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Lu sur Oiseau tempête : "À L'ECHELLE EUROPEENNE, les gouvernements sociaux-démocrates (Jospin, Blair, Schroeder) comme conservateurs (Berlusconi, Aznar, Raffarin) ont élargi la voie d'une modernisation libérale et d'une uniformisation du capitalisme européen. Face à ces attaques contre les salariés et les chômeurs, des luttes sociales sont réapparues, notamment en France et en Italie, tandis qu'un mouvement critiquant la « mondialisation libérale » se manifeste depuis quelques années à l'occasion de sommets internationaux (Seattle, Nice, Gênes, etc.). L'association Attac, présente à l'échelle internationale, et plus largement la nébuleuse altermondialiste, proposent l'organisation politique d'une philantropie sociale qui compenserait les excès du système. Les têtes pensantes de l'altermondialisme veulent nous faire croire qu'il existe un capitalisme à visage humain que l'on pourrait réguler par le droit et le renforcement des États.
IL S'AGIT AVANT TOUT (selon la plate-forme d'Attac de juin 1998) de conjurer le risque d'une « implosion sociale » et d'une crise irréversible de la politique. Le forum social de Porto Allegre, notamment, se donne pour but de renforcer « la capacité de résistance sociale non violente au processus de déshumanisation que le monde est en train de vivre ».
COMBINANT le vocabulaire du mouvement révolutionnaire (« se réapproprier l'avenir de notre monde ») et la promesse de réformes simples et immédiatement réalisables, Attac et ses acolytes attirent des milliers de gens sincèrement révoltés par les conséquences du développement capitaliste sur la planète. Mais la seule perspective qu'ils leur offrent est de redonner des couleurs à l'illusion réformiste, dont, au Brésil, Lula Da Silva et ses ministres trotskistes montrent, une fois de plus, les pitoyables conséquences.
LE VOTE, les manifestations ou les actions citoyennes ne s'attaquent en rien au cœur du système capitaliste : à savoir les rapports d'exploitation que seules des luttes de classes ont pu par le passé et pourront dans l'avenir remettre en cause.
Au contraire des idéologues altermondalistes, nous pensons que la seule perspective raisonnable est celle d'un projet révolutionnaire de rupture avec le capitalisme. Nous ne voulons pas créer de nouveaux impôts, mais de nouveaux rapports sociaux dans la perspective d'un monde débarrassé du salariat, de l'économie et de l'État.
Pour Attac, les économistes libéraux sont responsables de l'essor du capital spéculatif (« Les économistes libéraux pensent que plus les marchés seront déréglementés et libres de décider par eux-mêmes, plus ils rempliront efficacement [leur rôle] », p. 55)(1). En fait, les économistes libéraux, eux aussi, cherchent à trouver en priorité de nouvelles formes de valorisation du capital productif, et l'échec de leurs méthodes pour y parvenir traduit bien qu'en amont il y a un réel problème de valorisation dans la « sphère productive ». Ce qu'Attac leur reproche, c'est d'avoir abouti à cet échec, sanctionné par le marché par le développement spéculatif, et de ne pas en mesurer les conséquences économiques et sociales. En faisant croire à l'opinion publique que les économistes libéraux sont essentiellement des théoriciens du capital spéculatif, Attac espère, par ce tour de passe-passe, faire oublier que ses propres théories de relance étatique concurrencent les libéraux sur le même terrain de la valorisation du capital productif. Pour le reste, Attac et les économistes libéraux sont pour la liberté d'entreprendre, la valorisation du capital par le travail salarié et tout ce qui constitue les fondements de la misère de notre époque.
D'après Attac, « la finance spéculative parasite la sphère productive » (p. 22). Mais il ne suffit pas de détourner le flux des transactions spéculatives vers l'investissement productif, pour relancer l'économie capitaliste. La spéculation ne « parasite » pas la sphère productive, elle ne « détourne » pas des investissements qui pourraient être socialement utiles dans la sphère productive (c'est-à-dire utiles d'un point de vue de rentabilité capitaliste), la spéculation se développe aussi parce qu'il n'y a pas suffisamment de profit à espérer en investissant dans le capital productif, elle exprime l'impasse de la valorisation du capital productif.
On fait alors des appels spectaculaires à la dénonciation du capital financier, et on organise la colère des militants contre les organismes internationaux responsables de cette situation. Parallèlement, on fait des propositions concrètes pour permettre au capital de réinvestir dans la sphère productive, seule manière réelle de redresser la valorisation du capital productif, car on sait pertinemment que le seul contrôle du capital spéculatif n'y suffira pas, et qu'il est plus facile d'entraîner les passions contre les abstractions du capital financier (FMI, OMC, OCDE, etc.) qu'en faveur du capital productif (Michelin, Peugeot, etc.) ! Attac s'oppose aux licenciements, mais quand « les entreprises sont bénéficiaires » (Danone, C&A…). Et quand elles ne le sont pas ?
Aussi, lorsque Attac dénonce l'utilisation spéculative du capital, ce que l'association ne précise pas, c'est que la seule façon capitaliste de réduire le développement du capital financier (autrement que par l'explosion de la bulle spéculative), c'est d'intensifier l'exploitation par le travail de manière à ce que le capital productif redevienne attractif pour les investisseurs. Voilà à quoi aboutit le projet d'Attac. C'est ce qui a été tenté en France, par le gouvernement socialiste, communiste et vert, avec les lois sur les 35 heures (augmentation de la productivité du travail) ou par le gouvernement actuel avec la réforme des retraites, la modernisation de la gestion des chômeurs par leur remise au travail forcée et par la précarité accentuée (Pare, transformation du RMI en RMA…), etc.
Attac, cherchant des solutions politiques réformistes, se tourne vers les hommes politiques pour y parvenir. L'association se veut ainsi une force d'appoint pour réformer les politiques actuelles, comme si celles-ci n'étaient pas adéquates à la fonction qu'elles remplissent. Attac veut faire pression sur la politique « trop libérale » des dirigeants et des élus. Puis, dans un second temps, si les élus restent sourds aux interpellations d'Attac, en cherchant timidement à imposer une autre politique (faire de la politique « autrement »).
Pour que l'État puisse intervenir dans l'économie, Attac fait donc des propositions pour moderniser l'État capitaliste et ses infrastructures, aménager le territoire, développer les services publics ; moderniser également pour que le développement capitaliste puisse se réaliser dans un environnement de consensus social (pas de grève, pas de contestation sociale, pas de troubles sociaux risquant d'empiéter sur la valorisation productive du capital) ; moderniser, enfin, au lieu de seulement réprimer policièrement.
L'émergence d'un capitalisme européen s'accompagne aussi d'un nationalisme européen. Il y a, en effet, des limites à la lutte contre la spéculation financière, c'est le territoire des autres : la spéculation peut être acceptable quand elle sévit chez les autres. Malgré la sensibilité tiers-mondiste de la plupart des militants altermondialistes, les chefs d'Attac pensent les questions de souveraineté et de repli idéologique autour des questions identitaires à l'échelle européenne. Déjà, ils préparent les mesures protectionnistes à mettre en place pour protéger la zone capitaliste européenne.
« Reconquérir », « se réapproprier », le mouvement proposé est un retour à un état antérieur du capitalisme, jugé préférable. Proposition rétrograde au sens strict, et doublement telle : mécaniquement puisqu'elle propose un retour en arrière, politiquement puisqu'elle omet la critique de cet état antérieur, qui gagne logiquement dans la comparaison les couleurs de l'humain, du « supportable » (on parle par exemple de « développement soutenable »).
Récusant, sans jamais formuler sa récusation, donc sans avoir à l'argumenter, la voie d'une rupture anticapitaliste (2), Attac se place de facto dans la perspective d'une cogestion critique, donc d'une rationalisation capitaliste.
On pourra donc acheter des permis de licencier, des permis d'exploiter, comme on achète des permis de polluer, ce qui se nomme pompeusement « mise de la finance au service d'un État [sic] du bien-être mondial » (Tout sur Attac, p. 38).
L'insistance sur l'argent des riches, injustement gagné et dissimulé à la communauté sociale (censément représentée par le ministère des Finances !), rappelle la rhétorique populiste stalinienne début de siècle : « 200 familles », « Mur de l'argent », etc. Or il ne s'agit pas de tirer argument des écarts entre très riches et très pauvres pour condamner le système qui les produit et s'en nourrit. On propose l'organisation politique d'une philanthropie sociale qui compense l'injustice capitaliste. On veut « démontrer qu'il existe des alternatives pour - au moins - limiter l'insécurité économique et les inégalités sociales. » C'est le vieux cauchemar du bonheur marchand.