Une sélection de traductions de textes de la brochure «Luttes sociales en Argentine », contenant des traductions d'articles et de textes argentins sur les mouvements piqueteros, les entreprises récupérées et autogérées, les assemblées de quartier, sortie en 2004.
MEMOIRES PIQUETERAS
Au cour de la
terre, un feu maintient la chaleur dont nous avons besoin pour que la vie
continue. Au centre de l'histoire, brûle la mémoire des luttes historiques du
peuple. Quelques noms s'oublient, restent comme des cendres. D'autres éclairent
de courts moments et ensuite s'éteignent. Ce sont ceux qui sont devenus symboles
de cette étape de résistance, qui est argentine, mais aussi latino-américaine et
mondiale. Quand on fera le recensement des révoltes des exclues et exclus de ce
temps, il faudra faire l'histoire du Santiagazo (1), du Jujenazo, des
résistances de Corrientes, de Cutral-Co, de General Mosconi (2). Des
soulèvements populaires qui réfutèrent les discours de fin de l'histoire,
ouvrant des chemins, coupant des routes, incendiant les symboles du pouvoir,
récupérant dans leurs pratiques l'autonomie et la démocratie de base, générant
des espaces comblant l'absence d'organisation populaire résultant de la
dictature militaire, pour que les oublié-e-s disent leurs paroles et fassent de
leurs vies un projet valable.
Les argentines et argentins, nous sommes en
train de tracer de nouveaux chemins pour continuer les batailles émancipatrices,
pour nous faire sujets de création et de reconstruction de nous-même, comme
personnes, comme organisations, et comme peuple. Le génocide brutal réalisé par
la dictature militaire (1976-1983) a enseveli des rêves, des espérances, des
croyances, des idées, des notions du monde. Il n'est pas possible d'expliquer
les atteintes de l'initiative des classes dominantes, sans prendre en compte
l'extermination d'une génération complète de militants qui questionnèrent le
pouvoir et tentèrent de créer une possibilité de libération et d'autonomie dans
notre histoire. La réponse du pouvoir fut l'anéantissement des femmes et hommes
dignes, des jeunes qui le défièrent non seulement dans sa possibilité
d'accumulation de richesses mais aussi et surtout par la perte de respect de ses
valeurs, de ses ordres et de sa façon de discipliner le monde. Il s'est écoulé
un temps avant que la génération qui naquit des entrailles de ces jeunes
exterminé-e-s, se lève pour nier autant le terrorisme d'Etat qui assassina et
fit disparaître leurs pères et mères, que les démocraties renaissantes qui
complétèrent cette extermination avec des politiques d'impunité. L'« escrache »
fut la forme de lutte qu'assumèrent les jeunes dans la bataille pour la mémoire,
la justice, contre l'oubli et le silence, pour leur propre identité. L'«
escrache » (3) est la forme argentine de condamnation sociale des responsables
directs et des auteurs intellectuels des crimes de terrorisme d'Etat, des
militaires, des politiques, des religieux, complices de l'histoire d'impunité
qui a modelé la conscience collective de l'Argentine postmoderne.
Nous
sommes toutes et tous des survivants du massacre. Nos 30 000 disparu-e-s ont
survécu à leur mort et sont présents dans chacun de nos actes, bien que parfois
ils ne le sachent pas, bien que parfois nous l'oublions.
Les politiques
impérialistes dans les dernières décennies ont prit différentes formes, visant
toujours à établir l'hégémonie de la bourgeoisie nord-américaine, de ses
entreprises transnationales et de son Etat, dans le monde entier. Pour cela, ils
ont avancé à feu et à sang dans l'anéantissement de ceux qui résistaient à leurs
projets de dévastation économique, sociale, politique et culturelle de nos pays.
Dans les années 70, sous la Doctrine de Sécurité Nationale, l'expansion
capitaliste a produit un véritable génocide et a laissé des blessures qui ne
sont toujours pas cicatrisées. Mais aussi profondes que ces dernières sont
celles causées par les politiques néo-libérales du capitalisme mondial dans les
années 80, à l'intérieur des démocraties renaissantes. Ce fut dans ces années
que l'exclusion a promu la disparition sociale des personnes et des peuples, à
partir de la marginalisation de couches entières de nos sociétés. Cela s'est
produit avec l'impunité de l'étape post-dictatoriale, qui amnistia les crimes de
lèse humanité. Des régions entières du pays, des provinces, des villages furent
déclarées non rentables pour un projet qui concentra et centralisa des capitaux
au prix de la négation de la vie digne de millions de personnes. Il se forma, à
l'abri de l'impunité des puissants, une sous humanité, condamnée avant de
naître, à la dénutrition, à la faim, à l'économie de stricte subsistance, et
même à la mort.
Le travail est devenu de plus en plus un objet de luxe.
Le capitalisme accentue l'aliénation jusqu'à des limites inconnues. Dans le
capitalisme du 21ème siècle, une grande quantité de femmes et d'hommes n'ont
même pas la possibilité de travailler. Dans les conditions de chômage massif,
qui affectent des régions entières du pays, la vente de la force de travail se
réalise dans des conditions de super-exploitation. La loi du profit maximum qui
régit la conduite du capitalisme, favorise la production d'objets jetables, ce
qui permet une fois encore de stimuler le consumérisme et de réinicier le cycle
productif. Cette même loi a également rendu jetables les êtres humains. Le
chômage a eu un pic historique durant le gouvernement de Carlos Menem, avec 18,6
% de chômeurs en 1995, en chiffres officiels et 20 à 24 % selon les chiffres
syndicaux. En avril 1999, un rapport de la Banque Mondiale signalait l'existence
de 13,4 millions de pauvres et de 3,2 millions d'indigents dans une population
de 36 millions d'habitants. Le gouvernement de De La Rua (1999-2001) a accentué
cette tendance, à laquelle s'est agrégée une augmentation de la répression, avec
des morts dans les différents conflits. La révolte des 19 et 20 décembre 2001
fut l'explosion de la colère accumulée dans nos sociétés, ce fut l'explosion de
la dignité, ce fut la multiplication des résistances populaires et ce fut aussi
le résultat de l'accumulation préalable réalisée dans les soulèvements
populaires des régions abandonnées (4).
Les politiques néo-libérales
accumulent de super-profits pour quelques uns et du mécontentement pour une
majorité. La « médecine » appliquée face à la révolte des opprimé-e-s est
l'accroissement de la répression et de la militarisation du pays. Les rapports
des services secrets désignent comme « subversives » les personnes désespérées
qui exigent leurs droits minimums. Pour cela, ils préparèrent et
perfectionnèrent des corps de répression, comme les Forces de Déploiement Rapide
dans lesquelles fut convertie la Gendarmerie Nationale.
Ce n'est pas par
hasard non plus que les forces armées des pays latino-américains emmenées par
les militaires étasuniens développent des exercices connus comme le Plan
Cabanas, qui comporte des pratiques « antisubversives » et « antinarcotiques »,
et que celui ci se soit réalisé précisément dans la province de Salta, où se
sont produits quelques uns des conflits les plus violents du pays (5). Selon des
documents du gouvernement argentin, l'objectif de cet entraînement serait de
créer un « commando militaire unifié » pour combattre le « terrorisme » en
Colombie. Le nord-ouest argentin s'est militarisé et il y a des endroits dans
lesquels il est difficile de circuler à cause des contrôles militaires
permanents sur les routes et dans les localités, qui créent un climat de
persécution similaire à celui du temps de la dictature. C'est dans ce contexte
que quatre dirigeants piqueteros (travailleurs sans emploi qui font des barrages
de routes) de General Mosconi ont été arrêtés.
Mais malgré les menaces et
la répression, il existe en Argentine une culture accumulée de résistance qui
conduit à construire de nouvelles formes de lutte et à proposer des
alternatives. Le temps du découragement généralisé et de la résignation est
maintenant terminé. Des mots comme dignité, travail, vie sont redevenu hautement
subversifs et sont adoptés par des peuples entiers qui se rebellent devant leur
propre négation, en niant les dominateurs.
La résistance populaire donne
des sens différents et de nouvelles significations à ces mots ou en crée de
nouveaux pour identifier les nouveaux processus sociaux. Piquetero est le nom
donné et assumé qui désigne ceux qui ont décidé de ne pas accepter le chômage.
Ainsi comme le capitalisme a tenté de convertir les chômeurs en nouveaux «
disparus sociaux », c'est le peuple qui fait « apparaître » les femmes et les
hommes comme sujets historiques, les mêmes mais différents, les « apparus », les
piqueteros. Et c'est aussi cette praxis dans laquelle les noms des premiers
travailleurs tombés dans cette étape, comme Anibal Veron de Salta ou Teresa
Rodriguez de Cutral-Co, sont portés aujourd'hui par des milliers de femmes et
d'hommes qui ont ainsi dénommé leurs organisations de masses.
Les
mouvements piqueteros en Argentine (6), réunissent et mobilisent une grande
partie de la population. Il existe parmi eux une grande diversité de critères,
de formes de lutte, de concepts politiques et idéologiques. Les « cortes de ruta
» (coupures de routes) sont les formes les plus connues de la lutte piquetera.
Cela n'est cependant qu'une des faces de ces mouvements, celle qui se présente
dans les cas d'extrème nécessité.
Des organisations de travailleurs sans
emploi comme la UTD (Union de travailleurs sans emploi) de General Mosconi, ont
su lier, créativement, ces manières de résistance, en générant une grande
quantité de projets productifs qui donnent vie au peuple, comme la construction
de grands jardins collectifs, de cantines populaires, de salles de premiers
secours, de places, etc.
L'administration des « Planes Trabajar » (7) a
été pour les mouvements piqueteros un facteur complexe, dans la mesure où cela
les rend vulnérable aux maniements qu'en fait le pouvoir (8) ; et les convertis
dans le même temps en médiateurs des demandes des exclus (9). Dans ce contexte
l'expérience de la UTD apporte des critères intéressants où la faiblesse,
travaillée collectivement, se transforme en force, vu qu'ils ont su combiner la
lutte pour les Plans Trabajar, avec une forme d'organisation collective de la
production dans laquelle s'appliquent ces plans, dans laquelle se forge une
nouvelle conscience sociale, et les bases authentiques d'un pouvoir populaire.
Dans le même temps, ils ont continué le combat avec les entreprises de pétrole
pour de véritables postes de travail.
Dans les moments dans lesquels le
conflit social a redoublé, et spécialement pendant les crises de gouvernabilité,
les piqueteros furent diabolisés. Répétant la « théorie des deux démons »,
assénée par Raùl Alfonsin (premier président élu après la dictature) qui
comparait le terrorisme de l'Etat et ses crimes avec les actions
révolutionnaires des mouvements insurgés de l'Argentine, le pouvoir actuel porte
un discours sur les « piqueteros violents », avec lequel on désigne précisément
ceux qui résistent aux tentatives de cooptation des forces du système (10). Ces
positions ont apporté de l'eau au moulin de la répression institutionnelle,
favorisant le climat d' « oppression » et de persécution qui se développe dans
les zones les plus vulnérables du pays.
Dans des secteurs de la gauche
institutionnelle, on a également minimisé le rôle politique et social assumé par
les travailleurs sans emploi, organisés dans les mouvements piqueteros. La
difficulté de canaliser électoralement ces formes de résistance, et les projets
populaires alternatifs générés dans les mouvements -surtout ceux comme la UTD
(Union des travailleurs sans emploi) de Mosconi qui ont défendu leur autonomie
par rapport aux forces politiques partidaires -, provoque une méfiance dans les
secteurs qui considèrent que la politique se résume aux batailles électorales,
ou dans les possibilités de capitalisation des luttes en faveur de tel ou tel
parti politique.
Les coupures de routes -qui comme les escraches
aujourd'hui se sont généralisés vers d'autres secteurs sociaux comme forme de
protestation- sont jouées principalement par des franges de la population
organisées, combatives et résistantes. Leurs formes de lutte défient le pouvoir
et aussi les manières traditionnelles de comprendre la résistance. Il ne s'agit
pas de secteurs marginaux, sans conscience, spontanéistes, comme les décrivent
certaines analyses fonctionnelles à l'ordre systémique. La majorité des acteurs
de ces conflits sont des travailleurs, avec la confuse mais significative
conscience de classe acquise au vingtième siècle, à partir de leur participation
dans les luttes ouvrières et populaires. Des travailleurs exclus par des
politiques de privatisations et d'hyper concentration du capital réalisées par
le modèle néolibéral, ainsi que par le déplacement des investissements du
terrain productif à celui financier. Quasi tous les mouvements comptent un
groupe de dirigeants forgé dans l'expérience des luttes des décennies passées,
et par des milliers de jeunes qui se sont ajoutés ces dernières années, dans le
contexte de la destruction d'un pays, qui leur enlève toute possibilité de rêver
à un futur individuel ou collectif. Face à l'absence d'école qui puisse les
former comme professionnels, techniciens, intellectuels, dans un contexte de
manque d'alternatives, les adolescents et les jeunes trouvent leurs écoles dans
les mouvements piqueteros. Là ils apprennent à lutter, et aussi apprennent des
métiers, reçoivent une formation politique, construisent de nouvelles
utopies.
L'exclusion, cependant, n'est pas seulement une forme
d'organisation de l'économie et de la politique. C'est aussi une forme
d'organisation culturelle et sociale. En effet, sauf dans les moments d'essor
des conflit, et très associé aux affrontements avec la Gendarmerie et à la mort
des piqueteros et des piqueteras, leur expérience n'est pas suffisamment connue
par d'autres secteurs populaires. Paradoxalement, ce sont les morts des hommes
et des femmes, ce sont les nouvelles disparitions qui les rendent visibles face
aux médias de communication de masse. Les morts tentent de ralentir, RETOTRAER
la résistance populaire, ravivant le mécanisme de terreur, introduit autant dans
notre subjectivité que dans nos corps durant la dictature. On a systématiquement
occulté ce que ces organisations ont créé en terme de formation d'alternatives
économiques, sociales, productives, culturelles. On a occulté les dénonciations
qu'elles ont faite sur la déprédation de la nature, de la terre, des eaux et de
la vie humaine réalisées par les multinationales avec la complicité des
gouvernements. Récupérer ces expériences est un apport à la nécessaire
systématisation des efforts populaires tendant à résister aux politiques de
privatisation et de destruction de nos économies et de nos peuples. C'est aussi
une tentative de contribution à la possibilité de nous reconnaître, d'apprendre
de notre histoire récente, de rencontrer en elles des racines et de possibles
fruits.
Il existe un énorme retard dans la pensée critique développée par
des fondations, des académies et des partis politiques. Le dogmatisme a laissé
des trous aussi difficile à dépasser que les blessures laissées par la
répression. L'offensive culturelle du néolibéralisme a eu une grande capacité
pour coopter des intellectuels et des militants culturels, et pour INFICIONAR la
théorie sociale du pragmatisme, du court terme et de superficialité. Il existe
toujours une grande distance entre les intellectuels qui se considèrent de
gauche, révolutionnaires et les mouvements populaires. C'est une brèche qui doit
être dépassée afin d'avancer dans la création d'intellectuels organiques des
mouvements populaires et d'un intellectuel collectif qui apporte à la
constitution d'un nouveau bloc historique des opprimé-e-s et des exclu-e-s. Dans
cette situation, il y a un ensemble de pratiques sociales et populaires qui
attendent, au moins, d'être connues pour pouvoir être interprétées et apporter à
la re-élaboration des théories révolutionnaires et des projets de changements
véritables.
NOTES
1- En décembre 1993, à Santiago del Estero
(province du nord-ouest), les restrictions budgétaires imposées par le ministre
Domingo Cavallo (déjà en activité sous la dictature militaire), apôtre du
monétarisme, entraînent des manifestations des fonctionnaires locaux, qui
tournent à l'émeute pendant plusieurs jours ; les bâtiments administratifs et
les demeures des politiciens sont incendiés. A cette époque, une répression
cachée essayait de maintenir la domination de tous ceux qui avaient soutenu le
régime militaire. Le numéro de décembre 1993 du journal Madres de Plaza de Mayo
(« Mères de la place de Mai » ) publiait une liste de « disparus « non de la
dictature mais de la « démocratie ». (Echanges et mouvement, « Argentine, de la
paupérisation à la révolte »,
www.mondialisme.org)
2- De mai à
juillet 1997, plusieurs provinces sont touchées par l'action des piqueteros, de
nouveau à Cutral Co, à Tartagal (dans la province de Salta, à l'extrême
nord-ouest, à la frontière bolivienne), à San Salvador de Jujuy (dans la
province de Jujuy, proche de la précédente, vers le Chili), à Cruz del Eje (dans
la province de Córdoba, près de l'importante ville de Córdoba au nord-ouest de
Buenos Aires), des milliers de piqueteros bloquent les routes pendant près de
quarante-cinq jours pour de la nourriture et la levée des coupures d'eau et de
courant. Partout, les chômeurs s'affrontent avec les forces de répression. En
1998, à Corrientes, dans la province du même nom, au nord du pays, les
travailleurs municipaux bloquent, sur le fleuve Parani, les ponts qui assurent
la liaison avec la province voisine du Chaco Central ; les piqueteros viennent
les appuyer. Fernando de la Rua, successeur de Menem, fait tirer sur les
manifestants et le bilan de 10 morts et de nombreux blessés ne calme pas une
révolte qui se prolonge plus d'une semaine. De nouveau dans la province de Salta
(extrême nord-ouest), Tartagal, déjà le théâtre d'émeutes en 1997, connaît en
décembre 1999, puis en mai 2000, des mouvements beaucoup plus importants : cette
ville et Mosconi, dans la même province, sont occupées pendant plusieurs jours,
forces de l'ordre pratiquement expulsées. De nouveau à Tartagal, en novembre
2000, la mort d'un manifestant lors d'une action pour avoir le paiement
d'arriérés de salaires provoque une émeute : des bâtiments officiels sont
incendiés et des policiers pris en otage. (Idem)
3- Forme de dénonciation
populaire, au départ elle concernait les militaires ayant participés sous la
dictature de 1976 à des tortures, enlèvements ou assassinats. Avec la crise
économique, elle est de plus en plus pratiquée contre des hommes ou femmes
politiques ou des responsables économiques. Une convocation où figurent le nom
et l'adresse du militaire ainsi que son activité est placardée sur les murs de
son quartier pour informer les habitants de la présence d'un tortionnaire. Une
manifestation est ensuite organisée dans le quartier jusqu'au domicile du
concerné. (N. d. T.)
4- Le 19 décembre 2001, face aux émeutes et aux
pillages qui secouent le pays, le président déclare l'état de siège. Des
milliers de personnes descendent alors dans la rue aux cris de « que se vayan
todos » (« qu'ils s'en aillent tous »). Le 20, le gouvernement choisit la
répression, les combats de rues dureront neuf heures et se solderont par 35
morts. Le président De la Rua finira par démissionner. (N.d.T.)
5-
Manouvres militaires qui se sont déroulées en septembre 2001 à l'extrême nord de
l'Argentine, dans la province de Salta, où plusieurs milliers de militaires
américains, argentins et d'autres pays d'Amérique latine se sont retrouvés
autour de l'élaboration d'une stratégie visant à contrer toute action de
déstabilisation d'un des pays concernés (idem note1)
6- On compte en
Argentine une quinzaine de mouvements de piqueteros. Au départ, ce furent des
mouvements indépendants et autonomes mais les partis politiques de gauche (c'est
à dire d'extrême gauche) et le parti communiste argentin finirent par créer les
leurs. Certains sont plus « démocratiques » que d'autres, c'est le cas des MTDs
(Mouvements de travailleurs sans emploi) regroupés dans la coordination Anibal
Veron (N.d.T.).
7- Planes trabajar o jefes y jefas : « contrats » de 2O
heures par semaine payés 150 pesos (300 francs) par mois utilisés par les
collectivités publiques. Ils furent obtenus grâce à la lutte des piqueteros).
Les mouvements de piqueteros ont également obtenus la gestion directe d'une
partie de ces plans, les bénéficiaires travaillent donc « au service » des
mouvements dans des projets productifs collectifs, ce qui d'ailleurs posent
quelques problèmes de « clientélisme », surtout dans les mouvements de chômeurs
des partis d'extrême gauche (N.d.T.).
8- Le Parti Justicialiste
(péroniste) a développé un clientélisme important, ces hommes de main (les
punteros) dans les quartiers sont chargés entre autres « d'acheter » des votes,
ils sont le maillage d'un véritable système de favoritisme politique que l'on
pourrait qualifier de mafieux (à l'image des syndicats d'Al Capone, le principal
syndicat argentin, la CGT, est complètement inféodé au péronisme)
(N.d.T.).
9- Nombreux sont ceux, y compris dans les mouvements
piqueteros, qui critiquent les Planes Trabajar, les considérant « misérables »
(à moins de considérer cela comme une solution d'urgence et de revendiquer
parallèlement un changement global). La gestion de ces plans par les mouvements,
surtout lorsqu'elle n'est pas démocratique, n'est pas non plus sans poser de
problèmes (voir note n°3) (N.d.T.).
10- Le 26 juin 2002 sur le Pont
Pueyrredon qui sépare la capitale Buenos Aires de sa banlieue lors d'un piquete,
Dario Santillan et Maxi Kosteki, deux membres des MTDs furent délibérément
assassinés (N.d.T.).
Claudia Korol, coordinatrice de l'équipe
d'éducation populaire de l'Université Populaire des Mères de la Place de
Mai.
Texte extrait du cahier d'éducation populaire de l'Université
Populaire des Mères de la Place de Mai intitulé « Coupant les routes du pétrole,
systématisation de l'expérience de lutte de l'Union des Travailleurs sans emploi
de General Mosconi »- Mai 2003.
Traduit par Fab -
santelmo@no-log.orgQUE
FONT LES ASSEMBLEES MAINTENANT ALORS QUE
LES CASSEROLES SONT DANS LES
ARMOIRES ?
Contre une croyance commune qui les donne disparues, au moins
100 assemblées de quartier sont toujours sur pied à dans la capitale et la
province de Buenos Aires. Que font-elles ? Que cherchent-elles ? Demandent-elles
toujours que se vayan todos (qu'ils s'en aillent tous) ?
Ce furent
d'énormes masses. Des gens avoir le besoin de dire des choses, ou de faire
catharsis, ou de se plaindre et proposer, ou de balayer la direction politique
et de reconsidérer le système de représentation. Après décembre 2001, elles
prirent la forme d'assemblées populaires et de quartier, fluctuantes et
hétérogènes, mais toujours en recherche de politiques alternatives. Quelques
unes se sont désarticulées avec le temps, d'autres ont souffert d'une forte
désertion. Maintenant elles ne produisent plus le bruit des casseroles mais,
plus silencieuses, n'arrêtent pas de générer des actions variées et de
multiplier des débats politiques internes.
Dans leurs deux années
d'existence, elles furent enracinées dans leurs quartiers avec une tendance à
assumer des tâches que, elles le comprennent, devrait accomplir l'Etat. Elles
ont une pratique commune qui les définit : elles discutent avec des procédés
assembléaires, soumettent tout au vote et n'ont pas de leaders.
Au milieu de
l'année 2002, on comptabilisait plus de 240 assemblées entre la Capitale et la
banlieue. Quelques unes atteignaient plus de cent vecinos (voisins ou habitants)
dans leurs réunions. Aujourd'hui elles sont une centaine, intégrées par une
moyenne de vingt personnes, ou le double, dans certains cas.
Beaucoup
d'assemblées ont installé des cantines populaires. Elles donnent à manger aux
vecinos pauvres, aux cartoneros (1), et aux chômeurs. Elles ont leurs propres
potagers. Elles offrent des ateliers artistiques, montent des bibliothèques,
enseignent à lire et écrire et cherchent des sorties autogérées au chômage et
aux problèmes de logement avec des critères d'économie solidaire. Il y celles
qui mettent de l'énergie à éclaircir des crimes commis dans leur quartier,
celles qui participent à la récupération de fabriques et celles qui agissent
avec les piqueteros. Elles maintiennent toujours des débats politiques, dans les
dernières semaines elles ont participé à la campagne contre l'ALCA (Zone de
libre échange des Amériques - ZLEA) et donné leur opinion sur la loi des
communes. Dans l'assemblée de Temperley, par exemple, ils ont célébré
l'ouverture d'une boulangerie. On leur a donné un four et un réfrigérateur, ils
se sont installés dans un local abandonné et un vecino enseigne le travail.
Fabio Nunez, avocat et assembléiste : « L'activité porte une déclaration
politique : c'est de générer le travail que nous refuse le système, générer ce
qui nous semble impossible, comme un préalable au changement du système. Nous
croyons au travail égalitaire. C'est notre forme de construire du pouvoir ». Le
politologue German Perez, chercheur en protestation sociale à l'Université de
Buenos Aires, soutient que « le repli des assemblées dans l'espace du quartier
et la diminution de leurs membres, se doit en partie à l'expectative générée par
le gouvernement actuel qui construit sa légitimité sur la base des demandes que
formulèrent les assemblées : les purges dans les forces de sécurité, l'épuration
de la Cour suprême. De plus, la participation passe par des cycles. Pour
n'importe lequel des citoyen, participer est toute une forme d'investissement de
ressources ». Il y a, en plus, des secteurs moyens qui devant les signes de
recomposition politique en reviennent à la coutume de déléguer la
représentation.
Les assemblées ont eu des moments importants de présence
dans les rues dans leurs premiers mois et ont convergé dans une interbarrial
(assemblée inter-quartiers) dans le parc Centenario. Ici se cristallisèrent les
problèmes entre personnes avec peu ou pas d'expériences militantes avec des
partis politiques d'extrème gauche qui crurent voir dans les assemblées le germe
d'une insurrection. Beaucoup de caceleros considèrent que cette situation
provoqua des désertions. Cette année, les partis se sont retiré de l'arène
assembléaire. Les nombreux épisodes de menaces à assembléistes, surtout en 2002,
paraissent aussi avoir eu un effet répulsif.
L'articulation entre assemblées
a toujours été compliquée. Après la disparition de l'interbarriale, il y a eu
des tentatives de créer des instances de confluence qui furent établis par zone
-il y a une interbarrial à Vicente Lopez, un groupe d'assemblées de la zone Sud,
un autre en zone Ouest- et périodiquement se réunit un groupe des assemblées
auto-dénommées autonomes. Selon Perez, il est difficile de parler d'un mouvement
assembléaire. « Elles apparaissent avec des objectifs différents et ne sont pas
toujours convergentes ; la construction d'une histoire politique partagée est
une des principales difficultés ». Dans son étude « Modèles d'assemblées : entre
l'auto-gouvernement et la représentation » (avec Martin Armelino et Federico
Rossi), il fait une différence entre assemblées populaires (multiclassistes,
opposées à l'Etat et avec des débats qui visent à l'unanimité) et assemblées de
quartier (limitées au quartier, proposent des débats qui amènes des désaccords
et cherchent le consensus)(2).
« Même si avec nos petites actions nous
pensons être en train de construire un pouvoir populaire autonome, il est autant
important de penser à améliorer notre qualité de vie que de discuter la relation
avec les institutions et qu'exercer la démocratie directe. Qu'un chômeur puisse
venir danser le folklore et se détendre est possible », affirme Viviana, 41 ans,
de Corrientes y Juan B. Justo. Octavio, de Cid Campeador, ajoute : « Ceux qui
sont en assemblée, nous résistons à l'apathie et au conformisme. La pratique
assembléaire horizontale nous enseignent des valeurs que la politique
traditionnelles n'a pas, ceci fait parti du que se vayan todos, continuer à
rechercher des changements dans la logique de représentation ».
Pour Perez,
autant le diagnostic que fit l'extrème gauche sur la direction que prenaient les
assemblées que celui de la droite « qui disait qu'elles étaient le fruit d'un
chagrin qui se terminerait quand apparaitrait l'argent », « ont obscurci la
compréhension du processus ». « Les assemblées n'ont pas disparu ni échoué »,
souligne-t'il. « Elles sont bien plus latentes. La forme assembléaire comme
pratique politique et procédure de prise de décisions se maintient disponible.
Et en cela il faut reconnaître que l'ouverture d'un espace de résistance existe
depuis avant 2001 avec les mouvements piqueteros. Maintenant il y a sans doute
une politisation de l'espace du quartier qui a peu d'antécédents. Le que se
vayan todos, non seulement reflétait une crise de représentation, mais il
attaquait un régime de domination propre aux années 90. Il n'y a pas échec en
cela, mais une attente d'une réforme politique ».
NOTES
1-les
cartoneros sont les personnes qui la nuit tombée ramassent le carton dans les
rues de Buenos Aires. Il sont des centaines à parcourir les rues de la Capitale
pour quelques francs. (N.d.T.)
2-la différence d'appelation recoupe aussi la
composition de l'assemblée, les trotskistes qui en contrôlent quelques unes les
nomment « populaires » alors que les autonomes parlent plus d'assemblées « de
quartier ». (N.d.T.)
Irina Hauser, Pagina/12 (argentine) 12 décembre
2003
Traduction : Fab (
santelmo@no-log.org)
ENTREPRISE
RECUPEREES
L'article suivant pointe une nouvelle phase du mouvement des
entreprises récupérées en Argentine : des militants des différentes tendances
s'inscrivent dans des stratégies électoralistes (non partagées par tous les
ouvriers des entreprises récupérées).
A l'intérieur de ce mouvement, deux
tendances coexistent : d'un côté les partisans de l'« étatisation sous contrôle
ouvrier », minoritaires et de l'autre les partisans de la création de
coopératives. La première tendance est fortement influencée par l'idéologie de
certains partis trotskistes : transformer les entreprises en entreprises
publiques, au service de la communauté. Le danger est qu'elles n'ont pas
d'existence légale et risque donc d'être expulsées du jour au lendemain, sans
compter les problèmes de facturation. La deuxième tendance vise à protéger les
coopératives d'une expulsion grâce à cette existence légale, le but est de
démontrer la viabilité de l'autogestion et de permettre de créer un rapport de
force favorable lors de à l'expiration de l'expropriation (1).
Il nous semble
que la deuxième tendance soit plus appropriée, en particulier si l'on se réfère
à l'expérience de Brukman (2). Cependant un jugement moins tranché nécessite une
analyse que nous développeront dans d'autres travaux.
F. G. et D.
S.
LES FABRIQUES RECUPEREES FONT DE LA POLITIQUE
Elles ont des
candidats, expérimentent des alliances, vivent un débat interne, tentent
d'imposer leurs propres idées dans de nouveaux espaces. "C'est simple : nous
voulons occuper ces postes de décision avec le programme de notre mouvement",
résume un dirigeant à propos de ce phénomène.
Il n'est pas représenté
par un parti politique unique. Aucun ne peut le faire à cent pour cent. Ce n'est
pas non plus, pour l'instant, un regroupement politique. Mais comme mouvement
social, le mouvement des entreprises récupérées par leurs ouvriers développe un
projet politique, et tente d'occuper le terrain de la représentation politique.
Lors des élections d'août 2003, il fut présent sur plusieurs listes et a obtenu
l'élection d'un de ses membres à la Mairie de Buenos Aires. Lors des élections
de la semaine prochaine, plusieurs candidats issus de ses rangs se présentent
dans les provinces de Buenos Aires et de Santa Fe (3).
Le Movimiento
Nacional de Empresas Recuperadas (MNER) présentera lors des élections régionales
de Buenos Aires dimanche prochain des candidats sur les listes du Polo Social et
un candidat à la mairie de Florencio Varela (dans la banlieue de Buenos Aires)
(4). Lors des élections municipales de Buenos Aires, les fabriques se sont
présentées sur la liste du Partido de la Revolución Democrática (PRD), que
dirige l'écrivain Miguel Bonasso. L'avocat du mouvement, Diego Kravetz, qui
était tête de liste pour la mairie de Buenos Aires entrera en fonction en
décembre prochain. En dehors du MNER, Celia Martínez, ouvrière de la fabrique
textile Brukman, s'est présentée aux élections législatives nationales sur la
liste du Partido de los Trabajadores Socialistas (PTS) et son camarade de
travail Juan Carlos Ragghini, sur celle du Partido Obrero (PO). Daniel López, de
Ghelco fut intégré sur la liste de Izquierda Unida (IU). A Avellaneda, l'avocat
Luis Caro -du courant appelé Movimiento de Fábricas Recuperadas por los
Trabajadores- disputera la mairie sur la liste d'Aldo Rico.
Les premières
récupérations et expériences d'autogestion ouvrière en Argentine remontent à dix
ans avec l'entreprise métallurgique IMPA à Buenos Aires et le frigorifique
Yaguané à La Matanza, deux figures historiques du mouvement. Mais l'essor du
mouvement, avec ses préservations de postes de travail comme alternatives aux
faillites, liquidations ou abandons des entreprises, est consécutif aux 19 et 20
décembre 2001 (5) . "Ce fut à ce moment que nous avons commencé à parier
fortement sur une construction sociale et politique, et plus encore quand a
surgi l'appel de la CTA (nouveau syndicat) à constituer une force", résume José
Abelli, l'un des fondateurs du MNER, qui postule au poste de député de la
province de Santa Fe avec Encuentro Progresista, qui appui la liste du candidat
socialiste Hermes Binner. "Il se produisit une espèce de contagion très forte :
la récupération d'une entreprise en déclenchait cinq de plus. Ceci nous a
fortifiés", dit Abelli.
Oui avec celui-ci, non avec
celui-là.
Depuis un an et demi, les ouvriers organisés ont obtenu
l'expropriation légale de 32 entreprises sur le territoire de la province de
Buenos Aires, 4 dans la Capitale Fédérale, une à Entre Ríos et une autre en
Tierra del Fuego. Le total d' usines et de commerces réactivés par les
travailleurs approche les 180, et selon les calculs du MNER -que est
l'organisation qui fédère la majorité d'entre elles- cela représente 15 000
postes de travail récupérés. Si tout cela fut possible sans être au parlement ou
au gouvernement, beaucoup plus pourra se faire -soutiennent-ils au MNER- s' ils
accèdent à ces postes. "C'est simple : nous voulons occuper ces postes de
décision avec le programme de notre mouvement", signale Abelli.
Le choix des
partis politiques avec lesquels ils se présentent ne se pose pas de la même
manière ou avec des critères identiques dans toutes les entreprises occupées.
Par exemple, à Brukman, dans la fabrique de céramiques Zanon et à Sasetru, la
présence permanente de partis de gauche (6), spécialement du PTS (Parti des
Travailleurs Socialistes) et du PO (Parti Ouvrier), dans les processus de
récupération et résistance face aux expulsions, a généré un lien constant et
direct avec les ouvriers. "Je me suis présenté pour le PTS à titre personnel,
par affinité, pour tout le soutien qu'ils nous ont donné et parce que je crois
que les ouvriers devons faire de la politique. Je savais que je n'allais pas
être élue mais je l'ai fait pour créer un précédent. Mon rêve, en réalité, est
que puisse se former un grand parti des travailleurs", dit Celia Martínez, de
Brukman.
Au MNER il y a un autre regard sur le rapport avec les forces
politiques traditionnelles. "Nous maintenons une indépendance autant par rapport
à l'Etat que par rapport aux partis. Ce que nous espérons d'eux est qu'ils se
mettent à la disposition des travailleurs. La conduite doit venir des
protagonistes de la production, pas de l'extérieur", signale Abelli. S' ils
promeuvent, explique-t-il, des candidats à travers différentes organisations, ce
n'est pas seulement pour positionner leurs demandes mais "pour contrecarrer
l'avancée de la droite et ses projets néo-libéraux". "Nous pouvons continuer à
récupérer des fabriques mais si la droite est au pouvoir, les entreprises
autogérées n'ont pas de futur.", affirme Abelli.
Comment décident-ils à
travers quels partis se présenter ? "Nous optons pour le PRD (Parti de la
Révolution Démocratique) de Miguel Bonasso (7) parce qu'il ne représente pas les
structures "partidocratiques" traditionnelles, parce qu'il est en phase avec nos
demandes et parce qu'à travers IMPA nous avions des relations au niveau des
activités culturelles. Dans le cas du Polo Social, leur candidat est de l'UOM
Quilmes, une section en lien avec la récupération de plusieurs entreprises
métallurgiques. Nous appuyons Aníbal Ibarra (8), non pas parce qu'il nous plait
mais pour contrer Macri ; dans la province de Buenos Aires nous voulons
contrecarrer le péronisme de Carlos Ruckauf, et à Santa Fe, celui de Carlos
Reutemann".
Une vieille différence (9) au sujet de la structuration et de
l'existence légale sépare le MNER du petit groupe de fabriques qui s'est aligné
avec des partis de gauche. Le premier préconise la formation de coopératives et
que les excédents servent à générer plus d'activité productive. Le second
revendique l' "étatisation des entreprises sous contrôle ouvrier" et que les
excédents servent "pour la communauté" (éducation et santé par exemple). Au delà
de ces divergences, les ouvriers partagent tous l'idéal de sauver leurs sources
de travail (10), ils ont éliminé les hiérarchies dans la majorité des
entreprises, ont installé une répartition équitable des revenus (11) et
s'unissent dans les moments de résistance. Il y a aussi des idées en commun avec
beaucoup d'ouvriers, représentés légalement par l'avocat Luis Caro et regroupés
dans le Mouvement des Fabriques Récupérées (MFR) -qui dans les derniers congrès
et rencontres a recueilli l'adhésion de 40 entreprises. La méfiance tourne
surtout autour de la figure de Caro proprement dite, qui est accusé -surtout par
le MNER- d'avoir un projet politique personnaliste et d'avoir passé une alliance
avec le carapintada Rico, maire de San Miguel, avec le désir de remporter la
mairie d'Avellaneda. "Devenir maire est un projet personnel, je n'ai pas utilisé
le thème des fabriques dans ma campagne, mais si je gagne, je donnerai les
entreprises en faillite aux travailleurs", a de son côté affirmé Caro. "J' ai
été élevé dans un bidonville, j'ai toujours eu un point de vue social. Entre
1991 et 1999, je fus employé municipal : directeur d'action sociale, chef des
achats et sous secrétaire de production. En août 2000, j' ai pris contact avec
les ouvriers d' Unión y Fuerza, l' ancienne Gip Metal, qui venaient de la
récupérer. Ma femme qui est conseillère municipale, leur avait parlé de moi qui
était en dernière année d'étude d'avocat. Ainsi ai-je commencé mon travail avec
les fabriques."
Unis ou dominés.
Malgré ces différences internes,
qui affectent plus les dirigeants que les ouvriers eux-mêmes, le mouvement des
fabriques est peut-être le moins fragmenté des mouvements sociaux émergents,
surtout en comparaison avec les piqueteros. "Le mouvement des fabriques est plus
délimité, et il ne me semble pas que la fragmentation aille s'accroître.",
pronostique Gabriel Fajn, chercheur de l'Equipe de Sociologie des Organisations
à la UBA (Université de Buenos Aires). "Même s' il existe des divergences entre
eux, je vois des alignements politiques clairs surtout au MNER, qui apparaît
comme la principale référence. Ils ont un critère d'autonomie et apparaisent
comme une référence, dans l'ensemble, face à l'Etat", ajoute-t-il.
Fajn
attribue les candidatures politiques depuis les travailleurs organisés au fait
que "autant les partis politiques que les ouvriers ont besoin d'articuler le
conflit social avec des propositions. Ceci, à mon avis, est quelque chose de
positif. Avoir des représentants parlementaires favorisera sûrement l'arrivée
directe de projets et de propositions".
"Nous ne voulons pas terminer comme
les piqueteros, tous fractionnés", confesse Abelli, du MNER. "Notre projet
politique est indépendant des partis, mais en même temps nous savons qu'il est
impossible d'aller de l'avant uniquement à partir du mouvement lui-même. Il
s'agit, explique-t-il, de créer une société démocratique, avec une juste
répartition des richesses, où les travailleurs récupèrent le protagonisme des
années 50 et 60 et que la masse salariale représente la moitié du PIB. Nous
n'avons pas encore la force ni la capacité pour construire un parti politique
mais nous rêvons, qu'avec le temps, les travailleurs puissent confluer dans une
expression majoritaire, du style du Parti des Travailleurs (PT) au Brésil. Mais
aujourd'hui les partis politiques ne nous représentent pas et nous n'allons pas
rester chez nous les bras croisés."
NOTES
1-Une fois l'entreprise
récupérée et une coopérative constituée, les machines et le bâtiment sont
expropriée pour une durée de deux au terme desquels les travailleurs doivent
racheter l'entreprise et ses dettes.
2-Brukman, fabrique textile de Buenos
Aires récupérée en décembre 2001 pour laquelle les ouvrières demandèrent son
étatisation. Elle fut expulsée en avril 2003. Après six mois de lutte, la mairie
de Buenos Aires vota l'expropriation de la fabrique et sa remise à une
coopérative formée par les ouvrières.
3-L'Argentine est un Etat Fédéral à
l'image de l'Allemagne et de ses landers. (N. d. T.)
4-Son président, Eduardo
Murúa, comme député de la province de Buenos Aires ; Omar Campos, de la
Metalúrgica Plástica Argentina (IMPA -entreprise récupérée) comme compagnon de
formule de Francisco "Barba" Gutiérrez pour les provinciales de Buenos Aires et
José Córdoba, de la UOM de Quilmes, postule à la mairie de Florencio
Varela.
5-Emeutes et manifestations qui provoquèrent la démission du
président De la Rua. Ce fut comme le qualifie le groupe argentin Situaciones «
La force du NON » (cf. revue Multitudes n°8 de mars 2002). (N. d. T.)
6-Les
partis de gauche en Argentine sont tous "trotskistes".
7-Journaliste et
écrivain, auteur de « el palacio y las calles », sur les évènements de décembre
2001. (N. d. T.)
8-Ibarra, à l'époque maire de Buenos Aires, se retrouva au
second tour de l'élection municipale face à Macri, entrepreneur, propriétaire
entre autre du club de foot Boca Juniors et des Postes argentines. Ibarra
l'emporta. (N. d. T.)
9-Nous reviendrons plus largement dans des textes
ultérieurs sur ces différences idéologiques et pratiques. (N. d. T.)
10-Il
n'existe pas en Argentine d'assurance chômage. Nous verrons justement les
réponses des chômeurs à cette absence. (N. d. T.)
11-Pour beaucoup
d'entreprises à ma connaissance, cette répartition est même égalitaire. (N. d.
T.)
Irina Hauser, Pagina/12 (Argentine), 07 septembre
2003
Traduction de Fab (
santelmo@no-log.org)