sa fille aînée.

Fin février, Broutchoux fut libéré, peu de temps après Lorulot. Dumoulin, qui avait eu la partie belle pendant son absence, tirait la tronche. Le retour de Ben faisait pas du tout son affaire. Il fut contraint de rapatrier l'imprimerie rue Zola, et se fit incendier par les Broutchoutards lors d'une réunion de la commise de L'Action, le 2 mars 1908. Les partisans de Benoît charrièrent rudement Dumoulin, et il s'en plaignit dans une lettre à Monatte : " Verpaërt et Dusart y sont allés de leurs calomnies où les questions de gonzesses ont dominé. Tu vois le tableau : moi et Dehay nous avons déménagé l'imprimerie de chez Broutchoux parce que sa femme nous a refusé la beauté et la succulence de ses charmes. Et l'on dit ça partout ( ... ) " Il faut avouer que c'était assez roulant ! Dumoulin s'évertuait toujours à recoller les pots cassés entre Jeune et Vieux Syndicat afin de parvenir à l'unité. Mais pour Broutchoux, il n'était pas question de rejoindre les rangs de ces jean-foutre de baslicots. Juste avant un congrès national de mineurs à Montceau, il décida de publier à la Une de L'Action une caricature montrant Basly soudoyé par les bouffe-galette des Compagnies.

Le dimanche 3 mai 1908, vers 9 plombes du mat, à la cité n°3 de Liévin, quatre militants du Jeune Syndicat vendaient à la criée le numéro de L'Action affichant la fameuse caricature. Sans crier gare, une meute de furieux leur tomba dessus à bras raccourcis et leur servit une copieuse purée de marrons.

La bagarre tourna mal, et l'un des vendeurs de Albert Sauvanet, reçut une brique sur le carafon. La semaine suivante, L'Action Syndicale racontait la suite du drame : " La police arriva et transféra nos amis à l'estaminet Comiquet. Pendant le trajet, le malheureux Sauvanet eut une côte brisée. Le lieutenant de gendarmerie La Couenne, plus baslicot que Basly, arriva avec une vingtaine de pandores et, suivant son habitude, fit menotter et ligoter les victimes, les blessés. S'il avait osé, il aurait félicité les assassins. Nos amis furent conduits à pied à la gendarmerie de Lens et laissés sans soins, malgré leur plaintes. Le soir, à 6 heures, le pauvre Sauvanet expirait dans une cellule. "

La victime, qui n'avait que 21 ans, fut enterrée civilement à Lens le mercredi 6 mai. Les cognes empêchèrent Broutchoux de prononcer un discours sur sa tombe devant la foule immense venue aux obsèques. Il dut se contenter de jacter à la Maison syndicale devant un auditoire plus maigre, dénonçant vigoureusement le forfait des "apaches baslicots".

Pendant ce temps, un sanglant chambard éclata au plan national, qui allait précipiter indirectement l'entrée du Vieux Syndicat dans la Confédération Générale du Travail. En Seine-et-Oise, une grève des carriers et terrassiers avait débuté le 2 mai. Comme d'habitude, les grévistes faisaient la chasse aux "renards" - les jaunes - et ça avait fait du vilain. Les flics étaient sur les dents, les rixes se multipliaient, Et le 28 mai le raisiné coula à Draveil-Vigneux. Des pandores pénétrèrent sans mandat dans une salle de réunion sous prétexte d'arrêter un gréviste. Comme les bons bougres s'opposaient à leur intrusion, les gendarmes déchargèrent froidement leurs pétards. Deux grévistes furent butés et une dizaine blessés. Quand on apprit cette abomination, l'émoi fut gros dans le pays. La C.G.T. placarda sur les murs de Pantruche une affiche qui clamait, en caractères énormes : "GOUVERNEMENT D'ASSASSINS !" La C.G.T. s'en prenait à "Clémenceau-le-tueur", "sinistre" de l'Intérieur qui, depuis 1906, commençait à se faire la main question flingage et coups de goumi. Il n'allait pas s'arrêter en si bon chemin. Le 30 juillet, ses tueurs galonnés remirent ça à Villeneuve-Saint-Georges, près de Vigneux. À l'appel de la C.G.T., une flopée de prolos avait rappliqué pour soutenir la grève des terrassiers. Les dragons chargèrent, les troubades ouvrirent le feu sur le populo. On releva quatre morts parmi les manifestants. Pour le coup, la tension grimpa encore d'un cran. Ces salops de chieurs d'encre de la presse bourgeoise et socialiste voulurent faire porter le chapeau à la C.G.T., la rendant responsable de la tuerie ! On devait apprendre plus tard que c'était un agent provocateur de Clémenceau, le mouchard Métivier, qui avait monté le bourrichon aux ouvriers, les excitant à l'émeute. Ceci afin de fournir à la gouvernance prétexte pour épingler en bloc les principaux membres du bureau de la C.G.T. Parmi euxzigues, Griffuelhes, Pouget et cinq autres camaros se firent poisser, tandis que quelques uns parvenaient à se planquer ou à se tireflûter. Ainsi Monatte, qui se mit au vert en Suisse chez Fritz Brupbacher, un vétéran qui avait été l'ami de Bakounine à la grande époque de la Fédération jurassienne. C'est de là-bas que Monatte apprit les derniers événements : le Vieux Syndicat avait finalement rejoint la C.G.T. ; Cordier, son trésorier, avait désavoué les attaques de Basly contre la Confédération et le Jeune Syndicat. L'adhésion du Vieux Syndicat fut facilitée par l'absence des zigues qui s'y opposaient au sein du bureau confédéral, tels Griffuelhes et Pouget, toujours en taule. Ce n'était pas pour autant l'unité entre Jeune et Vieux Syndicat. En effet, cinq mois auparavant, le "Jeune" avait adhéré à la Fédération C.G.T. des Ardoisiers : une astuce pour ne pas être balancé de la Confédération avec l'arrivée du Vieux Syndicat, car les statuts de la C.G.T. interdisaient la coexistence dans son giron de deux fédérations de mineurs en bisbille. Autrement dit, pas question de mettre deux guibolles dans la même jambe du bénard. D'ailleurs Broutchoux déclara que ce n'était parce que les baslicots s'étaient rangés sous la bannière confédérale qu'il fallait arrêter de leur chercher des poux.

La brouille entre Benoît et Dumoulin s'aggrava encore. Déjà, au mois de juillet, ce dernier avait menacé de tout plaquer pour partir en Amérique. Monatte s'était rendu à Lens pour l'en dissuader. Dumoulin, bien qu'il eut lâché son poste de secrétaire, continuait à faire de la retape pour l'unité. Mais les broutchoutards repoussèrent sa proposition d'un congrès commun du Jeune et du Vieux Syndicat. Dumoulin ruminait des idées de vengeance contre Benoît : " Je lui ai promis un gnon sur la hure, il l'aura avant qu'il ne soit longtemps ! ", écrivait-il à Monatte. En octobre, Broutchoux fut délégué au congrès national de la C.G.T. à Marseille. Notre aminche essaya de faire annuler l'adhésion du Vieux Syndicat à cause d'un micmac de procédure, mais bernique ! Le mois suivant, Benoît se fit enguirlander par le bureau de la C.G.T., notamment par Latapie, rapport à son attitude vis-à-vis de la Fédération Nationale des Mineurs, à laquelle se rattachait le Vieux Syndicat. Il faut préciser que la C.G.T. était dans une mauvaise passe. Début 1909, Victor Griffuelhes, alors secrétaire de la Confédération, rendit son tablier. Un réformiste, le zigue Niel lui succéda : c'était le résultat d'une sombre embrouille. Aristide Briand, qui venait d'être bombardé Président du Conseil, savait pertinemment que, au lieu de réprimer la C.G.T. à coups de gourdins, mieux valait y semer la pagaille de l'intérieur. De l'époque où il se proclamait grève-généraliste, Briand avait conservé des potes dans le mouvement syndical, parmi lesquels Latapie, qui se vantait volontiers de ses virées au bocson avec le nouveau Président du Conseil. Latapie orchestra le concert des râleurs qui accusaient Griffuelhes de pillage. Voilà pourquoi cézigue, qui en avait plein le dos, démissionna. Dans le pays minier, Dumoulin et les broutchoutards étaient à couteaux tirés. L'Action Syndicale du 20 décembre 1908 avait révélé que Dumoulin, obnubilé par l'unité, avait rencontré en douce ce vieux gredin de Basly. Tous les deux nièrent, mais Dumoulin fut lourdé du Jeune Syndicat. Il resta encore un temps dans le coinceteau, puis il finit par mettre les adjas pour s'installer à Paris. Broutchoux avait désormais les mains libres, mais le Jeune Syndicat perdait de son influence sur les mineurs. Les gueules noires retombaient dans leur mollesse d'avant Courrières. Il ne se passait plus grand chose dans le bassin, et Broutchoux commençait à se faire tartir. Un événement inattendu allait le tirer de son inaction. Au mois d'août 1909, un commissariat de police sauta à Tourcoing, comme aux jours les plus fumants de la propagande par le fait et des marmites à renversement. Les poulets alpaguèrent trois prolos de Roubaix dont le seul tort était d'en pincer pour les idées libertaire. Broutchoux lança illico une campagne pour leur libération. Début octobre, il organisa une manifestation à Lille en faveur des trois bons bougres entoilés. Malchance, ça tourna à la bagarre générale rue Béthune, et les cognes embarquèrent Broutchoux et quelques camaros. Une fois de plus, Benoit échouait devant ses vieilles connaissances, les chats-fourrés du palais d'injustice, qui lui cloquèrent cette fois un mois de placard pour rébellion et outrage à agent. Il tira sa peine à la prison de Loos-les-Lille, où il en profita pour écrire une série d'articles sur le syndicalisme destinés à la revue Terre Libre. Dans l'un, Broutchoux réaffirmait la nécessité de combattre les ratichons. Position bougrement anar, à l'encontre de celle de pas mal de pontes de la C.G.T. qui considéraient l'anticléricalisme comme un défouloir, juste bon à détourner les prolos de la lutte des classes. À quoi Broutchoux rétorquait : " Le prêtre, de n'importe quelle religion, est à combattre pour deux raisons : 1° parce qu'il consomme et ne produit pas ; 2° parce qu'il se fait le complice du patronat en prêchant la résignation aux ouvriers. " Peu après sa sortie, en décembre 1909, Broutchoux appuya la grève des ouvriers qui turbinaient à la construction du canal du Nord. Il entreprit une tournée de propagande sur les chantiers du canal. Les flics ne le lâchèrent pas d'une semelle, épiant ses moindres pets de travers, pour preuve ce télégramme du 16 janvier 1910 : " Broutchoux n'est pas rentré à Lens. Stop. Surveillance établie. " Benoît était vraiment le croque-mitaine de tous les sbires de l'autorité et du Capital du Pas-de-Calais ! Plus tard, lors d'une réunion au café de la Metz-en-Couture, Broutchoux aubada le Préfet du Nord comme de la morue avariée. Ce qui fournit aux bourres un excellent prétexte pour le coffrer à la sortie. L'avocat de Broutchoux jura ses grands dieux que son client ne remettrait plus les pieds sur le canal, et on le relaxa. Broutchoux n'eut bien entendu rien de plus pressé que de récidiver. Ça ne rata pas : le 13 février il se fit cueillir derechef à Rouvroy, alors qu'il attendait un ouvrier du Canal. Quand Benoît regagna enfin ses pénates, il trouva le Jeune Syndicat en sale posture. La Fédération des Ardoisiers qui en avait assez de réclamer ses cotisations, avait fichu les broutchoutards à la porte, Du coup, ceux-ci n'étaient même plus affiliés à la C.G.T. Ce qui devait arriver arriva : sept piges après la scission, les mineurs du Jeune Syndicat rentrèrent dans les rangs du Vieux.

Le 2 octobre 1910, L'Action Syndicale annonçait sa fusion avec Le Combat, une feuille anar d'Arras, et la naissance du Révolté. L'Action, avec 384 numéros parus, pouvait se vanter d'avoir fait du chouette boulot. Bête noire de tous les bouffe-galette, traîne-sabre, argousins, ensoutannés et enjuponnés, elle ne comptait plus ses procès. Le dernier en date, pour antimilitarisme, s'était soldé par 6 mois de taule pour l'auteur de l'article ; Fernande Richir, en tant que gérante, avait écopé de quelques jours de bigne et d'une amende. En effet, Benoît et Fernande se relayaient à la gérance du canard : " Je suis pour l'égalité dans le ménage, disait Broutchoux, nous irons en prison à tour de rôle ! " Au cours des années suivantes, Broutchoux ne fut guère à la noce. Tout se barrait en eau de boudin autour de lui, le syndicalisme révolutionnaire comme le mouvement anar. " Règle générale : l'anarchiste qui accepte d'être le fonctionnaire permanent d'un syndicat est perdu pour la propagande, perdu pour l'anarchisme ! Le fonctionnaire est dans le mouvement ouvrier un danger qui n'est comparable qu'au parlementarisme : l'un et l'autre mènent à la corruption et de la corruption à la mort, il n'y a pas loin ! ", avait prophétisé le camaro Malatesta à Amsterdam. Et ses craintes se réalisaient : la bureaucratie gagnait la C.G.T. , et les anars n'y avaient plus bézef d'influence. Broutchoux était brouillé avec les grosses légumes de la Confédération :

" Dans le Pas-de-Calais, nous avons fait l'unité, mais nous l'avons faite à notre détriment. " maugréait-il dans le premier numéro du Révolté, " Nous voilà réduit au rôle de "machines à cotiser". Ceux qui nous ont lâchés, ou sacrifiés ont bien mérité de la patrie cégétéiste. " De son côté, l'Anarchie tournait en rond et se mordait la queue : Les compagnons se retiraient dans leur tour d'ivoire, comme Emile Pouget, ou s'entichaient des nouvelles panacées du jour : scientisme et illégalisme. Broutchoux s'était fâché contre les "savantasses" à la Lorulot, qui professaient des théories franchement fumeuses. Bref, notre aminche avait le cul entre un syndicalisme qui virait rond-de-cuir et un anarchisme qui sombrait dans les pires billevesées. Pour ne rien arranger, il encaissa un coup dur : sa fille Églantine, âgée de huit ans, mourut en avril 1911 d'une mauvaise bronchite.

Benoît et Fernande n'avaient désormais plus qu'un fils, conçu après la mort de leur premier loupiot en 1904. Il portait le même nom que son frangin malchanceux : Germinal. Il devait calencher plus tard dans des circonstances tragiques. Benoît avait aussi à charge son plus jeune frère, Antoine, recueilli après le décès de leurs parents.

Le dernier grand tumulte social qui secoua le pays minier avant 14 fut le mouvement des ménagères contre la vie chère. Déjà qu'à l'époque les prolos ne risquaient pas de se coller une indigestion avec le contenu de leur galtouze, voici que, durant l'été 1911, les prix de la tortore se mirent à grimper à en donner le vertige : 30% de hausse sur le beurre, 40% sur la chicorée, 28% sur le sucre, etc. À ce tarif-là, il aurait été bientôt plus avantageux de sucer des lingots d'or. Ça ne pouvait pas durer comme ça. Les ménagères du Pas-de-Calais se rebiffèrent.

Bientôt on vit partout des cortèges de bougresses, rouge épinglée au corsage, qui défilaient en chantant : L'Internationale du beurre à quinze sous : " Demain au marché des grandes villes / Toutes femmes, nous nous réunirons / Pour protester avec furie / Sur le prix du beurre en cette saison / Nous avons assez de souffrance / Sans augmenter le beurre et le lait / Car demain toutes les femmes de France / Nous le ferons vendre avec rabais. / (Refrain) En avant, camarades / Les amis, tous debout / Sans peur, ni tapage / Nous voulons le beurre à quinze sous (bis). "

Des bigornes éclatèrent sur les marchés, les femmes obligèrent des épicemars à baisser le prix de leur camelote. Les gonzes se joignirent à leurs gonzesses. Les métallos de la région de Maubeuge se mirent en grève. Les mineurs manifestèrent à Lens avec les ménagères. Ça n'alla pas toujours sans friction. Certains syndicalistes tenaient à prendre en main le mouvement : " C'est au syndicat seul à conduire la campagne sur la cherté des vivres. " Les femmes les envoyèrent paître : " Les hommes n'auront plus à se mêler de nos revendications, nous nous administrerons bien à nous toutes seules. " Dans une histoire de bectance, il se devait d'y avoir de la viande froide au menu ; ça ne pouvait pas louper : le 29 août à Billy-Montigny, des ménagères se pointèrent chez un boulanger pour lui imposer leurs tarifs. Le mitron sortit un pétard, et moucha un mineur. Sans l'intervention des dragons, les femmes auraient réduit le meurtrier en capilotade. Suite à tout ce barouf, la présidente du comité des ménagères, Mme Lacroix et deux de ses camarotes furent arrêtées. Ce qui déclencha aussi sec une esclandre carabinée : milliers de manifestants un peu partout, échange de gnons avec les biffins et les cognes, barricades dressées, usines occupées, troupes et tout le toutime. Comme de juste, Broutchoux, et Le Révolté soutenaient la lutte des ménagères. On vit Benoît parler devant 15.000 personnes aux funérailles du mineur refroidi par le boulanger. Il organisa ensuite, le 10 septembre, une conférence sur la vie chère à Aniche, dans la grande salle du Syndicat des Ouvriers Verriers.

Benoît jaspina de l'action directe et du boycottage ; mais il fit aussi remarquer qu'il ne fallait pas se gourer d'ennemi : " Tout en étant adversaire de la forme actuelle du commerce et partisan de la coopération, il faut reconnaître que les petits commerçants ne sont pas responsables de la crise, certains en sont victimes comme nous. Il faut voir plus loin que la place du marché et la devanture du boutiquier. ( ... ) Les petits commerçants sont comme des tampons placés périlleusement entre les affamés et affameurs. Regardons au-dessus d'eux, portons nos coups à la spéculation. "

À la fin de la réunion, les flics grimpèrent sur l'estrade et emballèrent Broutchoux sous un prétexte nébuleux tandis que l'assistance gueulait des "mort aux vaches" retentissants. Cette fois, les jugeurs voulaient en finir bonne fois pour toutes avec notre aminche. Pour l'inculper, on ressortit des tiroirs les "lois célérates" votées contre les anarchos après la grande java des attentats à la bombe. De fait, si Broutchoux, le 18 janvier 1912, se retrouva nouveau le cul sur les bancs du palais d'injustice, c'était uniquement pour y répondre de ses convictions libertaires.

Quelques semaines plus tôt, le 21 décembre 1911, un garçon de recettes s'était fait déquiller à Paris, rue Ordener, par ceux qu'on appelait déjà "les bandits en auto" et qui allaient passer à la postérité comme "la bande à Bonnot". Les bourgeois suaient la trouille comme vingt piges auparavant, quand Ravachol avait fait sauter la baraque du procureur Bulot. La chasse à l'anarchiste était rouverte.

C'est dans ce climat surchauffé que le Procureur réclama sans barguignage la relégation pour Benoît. Autrement dit, la déportation en Guyane, au tristement célèbre bagne de Cayenne. Le procureur ne l'obtint pas, mais Broutchoux écopa quand même d'un an de cabane. C'était bougrement chérot ! On organisa sans tarder une campagne contre la condamnation arbitraire de Benoît, avec métingues, stations de rue et causeries-concerts, s'il vous plaît ! En fin de compte, notre camaro bénéficia d'une amnistie et sortit de taule en juillet 1912.

Le 28 avril, Jules Bonnot avait été abattu comme un chien par les flics de la Sûreté. Le 14 mai, à Nogent sur Marne, ses complices Garnier et Valet s'étaient fait trouer la peau par une meute d'argousins, de biffins et de zouaves lancés à la curée. Les autres zigues de la bande étaient derrière les barreaux. Leur procès se dévida au début de l'année suivante.

Le 20 avril 1913, le petit Soudy, Monnier et Raymond-la-Science furent envoyés à la bascule-à-charlot. Ainsi s'achevait la cavale désespérée des bandits individualistes. Leur équipée sanglante divisa violemment les milieux libertaires

L'Anarchie venait d'en prendre un rude coup derrière les oreilles, Elle en encaisserait bien d'autres...







LES SALES ANNEES

Après la dénouement de l'affaire des bandits tragiques, les journalistes ne restèrent pas en panne de copie. La guerre des Balkans allait leur en fournir. Là-bas, une tripotée de petits peuples aux noms croquignolets -bulgares, turques, serbes, croates, bosniaques, monténégrins, et autres bicarbonates - se mettaient de sanglantes peignées. Ils étaient un peu en avance sur le grand bal macabre, mais leurs voisins n'allaient pas tarder à se joindre à la danse, histoire de ne pas faire tapisserie. Le ler août 1914, la mobilisation générale fut décrétée. On assista alors à une monumentale déculottade des militants syndicalistes. La C.G.T., qui la veille clamait sur tous les tons des appels à l'insurrection et à la grève générale en cas de guerre, se joignit aux revanchards hystériques, patriotards et nationalistes à tout cri. Victor Griffuelhes, Léon Jouhaux, Gustave Hervé, tous les révolutionnaires d'hier retournaient leurs pardeuss. Même chez les anars, ce fut la débandade. Bien des bons bougres viraient va-t-en-guerre. Seuls Louis Lecoin, le futur défenseur de l'objection de conscience, et Sébastien Faure, le philosophe libertaire, oseraient tonner dans le désert contre la boucherie qui se préparait. Lecoin fut emprisonné pour la durée du casse-pipe. Une poignée de syndicalistes s'opposa aussi à l'Union sacrée : Monatte, Dumoulin, Merrheim, et quelques rares autres. Broutchoux fut de ceux-là. Le 2 août, il titrait "Contre la guerre" dans L'Avant-Garde, le nouvel hebdo qu'il avait lancé fin 1912, Le Révolté ayant coulé. En 1914, Benoît était désormais secrétaire de l'Union départementale C.G.T. du Pas-de-Calais. Il n'en continuait pas moins à se battre contre le réformisme montant, et restait un des rares vrais anarchos de la Confédération. Le jour de la déclaration de guerre, les pandores vinrent épingler Benoît à son nouveau domicile lensois, 25, rue du Quatre-Septembre. Le Préfet du Nord avait en effet donné l'ordre d'alpaguer les quarante-et-un militants qui figuraient à son répertoire du Carnet B. Le carnet en question, c'était la liste de tous les suspects anars, syndicalistes et révolutionnaires de tout poil à coffrer rondement en cas de pétard. On relâcha illico les prévenus pour les envoyer au front se faire trouer la paillasse.

Mais un officemar se trompa en signant le document ordonnant leur mise en liberté. Il apposa sa griffe au la page, après le quarantième nom, oubliant le quarante et unième qui figurait au verso ; le quarante et unième blaze, c'était Broutchoux ! Du coup cézigue tira un mois de rabiot. Puis on le mobilisa au 5ème régiment d'infanterie, et notre aminche atterrit quelque part sur la ligne bleue des Vosges, qui virait rouge raisiné. Dans cette mouscaille, Broutchoux tâchait de garder un brin d'humour. Dumoulin, avec qui il s'était rapapilloté, écrivait à Monatte en juillet1915 - " Broutchoux se chamaille en Alsace et me raconte quelques scènes drôles de sa vie de taupe en montagne. Il reste le même, mais me dit en avoir plein le dos des tartarinades des va-t'en-guerre parisiens qui jouent aux belliqueux en chambre !". " Début 1916, Broutchoux fut gazé lors d'une attaque boche. Ses éponges avaient drôlement dégusté, et on le réforma. Broutchoux s'installa alors à Paris, où il retrouva Fernande qui créchait chez sa frangine, rue Damrémont. Il trouva du boulot comme chauffeur à la Compagnie Générale des taxis, et reprit ses activités militantes. Le grand dégonflage se poursuivait. En février 1916 était paru le Manifeste des Seize qui incitait les anars à se colleter avec les Fridolins, au nom de la lutte contre l'impérialisme pangermaniste. Parmi les signataires de cet appel, on relevait quelques uns des noms les plus illustres du mouvement libertaire : Jean Grave, Charles Malato, Paul Reclus, et même Kropotkine qui écrivait : " Un écrasement de la France serait un malheur pour la civilisation... " Seul Sébastien Faure ne sombrait pas dans le bellicisme: il lança C.Q.F.D. (Ce Qu'il Faut Dire), un canard pacifiste auquel collabora Broutchoux. Cézigue participa aussi au Comité de Défense Syndicaliste, la minorité de la C.G.T. opposée à l'Union sacrée. Et enfin, le 11 novembre 1918, l'armistice mit un terme à ce qu'on croyait être la der des der. Démobilisés, les militants ouvriers se remirent à la tâche. Beaucoup plaçaient tous leurs espoirs dans le triomphe de la révolution bolchevique qui venait d'éclater là-bas, à l'Est. D'autres ne démordaient pas de leurs opinions réformistes. Autant dire qu'il y avait du tirage entre eux. Le premier résultat de cette chicane fut la scission de la Section Française de l'Internationale Ouvrière au congrès de Tours en 1920. La majorité retira ses billes, fonda le Parti Communiste et adhéra au Komintern de Lénine. La C.G.T. n'allait pas tarder à imiter la S.F.I.O., pour éclater en 1921. Au Printemps de cette année-là, Broutchoux était de retour dans le Nord. Comme il était interdit de séjour, il se déplaçait sous le faux blaze de Jules Saunier. Sous ce nom, il s'embaucha dans une équipe de cimentiers. Mais sa trombine était trop connue des flics, et il se fit repérer à Valenciennes lors de la manifestation du ler mai. Les limiers de la Sûreté le prirent en filature. Le mois suivant, Broutchoux vint à Lille pour assister au Congrès de la C.G.T. Ca promettait du sport. La Confédération était tiraillée entre deux courants : d'une part, les réformistes, jusqu'au-boutistes durant la guerre, prêts à tous les compromis avec la gouvernance ; de l'autre, les communistes et les anarchistes gagnés à la Révolution russe. Les deux tendances se mirent proprement sur la gueule, dans la grande salle du Palais Rameau. Des deux côtés, on était venu armé de gourdins et de flingues. Même Louis Lecoin le pacifiste avait les fouilles gonflées de brownings. Les prises de bec tournèrent au pugilat général. Lecoin, clamant à tout va qu'il voulait dégommer le gros Jouhaux, tira en l'air, sans blesser personne. Broutchoux fut moins chançard : un réformiste fit un carton sur lui, et Benoît bloqua un pruneau dans l'épaule. Les cognes l'embarquèrent, rapport à son interdiction de séjour, laissant en liberté le gazier qui l'avait pris pour cible. Comme il fallait s'y attendre, le Congrès de la C.G.T. se solda par une scission. Mais là, les réformistes restèrent majoritaires. La minorité, communistes et anarchos, partit fonder la C.G.T.U. Benoît en était, bien entendu. Il se laissera même aller, dira Le Meillour dans Le Libertaire, à une " erreur bolchevisante d'un jour ". Mais comme la plupart des anars, Broutchoux revint vite de ses amours avec la Dictature du prolétariat. Cette salope-là avait la vérole ! Trotsky et Lénine, aussi sanguinaires que le Czar, faisaient mitrailler les marins de la Commune de Kronstadt. L'armée rouge massacrait les insurgés makhnovistes, et partout la Tchéka emprisonnait les anarchistes. A la C.G.T.U. aussi, il y eut du sang : le 11 janvier 1924, au cours d'un métingue à la Grange-aux-Belles, les jeunes gardes communistes canardèrent les libertaires. Deux anars, Poncet, dit "le plombier", et Clot, restèrent sur le carreau. Broutchoux, écoeuré, rejoignit les compagnons de l'Union Anarchiste et du Libertaire. Mais en France, le marxisme avait porté un mauvais coup à l'anarchisme. Les bons bougres n'étaient plus que quelques poignées, à l'écart du mouvement ouvrier, et le drapeau noir était bouffé aux mites. Broutchoux, aux côtés de Sébastien Faure et de Louis Lecoin, participa à la brève tentative du Libertaire quotidien. Après avoir tâté de la correction d'imprimerie rue du Croissant, sans doute au Populaire, Benoît avait repris son boulot de chauffeur de taxi. En 1925, il laissa tomber son employeur pour acheter son propre bahut. Malgré les désillusions et les coups vaches, notre aminche, n' avait rien perdu de sa gouaille, témoin cette anecdote : un jour que Benoît était en maraude du côté de l'Observatoire, un grossium en pingouin-smocking, noeud pap' et tout le tremblement - héla son tac. Notre poteau pila, et le mironton de la haute, lui tapotant l'épaule de sa canne, lui bonit d'un air condescendant : " Je dîne à la Cascade, au bois, veuillez m'y conduire. " Broutchoux toisa le rupin et répondit, en se marrant dans sa moustache : " Non, j'peux pas, je dîne au Boeuf Gros Sel, aux Halles... Si ça vous chante ? " et il démarra en douceur. Le Boeuf Gros Sel, un bouillon populaire rue Tiquetonne, était tenu par son frère aîné, Pierre.

A partir de 1925, l'état de santé de Benoît, déjà rudement malmené pendant la guerre, alla en s'aggravant. Et la vie de Benoît Broutchoux, qui avait débuté comme une farce insolente, allait s'achever en mauvais mélo.

En 1931, il perdit son dernier môme dans une affaire vraiment moche. Germinal, âgé à présent de 26 ans, était un jeune gandin, beau gosse et un peu bohème, embringué parfois dans de drôle de combines. Début février, Germinal et un de ses potes avait piqué une chouette tire dans les beaux quartiers. Le 14 février, les gendarmes repérèrent l'engin en banlieue. Vers 6 heures du soir, Germinal gara la bagnole devant un garage de Bobigny, et descendit. Il avisa alors les pandores qui s'amenaient. Germinal hésita un instant, puis s'élança. Les gendarmes cavalèrent à ses trousses, pistolet au poing. L'un d'eux tira. Germinal bloqua la balle derrière l'oreille et s'effondra, tué sur le coup. Le lendemain, les pisse-copie de tout bords profitèrent du fait-divers pour dégueuler sur le passé de Benoît. Dans L'Humanité on lisait : " La victime, Germinal Broutchoux, était le fils du fameux Broutchoux, diviseur et traître à la classe ouvrière. " Seul Le Libertaire défendit le vieux militant avec un papier de Le Meillour intitulé "Fermez vos gueules" . La mort de Germinal fut un choc terrible pour Benoît. Fou de rage et de chagrin, il balança tout ce qui lui tombait sous la main par les fenêtres de son logis du 114 boulevard de la Villette. Les flics accoururent et internèrent Benoît à Sainte Anne. Quand on le relâcha, il en avait pris un sacré coup dans l'aile. Broutchoux ne devait jamais remonter la pente. Le monde s'effondrait autour de lui. Partout les totalitarismes de tout acabit triomphaient, partout les anars perdaient pied. Sa vie et son idéal amochés, Broutchoux commença à végéter. Il ne mettait plus le nez dehors et passait de longues heures à astiquer son taxi Renault. Bouclé dans sa piaule, il relisait de vieux canards, raturait et corrigeait indéfiniment son journal. Une dernière fois, en juin 1934, il revint faire un tour dans le Pas-de-Calais, une sorte de pèlerinage en somme. Le Grand Écho du Nord, quotidien local, lui consacra sa Une et un article de sa vie militante, dont voici un extrait : " A Bruay, l'autre jour, au moment d'une fête, les invités descendent les marches du perron, lentement, en plaisantant. Nous remarquons un petit bonhomme seul et triste, à qui personne ne prête attention et qui, mélancoliquement, suit la foule, une petite valise à la main. Nous l'avons déjà vu quelque part. Eh ! oui, à Lens le jour de l'inauguration du monument Basly. Mais au fait, c'est Broutchoux, eh oui ! Benoît Broutchoux, une ancienne vedette du monde ouvrier ( ... ).

- Alors, Broutchoux, on a abandonné la politique ?

- Oui, au tour des jeunes maintenant...

- Et vous aimez revoir de temps en temps ce pays minier où vous avez vécu des années aussi agitées ?

Benoît Broutchoux reste un moment silencieux. Il tourne la tête et répond, la voix émue.

- Oui, c'était ma vie, cela...

Il soupire, puis brusquement :

- Au revoir Citoyen...

- Au revoir Broutchoux... "

De plus en plus mal en point, Benoît ne pouvait plus travailler. Sa maigre pension de guerre ne suffisait plus à les nourrir, Fernande et lui. En 1938, les milieux anars et syndicalistes ouvrirent une souscription pour lui venir en aide. Parmi les donateurs, on relève les noms de Lecoin, Dumoulin et Dehay.

L'année suivante, le deuxième casse-pipe mondial éclata. En juin 1940, Benoît, Fernande et sa belle-soeur se réfugièrent dans le Sud-Ouest, à Villeneuve-sur-Lot. Le 2 juin 1944, à 65 piges, Benoît Broutchoux quittait cette maudite planète, " après dix années de maladie et rongé par un mal qui avait fait de lui un petit enfant capricieux dont le cerveau n'avait plus que des lueurs fugitives ", écrivit Georges Dumoulin. Ce dernier, rallié à la Révolution nationale du Maréchal, publia l'unique nécrologie de son ancien camarade dans L'Atelier, un journal syndical collabo. Comble d'ironie, Benoît Broutchoux, qui s'était bagarré toute sa vie contre les curés, fut enterré à l'église.

Son inséparable Fernande, minée par le chagrin, devait le rejoindre dans la tombe trois ans plus tard.







Pour en savoir plus sur Benoît Broutchoux nous vous conseillons d'acheter l'excellent ouvrage intitulé :

Les aventures épatantes et véridiques de Benoît Broutchoux (texte et bande dessinée de Phil Casoar - Textes et recherche historique de Stéphane Callens) écrire à :



Editions Humeurs Noires / Centre Culturel Libertaire de Lille

1/2 rue Denis du Péage 59800 LILLE

Humeur Noire

BP 79 59 370 MONS-EN-BAROEUIL
Ecrit par libertad, à 00:19 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Anonyme
13-07-05
à 23:51

réponse a votre article

<p>Bonjour</p><p>j'ai l' honneur de m'adresser a votre bienveillance afin de répondre avotre article a charge contre notre arriere grand pere</p><p>En effet je m'appelle BASLY Maher , né en Tunisie (Bardo), petit de Marcel et arriere petit fils d'Emile BASLY , Vos amis les socialistes m'on refusé la nationalité française , ma famille a toujours eu des problème avec vos amis les socialiste </p><p>C'est CHIRAC qui m'a redonné la nationalité française en mars 2004 alors je suis résident en françe depuis 1989</p><p>avec vos amis les socialistes, je vivais a Marseille avec une carte de séjour, normal, ayant grandi dans une famille de "politicards" pro arabe et pro indigène, vos alliées les socialistes ont jugés que je n'était pas digne de la nationalitée française. Bref, j'ai connu la dictature, l'humiliation, les menaces de mort par vos amis </p><p>Certes, vous les racistes de gauche, vous vivez grace aux votes des arabes, mais au fond vous etes pire que le national socialisme. de toute façon, vous les gens de gauche vous avez sur vos sales pates :les crimes de sang en Afrique ( Angola , Rwanda, Algérie...) sans oublier que c'est votre gouvernement socialiste qui a participé à la 1ere boucherie de la guerre du Golf contre l'Irak. Bref des rouges !!!</p><p>Quand a votre ami broutchoux, ses descendants sont français, contrairement aux descendants D'EMILE BASLY qui eux vivent en Tunisie avec des passeports Tunisiens </p><p>Conseil d'ami , balayez devant votre propre porte, arreter votre racisme et rappelez vous de la guerre de Tunisie ( où ma famille était du coté des tunisiens pour l'indépendance alors que votre Mittérand ( était ministre de l'intérieur) et aussi de la guerre d'Algérie . Donc vous n'avez pas de leçon a nous donner , nous allons lutter pour les mineurs , puis pour les lensois , pour pour la tunisie et actuellemnt nous sommes forcés de lutter contre vos ami les socialistes , alors SVP arreter d'associer notre nom de famille avec nos ennemis socialiste ( pour nous les tunisiens le PS n'est qu'autre que le national socialisme) NAZIE , KALEB en arabe  </p><p>Allez </p>
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