LE 27 NOVEMBRE 2006, près de 160 familles, voisins de la Villa Fiorito(1) et Villa Caraza(2), lassées de ne pas avoir de lopin de terre où construire des habitations, ont occupé une décharge clandestine, située à l'intersection de la rue Hornos et de la Rivera(3) Sud du riachuelo(4).
Ce terrain était utilisé de façon illégale comme décharge par ses propriétaires, et tous les jours, sans aucune autorisation, d'importantes quantités d'ordures y étaient déposées, puis régulièrement brûlées. Des résidus industriels, des déchets d'hôpitaux, des restes d'animaux décortiqués des ateliers de fabrication de cuir des alentours, faisaient partie du paysage ordinaire. Les maladies que cela engendre sont nombreuses et variées, tout comme les victimes.La récupération des terrains a été réalisée de façon spontanée par les voisins qui ont dès lors commencé à transformer ce qu'ils connaissaient comme « La Quema»(5) en un nouveau foyer. Malheureusement, l'état écologique du terrain présente toujours autant de risques pour les familles: la grande quantité de déchets qu'on y a déposée et incinérée ayant contaminé la zone.
Cette situation fait partie des innombrables dénonciations effectuées auprès du commissariat N°5 de la Villa Fiorito et auprès de la mairie de Lomas de Zamora.
Les familles gardent le cap de leur lutte: elles rejettent les structures partisanes et clientélistes et leurs membres, les considérant comme en partie responsables de la situation. Habitués aux manoeuvres et spéculations politiques en Argentine, les voisins ont décidé de laisser les partis politiques et les punteros(6) en dehors de cette expérience. C'est pourquoi ils s'auto-organisent en assemblées horizontales.
Trois mois plus tard la lutte continue et doit aujourd'hui faire face à des menaces diverses, d'où ressort le rôle de l'Etat et des propriétaires.
Absence de protection légaleDans le système capitaliste, la loi étant faite suivant les privilèges d'une classe dominante et pour garantir la protection la propriété privée, les familles impliquées sont considérées comme usurpatrices, car elles ont récupéré un terrain qui était utilisé comme décharge, et sont dans une situation désavantageuse.
On voit se refléter ici la fonction remplie par l'appareil juridique de l'État: celui qui lutte pour vivre dignement est considéré comme hors la loi, tandis qu'on ne met pas en cause le propriétaire du terrain qui utilise les terres comme vide-ordures pour faire du profit économique, et qui contamine la zone, rendant malades les riverains des quartiers avoisinants.
Les deux propriétaires du lieu d'incinération illégal sont en train de mobiliser tous leurs moyens pour réaliser une expulsion massive de celui-ci, ainsi que d'un des quartiers voisins; où il y avait déjà eu une expulsion en 2002 pendant laquelle les propriétaires, via l'action de la police de Buenos Aires et des forces parapolicières, avaient attaqué avec des balles de plomb et sans pitié les habitants du quartier, tuant trois personnes, dont une jeune fille enceinte âgée de 15 ans, abattue d'une balle dans la tête. Cette attaque a donné son nom au quartier, dont ils n'ont pu chasser les habitants: quartier « La Soledad » (la solitude).
Revendiquant le droit à un logement digne et à cause de cette menace existante de répression meurtrière habituelle dans ces quartiers, les familles demandent l'expropriation des terrains par la municipalité. Et appellent également à toute la solidarité des organisations et des compagnons engagés dans la lutte pour un changement radical de cet état de misère et d'exploitation qu'est le capitalisme.
Urgence relative au logementActuellement, 160 familles vivent sur le terrain, ce qui représente plus de 1000 personnes sans logement et dans une situation de logement précaire, étant donné l'état d'insalubrité dans lequel se trouvent les terrains, à cause de l'usage illégal qu'en ont fait les propriétaires.
Sur le terrain il n'y a ni caniveau ni égout, les connexions électriques sont incertaines et on ne parle même pas de l'accès au gaz naturel. C'est pourquoi les voisins organisés en assemblée exigent l'aménagement urbain du terrain en même temps que son expropriation, afin de pouvoir y demeurer avec un niveau minimum de qualité de vie. Cette situation n'est pas caractéristique uniquement à ce quartier: elle se répète dans tous les quartiers de Villa Fiorito et de Villa Caraza.
Urgence sanitaireLe quartier n'a rien qui puisse ressembler à un centre de santé ou quoi que soit d'analogue, ce qui est également une situation qu'on retrouve dans tout le nord de la Villa Fiorito : on y trouve des salitas(7) où selon un dicton populaire: « On te recoud avec une cuillère et du fil alimentaire »; le manque de matériel médical nécessaire s'ajoutant au prix élevé des médicaments. Cela est à l'origine de la mort de personnes victimes de maladies curables, et de l'aller-retour constant à Buenos Aires des familles qui travaillent, afin de pouvoir prendre dignement soin de leurs proches.
Urgence écologiqueLe campement a été bâti sur les ordures et ce sont 320 adultes avec une moyenne de 3 à 4 enfants par famille qui y vivent.
Le cuir brûlé s'amoncelle sur ce qui tient lieu de sol, les métaux et engrenages oxydés abondent de toutes parts... le terrain n'est qu'une étendue d'ordures.
C'est pourquoi nous exigeons que la municipalité nous fournisse des machines pour nettoyer le terrain, entre autres mesures sanitaires, afin que les familles et leurs enfants puissent vivre sans crainte de tomber malades à tout moment.
Cette histoire n'est pas nouvelle. Durant ces dix dernières années, la lutte populaire des habitants a permis la construction de tous les quartiers de la zone nord de Fiorito ;ils se sont organisés et ils ont construit leurs quartiers via la récupération de terrains abandonnés et improductifs, afin de gagner leur terre et leur dignité.
En tant qu'organisation nous accompagnons ce processus de lutte initié par les voisins ainsi que toutes leurs revendications. C'est pour cela que nous appelons à faire part de cette situation, étant donné le risque grave d'expulsion qui règne.
En construisant horizontalement, pour un changement social
Grupo La Rivolta
http://larivolta.awardspace.infoI. Villa: quartiers très pauvres, bidonvilles, apparus dans les années 1920, censés être provisoires, mais qui sont toujours là. On pourrait les comparer aux favelas du Brésil.
2. Deux villas situées au Nord de la municipalité de Lomas, dans la province de Buenos Aires, qui jouxte la frontière sud de la ville de Buenos Aires
3.Traduction littérale: ruisselet
4. Le Riachuelo est (comme son nom l'indique!) une petite rivière. Elle est située entre le sud de la ville de Buenos Aires et la province de Buenos Aires.
5. C'est ainsi qu'on appelait les lieux d'incinération des ordures, normalement aujourd'hui interdits...
6. Personnes dont le rôle est de convaincre la population de voter pour un parti, auxquels elles-mêmes n'appartiennent pas officiellement, mais dont elles reçoivent de l'argent (en général) en récompense de leurs services.
8. Tout petit centre d'assistance médicale.
Le Monde libertaire #1469 du 15 au 21 mars 2007