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Aux pôles, un film catastrophe grandeur nature
Lu sur ContreInfo : "La fonte des glaces au pôle nord a atteint cette année une surface considérable, jamais encore observée. Le Washington Post fait le point sur la situation. En prime, une vidéo saisissante, réalisée à partir d’images de la NASA, montrant en accéléré l’ampleur du phénomène.

Par Douglas Struck, Washington Post, 22 octobre 2007

Pour les scientifiques, le réchauffement climatique est un film catastrophe dont les premières scènes se déroulent aux pôles, et dont l’histoire a déjà débuté. Mais ce n’est plus une fiction.

Les scènes commencent au ralenti. L’emprise de la glace sur l’océan Arctique qui défiait l’homme depuis des siècles est en train de disparaître. La banquise n’occupe plus que la moitié de la surface qu’elle couvrait il y a 50 ans. Durant l’été 2006 elle s’est réduite à un niveau historique, et cette année ce retrait s’est encore accru d’une surface pratiquement égale à celle de l’Alaska. Là ou l’explorateur Robert Parry ne voyait il y a 102 ans qu’un « grand espace blanc s’étendant apparemment à l’infini » autour de l’île Ellesmere, il n’y a plus aujourd’hui que des eaux libres. La course des glaciers Groenlandais vers la mer marque le début d’une inévitable élévation des océans.

Les animaux migrent. Les ours polaires, les rois de l’Arctique cherchent désormais les glaces ou ils peuvent chasser et élever leurs jeunes. Phoques, morses et poissons adaptés aux mers froides se réfugient plus au nord. De nouvelles espèces, saumons, crabes et même des corbeaux viennent du sud s’installer. Les Inuit qui vivaient sur ces terres gelées depuis des milliers d’années voient leurs maisons s’enfoncer dans une boue autrefois gelée, et leurs pistes de chasse semées de fondrières.

Cette animation, réalisée par la NASA [1], montre en accéléré l’évolution des glaces au pôle nord entre septembre 2005 et septembre 2007. (Désolé, 10 secondes de pub au début)

« Tout le monde est affecté, » déclare Carin Ashjian, un membre de l’Institut Océanographique de Woods Hole, qui a passé début septembre avec les autochtones Inupiats à Barrow, la ville la plus au nord de l’Alaska. « La seule glace que j’ai vue était celle dans mon verre. »

Au pôle sud, d’anciennes banquises côtières se sont effondrées brusquement. L’air circulant au dessus de la péninsule Antarctique s’est réchauffé de près de 6° depuis les années 1950. La mer se réchauffe également, et fait fondre l’extrémité des glaciers. L’herbe et les arbres prennent racine en lisière de la glace.

Les pingouins d’Adélaïde, emblématiques de l’Antarctique, migrent vers l’intérieur des terres, cherchant le froid auquel ils sont habitués, et sont remplacés par d’autres espèces qui préfèrent les eaux libres. Les bancs de Krill, cette espèce de crevette qui est à la base d’une chaîne alimentaire allant jusqu’aux baleines, disparaissent de leurs lieux habituels de reproduction.

« Nous avons assisté à de sérieux changement dans l’environnement du vivant, » déclare John King, qui dirige une étude pour le British Antarctic Survey.

Ce scénario était prévu. Mais ce qui alarme le plus les scientifiques c’est la vitesse à laquelle il se déroule. Il y a de cela une dizaine d’années la fonte des pôles étaient prévue à l’horizon d’un siècle. Au lieu de cela, le phénomène se déroule à une vitesse que les scientifiques comparent à celle du jour au lendemain.

Quand le Larsen B, un glacier Antarctique de 3 250 km² épais de 200 m, s’est effondré en 2002, « c’était un preuve éclatante que quelque chose d’inhabituel se déroulait » rappelle Hugh Ducklow, du laboratoire des écosystèmes de Woods Hole. « Les preuves géologiques suggèrent qu’il avait été stable durant au moins 10 000 ans, depuis le dernier âge glaciaire. Et il s’est littéralement désintégré en trois semaines. »

Pour les scientifiques, les prochaines scènes du film, telles que les décrit le GIEC, seront encore plus préoccupantes.

Avec le réchauffement de l’air au dessus du Canada, de l’Alaska et de la Sibérie, la fonte du permafrost libérera les millions de tonnes de carbone et de méthane qui y sont piégées, accélérant encore plus le désastre grandissant. Les glaciers du Groenland se déplacent plus vite, et créeront vraisemblablement durant ce siècle une élévation d’un mètre du niveau des mers, qui pourrait ensuite atteindre 7 mètres, finissant par inonder New York et la Floride du Sud, et chasser des millions de personnes des zones basses du littoral de l’Asie.

La disparition de la banquise en Antarctique de l’ouest ouvre la voie aux glaciers qui rejoignent la mer et libèrent autant d’eau douce que c’est le cas au Groenland. Finalement, le gigantesque continent gelé de l’Antarctique de l’est pourrait lui aussi fondre. La circulation des courants marins Thermohalins commence à se ralentir.

« Je ne vois aucune fin heureuse à tout ceci » s’inquiète Ted Scanbos, qui étudie les glaces polaires à l’université du Colorado.

La plupart des scientifiques disent que les changements prévus aux pôles pour les 30 ou 40 prochaines années sont inévitables, et prévenir des conséquences encore plus graves nécessitera une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Certains ont suggéré des solutions controversées pour tirer partie des pôles. Trois entreprises au moins ont des projets pour « fertiliser » l’océan Antarctique avec du fer pour tenter de capturer plus de carbone dans l’atmosphère.

« Nous renforçons simplement un processus naturel » déclare Dan Whaley, le fondateur d’une ces entreprises basée à San Francisco. D’autres scientifiques récemment réunis à Woods Hole sont sceptiques sur ce projet. « Il y aura des conséquences scientifiques que nous ne pouvons prédire » met en garde John Cullen, un océanographe de Halifax.

Les régions polaires ont souvent été décrites comme ayant pour le réchauffement climatique le rôle qui était tenu par les canaris dans les mines : celui du signe avant-coureur qui met en alerte lorsque des changements interviennent.

Certains voient un bénéfice dans ce réchauffement. Le légendaire passage du Nord Ouest, la route maritime qui va de l’Atlantique au Pacifique en passant au nord de l’Amérique est désormais presque libre de glaces l’été. Cela ouvre de tentantes opportunités commerciales pour les affréteurs et la recherche pétrolière qui espère découvrir de vastes champs de pétrole et de gaz sous l’océan Arctique. Les nations riveraines, Canada, Norvège, USA et Russie se sont engagées dans une course pour cartographier les fonds marins et revendiquer des droits sur les ressources sous-marines.

Mais les pôles ne sont pas de simples alarmes avancées. Ce qui s’y déroule aura - et a déjà - un impact sur le reste du monde.

Prenons l’exemple du permafrost. Les vastes régions arctiques du nord s’étendent sur trois continents qui sont gelés en profondeur depuis le dernier âge glaciaire. Seul une mince couche fond chaque été. Au milieu de ce siècle, cette couche aura 3 mètres d’épaisseur, selon les calculs effectués par le centre de recherche sur l’atmosphère de Boulder, et les gaz à effets de serre qui y étaient emprisonnés depuis longtemps seront libérés. D’ores et déjà, en Sibérie, la fonte libère du méthane, un puissant gaz à effet de serre, qui était retenu depuis 40 000 ans, alimentant un cycle de réchauffement accru entraînant une fonte encore plus importante.

« C’est un processus d’emballement très sérieux » juge M. Scanbos « il y a une catastrophe potentielle, enfouie sous le permafrost. »

Autre exemple, les océans. La température hivernale dans l’hémisphère nord est régulée par celle des courants marins qui circulent comme un gigantesque tapis roulant, dans lequel l’eau qui se refroidit aux pôles plonge dans les profondeurs et se déplace lentement vers l’équateur, où elle se réchauffe et remonte à la surface pour s’écouler ensuite vers le nord en réchauffant les eaux environnantes. C’est grâce à ce mécanisme que le climat de l’Europe est relativement tempéré.

Au fur et à mesure que les glaces fondent en Arctique et dans l’Océan Antarctique, de vastes zones d’eaux libres sont exposées aux rayons solaires. L’eau absorbe alors la chaleur qui jusqu’à présent était réfléchie par la glace. Avec le réchauffement de l’eau, le tapis roulant devrait se ralentir, selon les études du GIEC [2]. Dans le pire des cas, il pourrait s’arrêter. La dernière fois que cela est arrivé, voilà 15 000 ans, l’hémisphère nord a été plongé dans un âge glaciaire bref et brutal, en seulement quelques dizaines d’années.

« C’est comme si nous avions une piscine d’eau chaude au milieu de ce qui est sensé être le climatiseur du nord, » déclare M. Scanbos. « Et cela aura lieu durant nos vies, pas celles de nos petits-enfants. »

C’est aujourd’hui l’Arctique qui connaît le changement le plus rapide et le plus significatif. Mais ces modifications devraient être suivies de contrecoups dans les régions sud, estime Mme Elle Mosley Thompson, de l’université de l’Ohio, qui effectue des forages et des mesures dans les régions polaires depuis 25 ans.

L’Antarctique a envoyé des signaux assez compliqués dit-elle. L’intérieur des terres est « un glacier monstrueusement étendu qui crée son propre micro-climat ». Les vents qui soufflent autour de l’Antarctique l’ont protégé, ce qui fait que les températures moyennes n’ont que peu varié en 50 ans, et que la couverture neigeuse à l’intérieur s’est accrue.

De plus la glace de l’Antarctique repose sur la terre et même le réchauffement des prévisions les plus sombres ne l’affecterait sans doute qu’assez peu.

Mais l’Antarctique de l’ouest et la péninsule qui s’y élance vers le nord ont un schéma climatique différent. L’atmosphère au dessus de la péninsule est l’une des trois localisations au monde où le réchauffement est le plus rapide. La région Arctique à l’ouest du Canada et de l’Alaska et les montagnes de Chine et du Tibet sont les deux autres. La mer se réchauffe également, accélérant la désintégration des banquises. Lorsqu’elles ont disparu, les glaciers accélèrent leur mouvement vers la mer, élevant le niveau de mers.

« Nous pensions que le climat de l’hémisphère sud était plus stable par nature, » note M. Scanbos. Mais « toutes les échelles de temps se sont raccourcies aujourd’hui. Ces choses se déroulent très rapidement. Une ou deux dizaine d’années, voila qui est suffisant pour changer l’équilibre général. »

« La situation est plus proche d’une bascule soudaine que nous ne le souhaiterions. »


Publication originale Washington Post, traduction Contre Info

[1] Le Washington Post présente ainsi cette animation : Cette video, réalisée par la NASA montre l’intensité du changement subi par les glaces du pôle entre le 21 septembre 2005 et le 14 septembre 2007. Durant la saison 2007 a été atteinte la plus faible surface de glace jamais enregistrée - près de 25% en moins que la valeur de 2005 et 38% en dessous des moyennes. Video réalisée par la NASA/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio

[2] Ndt : La plupart des études s’inquiètent plutôt de la diminution de la salinité de la mer, due à l’apport de la fonte des glaces, qui empêcherait les eaux du courant thermohalin, plus salées donc plus légères, de plonger vers le fond de l’océan.

Ecrit par libertad, à 22:07 dans la rubrique "Ecologie".



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